Rivalité entre un banquier et une belliciste pour remplacer Trudeau à la tête des libéraux et au poste de premier ministre du Canada

Avec l’effondrement des neuf années de règne du premier ministre de Justin Trudeau, le Parti libéral du Canada au pouvoir se démène pour choisir un nouveau dirigeant capable d’affirmer les intérêts de l’impérialisme canadien face à la montée de la lutte des classes à l’intérieur du pays et à la spirale de la crise des relations canado-américaines.

L’arrivée au pouvoir du président fasciste américain Donald Trump a déclenché une éruption de réaction sociale, alors que l’oligarchie capitaliste remodèle violemment l’architecture de l’État américain pour qu’elle soit conforme à sa dictature économique sous-jacente.

Les relations politiques entre les classes dirigeantes américaine et canadienne, jusqu’ici considérées comme les plus stables au monde, sont plongées dans une crise profonde. Le fait que Trump ait déchiré l’accord commercial entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (ACEUM) et qu’il ait menacé d’utiliser la « force économique » pour faire du Canada le « 51e État » a entraîné un nouveau glissement massif vers la droite de l’ensemble de la classe dirigeante canadienne.

Le règne du premier ministre Justin Trudeau s’est effondré parce que celui-ci a perdu la confiance de la classe dirigeante dans sa capacité à mener à bien ce virage à droite. Cela s’est traduit par une rébellion contre son leadership de la part des principaux membres de son cabinet, menée par son ancienne ministre des Finances et vice-première ministre, Chrystia Freeland, dont la démission le 16 décembre dernier a été menée pour causer un maximum de dommages. Dans sa lettre publique de démission, Freeland condamne les plans en matière de dépenses sociales pourtant maigres proposés par le gouvernement en les qualifiant d’« astuces politiques coûteuses », et préconise de préserver la « capacité fiscale » du gouvernement afin de la déployer plus efficacement pour défendre les intérêts de l’élite capitaliste du Canada.

Bien qu’il y ait six candidats officiels pour succéder à Trudeau à la tête des Libéraux, seuls deux d’entre eux ont une chance réaliste de remporter la course à la direction, qui doit se terminer le 9 mars, et de lui succéder en tant que premier ministre. Il s’agit de Freeland et de Mark Carney.

Tous deux sont des bellicistes de droite et des exécutants impitoyables de l’austérité capitaliste. Ils sont issus de la couche supérieure de la classe dirigeante capitaliste du Canada et ont déjà occupé des postes de premier plan au sein de l’État capitaliste.

Carney est l’ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Bank of England. Freeland, qui a été le bras droit de Trudeau pendant la quasi-totalité des neuf dernières années, incarne au sommet de l’État canadien l’alliance de plusieurs décennies de l’impérialisme canadien avec le fascisme ukrainien. Ce sont également des amis proches, Carney étant le parrain de l’un des enfants de Freeland.

L’ancien combattant de la Waffen-SS Hunka devait être présenté personnellement à Trudeau après avoir été honoré par le Parlement canadien. Mais à la dernière minute, c’est Karina Gould, chef du gouvernement, qui a pris la place de Trudeau. Sur cette photo, Gould et le président de la Chambre des communes Anthony Rota (à droite) sont en compagnie de Hunka. Derrière lui, au centre, se tient son fils Martin. [Photo: @karinagould]

Les autres candidats, telle que la leader parlementaire libérale Karina Gould, participent non pas pour gagner, mais uniquement pour se positionner en vue de futurs rôles ministériels ou soutenir leur carrière d’une façon ou d’une autre. Gould était toute souriante lors des séances photos tristement célèbres prises en compagnie de l’ancien combattant ukrainien de la Waffen SS Yaroslav Hunka en septembre 2023. L’entrée tardive dans la course de l’ancienne députée libérale Ruby Dhalla prend la forme d’une provocation politique destinée à pousser le débat le plus à droite possible. Fille d’immigrés indiens, Dhalla fait campagne en tant que double de Donald Trump en proposant d’expulser tous les immigrés « illégaux ». Le fait que sa candidature ait été approuvée souligne l’adhésion des Libéraux à des formes de chauvinisme anti-immigrés qui étaient jusqu’ici confinées à l’extrême droite.

Carney, qui n’a jamais exercé de fonctions électives, s’est imposé comme le principal candidat, bénéficiant d’un soutien massif de la part du groupe parlementaire et du cabinet libéral. Ce soutien, tout comme l’ensemble de son CV, montre que sa prétention d’être un « outsider politique » n’est qu’une supercherie transparente.

