Postes Canada signalait la semaine dernière dans son rapport financier pour 2023 qu’elle avait enregistré une perte avant impôts de 748 millions de dollars l’an dernier et qu’elle s’attendait à continuer à perdre de l’argent cette année encore et dans les années à venir. Annuellement, la société d’État a enregistré des pertes depuis 2018, cumulant 3 milliards de dollars en six ans. Bien qu’en 2023, les recettes totales dépassaient les 6,9 milliards de dollars, cela représente une baisse de 3,3 % par rapport à 2022.
La société d’État prévient que si la tendance actuelle se maintient, sans emprunts supplémentaires et sans refinancement de sa dette, les services postaux au Canada seront à court de fonds d’exploitation au début de l’an prochain.
Cette annonce survient alors que Postes Canada est en pleine négociation avec la bureaucratie du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) pour le renouvellement des conventions des 42.000 travailleurs de l’Exploitation postale urbaine (EPU) et des 8.000 facteurs ruraux et suburbains (FFRS). Ces travailleurs constituent la majeure partie des plus de 68.000 employés de Postes Canada et sont responsables de la distribution du courrier à plus de 17,4 millions d’adresses partout au pays.
La convention collective des FFRS est échue depuis le 31 décembre 2023, tandis que celle du secteur de l’exploitation urbaine a pris fin le 31 janvier. Le STTP est déterminé à maintenir les travailleurs démobilisés en ne diffusant que des mises à jour sporadiques et en laissant traîner en longueur les négociations. Le syndicat n’a pas encore annoncé de vote de grève, et encore moins fixé de date pour quelque action. Les travailleurs se disent surchargés de travail et sous-payés, alors que la direction fait pression sur eux pour qu’ils atteignent des objectifs irréalistes.
Selon les propositions actuelles de la société d’État, ces pertes croissantes doivent être compensées par les travailleurs de Postes Canada par le biais d’une nouvelle dégradation de leurs conditions de travail et la réduction de leurs salaires et avantages sociaux. Parmi les «solutions» proposées figurent la suppression de la distribution quotidienne des lettres et l’extension de la distribution des colis les week-ends. La société d’État cherche également à réduire ses prestations de retraite et en soins de santé. Exploitant l’introduction de l’intelligence artificielle, Postes Canada veut priver les travailleurs des postes d’un itinéraire régulier en le remplaçant par un horaire en constante évolution basé sur une efficacité maximale, connu sous le nom d’«acheminement dynamique».
«Nous devons travailler avec le gouvernement pour nous assurer que le cadre réglementaire correspond aux besoins actuels», déclarait dans un communiqué Jon Hamilton, vice-président des communications à Postes Canada, rapporté par CBC News.
«Nous avons pris un certain nombre de mesures pour mieux faire face à la concurrence, mais nous ne nous attendions pas à ce que notre part de marché diminue aussi rapidement et à ce que nos concurrents s’approprient d’une part aussi importante du volume», a déclaré Hamilton sur les ondes de CBC, ajoutant que la société d’État tenait des «conversations honnêtes» avec le STTP au sujet de l’expansion des services de livraison des colis les week-ends.
Dans son rapport annuel de 2023, Postes Canada exprime son envie à l’égard des «modèles d’affaires à faible coût de main-d’œuvre» pour la livraison des colis issus du commerce électronique qui ont connu une croissance rapide depuis le début de la pandémie de la COVID-19 en 2020, clairement dans l’optique d’accroitre l’utilisation de travailleurs temporaires faiblement rémunérés pour couvrir des itinéraires et assurer un plus vaste service. La croissance des ventes en ligne s’est accompagnée de l’apparition d’entreprises de messagerie privées qui emploient des travailleurs temporaires pour livrer des colis en dehors du système de Postes Canada, y compris la nuit et le week-end.
Le nombre de colis livrés, stimulé par la croissance des achats en ligne sur Amazon et autres plateformes de consommation en ligne, est passé de 286 millions en 2022 à 296 millions de colis en 2023. Parallèlement, la livraison de lettres poursuit son déclin précipité commencé il y a près de vingt ans avec la prolifération des courriels et des téléphones intelligents, passant d’un pic de 6,6 milliards d’envois en 2006 à un peu plus de 2,2 milliards en 2023.
Bien que Postes Canada soit contrôlée par l’État et supervisée par le ministre fédéral de Services publics et Approvisionnement Canada, elle ne reçoit pas de financement public. Depuis les années 1980, elle dépend entièrement des revenus générés par la vente de produits postaux, dont les plus importants sont les timbres, et de services. Auparavant, le service postal canadien était entièrement financé par le gouvernement et les postiers étaient des fonctionnaires.
