La bureaucratie syndicale argentine demande au fasciste Milei de «dialoguer» après avoir facilité la répression du 12 juin

De hauts responsables de la Confédération des travailleurs argentins (CGT) ont révélé que Pablo Moyano, codirigeant de la CGT et du syndicat des camionneurs, s’est retiré de la manifestation du 12 juin devant le Congrès argentin après que les forces de sécurité l’eurent averti qu’un assaut policier allait être lancé.

Pablo Moyano s’exprime lors d’un Congrès de normalisation des organisations syndicales péronistes, le 3 mars 2023. [Photo by Sindicalismo.ARG / CC BY 4.0]

La manifestation avait été convoquée en opposition à la soi-disant «loi de base», qui avait été introduite par le président fasciste Javier Milei et approuvée par le Sénat ce soir-là. Le projet de loi, qui devrait être adopté par la chambre basse avec ses récentes modifications, comprend des attaques radicales contre les droits des travailleurs, des mesures d’austérité et des privatisations.

Moyano a pris la tête de la seule faction minoritaire de la CGT qui a décidé de se joindre à la manifestation, affirmant: «Nous serons dans les rues pendant autant d’heures qu’il le faudra pour que les sénateurs voient qu’il y a un peuple mobilisé qui exige qu’ils votent contre ce projet de loi».

Vers 15 h, il a cependant pris la décision inhabituelle de partir avec l’ensemble de sa délégation, même si les manifestants ne faisaient qu’arriver.

Peu après, la police fédérale antiémeute et les gendarmes ont provoqué des affrontements en attaquant la manifestation avec des gaz lacrymogènes, des canons à eau, des balles en caoutchouc et des matraques.

Les manifestants ont été pourchassés par des policiers à moto jusqu’à 20 pâtés de maisons pour être battus et arrêtés. Au total, 36 personnes ont été arrêtées et au moins 100 ont dû recevoir des soins médicaux pour leurs blessures. Les personnes arrêtées et libérées – 16 sont toujours en garde à vue – ont déclaré avoir été frappées lors de leur interrogatoire. «Combien t’ont-ils payé pour être ici? Et de quel groupe êtes-vous?», était le genre de questions martelées lors de l’interrogatoire.

Le mardi suivant, le quotidien Clarín écrivait:

«On l’avait prévenu la veille qu’à 15 h, la situation allait se compliquer», a déclaré à Clarín un important chef cégétiste pour expliquer le comportement surprenant de Moyano. Un autre syndicaliste a confirmé la même version et a déclaré que le camionneur avait été alerté de possibles incidents par des secteurs liés aux services de renseignement.

La participation de Pablo Moyano et de son aile «kirchneriste» (partisans de l’ancienne présidente péroniste, Cristina Fernandez de Kirchner) était manifestement une mise en scène pour feindre l’opposition, puisqu’il n’y a eu aucun effort pour mobiliser leurs dizaines de milliers de membres pour la manifestation, et encore moins pour faire grève.

La majorité de la bureaucratie de la CGT a refusé de manifester, y compris les deux autres secrétaires généraux Héctor Dáer et Carlos Acuña, ainsi que les dirigeants syndicaux Gerardo Martínez et Hugo Moyano, le père de Pablo Moyano et chef de longue date du syndicat des camionneurs.

Lors d’une conférence tenue deux semaines plus tôt, la CGT avait voté une résolution qui stipulait ce qui suit: «La décision du Congrès, qui est une entité démocratique, doit être respectée». Après tout, une grande partie de la direction du syndicat est composée de politiciens capitalistes eux-mêmes, qui occupent ou ont occupé des postes au Congrès et au Parti péroniste bourgeois.

Bien qu’il y ait des indications d’un conflit au sein de la bureaucratie syndicale entre l’aile de Pablo Moyano et la majorité, il tourne autour de différences tactiques sur la façon de dissimuler leur subordination au régime fasciste de Milei, ainsi que des différends sur les ressources et même les positions potentielles au sein du gouvernement.

Les syndicats appartenant à la Centrale des travailleurs argentins (CTA) et à la CTA autonome ont envoyé des délégations, mais ont également refusé de mobiliser la base et de faire grève, même après le début de la répression. Les travailleurs de l’industrie de l’huile ont voté massivement la grève, mais le syndicat l’a annulée en réaction à une injonction du tribunal.

Les responsables de la CGT ont expliqué dans des déclarations publiques qu’ils étaient satisfaits du déroulement des négociations avec le gouvernement Milei. Bien que plus de 100.000 travailleurs de la construction aient perdu leur emploi après que Milei a mis fin à tous les contrats de travaux publics, Gerardo Martínez, secrétaire général de l’Union des travailleurs de la construction (UOCRA), a souligné la «nécessité» non seulement de maintenir «le dialogue tripartite en tant qu’instrument et clé principale pour résoudre les problèmes graves, mais aussi d’institutionnaliser ce dialogue tripartite». Il a ajouté que cela devait se faire indépendamment du «gouvernement en place».

