La secrétaire américaine au Trésor sollicite le soutien de l’Europe dans la guerre économique contre la Chine

Après avoir imposé des droits de douane draconiens sur une gamme de produits chinois issus des technologies vertes, notamment une taxe à 100 pour cent sur les véhicules électriques [VE], les États-Unis tentent à présent d’entraîner l’Union européenne dans leur guerre économique contre Pékin.

La secrétaire au Trésor Janet Yellen a lancé mardi ce qui équivalait à un appel aux armes dans un discours important à Francfort, en Allemagne, sur l'importance et la force de l'alliance transatlantique.

Après avoir rappelé la collaboration avec l'Europe depuis la Guerre froide jusqu'aux opérations de l'OTAN contre la Russie dans la guerre en Ukraine, elle a abordé la question qui est au premier plan pour les États-Unis: la menace existentielle à leur domination économique mondiale, représentée selon eux par l’ascension économique de la Chine.

«La politique industrielle de la Chine peut sembler être un sujet qui ne réclame pas notre attention immédiate, mais si nous n'y répondons pas de manière stratégique et unie, la viabilité des entreprises dans nos deux pays et dans le monde entier pourrait être menacée», a-t-elle déclaré.

Les États-Unis soutiennent que les subventions publiques accordées par Pékin, notamment dans les secteurs de haute technologie, créent une concurrence «déloyale». Yellen a déclaré que «la surcapacité industrielle» en Chine constituait non seulement une menace pour les entreprises aux États-Unis et en Europe, mais pourrait également empêcher «les pays du monde entier, y compris les marchés émergents, de construire les industries qui pourraient alimenter leur croissance».

Dans cette présentation, Yellen suivait la tradition de longue date de l’impérialisme américain, qui a toujours présenté la poursuite de ses propres intérêts stratégiques et économiques comme le moyen de sauver le monde, y apportant la paix, la stabilité, la démocratie, un «ordre fondé sur des règles» et le progrès économique.

Dans ce cas précis cependant, elle avait un problème concernant l’affirmation que la Chine saperait cet ordre avec ses subventions d’État : la Loi sur la réduction de l’inflation (IRA) du gouvernement Biden et la Loi CHIPS.

Les mesures prises dans le cadre de cette législation, un mélange de subventions pures et simples et d'importants allègements fiscaux qui rapporteront à terme jusqu'à 1 000 milliards de dollars aux entreprises américaines, ont été critiquées en Europe comme étant protectionnistes.

En essayant de parer à ces critiques, Yellen a affirmé que l’IRA n’était «pas un tournant vers le protectionnisme américain» mais qu’il créait des opportunités non seulement dans son pays mais dans le monde entier.

«À mesure que nous produisons davantage aux États-Unis, nous réduirons les coûts des technologies propres à l’échelle mondiale, ce qui bénéficiera aux populations et aux économies du monde entier», a-t-elle déclaré.

L’affirmation que les mesures américaines profitent au monde entier est réduite à néant par le fait que des produits chinois bon marché sont déjà disponibles et que le but des tarifs douaniers est d’augmenter, et non de diminuer, le prix des technologies vertes.

L’UE a indiqué qu’elle n’adhérait pas entièrement à l’approche américaine dans des conditions où il existe des divergences en son sein. L’Allemagne suit une voie prudente parce que la production automobile, sa principale industrie manufacturière, est très dépendante de la Chine en tant que marché, centre de production et fournisseur.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a nié que l’Europe fût engagée dans une guerre commerciale avec la Chine et a affirmé que son approche serait «différente» de celle des États-Unis.

S'adressant au Financial Times, elle a déclaré: «Disons que nous partageons certaines des préoccupations de nos homologues américains. [Mais] notre approche est différente. Les Américains viennent d'appliquer des tarifs douaniers généraux. Nous voulons de la concurrence, nous voulons commercer ensemble, mais nous voulons être équitables et respecter les règles.»

