Le projet de loi 89, déposé fin février par le gouvernement Legault et appuyé par le Parti québécois et le Parti libéral, représente une nouvelle attaque majeure contre la classe ouvrière non seulement au Québec, mais à travers le Canada. Sous le prétexte orwellien de vouloir «assurer le bien-être de la population», le gouvernement cherche à restreindre massivement le droit de grève, faisant de celui-ci un droit essentiellement symbolique que l’État pourra retirer à sa guise.
Avec sa «Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out», la Coalition Avenir Québec (CAQ) du Premier ministre de droite François Legault veut s’arroger le droit de mettre un terme à tout arrêt de travail à travers de nouveaux mécanismes législatifs. Cela s’inscrit dans le cadre d’une attaque répétée contre le droit de grève par les gouvernements provinciaux et fédéraux au cours des dernières années, toutes couleurs politiques confondues.
Démontrant que les vrais intérêts ici servis ne sont pas ceux de la «population» et des «gens vulnérables», mais ceux de la grande entreprise, les chambres de commerce et autres fédérations patronales ont toutes salué le projet de loi, qu’elles voient comme une réponse nécessaire à la hausse marquée du nombre de grèves depuis 2021.
Les syndicats ont été forcés de reconnaître qu’il s’agit d’une «loi spéciale tous azimuts» donnée en «cadeau au patronat», qu’ils ont qualifiée de «déclaration de guerre».
Les médias traditionnels, qui accusent systématiquement les travailleurs en grève de prendre la population en «otage», ont aussi souligné leur appui à Legault. Lorsqu’une poignée de syndicalistes, sifflets à la bouche, ont perturbé pacifiquement l’allocution que le ministre du Travail Jean Boulet s’apprêtait à donner à des représentants patronaux sur le projet de loi il y a deux semaines, La Presse a qualifié ces manifestants d’émeutiers «violents».
Comme ailleurs au Canada, la classe dirigeante québécoise tente de museler l’opposition sociale grandissante face à l’austérité capitaliste et à la guerre par des méthodes de plus en plus antidémocratiques. L’élite canadienne est certainement enhardie par les attaques de type fasciste que mène le président Donald Trump aux États-Unis contre les immigrants et les travailleurs américains.
Une loi dictatoriale pour assurer le flot des profits
Premièrement, la notion de «services essentiels», qui limite déjà le droit de grève dans plusieurs secteurs d’emploi, particulièrement en santé, serait dorénavant étendue à l’ensemble des secteurs et industries de la province, y compris en éducation. Grâce à une définition extrêmement vague de la notion de «bien-être» de la population, le gouvernement, les employeurs et le Tribunal administratif du Travail (TAT) pourront invoquer ce prétexte pour tuer dans l’œuf la plupart des grèves avant même qu’elles ne débutent.
Deuxièmement, le gouvernement veut pouvoir, par un simple avis, mettre fin à une grève et nommer un arbitre pour que celui-ci impose les nouvelles conditions de travail si l’intervention d’un médiateur ou d’un conciliateur se voit infructueuse. Certains domaines, notamment le secteur public et la construction sont exclus de ce processus, mais, dans un geste sans précédent, le gouvernement se donnerait le droit d’imposer des lockouts dans le secteur public.
La CAQ s’inspire ici directement du gouvernement libéral fédéral de l’ancien Premier ministre Justin Trudeau qui en l’espace de quelques mois en 2024 s’est servi du Conseil canadien des relations industrielles et d’une réinterprétation de l’article 107 du Code canadien du travail pour briser une série de grèves : celles des mécaniciens de WestJet, des cheminots de CPKC et du CN, des débardeurs de la Colombie-Britannique et du Québec. Legault a déposé son PL89 peu de temps après que Trudeau a utilisé une fois de plus l’article 107, en décembre, pour rendre illégale la grève des 55.000 postiers de Postes Canada et imposé l’arbitrage exécutoire.
Legault ouvre la voie pour que tous les gouvernements provinciaux au Canada aillent de l’avant avec des lois antidémocratiques semblables. Une vaste mobilisation politique de la classe ouvrière doit être organisée dès maintenant pour contrer l’ensemble du programme d’austérité de la classe dirigeante dont fait partie le projet de loi 89. Des actions de masse doivent être menées, y compris des grèves unissant les travailleurs de toutes les industries à travers le Québec et le Canada.
Aucune lutte sérieuse des syndicats
Une telle stratégie ne pourra être appliquée que si les travailleurs de la base prennent la lutte entre leurs propres mains, en opposition directe aux appareils syndicaux pro-capitalistes qui travaillent depuis des décennies à étouffer ou torpiller tout mouvement de résistance venant d’en bas. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la campagne bidon lancée par les centrales syndicales québécoises pour dénoncer verbalement le PL89 dans le seul but de ne pas perdre la face devant les travailleurs.
