« Nous ne sommes pas de la chair à canon ! »

Grève de dizaines de milliers d’étudiants dans toute l’Allemagne contre la militarisation et la conscription

Manifestation contre la conscription à Berlin, le 5 décembre 2025

De Berlin à Munich et Dresde, en passant par Dortmund, Essen et Stuttgart, des dizaines de milliers de jeunes sont descendus dans les rues le 5 décembre dans plus de 90 villes pour protester contre la réintroduction de la conscription. Ces manifestations ont été une expression puissante de l'énorme opposition au militarisme allemand et au danger d'une troisième guerre mondiale.

La grève scolaire nationale était dirigée contre la Loi sur la modernisation du service militaire, qui a été adoptée le même jour au Parlement fédéral (Bundestag) grâce aux votes des partis au pouvoir, le Parti social-démocrate (SPD) et l'Union chrétienne-démocrate/Union chrétienne-sociale (CDU/CSU). À partir de 2026, tous les jeunes hommes âgés de 18 ans seront soumis à une inscription obligatoire et à un examen médical, et dès que le nombre de « volontaires » sera insuffisant, ils seront également soumis à une incorporation obligatoire dans l'armée.

Rien qu'en Saxe, environ 2000 élèves ont participé aux manifestations. « Vive l'éducation, à bas l'armement », scandaient-ils à Dresde. « Nous ne sommes pas de la chair à canon ! » et « Envoyez [le chancelier] Merz au front » figuraient sur des pancartes artisanales à Essen. Un slogan rappelait l'agitation xénophobe du chancelier à l'encontre des migrants : « Mauvais pour la ville, mais assez bon pour le front. »

La plupart des participants ont lié la lutte contre la conscription à la lutte plus large contre le militarisme et la guerre, et certains ont également abordé la cause sous-jacente de cette évolution du capitalisme, même si les conflits militaires actuels et le rôle actif du gouvernement allemand en tant que belliciste étaient souvent mal compris.

View post on TikTok

Mais bon nombre des organisateurs impliqués ont fait tout leur possible pour limiter les manifestations au rejet du « service obligatoire » et exclure la question centrale : les préparatifs de guerre du gouvernement. Cela n'a rien de surprenant. Parmi les organisateurs figurent les sections jeunesse des mêmes partis qui soutiennent le réarmement et ont voté en faveur des crédits de guerre d'un billion d'euros : les Jeunes Verts, les Jeunes socialistes (Jusos) du SPD et la Linksjugend du Parti de gauche. Les syndicats Verdi (secteur des services) et GEW (éducation et science), qui ont exprimé verbalement leur soutien à la grève étudiante, se sont également prononcés en faveur du réarmement.

Lors des manifestations, l'International Youth and Students for Social Equality (IYSSE) a en revanche souligné que la réintroduction de la conscription était directement liée au retour du militarisme allemand. Leur tract, distribué dans toute l'Allemagne, déclarait :

Le retour de la conscription fait partie de la militarisation de la société dans son ensemble. Quatre-vingts ans après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement allemand se prépare à nouveau à faire marcher toute une génération vers les casernes et les tranchées pour sacrifier de jeunes vies au profit des intérêts économiques de la classe dirigeante. La coalition CDU/SPD fait avancer le réarmement de la Bundeswehr à une vitesse fulgurante.

View post on TikTok

Le tract poursuivait en affirmant que le capitalisme conduisait à nouveau à la barbarie et à la guerre, comme il l'avait fait au XXe siècle. Par conséquent, la seule perspective réaliste pour mettre fin à la conscription et à la guerre est la mobilisation internationale de la classe ouvrière sur la base d'un programme socialiste. Un tel mouvement doit s'opposer à tous les partis capitalistes, qui encouragent tous le militarisme.

Les représentants de l'IYSSE ont discuté de cette perspective avec des élèves en grève à Berlin, Essen, Nuremberg, Stuttgart et Munich.

Berlin

À Berlin, le gouvernement régional SPD-CDU a envoyé une lettre à tous les chefs d'établissement leur demandant d'« informer » les élèves que leur participation aux manifestations serait considérée comme une absence non autorisée et pourrait leur causer des problèmes avec leur assurance maladie. Malgré cette menace, 3000 élèves se sont rassemblés à Hallesches Tor et Oranienplatz.

