Les chiffres de l’inflation repoussent une éventuelle baisse des taux d’intérêt de la Fed

Les derniers chiffres de l’inflation la semaine dernière aux États-Unis, qui ont montré une augmentation du taux à 3,5 pour cent en mars contre 3,2 pour cent en février, ont fait frémir les marchés financiers, voire les ont refroidis.

En effet, la persistance de l’inflation, bien au-dessus de l’objectif de 2 pour cent de la Réserve fédérale américaine (Fed), réduit la perspective d’une baisse prochaine des taux d’intérêt, ce qui pèse sur la véritable montagne de dettes créée par les entreprises américaines.

Un trader travaille sur le parquet de la Bourse de New York, le 20 mars 2024. Le président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Jerome Powell, a annoncé qu’il n’y aurait pas de réduction des taux d’intérêt, mais qu’il pourrait y en avoir plus tard dans l’année. [AP Photo/Craig Ruttle]

Les données sur l’inflation ont entraîné une chute du marché boursier, une hausse des rendements obligataires [taux d’intérêt] et une baisse correspondante de leur prix [les deux ont une relation inverse]. Mercredi dernier, une vente aux enchères d’obligations du Trésor à 10 ans a donné lieu à ce que le Wall Street Journal a qualifié de «plus faible participation des investisseurs depuis novembre 2022».

À la fin de 2023 et au début de cette année, le marché s’attendait à ce qu’il y ait jusqu’à six baisses de taux cette année. Cette prévision a ensuite été ramenée à trois. Après qu’une réduction en mars ait été retirée de l’agenda, la date de début des baisses était attendue pour la réunion de la Réserve fédérale en juin.

Aujourd’hui, de sérieux doutes subsistent quant à l’éventualité d’une telle date, voire d’une quelconque réduction cette année. Le taux d’intérêt de la Réserve fédérale reste donc supérieur à 5 pour cent, son niveau le plus élevé depuis plus de 20 ans.

Le président de la Réserve fédérale de Minneapolis, Neel Kashkari, qui n’a pas actuellement le droit de vote sur les taux d’intérêt mais participe à la discussion sur la politique, a déclaré qu’il pouvait envisager une situation dans laquelle il n’y aurait pas de réduction de taux cette année.

Michelle Bowman, une des gouverneurs de la Réserve fédérale, a déclaré qu’il y avait un risque que «nous devions encore augmenter le taux directeur si les progrès en matière d’inflation devaient s’arrêter ou même s’inverser».

La plupart des membres de la Réserve fédérale prévoient toujours des réductions, mais elles pourraient intervenir plus tard que ne le souhaitent les marchés financiers.

Cette situation suscite la nervosité, car la perspective de taux plus élevés pendant plus longtemps accroît le risque de défauts de paiement et de faillites. En effet, les entreprises et les institutions financières profitaient d’argent quasiment gratuit avant que la Réserve fédérale ne commence à relever ses taux, proches de zéro, il y a deux ans.

Selon les données de la Réserve fédérale, la dette totale des entreprises aux États-Unis s’élève à 13.000 milliards de dollars. Il y a cinq ans, elle s’élevait à 10.000 milliards de dollars. L’augmentation d’environ 33 pour cent au cours de cette période dépasse de loin la croissance de l’économie réelle qui, en fin de compte, doit financer l’augmentation de la dette.

Plus de 3.000 milliards de dollars de cette dette des entreprises doivent être remboursés au cours des cinq prochaines années. Il faudra donc trouver de nouveaux financements dans un environnement où les taux d’intérêt seront plus élevés.

Les défauts de paiement se multiplient déjà. Le mois dernier, S&P Global Ratings a indiqué que le nombre d’entreprises ayant fait défaut sur leur dette en 2024 était le plus élevé depuis le début de l’année 2009, dans le sillage de la crise financière mondiale.

Torsten Slok, économiste en chef du groupe d’investissement Apollo et considéré comme un observateur perspicace des conditions financières, a déclaré au Financial Times: «Les taux de défaillance augmentent […] parce que la hausse des taux d’intérêt continue de frapper de plus en plus durement les entreprises à fort effet de levier».

