Allemagne: la répression du Congrès palestinien et la lutte contre le génocide et la dictature

Quatre-vingts ans après la dictature nazie, la classe dirigeante allemande laisse tomber son masque démocratique. La suppression du Congrès palestinien à Berlin n’est pas sans rappeler les moments les plus sombres de l’histoire allemande.

Vendredi dernier, 900 policiers ont pris d'assaut cette conférence pacifique et arrêté de nombreux participants, dont des opposants juifs au génocide israélien à Gaza. Environ 2 500 policiers ont été mobilisés au total et brutalisent depuis les manifestants qui protestent contre la dispersion du Congrès.

La police allemande arrête la porte-parole de Jewish Voice for Peace, Udi Raz, le 12 avril 2024. [Photo: @AliAbunimah]

Le World Socialist Web Site et le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l'égalité socialiste, SGP) condamne dans les termes les plus forts la répression exercée par l'État allemand – qui rappelle les dictatures pures et simples et les régimes fascistes – contre le Congrès palestinien. Elle n’est pas seulement dirigée contre le congrès et ses partisans, mais vise également à réprimer toute opposition sociale et politique. Dans des conditions où la classe dirigeante s’appuie à nouveau sur le militarisme et la guerre et prépare des attaques massives contre la classe ouvrière, les manifestations ne sont plus tolérées.

Les organisateurs du Congrès palestinien et leurs avocats étaient prêts à respecter toutes les restrictions policières. Un communiqué du collectif d'avocats, qui a travaillé en étroite collaboration avec les organisateurs du congrès, a montré qu'il y avait déjà eu plusieurs séries de «pourparlers sur la sécurité» entre les organisateurs et la police, qui avaient limité de plus en plus le congrès. À la fin, il fut malgré tout brutalement dissous. Même ses participants les plus éminents ont été traités comme des criminels.

Le ministère allemand de l'Intérieur a par exemple imposé une interdiction d’activité à l'ancien ministre grec des Finances et président du parti paneuropéen DiEM25, Yanis Varoufakis. L’interdiction comprend également une interdiction d’entrée du territoire et d’apparaître en ligne. Autrement dit, même s’il y a quelques années, Berlin travaillait encore en étroite collaboration avec Varoufakis pour imposer les diktats d'austérité de l'Union européenne à la classe ouvrière grecque, celui-ci n'est plus autorisé à s'exprimer politiquement en Allemagne, car il critique le massacre des Palestiniens.

Une autre personnalité bien connue mise sur la liste noire du gouvernement allemand au dernier moment est le médecin et recteur de l'Université de Glasgow, le Dr Ghassan Abu Sittah. Après que la police allemande lui eut également imposé une interdiction d'entrée, il a été arrêté à son arrivée à l'aéroport de Berlin, soumis à un interrogatoire de plusieurs heures, puis renvoyé à Londres par avion.

Abu Sittah a travaillé dans la bande de Gaza pendant les six premières semaines de la guerre, dans les hôpitaux Shifa et Ahli, qui ont été attaqués à maintes reprises par l'armée israélienne. Il a témoigné de ses terribles expériences à la Cour internationale de Justice, où l'Allemagne a été accusée de complicité dans le génocide, et a accordé une interview poignante au magazine d'information allemand Der Spiegel. À présent, en tant que témoin oculaire du massacre, on lui interdit de rendre compte des événements de Gaza lors du congrès.

La répression contre le Congrès palestinien est le point culminant d'une véritable campagne de terreur policière menée contre toute opposition depuis le début du génocide israélien. À Berlin et dans d’autres grandes villes allemandes, des quartiers entiers à forte population palestinienne et arabe sont assiégés. Quiconque porte un foulard palestinien ou exprime de quelque manière que ce soit son opposition au gouvernement et au génocide qu'il soutient doit s'attendre à être interpellé et arrêté par la police.

En appliquant le même arbitraire et la même brutalité, le secteur culturel et éducatif est purgé et mis au pas. Les expositions d'artistes palestiniens et d'opposants au génocide ont été annulées, des institutions culturelles telles que l'Oyoun à Berlin ont perdu leur financement et les missions d’enseignement, les prix et les récompenses sont repris ou on les bloque. Quiconque exprime des critiques en tant qu'artiste, scientifique ou journaliste perd d'abord son emploi, puis est traité d'antisémite dans une campagne de diffamation publique et détruit par les médias.

Personne ne devrait se laisser intimider par cette sale campagne. C’est le comble de la provocation lorsque la classe dirigeante allemande, plus que tout autre, invoque l’Holocauste pour justifier un autre génocide et criminaliser toute opposition à celui-ci. Cette campagne est également dirigée contre les opposants juifs du génocide. Déjà à l’approche de la conférence, le compte bancaire de Voix juive pour une paix juste, où étaient collectés les dons pour l’événement, avait été gelé. Lorsque la police a pris d'assaut le congrès, un membre dirigeant de cette organisation, Udi Raz, a été arrêté.

La répression a été soutenue par tous les partis du Bundestag (parlement allemand). La ministre social-démocrate de l'Intérieur Nancy Faeser a salué l'action brutale de la police. Il était «juste et nécessaire» que la police berlinoise réprime le soi-disant Congrès palestinien, a-t-elle écrit sur la plate-forme de réseaux sociaux X.