Carney a commencé sa carrière en tant que banquier d’affaires chez Goldman Sachs, aidant la société d’investissement à empocher des dizaines de millions en frais et commissions sur des obligations d’État sans valeur lors de la crise financière russe de 1998. De cette rampe de lancement dorée, l’« outsider » Carney a gravi les échelons pour devenir sous-gouverneur de la Banque du Canada, puis premier vice-ministre associé des finances. Par la suite, il a été promu gouverneur de la Banque du Canada en 2008 par le premier ministre archi-conservateur Stephen Harper, qui a présidé à des réductions d’impôts massives pour les entreprises et les riches, ainsi qu’à des compressions de dizaines de milliards de dollars en dépenses sociales. Gouverneur de la Bank of England de 2013 à 2020, Carney gérait de nouveau les rouages d’un paradis doré pour les spéculateurs financiers et les parasites, tandis que des gouvernements conservateurs successifs, tous plus agressivement réactionnaires les uns que les autres, saccageaient les dépenses sociales et les droits démocratiques fondamentaux.

Depuis 2020, Mark Carney était vice-président de Brookfield Asset Management, l’une des plus grandes sociétés d’investissement et de promotion immobilière du Canada, et siégeait aux conseils d’administration du géant des médias Bloomberg et de la société internationale de traitement des paiements en ligne Stripe. Un gouvernement Mark Carney serait véritablement un gouvernement d’oligarques capitalistes, dirigé par l’un de leurs technocrates préférés.

Le WSWS a largement documenté la carrière politique de Chrystia Freeland, la plus féroce avocate de la guerre impérialiste contre la Russie au sein du cabinet Trudeau. Pressentie il y a seulement trois ans pour diriger l’OTAN, Freeland est issue de la diaspora ukrainienne, dont le milieu politique a été largement défini par l’anticommunisme fanatique de milliers de criminels de guerre nazis et de collaborateurs fascistes amenés au Canada à partir de 1947. Parmi eux, son grand-père « bien-aimé », Mykhalio Chomiak, rédacteur en chef du journal nazi antisémite Krakivski Visti, publié pendant la Deuxième Guerre mondiale. Freeland est associée depuis toujours au Congrès des Ukrainiens canadiens, qui vénère le collaborateur nazi Stepan Bandera et qui, avec le soutien du gouvernement canadien, s’est efforcé de promouvoir une forme de nationalisme ukrainien d’extrême droite, virulemment anticommuniste et antirusse.

L’ancienne vice-première ministre Chrystia Freeland posant avec une bannière fasciste ukrainienne en 2022 [Photo: SputnikNews/WyattReed]

Freeland est entrée en politique après une longue carrière aux plus hauts niveaux de la presse capitaliste, notamment en tant que cheffe du bureau de Moscou du Financial Times, « rédactrice en chef » mondiale de l’agence de presse Reuters et rédactrice en chef adjointe du Globe and Mail, le journal national de la classe dirigeante canadienne.

En tant que vice-première ministre, ministre des Affaires étrangères et ministre des Finances, Freeland a été la principale avocate de l’État canadien pour armer et entraîner les Forces armées de l’Ukraine et des milices fascistes telles que Centuria et Azov en prévision d’une guerre contre la Russie. En 2017, elle déclarait de manière inquiétante que « la guerre doit faire partie de l’avenir du Canada » et que l’impérialisme canadien devait recourir à la « force dure ». Ministre des Finances pendant la pandémie de la COVID-19 en 2020, Freeland a géré le sauvetage de 600 milliards de dollars des banques et des grandes entreprises par la classe dirigeante canadienne, l’un des plus grands transferts de richesse du bas vers le haut de l’histoire du Canada. Elle a préparé des budgets comprenant des dizaines de milliards de dollars en nouvelles dépenses militaires et imposé l’austérité « post-pandémique ».

Freeland cherche à contrer Carney en adoptant des positions de droite encore plus drastiques. Alors que Carney s’engage à porter les dépenses militaires canadiennes à 2 % du PIB d’ici 2030, Freeland s’engage à le faire d’ici 2027, soit cinq ans plus tôt que l’objectif actuel du gouvernement. À l’automne 2024, l’Institut MacDonald-Laurier, un important groupe de réflexion de droite, déclarait : « Ottawa ne pourra atteindre l’objectif des 2 % qu’en supprimant certains de ses programmes, notamment ses nouvelles politiques en matière de logement, de garderie, de soins dentaires, d’alimentation scolaire nationale et d’assurance-médicaments ».

L’accession de Carney ou de Freeland à la tête du Parti libéral marquera un tournant majeur vers la droite politique au sein de la classe dirigeante canadienne, qui tente de reprendre pied face aux préparatifs de l’impérialisme américain visant à « sécuriser son front intérieur » par l’imposition de tarifs douaniers – une agression économique qui préfigure en fait l’annexion potentielle du Canada, du Groenland et du canal de Panama.

Freeland et Carney se préparent à renoncer à bon nombre des politiques qu’ils ont récemment défendues, s’adaptant ainsi à la montée de l’extrême droite fasciste aux États-Unis et ailleurs.