La justification de la création d’une société à but lucratif était de rendre le service postal «plus compétitif» par rapport à des services de livraison comme UPS et FedEx. Cette volonté de «compétitivité» s’est faite aux dépens des travailleurs des postes, qui ont été victimes d’attaques répétées. La direction de Postes Canada a bénéficié du soutien du gouvernement fédéral à chaque étape de cette offensive. Les gouvernements conservateurs et libéraux successifs ont brisé leurs grèves en adoptant des lois de retour au travail, notamment en 2011 et en 2018. La bureaucratie du STTP a été pleinement complice de ces attaques, surtout par son refus de défier l’intervention du gouvernement en menant une lutte politique pour défendre les intérêts des travailleurs des postes. Après l’intervention du gouvernement Trudeau en 2018 pour interdire les grèves tournantes des postiers, le STTP a contribué à l’application d’un accord de capitulation pourri en disant qu’il défendrait le «droit de grève» des postiers devant les tribunaux. Six ans plus tard, les tribunaux se penchent toujours sur la question de savoir si la loi de 2018 sur le retour au travail était légale, tandis que les travailleurs des postes continuent d’en subir les conséquences.
Le STTP est un proche allié du gouvernement libéral de Trudeau et insiste sur le fait que Postes Canada doit être gérée de façon «rentable». Cette vision s’aligne parfaitement sur l’engagement des libéraux en faveur des mesures d’austérité afin de faire payer aux travailleurs les dépenses massives consacrées aux Forces armées canadiennes et les cadeaux aux super-riches. Dans une démonstration de son hostilité acharnée aux droits des travailleurs et de sa détermination à imposer une exploitation brutale sur les lieux de travail partout au pays, le gouvernement libéral est intervenu cette semaine pour bloquer indéfiniment la grève imminente des plus de 9.000 cheminots chez CN Rail et Canadien Pacifique Kansas City. Malgré le vote de grève écrasant des travailleurs du rail, le ministre du Travail Seamus O’Reagan a annoncé que le Conseil canadien des relations industrielles examinerait la question de savoir si une grève pouvait être déclenchée en toute sécurité, et que toute grève serait interdite jusqu’à ce que cette institution de l’État capitaliste rende sa décision.
La présidente du STTP, Jan Simpson, a réagi au dernier rapport de pertes de Postes Canada en défendant le droit de la société d’État à faire des profits sur le dos des travailleurs qu’elle prétend représenter. «Pour nous, livrer le courrier à la porte de chaque client à travers le pays [...] c’est la façon dont Postes Canada récupérera, je pense, une grande partie de ses profits qu’elle prétend avoir perdus de différentes façons», déclare Simpson.
Le syndicat propose d’élargir les responsabilités des travailleurs et les services offerts par Postes Canada. Dans le cadre de sa campagne «Vers des collectivités durables», le syndicat propose des «solutions» telles que l’offre de services bancaires postaux et de services sociaux pour les personnes âgées.
«Les travailleurs des postes savent depuis longtemps qu’une transition est nécessaire et ils ont proposé des solutions. La réaction de la Société, jusqu’à présent, est d’effectuer des compressions et de confier des services à des franchises. Les postiers sont convaincus que la véritable solution consiste à se développer et à innover pour répondre aux besoins des personnes qui apprécient nos services postaux. Ce n’est peut-être pas la voie la plus facile, mais c’est la bonne», déclarait Simpson dans un communiqué le 7 mai.
Alors que Postes Canada affiche des pertes massives et joue les pauvres, les ressources nécessaires au financement intégral des services postaux existent bel et bien. Dans le cadre de sa dernière «mise à jour de la politique de défense», le gouvernement libéral Trudeau, jouissant du soutien des syndicats, annonçait le mois dernier que les dépenses militaires annuelles passeraient du niveau actuel d’environ 30 milliards de dollars par année à 49,5 milliards de dollars d’ici 2029-2030. Déjà à leur niveau actuel, les dépenses militaires du Canada pourraient couvrir 10 fois les pertes de la société d’État cumulées au cours des six dernières années.
Les travailleurs de la base de Postes Canada ont clairement démontré leur détermination à lutter contre les concessions massives exigées par la société d’État et qu’ils n’accepteront pas une autre capitulation de la bureaucratie du STTP. Une réunion de travailleurs le mois dernier a appelé à la création d’un Comité de base des travailleurs des postes (CBTP).
Après une longue discussion, l’assemblée a adopté à l’unanimité la résolution suivante :
Cette assemblée des travailleurs de Postes Canada déclare son appui à la création d’un comité de base des travailleurs des postes. Ce comité sera complètement indépendant de l’appareil bureaucratique du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, qui nous divise, nous démobilise et applique les diktats de la direction. En créant le Comité de base des travailleurs des postes, nous pouvons arracher au STTP le contrôle de notre lutte contractuelle et formuler des revendications pour unir et défendre les emplois et les conditions de travail de tous les travailleurs de Postes Canada. La mobilisation indépendante de la base est également cruciale pour mener une lutte politique de la classe ouvrière contre le gouvernement Trudeau, soutenu par les syndicats et le NPD, qui se tient résolument derrière Postes Canada. Pour ce faire, il faudra lier notre lutte à celle de toutes les sections de travailleurs, du public et du privé, qui font face à des attaques similaires à travers le Canada et dans d’autres pays, par l’intermédiaire de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base.
Tous les travailleurs en accord avec cette stratégie et qui sont intéressés à bâtir le CBTP sont invités à nous contacter.
(Article paru en anglais le 11 mai 2024)