Laurenz (à gauche) et son camarade de classe Hugo à Berlin, le 5 décembre 2025

De nombreux élèves ont convenu que la classe ouvrière devait se mobiliser contre la militarisation. Comme l'a dit Laurenz : « Ce sont les travailleurs qui sont touchés, mais ce sont aussi eux qui doivent s'y opposer et ne peuvent pas simplement laisser faire. » Trois autres élèves ont approuvé : « Nous devrions vraiment faire plus de grèves, y compris les travailleurs. Et aussi sur d'autres questions, comme la Palestine. »

D'autres se sont prononcés contre le vaste programme de réarmement. « Si tous les pays continuent à s'armer à l'échelle internationale, cela ne mènera qu'à une spirale sans fin. En réalité, il faut un désarmement partout pour enfin instaurer la paix. »

View post on TikTok

Les affirmations de la classe dirigeante selon lesquelles le réarmement servait uniquement à des fins défensives ont été accueillies avec scepticisme. Lene a déclaré : « Tout cela n'est qu'une couverture pour dissimuler les véritables raisons. Au final, ce ne sont pas les politiciens et les riches qui seront en première ligne, mais les pauvres et les travailleurs à faibles revenus, tandis que les autres resteront bien au chaud chez eux. »

Essen

Environ 400 élèves ont manifesté à Essen contre le retour de la conscription.

Elisa (18 ans) a déclaré : « Je suis contre la guerre. Je pense que les conflits peuvent être résolus autrement. C'est une idée terrible que mon frère ou des membres de ma famille puissent être envoyés à la guerre. » Son camarade de classe Johann, âgé de 15 ans, considérait que le danger d'une guerre majeure était réel. Il a critiqué le détournement de fonds destinés à la protection du climat vers l'armée.

Pancarte lors de la manifestation à Essen, le 5 décembre 2025

Bilal, 15 ans, délégué de classe dans un collège, a déclaré : « Aujourd'hui, nous voyons qu'ils investissent énormément d'argent dans l'armée plutôt que dans l'éducation, par exemple. Cela doit absolument changer. » Les élèves de sa classe protestent depuis des années contre le fait qu'ils doivent nettoyer leurs propres toilettes. L'opinion de sa classe est très majoritairement contre la conscription, mais « la plupart n'ont pas osé venir aujourd'hui parce que le directeur le leur a interdit ».

Nati, 16 ans, est horrifiée à l'idée que des enfants soient à nouveau contraints de se battre avec des armes. Elle s'inquiète également du virage à droite en Allemagne. Selon elle, moins de 100 ans se sont écoulés depuis l'ère nazie, et pourtant, cette histoire va se répéter si on ne la confronte pas. « Au lieu de cela, ils répètent que nous avons besoin de la conscription, que nous avons besoin de gens au front, au lieu de regarder le monde et de constater que nous avons déjà assez de guerres et que nous ne devrions plus jamais forcer personne à vivre une telle situation. »

Elle était d'accord pour dire que la guerre est le résultat du capitalisme. Elle appuyait la lutte pour un mouvement international de la classe ouvrière et de la jeunesse, comme le préconise l'IYSSE. Elle rejettait la pensée nationaliste, surtout au vu de l'histoire du national-socialisme. Elle s'est également opposée à l'implication de l'Allemagne dans la guerre contre la Russie : « Alors, des jeunes mourraient sur le champ de bataille dans une guerre qu'ils ne devraient pas mener. »

Elle considérait « l'injustice sociale de notre société » comme un problème majeur : «Les riches s'enrichissent de plus en plus, tandis que la partie la plus pauvre de la société souffre, le nombre de sans-abri augmente et les problèmes de la faim et du logement s'aggravent. Et nous discutons encore pour savoir si nous ne devrions pas taxer davantage ce petit pourcentage de super-riches. »

Blagovest et Leon lors de la manifestation à Essen, le 5 décembre 2025

Blagovest et Léon fréquentent un lycée professionnel à Gladbeck et ont fait le déplacement spécialement pour participer à la manifestation. Blagovest, 20 ans, estime que la raison de la réintroduction de la conscription réside en grande partie dans le fait que les politiciens et les banques veulent tirer davantage profit de la guerre. Léon, 18 ans, a déclaré que les partis traditionnels n'offraient aucune solution : « Ce sont toujours les mêmes personnes qui sont au pouvoir. Quel que soit le parti, ils font toujours la même chose. Il se passe toujours quelque chose de pire qui va à l'encontre de l'humanité. Et cela fait très peur. » Léon a souligné : « Il s'agit de notre avenir en tant qu'humanité. » S'il y avait une guerre majeure, tout le monde mourrait, « quelle que soit la couleur de votre peau ou la personne que vous avez épousée ».

Stuttgart

À Stuttgart, environ 1500 élèves ont participé à la manifestation contre la conscription. Beaucoup ont souligné le lien entre la guerre et le capitalisme. Une pancarte disait : « Ne vous laissez pas acheter, vous n'êtes pas des politiciens », et une autre : « Conscription ? Levez-vous plutôt ». Une banderole à l'avant du cortège disait : « Front rouge, pas front oriental ».