Dans une interview accordée au Toronto Star, Carney laisse entendre qu’il est prêt à capituler devant la campagne fasciste anti-immigrés : « Il y a certaines choses que j’aurais fait différemment [...] On le voit bien en ce qui concerne, par exemple, l’immigration. C’est là un cas très évident où il y a eu d’énormes différences en termes d’objectifs des politiques d’immigration par rapport aux résultats. »

Carney a également annoncé qu’il abrogerait la politique de la taxe sur le carbone des Libéraux, qui a été âprement attaquée et entièrement déformée par le leader conservateur d’extrême droite Pierre Poilievre. Carney, qui défend depuis longtemps les politiques de tarification du carbone dans le cadre d’un virage vers le « capitalisme vert », a ainsi démontré que tout était sur la table dans le cadre de la capitulation politique des Libéraux face à l’extrême droite.

Pour sa part, Freeland se présente comme l’avocate d’une réponse plus agressive à la politique tarifaire de Donald Trump, appelant à des tarifs de rétorsion de 100 % sur les véhicules Tesla, les spiritueux et d’autres importations américaines. Mais cette prise de position n’exclut nullement son désir de s’entendre avec Trump. Elle a en effet déjà déclaré sa préférence politique pour le « friendshoring » [le déplacement de filiales vers des pays alliés], bref, pour l’intensification des relations commerciales avec les États-Unis et les pays qui suivent le courant impérialiste actuel dans la guerre contre la Russie et la Chine. Comme l’élite dirigeante canadienne de manière plus générale, elle veut assurer la position de l’impérialisme canadien au sein d’une « Forteresse Amérique du Nord » dirigée par les États-Unis.

Freeland présente sa campagne en termes explicitement nationalistes, prétendant « défendre le Canada ». Elle déclare que « Le Canada n’est pas à vendre » et, en termes encore plus répugnants : « Nous sommes un pays fier, le vrai Nord, fort et libre. »

Quelle fourberie ! Toute notion selon laquelle « nous sommes tous dans le même bateau » en tant que « Canadiens » est démentie jour après jour par les assauts croissants du gouvernement libéral contre les droits sociaux et démocratiques des travailleurs, y compris le droit de grève, son soutien indéfectible à l’oligarchie financière et à la guerre impérialiste :

  • Face au convoi d’extrême droite dit de la « liberté », une dénomination bien abusive, qui a occupé le centre-ville d’Ottawa en février 2022, le gouvernement Trudeau s’est secrètement arrogé de façon draconienne de vastes pouvoirs antidémocratiques en appliquant sa Loi sur les mesures d'urgence.

  • En plus de superviser un vaste transfert de richesses des travailleurs vers l’oligarchie financière pendant la pandémie de la COVID-19, la classe dirigeante a poursuivi sa politique des « profits avant la vie ». Plus de 59 000 travailleurs canadiens sont morts à ce jour, et des centaines de milliers d’autres souffrent et se retrouvent affaiblis alors que la pandémie se poursuit.

  • Le gouvernement libéral a politiquement blanchi et armé les forces d’Israël responsables de perpétuer le génocide du peuple palestinien, allant même jusqu’à qualifier d’« antisémites » les opposants de principe à ce crime historique mondial, reprenant du coup la « définition » de l’antisémitisme prônée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), qui assimile toute critique politique à l’égard d’Israël à un crime haineux, ce qui constitue une atteinte majeure à la liberté d’expression.

  • En réponse à une série de grèves de plus en plus nombreuses, culminant avec la grève de plus de 50 000 travailleurs de chez Postes Canada, il a invoqué illégalement l’Article 107 du Code canadien du travail pour forcer les travailleurs à reprendre le travail, en contournant le Parlement et en se fondant uniquement sur le décret du ministre du Travail. Sous le couvert d’une commission bidon, il fait avancer le démembrement et la privatisation de Postes Canada, dont les travailleurs seront soit licenciés, soit contraints de se tourner vers le « travail sur demande ».

Face à l’éruption volcanique de l’impérialisme américain sur le continent nord-américain, Freeland et Carney, la belliciste et l’ancien banquier central, s’affrontent pour savoir qui peut le mieux servir les intérêts du capital canadien, tout en déguisant le véritable caractère de classe de leur compétition avec des appels nationalistes bidon.

L’opposition de la classe dirigeante canadienne à Trump, telle qu’elle est, ne vise qu’à garantir sa « place légitime » en tant que partenaire junior de Washington et de Wall Street dans une forteresse Amérique du Nord. Ce fait est souligné par la rapidité avec laquelle elle s’apprête à adopter des politiques fiscales, sociales, étrangères et militaires calquées sur celles de Donald Trump – et qui constituent au fond un assaut frontal contre la classe ouvrière et la préparation d’une guerre impérialiste mondiale.

L’opposition de la classe ouvrière doit se fonder sur une perspective politique internationaliste et socialiste. Elle doit se concrétiser par le combat visant à unifier les travailleurs canadiens, américains et mexicains dans une lutte commune contre la guerre commerciale et la guerre impérialiste, et pour des emplois décents et sûrs et des services publics entièrement financés pour le bénéfice de tous.

(Article paru en anglais le 14 février 2025)

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