En réalité, derrière leur apparente opposition, les chefs syndicaux du Québec sont complètement opposés et hostiles à tout effort visant à mobiliser la pleine puissance sociale de la classe ouvrière. Leurs petites actions futiles sont guidées par une perspective de protestation et de vains appels à la «raison» adressés à l’ultraconservateur Legault. Comme lors de chaque lutte des travailleurs, ils tentent de confiner l’opposition dans un cadre provincialiste et nationaliste pour prévenir une rébellion ouvrière contre le système de profit.
Quant aux syndicats qui disent représenter des travailleurs à travers le pays (comme le Syndicat canadien de la fonction publique, Unifor et les Métallos), ils ne font rien pour prévenir leurs membres dans les autres provinces des implications du projet de loi québécois et organiser une contre-offensive unifiée.
Fait significatif, mais non surprenant, le Nouveau parti démocratique (NPD) social-démocrate, un allié de la bureaucratie syndicale et un proche collaborateur des libéraux fédéraux, est totalement silencieux sur l’attaque du gouvernement Legault.
Même si le parallèle est évident entre le projet de loi 89 au Québec et l’invocation fédérale de l’article 107 du Code du travail pour supprimer le droit de grève au Canada, les syndicats continuent de présenter le PL89 comme un enjeu à part, limité au Québec et sans lien aux attaques plus larges de l’élite dirigeante contre les salaires et les emplois de tous les travailleurs canadiens. Ils agissent en conformité avec leur orientation nationaliste de longue date pour entretenir la division et bloquer l’unité de la classe ouvrière canadienne.
Les chefs syndicaux, partenaires de l’élite dirigeante
Les vrais motifs de l’«opposition» syndicale au PL89 ont été dévoilés par le président de la Centrale des Syndicats du Québec (CSQ), Éric Gingras. Celui-ci dénonce «une provocation inutile, au moment même où le gouvernement appelle à la plus grande cohésion sociale pour faire face aux menaces tarifaires de l’administration Trump». Il ajoute que «l’équilibre des relations de travail qui s’est construit depuis plus de vingt ans et qui garantit d’ailleurs la paix sociale» risque d’être rompu.
En réalité, pour la classe ouvrière, cette période de «paix sociale» a résulté en une détérioration majeure de sa position sociale – démantèlement des services publics, attaques patronales contre les emplois et les salaires, croissance sans précédent des inégalités sociales, réponse catastrophique à une pandémie meurtrière qui a priorisé les profits, etc.
La grande bénéficiaire de la «paix sociale» a été la classe capitaliste dirigeante, dont les profits ont augmenté massivement durant cette période. Ce processus de transfert des richesses du bas vers le haut a été orchestré grâce à la complicité des bureaucrates syndicaux.
Les syndicats cherchent à garder intact le mécanisme de négociations collectives, encadré par le Code du travail, par lequel ils enchaînent les travailleurs et étouffent la lutte de classes. C’est aussi par ce mécanisme tripartite (patronat-gouvernement-syndicats) que la bureaucratie syndicale s’est intégrée à l’État capitaliste pour jouer le rôle de «partenaire junior» du patronat qui lui vaut de nombreux privilèges.
Dans une lettre ouverte, les syndicats se sont vantés que «plus de 95% des négociations se règlent sans grève ou lockout». Ils avertissent qu’en changeant les règles du jeu, le gouvernement risque «de se brûler les doigts à force de jouer avec le feu», c’est-à-dire attiser une colère ouvrière que les syndicats ne seraient pas capables de contrôler.
L’an dernier, une fois la lutte des 500.000 travailleurs du secteur public québécois sabotée et enterrée par les appareils syndicaux, Gingras a exhorté le gouvernement à éviter un autre «psychodrame», en référence aux provocations de Legault qui ont exacerbé le militantisme des travailleurs.
Une lutte indépendante est nécessaire
Les travailleurs ne doivent avoir aucune illusion. La menace des dirigeants syndicaux de contester le PL89 devant les mêmes tribunaux qui criminalisent les grèves et se rangent du côté patronal et gouvernemental n’est que de la poudre aux yeux.
Les travailleurs doivent immédiatement prendre la lutte entre leurs propres mains et préparer une contre-offensive aux lois antigrèves et à tout le programme d’austérité et de guerre de l’oligarchie dominante. Ils ne trouveront aucun allié sur les bancs de l’Assemblée nationale ou du Parlement canadien.
La lutte en défense des emplois, des salaires, des services publics et des droits démocratiques ne peut être victorieuse que si les travailleurs s’organisent à travers des comités de base, indépendants des appareils syndicaux pro-capitalistes.
Contre les tentatives des syndicats de diviser les travailleurs selon des lignes sectorielles, nationales, linguistiques ou culturelles, les comités de base permettront d’unir les divers contingents de la classe ouvrière au Québec et au Canada, peu importe le secteur, la langue ou l’origine ethnique. Ils devront impérativement se tourner vers leurs véritables alliés: les travailleurs en Amérique du Nord, en Europe et internationalement dans le but de développer une stratégie et un programme de lutte communs pour avancer leurs intérêts de classe.