Manifestation contre la conscription à Stuttgart, le 5 décembre 2025

Plusieurs jeunes se sont exprimé non seulement contre la conscription, mais aussi contre le terrible programme de réarmement et le rôle de l'Allemagne dans la guerre en Ukraine et à Gaza. Valentin, un étudiant de 17 ans, a souligné le lien entre la guerre et le capitalisme : « Je ne veux pas mourir pour les intérêts capitalistes de quelques-uns. » Concernant la perspective de construire un mouvement international anti-guerre de la classe ouvrière, il a déclaré : « Oui, je pense que c'est une bonne chose, ce serait important. »

Léo et Julius à Stuttgart

Léo et Julius, tous deux âgés de 17 ans, ont souligné que le réarmement était financé par des coupes dans les dépenses sociales. « Nous sommes ici aujourd'hui pour manifester contre la conscription, mais aussi pour faire entendre la voix des jeunes. Il y a un manque d'argent partout dans les écoles, le permis de conduire coûte désormais 4000 euros ; l'argent doit être investi dans les gens, pas dans la guerre », ont-ils déclaré.

Munich

À Munich, plus de 1000 élèves se sont rassemblés à la gare de Giesing. Beaucoup portaient des pancartes faites à la main exprimant leur opposition à la conscription ou dénonçant le gouvernement. Beaucoup s'accordaient à dire que le gouvernement n'était pas digne de confiance et agissait contre leurs intérêts. La perspective de l'IYSSE a suscité un vif intérêt. De nombreux élèves ont souligné le fait que des coupes dans l'éducation et les services sociaux étaient mises en œuvre pour financer le réarmement.

Manifestation à Munich, le 5 décembre 2025

Nuremberg

À Nuremberg, plus de 400 élèves ont manifesté contre le projet de réintroduction de la conscription. On pouvait lire sur des pancartes faites à la main : « Nous voulons vivre en paix, pas mourir à la guerre ! » et « Nous sommes censés mourir pour vos intérêts capitalistes ? Résistons. » La manifestation a également été soutenue par de nombreux parents inquiets qui brandissaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « Vous ne prendrez pas mes enfants. »

Manifestation à Nuremberg, le 5 décembre 2025

Fabién, un élève de Nuremberg, a résumé l'opposition de nombreux jeunes. Il a déclaré qu'il faisait grève « parce que nous voulons manifester ensemble contre les lois sur la conscription imminentes » et a souligné que ces attaques ne pouvaient être comprises que dans le contexte d'une crise capitaliste qui s'aggrave. Les pouvoirs en place ne peuvent défendre leurs intérêts mondiaux « qu'avec autorité et violence », a-t-il déclaré, raison pour laquelle le militarisme, le réarmement et la guerre s'intensifient. Il a vivement condamné l'hypocrisie du Parti de gauche (Die Linke), qui s'oppose publiquement à la conscription tout en soutenant le « fonds militaire spécial » de 100 milliards d'euros pour la Bundeswehr. Selon lui, ces organisations « font preuve d'hypocrisie » et ne font partie d'aucun véritable mouvement anti-guerre.

Moritz à Nuremberg (à gauche), le 5 décembre 2025

Moritz, étudiant à l'université d'Erlangen, a également vivement critiqué l'hypocrisie du Parti de gauche et des Verts. Il a qualifié leur participation aux manifestations contre la conscription de « malhonnête », car ils « votent en même temps pour le fonds militaire spécial » et soutiennent ainsi le réarmement. Quiconque s'oppose publiquement à la conscription tout en soutenant les crédits de guerre montre qu'il «n'a pas le courage de changer quoi que ce soit ».

Il a critiqué ces partis qui tentent de persuader la population d'adopter une « pensée de gauche » qui se limite à quelques revendications sociales dans le cadre du système existant et qui se heurte inévitablement à des limites. Il s'agit de « revendications creuses qui peuvent sembler logiques dans ce contexte parlementaire », mais qui n'offrent aucune solution réelle. Selon lui, leur politique n'est pas socialiste, mais vise à conduire les jeunes et les travailleurs dans l'impasse des illusions parlementaires. Dans le même temps, Moritz a toutefois souligné que les jeunes qui ont rejoint le Parti de gauche ou les Verts par souci sincère ne devaient pas être exclus.

Les deux jeunes ont clairement indiqué que la lutte contre la conscription ne pouvait être gagnée que si elle ne se limitait pas à la seule jeunesse, mais devenait un mouvement conscient et international de la classe ouvrière. Fabién a souligné que «toutes les couches opprimées de la population doivent être mobilisées » pour contrer le militarisme et la répression et pour vaincre le système capitaliste qui produit ces attaques. Moritz a ajouté que les grèves scolaires actuelles ne représentent que « la première étape d'un réveil politique » et que la tâche décisive consiste à les transformer en une « protestation ouvrière ».

Loading