Mardi, le secrétaire d'État américain Marco Rubio a tenu une réunion formelle en Arabie saoudite avec le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov. Il s'agit du premier sommet de haut niveau entre responsables américains et russes depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022.
À l'issue de la réunion, Rubio a annoncé que les États-Unis et la Russie s'efforceraient de rétablir leurs relations diplomatiques. Il a déclaré que l'administration Trump avait pour objectif de «négocier et de travailler à la fin du conflit en Ukraine d'une manière durable et acceptable pour toutes les parties engagées». Il a ajouté que les États-Unis «examineraient la coopération géopolitique et économique» avec la Russie.
La réunion s'est déroulée sur une base bilatérale, excluant à la fois l'Ukraine et les alliés des États-Unis dans l'OTAN. Elle s'est accompagnée de demandes en toutes formes de la part de l'administration Trump pour que l'Ukraine remette la moitié de ses ressources minérales aux États-Unis, sous prétexte de demander le remboursement de l'aide militaire qu'elle a reçue de l'administration Biden.
Personne ne devrait avoir l'illusion qu'en reprenant les relations diplomatiques avec la Russie, l'administration Trump souhaite la paix en Europe, et encore moins dans le monde. Elle cherche bien plutôt à redéployer les ressources militaires du théâtre européen pour les utiliser à la domination des Amériques et, en fin de compte, pour se concentrer sur la cible centrale de l'agression militaire américaine: la Chine.
Le secrétaire à la Défense Pete Hegseth l'a clairement indiqué la semaine dernière au Groupe de contact pour l'Ukraine, le principal organisme des puissances impérialistes qui acheminent des armes à l'Ukraine. « Les dures réalités stratégiques empêchent les États-Unis d'Amérique de se concentrer principalement sur la sécurité de l'Europe, » a-t-il déclaré. Et de poursuivre : « Nous sommes encore confrontés à un concurrent pair, la Chine communiste, qui a la capacité et l'intention de menacer notre patrie et nos intérêts nationaux fondamentaux dans l'Indo-Pacifique. »
Les remarques de Hegseth reprennent une critique de la politique étrangère de Biden développée ces dernières années par des gens comme Elbridge Colby, le choix de Trump au poste de sous-secrétaire à la Défense pour la Politique, qui préconise de recentrer les ressources militaires américaines en vue d'une guerre avec la Chine.
En 2024, Colby a affirmé que les États-Unis ne disposaient pas des ressources nécessaires pour mener des guerres dans les deux régions simultanément, déclarant: «L'Amérique doit faire face à la réalité et donner la priorité à la Chine plutôt qu'à l'Europe». Il a appelé cela une «priorisation stratégique: faire face à la réalité de la pénurie et à la nécessité de faire des choix difficiles, en concentrant les ressources et la volonté là où les intérêts les plus importants de l'Amérique sont en danger – l'Asie ».
L'un des objectifs de l'administration Trump est de transformer l'Ukraine en une semi-colonie tout en intensifiant ses mesures de guerre commerciale contre les puissances européennes et en les privant du butin.
L'escalade de la guerre menée par Biden contre la Russie en Ukraine a eu pour effet d'affaiblir économiquement les puissances européennes, tout en les rendant dépendantes des importations de pétrole et de gaz en provenance des États-Unis – une politique qui s'est exprimée de façon très agressive dans la destruction par les États-Unis du gazoduc russo-allemand Nord Stream II.
En mettant en œuvre son changement, Trump renonce aux mensonges utilisés par l'administration Biden pour justifier la guerre des États-Unis contre la Russie en Ukraine. Mercredi, Trump a affirmé que l'Ukraine avait «commencé» la guerre avec la Russie et a accusé le président ukrainien Volodymyr Zelensky de gouverner en «dictateur».
Les déclarations de Trump ont suscité des hurlements d'indignation de la part des politiciens démocrates et des médias américains qui, pendant des années, ont érigé en dogme l'affirmation de l'administration Biden que l'invasion russe de 2022 était une «guerre non provoquée», dont la seule cause sous-jacente était la psychologie du président russe.
« Ce fut là une déformation flagrante de la réalité, » a écrit le New York Times. Zelensky « et son pays ont été attaqués, et ce n'est qu'alors que les États-Unis sous la présidence de Joseph R. Biden Jr. ont réagi en offrant une aide financière substantielle. »
Ce récit de la « guerre non provoquée » est une fraude. L'Ukraine, avec le soutien des États-Unis, a provoqué l'invasion en établissant comme doctrine d'État, en 2021, son intention de reprendre la Crimée par la force militaire et en accélérant ses démarches pour rejoindre l'alliance de l'OTAN. À la suite du coup d'État de 2014 en Ukraine, les États-Unis et les puissances de l'OTAN ont injecté des milliards de dollars dans le pays pour renforcer son armée. Biden a étendu ces opérations dès qu'il a pris ses fonctions, dans le but de provoquer une invasion russe.
Trump ment cependant lorsqu'il affirme que l'Ukraine avait «manipulé Biden avec beaucoup d’adresse». Ce n'est pas l'Ukraine qui a utilisé les puissances de l'OTAN, mais les puissances de l'OTAN qui ont utilisé l'Ukraine. Pendant des années, l'OTAN a exigé un «combat jusqu'au dernier Ukrainien» dans l'espoir d'affaiblir la Russie.