Une «Alliance contre le terrorisme antisémite» multipartite, qui rassemble des représentants de premier plan des sociaux-démocrates (SPD), des Verts et des libéraux (FDP), les partis au pouvoir, ainsi que de l'opposition chrétienne-démocrate (CDU-CSU) et du Parti de gauche à Berlin, comme une grande partie des médias, a mené une campagne violente de diffamation avant même le début du congrès et demandé son interdiction. Les participants voulaient la «propagation de la haine antisémite» et Berlin ne devait pas devenir «le centre de la glorification du terrorisme», a-t-on écrit dans un communiqué.

Les politiciens en vue et les propagandistes des médias peuvent s’époumoner jusqu’à l’apoplexie, cela ne changera rien à la réalité. Le récit ignoble de la lutte contre « l’antisémitisme» et le «terrorisme» est de plus en plus mis à nu. Il n’est rien qu’une couverture derrière laquelle la classe dirigeante retourne à ses racines: le fascisme et la guerre.

Ce ne sont pas les Palestiniens opprimés et les millions de gens dans le monde qui sont solidaires avec eux et protestent contre le génocide qui promeuvent l’antisémitisme, mais les puissances impérialistes et, par-dessus tout, la classe dirigeante allemande. Le récit même qui associe collectivement le peuple juif à la politique génocidaire du régime d’extrême droite de Netanyahou est profondément antisémite.

De plus, les mêmes partis, politiciens et journalistes qui crient à propos de « l’antisémitisme » n’ont aucun problème à courtiser le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) et à glorifier ouvertement les forces fascistes en Ukraine dans la guerre que l’OTAN mène contre la Russie. Ils ont également tous défendu Jörg Baberowski, professeur d’extrême droite à l’Université Humboldt, après sa déclaration que Hitler n’« était pas cruel» et qu’il n’aimait pas parler de l’extermination des Juifs.

La classe dirigeante ne se préoccupe pas du sort des Juifs. Comme en Ukraine et en Russie, l’impérialisme allemand poursuit aussi au Moyen-Orient des intérêts géostratégiques et économiques, en s’appuyant sur le génocide et sur la guerre. Le gouvernement travaille actuellement fébrilement pour rendre l’Allemagne à nouveau «efficace à la guerre», selon les mots du ministre de la Défense Boris Pistorius. Au niveau national cela nécessite, comme par le passé, la militarisation de la société dans son ensemble et l’instauration d’une dictature.

Dès 2017, le service de renseignement intérieur allemand Verfassungsschutz (Office pour la protection de la Constitution), sous la direction de son président d'extrême droite Hans-Georg Maassen, a placé le SGP sous surveillance. Et cela au seul motif qu’il prône un programme socialiste, critique le capitalisme, le militarisme et le nationalisme et s'oppose aux partis établis et aux syndicats. Le SGP a déposé une plainte contre cela et prévenait déjà à l’époque :

L’attaque du SGP par les services secrets est une attaque fondamentale contre les droits démocratiques. Elle fait partie d’une politique gouvernementale reposant de plus en plus sur des formes autoritaires de gouvernement et sur le recours aux forces d’extrême droite pour imposer une politique de militarisme, de réarmement de l’appareil d’État et de la casse sociale, et pour réprimer toute résistance s’y opposant. Elle rappelle la République de Weimar, où les services de renseignement, le pouvoir judiciaire et la police persécutaient impitoyablement les socialistes et les pacifistes tout en renforçant les nazis.

Ça, c'est la réalité. Et la répression du Congrès palestinien est un autre avertissement sérieux. Elle souligne à quel point la classe dirigeante est agressive dans ses visées et que, comme dans le Troisième Reich, elle ne reculera devant rien pour imposer sa politique de guerre et de dictature. Dans le même temps, ses méthodes de type Gestapo ne feront qu’alimenter davantage l’opposition populaire. Selon un récent sondage, seulement 18 pour cent de la population considèrent que les actions d'Israël à Gaza sont justifiées, alors que 69 pour cent s'y opposent.

Le SGP se base sur cette opposition, qui s’inscrit dans une radicalisation beaucoup plus large de la classe ouvrière et dans le développement de la lutte de classe internationale. Le SGP utilisera la campagne électorale européenne, avec ses partis frères du Comité international de la Quatrième Internationale, pour faire avancer la construction d’un mouvement de masse indépendant contre le génocide, la guerre et la dictature – et leur cause profonde, le capitalisme. Notre déclaration électorale dit :

Des millions de personnes dans le monde ont manifesté contre le génocide à Gaza ces dernières semaines, malgré la propagande des politiciens et des médias, et ont montré à quel point la classe ouvrière est aujourd'hui forte et connectée à l'échelle mondiale. Ce mouvement doit être élargi et armé d’une perspective socialiste.

Nous revendiquons :

*La fin immédiate du siège de Gaza et la démobilisation complète de l'armée israélienne !

*La poursuite en justice de Netanyahou, Biden, Scholz et tous les autres criminels de guerre pour les crimes de guerre commis!

*Pour l’unité des travailleurs palestiniens et israéliens dans la lutte pour un État commun laïc et socialiste !

(Article paru en anglais le 18 avril 2024)

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