Des manifestations de masse soutenues ont contraint le gouvernement bulgare du Premier ministre Rossen Zhelyazkov (GERB) à démissionner la semaine dernière. Cela aggrave encore la crise politique dans le pays, qui prévoit d’introduire l’euro comme monnaie le 1er janvier 2026.
Mercredi dernier, plus de 150 000 personnes ont manifesté dans le quartier gouvernemental de Sofia, la capitale bulgare. Elles protestaient contre le budget prévu pour l’année à venir, qui prévoit des hausses d’impôts, ainsi que contre la corruption généralisée dans le pays, et exigeaient la démission d’un gouvernement largement détesté.
De nombreux citoyens sont également descendus dans les rues de la deuxième plus grande ville du pays, Plovdiv, ainsi que dans plus de 20 villes à travers la Bulgarie, dont Varna, Bourgas, Veliko Tarnovo et Razgrad. Des Bulgares se sont aussi rassemblés pour des manifestations à l’étranger mercredi, notamment à Londres, Berlin, Vienne, Zurich et New York.
Les manifestations se poursuivent depuis des semaines. Auparavant, plus de 50 000 personnes avaient déjà manifesté dans la capitale. Il y a deux semaines, des affrontements avec la police ont eu lieu après un rassemblement, selon l’agence de presse AFP.
Un bureau du parti au pouvoir GERB a été vandalisé et plusieurs véhicules de police ont été endommagés. Les forces de l’ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes et des matraques. Il y a eu au moins 10 arrestations et au moins trois blessés. Certains manifestants ont attaqué le siège du DPS, qui soutient le gouvernement, avec des pierres et des bouteilles.
La coalition gouvernementale du parti de droite pro-UE GERB, qui gouvernait avec les socialistes (BSP) et les nationalistes ITS, était profondément détestée par la population. Zhelyazkov n’était en fonction que depuis le début de l’année. Après d’importantes manifestations en 2020 contre le gouvernement du Premier ministre Boyko Borissov (GERB), le pays d’Europe du Sud-Est avait connu sept élections anticipées.
Les prochaines élections ont également très peu de chances d’apporter un gouvernement stable. La dernière alliance gouvernementale dépendait aussi du soutien du parti d’opposition turc DPS. Ce parti dirigé par l’oligarque Delyan Peevski contrôlait une grande partie des médias bulgares avant d’être contraint d’en céder une partie suite à des sanctions américaines pour corruption. Le Royaume-Uni a lui aussi imposé des sanctions à Peevski en 2023.
La semaine dernière, le président Rumen Radev a directement invité le plus grand groupe parlementaire à entamer des discussions pour former un gouvernement. Si le premier et le deuxième plus grand groupe échouent, de nouvelles élections auront lieu dans deux mois, ce qui est considéré comme probable. D’ici là, un gouvernement intérimaire sera installé.
Ce gouvernement tentera de faire adopter le projet de budget pour 2026, qui a suscité une opposition si farouche dans la population et a finalement du être retiré par le gouvernement démissionnaire dû aux manifestations de masse. Ce budget prévoit de nouvelles hausses d’impôts, des cotisations sociales plus élevées et une extension massive de l’appareil de sécurité.
Le budget est l’apogée d’attaques drastiques menées contre la population, qui a dû endurer des coupes budgétaires de plus en plus sévères ces dernières années pour satisfaire aux critères d’introduction de l’euro.
Depuis l’adhésion du pays à l’Union européenne en 2007, d’innombrables gouvernements ont adopté de nouveaux plans d’austérité, et l’UE a récemment exigé des coupes budgétaires de plus en plus dures pour respecter les critères de convergence en vue de l’adoption de l’euro. L’introduction de la monnaie, initialement prévue pour 2024, a échoué en raison d’une inflation extrêmement élevée.