Le simple fait de considérer que les travailleurs ont quoi que ce soit à négocier avec Milei révèle que l’ensemble de l’appareil syndical complote contre la classe ouvrière.

Milei et la vice-présidente Victoria Villarruel sont des fascistes qui ont non seulement justifié la torture et l’assassinat de dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes de gauche sous la dictature militaire soutenue par les États-Unis entre 1976 et 1983, mais ils utilisent également la même rhétorique en prévision d’une réimposition des formes fascistes de gouvernement. En outre, Milei est devenu une icône mondiale de la promotion par les oligarchies financières des attaques les plus agressives contre la classe ouvrière et est l’un des plus fervents partisans du génocide israélo-américain à Gaza.

Quoi qu’il en soit, quel a été le résultat de ces discussions entre les syndicats et le gouvernement? Milei a effectivement interdit les manifestations, supprimé des centaines de milliers de paiements d’aide sociale, licencié des dizaines de milliers d’employés publics et utilisé l’inflation pour imposer une réduction historique des salaires réels. L’effet de ces politiques est résumé par l’augmentation du taux de pauvreté dans ce qui était le pays le plus riche d’Amérique latine, à près de 60 pour cent.

Pour les bureaucrates syndicaux, cependant, l’affaire a été réglée lorsque le gouvernement Milei a accepté de retirer de sa «loi de base» une clause éliminant les cotisations syndicales automatiques pour les non-membres, les «cotisations de solidarité», garantissant ainsi l’une des principales sources de revenus de la bureaucratie.

Le seul syndicat qui a fait grève et mobilisé des milliers de membres le 12 juin est le Syndicat des travailleurs du pneu (SUTNA), qui est dirigé par le Parti des travailleurs (Partido Obrero, PO) un parti de pseudo-gauche. Tout en négociant des augmentations salariales plus proches de l’inflation que les autres syndicats, le PO et le SUTNA ont maintenu une orientation nationaliste sans issue, faisant appel à la bureaucratie syndicale péroniste de la CGT et de la CTA pour appeler à une grève nationale et aux tribunaux, au Congrès et aux agences bourgeoises internationales pour s'opposer à la répression de l’État, pour exiger que les accords de travail soient respectés et pour s’opposer aux licenciements en cours, y compris, plus récemment, aux 97 licenciements injustifiés de travailleurs du secteur des pneumatiques. Le SUTNA a lancé une campagne chauvine dénonçant «le remplacement de la main-d'œuvre argentine par des pneus Bridgestone importés de l’étranger», ce qui démasque l’hostilité du PO à toute lutte visant à unir les travailleurs à l’échelle internationale contre le capital mondial.

Cette perspective est partagée par l’ensemble du milieu autour du Front de Gauche et des Travailleurs-Unité (FIT-U), qui comprend le PO et plusieurs partis morénistes. Dans sa publication La Izquierda Diario, le Parti socialiste des travailleurs (PTS) déplore que «Moyano ait trahi ses propres paroles» et que les directions de la CGT et de la CTA soient responsables de la répression du 12 juin.

Ensuite, Izquierda Diario, affirme faussement que le gouvernement a plié devant l’opposition à l’intérieur et à l’extérieur du Congrès, en écrivant que Milei «a dû faire d’importantes concessions pour éviter de tout perdre». Qualifier de «concessions» les changements contenus dans le projet de loi, qui ne font que reporter une poignée de privatisations et d’attaques contre certains programmes sociaux et droits du travail, équivaut à remercier un voleur violent et armé de vous laisser un portefeuille vide et quelques dents.

L’insistance des partis du FIT-U pour que la CGT et la CTA mènent la lutte contre Milei est la principale responsable pour la répression, car elle a empêché les travailleurs les plus politiquement conscients et militants de rompre avec les illusions du péronisme et de l’État capitaliste dans son ensemble.

Il est grand temps que les travailleurs tirent des conclusions profondes sur la nature des syndicats

Pendant des décennies, depuis la dictature, l’appareil syndical a imposé une capitulation après l’autre et des attaques historiques contre le niveau de vie des travailleurs.

En réaction à la mondialisation de la production capitaliste au cours du dernier demi-siècle, les syndicats se sont encore davantage intégrés à la direction des entreprises et à l’État et sont devenus de simples entrepreneurs vendant de la main-d’œuvre au tarif le plus bas pour faciliter le mouvement du capital à l’échelle mondiale sous la bannière du maintien de la «compétitivité».