Le revirement de Trump dans la politique américaine à l'égard de l'Ukraine est la seule action de sa présidence qui ait jusqu'à présent déclenché des déclarations significatives d'opposition politique au sein du Parti démocrate et des médias qui lui sont associés.
«Mardi a été un jour sombre pour les États-Unis», a déclaré David Ignatius, chroniqueur au Washington Post. Il n'a pas utilisé un langage similaire pour décrire les actions de Trump visant à transformer les États-Unis en dictature personnaliste, à licencier des dizaines de milliers de fonctionnaires fédéraux ou à réduire les dépenses liées aux droits. En effet, Ignatius a admis que «normalement [il] ignore la détonation présidentielle quotidienne. Mais cette fois-ci, c'est différent».
C'est «différent» parce que cela concerne des intérêts géostratégiques cruciaux de l'impérialisme américain, au sujet desquels il existe des divisions importantes. Les factions dominantes de l'establishment politique, et pas seulement les démocrates, craignent qu'en privant de priorité la guerre en Ukraine et en cédant effectivement du terrain à la Russie, Trump ne sape l'influence des États-Unis en Eurasie, qu'ils considèrent comme essentielle pour affaiblir la Chine.
La Wall Street Journal, qui a par ailleurs applaudi à toutes les actions illégales de Trump, l'a ouvertement dénoncé pour ce qu'il appelle une trahison en Ukraine. Dans un éditorial de mercredi intitulé «Trump s'oriente vers une capitulation de l'Ukraine» [Trump Tilts Toward a Ukraine Sellout], le Journal écrit: «Les États-Unis ont un intérêt profond à refuser à M. Poutine un nouvel appui sur une plus grande partie de la frontière de l'OTAN, ce qui est la véritable raison pour laquelle l'Amérique a eu raison d'armer l'Ukraine. Un accord qui équivaut à une reddition ukrainienne serait un coup porté à la puissance américaine qui se répercuterait jusqu'au Pacifique et au Moyen-Orient. Ce serait le contraire de la promesse de M. Trump de restaurer un âge d'or du prestige américain et de la paix mondiale.»
En 2008, l'administration Bush avait déclaré que l'Ukraine «deviendrait» membre de l'OTAN. Depuis ce temps, sous quatre administrations, républicaines et démocrates, l'impérialisme américain a dépensé d'énormes ressources pour transformer l'Ukraine en fer de lance pour une expansion de l'OTAN vers l'est, visant à affaiblir la Russie en l’entraînant dans une guerre sanglante sur ses marches occidentales.
Le revirement de politique étrangère de Trump reflète le fait que cette politique n'a pas réussi à atteindre l'objectif d'infliger une «défaite stratégique» à la Russie. Mais les factions dominantes de l'establishment politique craignent que le fait d’«arrêter et partir» de l'Ukraine maintenant serait un aveu d'échec, avec des conséquences dévastatrices non seulement pour l'alliance de l'OTAN, mais aussi pour la position mondiale de l'impérialisme américain. Elles craignent en outre que l'aliénation des alliés américains de l'OTAN ne les conduise à conclure leurs propres alliances indépendamment des États-Unis, notamment en cherchant des alternatives au dollar, ce qui aurait des conséquences négatives sur la capacité de l'impérialisme américain à affronter la Chine.
À l'approche de l'élection présidentielle américaine de 2024, l'escalade irresponsable de la guerre en Ukraine par l'administration Biden a permis à Trump de se présenter comme voulant la «paix». Dans des conditions où la guerre des États-Unis avec la Russie n’avait pas de large soutien populaire, hormis de la base du Parti démocrate dans la classe moyenne supérieure aisée, la posture de Trump en tant qu'opposant à la guerre a joué un rôle dans sa victoire électorale.
En réalité, l'administration Trump est vouée à la guerre mondiale à grande échelle. Dans son premier mois au pouvoir, Trump a déclaré son intention de conquérir le Groenland et le canal de Panama par la force militaire, d'annexer le Canada par la coercition économique et de nettoyer ethniquement Gaza pour en faire un protectorat américain.
Ces plans de guerre et de domination coloniale doivent être financés par l'assaut massif de Trump sur les fonctionnaires fédéraux et les efforts continus – dirigés par le Département de l'efficacité gouvernementale (DOGE) d'Elon Musk – pour sabrer dans les programmes sociaux et appauvrir la classe ouvrière.
Comment la situation évoluera reste incertain. Tout accord entre Trump et Poutine concernant l'Ukraine ne durera que tant qu'il servira les intérêts de l’actuel gouvernement américain et des factions de la classe dirigeante qu'il représente. De plus, la guerre en Ukraine n'est qu'une composante d'un conflit mondial qui s'intensifie sur plusieurs fronts. Quelles que soient les différences tactiques au sein de la classe dirigeante, toutes les factions sont déterminées à utiliser la force militaire pour assurer l'hégémonie impérialiste américaine.
La classe ouvrière doit reconnaître que la lutte contre la guerre est inséparable de la lutte contre le système capitaliste qui la produit. Un mouvement contre l'impérialisme doit être basé sur la mobilisation indépendante des travailleurs à travers les frontières nationales, armés d'un programme socialiste pour mettre fin à la guerre, à l'exploitation et à la dictature.
(Article paru en anglais le 21 février 2025)