La Bulgarie s’apprête désormais à devenir le 21e membre de la zone euro, ce qui en fera le pays le plus pauvre à utiliser la monnaie commune. Quarante pour cent de la population vit dans la pauvreté ou est menacée de pauvreté. La retraite minimale est inférieure à 300 € par mois et la retraite moyenne, un peu plus de 500 €, n’est que légèrement supérieure.
Les salaires moyens tournent autour de 1 000 € par mois, bien en dessous de la moyenne de l’UE. La situation est particulièrement précaire pour les jeunes. Trouver un emploi suffisamment rémunéré pour subvenir à ses besoins et à ceux d’une famille est pratiquement sans espoir. Environ 1,8 million de Bulgares vivent actuellement à l’étranger; il s’agit souvent de jeunes hautement qualifiés qui ne voient aucun avenir dans le pays.
Il n’est donc pas surprenant que les jeunes jouent un rôle majeur dans les récentes manifestations. Le Wall Street Journal a décrit les manifestations de Sofia comme le premier renversement réussi d’un gouvernement par la génération Z en Europe. En Europe également, le mélange de pauvreté, de manque de perspectives et d’une classe dirigeante impitoyable et corrompue pousse les jeunes à protester, comme en Indonésie, au Maroc, à Madagascar et au Népal.
Dans le même temps, l’opposition généralisée de la population ne trouve aucune expression dans les partis établis du pays, dont presque tous ont été au gouvernement au cours des 20 dernières années et ont appliqué les mêmes politiques. Lors des dernières élections législatives, la participation électorale est tombée à moins de 40 %.
L’introduction prévue de l’euro est également rejetée par une large majorité. Un sondage du ministère des Finances a dû admettre qu’une majorité y était opposée. Des enquêtes indépendantes estiment l’opposition à près de 60 %.
Bien que la monnaie précédente, le lev, soit indexée sur l’euro depuis 1999, et auparavant sur le Mark allemand, la conversion s’accompagnera d’une hausse des prix. La présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a déclaré que l’introduction de l’euro en janvier alimenterait l’inflation.
Berlin et Bruxelles ont poussé à l’introduction de l’euro — d’une part pour des raisons économiques et d’autre part pour lier encore plus étroitement la Bulgarie à l’alliance contre la Russie. Malgré une forte pression politique intérieure, le gouvernement GERB a maintenu son cours pro-UE et a soutenu la guerre contre la Russie en Ukraine. Une préoccupation au sein de l’UE est donc qu’en cas de nouvelles élections, des forces plus pro-russes pourraient accroître leur influence.
La Bulgarie joue un rôle géostratégique important en raison de sa position centrale en Europe méridionale et de son accès à la mer Noire. Alors que le budget pour des secteurs comme l’éducation, la santé et les services sociaux a été drastiquement réduit, le gouvernement a prévu l’achat de nouveaux avions de chasse pour près d’un milliard d’euros. Les unités navales doivent également recevoir de nouveaux navires.
Au début de la guerre en Ukraine, la Bulgarie avait déjà livré d’importantes quantités d’équipements militaires datant de l’ère soviétique. Aujourd’hui, l’industrie de l’armement du pays est en cours de restructuration et d’expansion.
Le fabricant d’armes allemand Rheinmetall prévoit une nouvelle usine à Sopot qui produira de la poudre à canon et des obus d’artillerie de 155 mm. Le trust et les responsables bulgares ont signé à cet effet un contrat d’un montant de plus d’un milliard d’euros. L’usine devrait commencer à fonctionner en 2027.
En septembre, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a visité l’usine et souligné l’importance de la Bulgarie en tant que fournisseur d’armes pour la guerre contre la Russie. Au début de la guerre, «un tiers des armes utilisées en Ukraine provenaient de Bulgarie», selon von der Leyen.
Plus récemment, Rheinmetall a également conclu une co-entreprise pour la poudre propulsive dans la ville roumaine de Victoria. D’ici 2030, 20 000 tonnes de poudre propulsive devraient y être produites chaque année, qui sert de propulsion aux chars et aux roquettes.