Depuis qu’il a fait ces commentaires en mars, la perspective d’une baisse des taux d’intérêt s’est éloignée, ce qui accroît le stress des entreprises.

L’un des secteurs les plus vulnérables est celui de l’immobilier commercial où le problème de la hausse des taux d’intérêt est aggravé par une baisse de la demande d’espaces de bureaux, due elle, à l’augmentation du travail à domicile, conséquence de la pandémie de COVID.

Selon une analyse de Goldman Sachs, la valeur de l’immobilier commercial a chuté en moyenne de 33 pour cent et même de 60 pour cent dans certains endroits. Les banques sont sous pression, la «New York Community Bank» ayant dû lever un milliard de dollars de capitaux en raison des pertes subies dans ce domaine.

Newmark, une importante société américaine de gestion immobilière, a déclaré que les banques devraient réduire leurs prêts à l’immobilier commercial car 2.000 milliards de dollars de dettes immobilières arrivaient à échéance au cours des trois prochaines années.

«Les banques seront sous pression», a déclaré Barry Gosin, directeur général de Newmark, au FT au début du mois.

«Nous ne sommes qu’au début de l’impact de cette montagne de prêts», a-t-il déclaré. «Une partie de ces prêts sera totalement sous l’eau, une autre partie sera juste sous la surface» et une autre partie devra être capitalisée avec plus de fonds propres.

La société estime que 670 milliards de dollars de prêts arrivant à échéance d’ici 2026 seront «potentiellement en difficulté». Selon Gosin, «tous ceux qui ont investi massivement dans l’immobilier de bureau au cours des cinq dernières années auront un problème».

Les problèmes causés par la hausse des taux d’intérêt ne se limitent pas aux États-Unis. «Moody’s» a rapporté en janvier que le niveau des défauts de paiement en Europe pour le mois de décembre était le plus élevé depuis la crise financière mondiale.

La semaine dernière, une étude réalisée par un cabinet d’avocats allemand, qui recueille des données auprès de 3.750 entreprises européennes cotées en bourse, a révélé que le niveau de stress des entreprises allemandes était le plus élevé depuis quatre ans, c’est-à-dire depuis le début de la pandémie.

«L’hésitation en matière d’investissement, ainsi que les problèmes de liquidité et de rentabilité, continue d’avoir un impact sur les entreprises dans un environnement macroéconomique grevé par une croissance économique plus faible», a déclaré le cabinet.

L’Allemagne n’est pas la seule zone à problèmes. En janvier, il a été signalé que les défaillances d’entreprises britanniques avaient augmenté en 2023 pour atteindre leur niveau le plus élevé depuis 30 ans, après une hausse de 13,7 pour cent par rapport à 2022. Le directeur de l’organisme chargé de l’insolvabilité et de la restructuration du pays a mis en garde contre une «marée montante» de défauts de paiement qui devrait «rester élevée cette année».

L’augmentation des taux d’intérêt a également un impact considérable sur le financement de la montagne croissante de dette publique américaine, qui approche un niveau équivalent au PIB du pays.

Le département du Trésor a indiqué la semaine dernière que le déficit pour la première moitié de l’année fiscale 2024, qui a débuté en octobre de l’année dernière, s’élevait à 1,07 billion de dollars. L’une des principales raisons de l’aggravation du déficit est la charge des intérêts. Elle a atteint 522 milliards de dollars au cours des six mois, soit une augmentation de 36 pour cent par rapport à l’exercice 2023.

Plus cette situation se prolonge, plus on craint qu’à un moment donné, la montagne de dettes américaines ne crée d’importants problèmes financiers. Cela soulève des inquiétudes plus profondes quant à la stabilité du dollar, qui a commencé à se manifester dans la hausse du prix de l’or. Le métal a atteint ces dernières semaines des niveaux record.

(Article paru en anglais le 15 avril 2024)

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