Après la dissolution de l’URSS et la trahison générale des syndicats et de toutes les autres organisations nationales, seul le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) a conclu que les syndicats ne pouvaient plus être qualifiés d’«organisations ouvrières».

Comme l’expliquait Léon Trotsky, le fondateur de la Quatrième Internationale, en 1937, si ces organisations «défendaient les revenus de la bourgeoisie contre les attaques des travailleurs, si elles menaient une lutte contre les grèves, contre l’augmentation des salaires, contre l’aide aux chômeurs, alors nous aurions une organisation de briseurs de grève, et non un syndicat».

Aujourd’hui, les industries argentines, autrefois florissantes, sont la cible de licenciements massifs en guise de bélier pour abaisser le coût de la main-d’œuvre et transformer l’économie en terrain de jeu pour la spéculation financière, l’extraction de gaz naturel, de pétrole, de lithium et d’autres minerais clés, ainsi que pour les exportations agricoles bon marché.

Trois jours avant la répression du 12 juin, la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, a annoncé la création d’une unité de police pour la sécurité productive, qui se concentrera sur les ports, les centres industriels et les principaux gisements miniers et gaziers. «Nous combattrons tous les délits qui nuisent à la productivité. Nous n’accepterons pas que l’on bloque les entrées des entreprises pour les empêcher de produire», a-t-elle expliqué. Bullrich a ajouté: «Nous aspirons à réduire les coûts en Argentine.»

La version de la «loi de base» approuvée par le Sénat interdit également les piquets de grève. Le Sénat a déclaré que «la participation active à des barrages routiers ou à des occupations de lieux de travail» est une cause légitime de licenciement.

Alors que la classe dirigeante prépare des formes dictatoriales et fascistes de gouvernement, la bureaucratie syndicale rivalise pour obtenir des postes et des privilèges dans le nouveau système, en vantant son propre rôle dans la répression des travailleurs avant le coup d’État fasciste-militaire de 1976 et sa collaboration avec la dictature elle-même.

En avril 2023, la vice-secrétaire d'État américaine Wendy Sherman a déclaré que la CGT était un «modèle» pour toute la région après avoir rencontré une délégation dirigée par Gerardo Martínez, qui est également le secrétaire aux relations extérieures de la confédération. Le World Socialist Web Site a commenté cette déclaration à l’époque:

La désignation par les États-Unis de la CGT comme forme «modèle» de syndicalisme a des implications particulièrement sinistres, compte tenu de l’histoire de cet appareil bureaucratique de droite pendant la période qui a précédé le coup d’État militaire de 1976. La CGT a joué un rôle de premier plan dans l’organisation de l’Alliance anticommuniste argentine, ou «Triple A», un réseau d’escadrons de la mort qui a tué et fait disparaître des centaines de militants et de travailleurs de gauche, et même des délégués syndicaux, dans le but de réprimer le soulèvement croissant des travailleurs et de la jeunesse.

Hugo Moyano, du syndicat des camionneurs, a joué un rôle actif dans la Triple A. En outre, au milieu des années 70, la CGT célébrait ouvertement la lutte «anti-subversive» de l’armée menée contre les militants de gauche et les guérilleros. Les liens entre les Moyano et les services de renseignement du régime fasciste de Milei, mis en évidence par les événements du 12 juin, devraient constituer un avertissement pour les travailleurs du monde entier.

Le «modèle CGT» promu par le gouvernement Biden est celui établi par Juan Perón, qui était revenu d’un poste d’attaché militaire dans l’Italie fasciste de Mussolini dans l’espoir de reproduire la transformation des syndicats par le Duce en une division de l’État capitaliste. Au cours de son premier gouvernement (1946-1955), Perón a utilisé la richesse relative du pays et l’industrialisation rapide après la Seconde Guerre mondiale pour mettre en œuvre des réformes sociales majeures et construire une bureaucratie syndicale corporatiste qui lui était fidèle, principalement pour bloquer la croissance de l’influence socialiste au sein de la classe ouvrière. Lorsque les conditions ont changé, cet appareil syndical est devenu un participant direct à l’État policier.

«En temps de guerre ou de révolution, lorsque la bourgeoisie est plongée dans des difficultés exceptionnelles, écrivait Trotsky dans le Programme de transition, les dirigeants syndicaux deviennent généralement des ministres bourgeois.» Par conséquent, la IVe Internationale doit s’efforcer de «créer dans tous les cas possibles des organisations militantes indépendantes correspondant mieux aux tâches de la lutte de masse contre la société bourgeoise; et, si nécessaire, ne pas hésiter à rompre directement avec l’appareil conservateur des syndicats».

(Article paru en anglais le 26 juin 2024)

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