La position de l’UE est que toute mesure contre la Chine, concernant les véhicules électriques et autres produits, doit se conformer aux réglementations de l’Organisation mondiale du commerce [OMC].

Les États-Unis ne partagent pas cette préoccupation ayant conclu que l’OMC, censée être la gardienne de l’ordre commercial international «fondé sur des règles» et dans laquelle ils ont joué un rôle majeur lors de sa fondation, devrait désormais être contournée parce qu’elle ne sert plus leurs intérêts.

Depuis le gouvernement Trump, ils ont refusé de nommer des représentants à l’Organe d’appel de l’OMC, qui statue sur les conflits, le rendant ainsi inopérant.

La production automobile et les produits de technologie verte ne sont pas la seule cible des États-Unis. L’extraction des minéraux nécessaires à la production de puces informatiques et de batteries en est une autre.

«Nos chaînes d'approvisionnement en minéraux critiques sont actuellement trop concentrées en Chine », a déclaré Yellen.

Le danger d’une dépendance excessive a été révélé lors de la pandémie de COVID-19 et au début de la guerre en Ukraine, et c’est pourquoi les États-Unis ont développé ce que Yellen a appelé le « friendshoring (relocalisation amicale) pour approfondir les liens économiques avec un large éventail de partenaires et d’alliés afin de construire des chaînes d’approvisionnement robustes qui font progresser notre sécurité énergétique et économique ».

Les États-Unis, a-t-elle affirmé, ne cherchaient pas à se «détacher» de la Chine mais à se «diversifier». Mais sémantique mise à part, l’objectif central de la politique américaine ne fait aucun doute. Il s’agit de concentrer les ressources économiques clés soit dans le pays, soit entre les mains d’alliés fiables, de sorte qu’en cas de guerre avec la Chine, à laquelle ils se préparent activement, les États-Unis ne soient pas coupés d’approvisionnements essentiels.

Et même si cela ne relève pas directement de sa compétence, Yellen a fait des commentaires significatifs sur la guerre en Ukraine et sur le renforcement des mesures américaines contre l’Iran au Moyen-Orient, révélant l’intégration étroite de la politique économique et de l’action militaire.

Il était vital, a-t-elle déclaré, que l’Ukraine reçoive le soutien dont elle a besoin pour son armée.

«C'est pourquoi je pense qu'il est vital et urgent que nous trouvions collectivement un moyen de débloquer la valeur des actifs souverains russes immobilisés dans nos juridictions au profit des Ukrainiens. Ce sera un sujet de conversation clé lors des réunions du G7 cette semaine. »

Au début de la guerre en Ukraine, les États-Unis et les puissances européennes avaient gelé les avoirs financiers étrangers de la banque centrale russe, pour un montant d’environ 300 milliards de dollars, dans le but de paralyser son système financier.

Cet acte a provoqué une onde de choc car il montrait clairement que les actifs étrangers pouvaient effectivement être saisis en raison de la domination américaine sur le système financier mondial.

Et maintenant, les États-Unis veulent aller plus loin et utiliser les actifs russes pour financer leur guerre en Ukraine. La majeure partie de l’argent russe est toutefois détenue dans le système bancaire européen.

Même s'il existe un consensus général sur le fait que les intérêts des fonds russes pourraient être utilisés pour financer la guerre, l'UE s'est opposée à ce vol pur et simple, car elle craint que cela ne soulève des inquiétudes dans d'autres pays quant à la sécurité de leurs actifs dans le système financier européen.

Mais les États-Unis sont déterminés à aller de l’avant, sinon en saisissant directement les actifs, du moins en les utilisant comme garantie pour les prêts à accorder à l’Ukraine.

Yellen a également appelé au soutien européen pour les opérations militaires américaines au Moyen-Orient, affirmant que «nous devons rester en étroite coordination alors que nous prenons des mesures supplémentaires pour cibler le régime iranien et ses forces mandataires».

(Article paru en anglais le 22 mai 2024)