La semaine dernière, le président français Emmanuel Macron a convoqué les responsables politiques de la Nouvelle-Calédonie à Paris pour le 16 janvier, afin de reprendre les négociations sur l' accord de Bougival, actuellement au point mort. Le référendum de fait sur ce document, prévu le 15 mars dans la colonie française du Pacifique, est désormais considéré comme annulé.
Macron a déclaré que l'objectif du sommet était de «poursuivre le dialogue avec chaque partenaire» sous la forme d'un «bilan d'étape» visant à «ouvrir de nouvelles perspectives politiques» et à permettre au gouvernement français de poursuivre les discussions.
La convocation est intervenue après que la coalition indépendantiste de Nouvelle-Calédonie , le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), a annoncé qu'une délégation se rendrait à Paris pour rencontrer des groupes parlementaires français au sujet de son rejet du processus de Bougival, auquel il avait initialement donné son accord.
Aux termes de l'accord signé en juillet, les partis indépendantistes et anti-indépendance de la colonie s’étaient engagés à un soi-disant pacte «historique» concernant le futur statut du territoire. Il prévoyait la création d'un «État de Nouvelle-Calédonie» dans le cadre de la Constitution française, d'une «nationalité» néo-calédonienne et le transfert de compétences limitées de la métropole à l'administration territoriale.
Cet accord était le fruit de négociations initiées par Macron suite au soulèvement de sept mois mené l'an dernier par la jeunesse kanak contre le pouvoir colonial français. Ces émeutes généralisées avaient fait 14 morts, des personnes tuées principalement par la gendarmerie française, et ont engendré des dégâts estimés à 2,2 milliards d'euros. Alimentée par les inégalités sociales, le chômage et le désespoir économique, la rébellion avait opposé une jeunesse marginalisée non seulement à l'oppression coloniale, mais aussi au pouvoir politique du territoire, notamment aux partis indépendantistes kanaks officiels.
L'élite dirigeante française est déterminée à ne pas lâcher une emprise qui dure depuis 172 ans sur cette possession coloniale d'importance stratégique. L’accord de Bougival rejette les revendications d'indépendance politique pleine et entière de l'Insurrection. Il maintient le contrôle de la France sur la police, la justice, la monnaie et la défense, mais de nouvelles structures intègrent une plus large part de l'élite politique de la population indigène pour protéger le système établi de toute nouvelle révolte sociale.
Lors d'une conférence spéciale en août, le FLNKS a formellement rejeté le projet de texte, affirmant que les signatures de ses négociateurs étaient nulles car «l'appât de l'indépendance» ne répondait pas aux exigences de pleine souveraineté. Réaffirmant leur rejet de Bougival la semaine dernière, les dirigeants du FLNKS ont qualifié le processus d'«impasse politique» et ont appelé l'État français à «revenir sur la bonne voie».
La crise politique d’octobre et le changement de gouvernement à Paris ont bloqué la poursuite des négociations. Le nouveau Premier ministre de droite, Sébastien Lecornu, a remplacé Manuel Valls comme ministre des Affaires étrangères par Naïma Moutchou qui s'est rendue à Nouméa en novembre, déclarant qu'elle ne voulait «faire sans le FLNKS», à condition que celui-ci «ne fasse pas sans les autres parties». Les partisans de Bougival ont exhorté le FLNKS à reprendre les négociations, affirmant que le document pouvait être modifié pour les accommoder.
Moutchou a tenu des réunions bilatérales avec chaque groupe politique, notamment le FLNKS, les partis indépendantistes PALIKA et UPM, ainsi que les partis pro-français Les Loyalistes, Rassemblement-LR, Ensemble Calédonie et Eveil Océanien (axé sur les Wallisiens et Futuniens). Le FLNKS a refusé de participer à la table ronde finale, affirmant qu'il n'avait pas été mandaté pour négocier.
Moutchou a toutefois souligné que, dans son communiqué final, le FLNKS avait exprimé le souhait de poursuivre le dialogue. «Mais ils rejettent l’accord de Bougival, ils le rejettent en bloc. Ils refusent tout simplement de dialoguer sur cette base. Il faut donc laisser la porte ouverte», a-t-elle déclaré.
Malgré ses prises de position actuelles, le FLNKS s'est rendu complice l'an dernier des tentatives visant à étouffer le soulèvement de la jeunesse. Bien que son nom comporte le terme «socialisme», le FLNKS n'est pas socialiste, mais une organisation nationaliste qui cherche à accroître les privilèges de l'élite bourgeoise indigène. Il a joué un rôle déterminant dans l'établissement des accords de Nouméa, qui ont mis fin à la guerre civile des années 1980 en échange d'influence politique et économique.
Moutchou a reconnu la fragmentation du paysage politique. «Le gouvernement français analyse actuellement les positions écrites de chaque parti politique… Il poursuit les consultations avec toutes les parties prenantes afin de déterminer les prochaines étapes», a-t-elle déclaré. Le 8 décembre, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a approuvé à l’issue d’un vote très serré le principe d’un référendum de fait, avec une courte majorité de 19 voix pour; il y eut 19 abstentions et 14 voix contre, dont le groupe parlementaire du FLNKS.
Les factions pro-françaises s’opposent virulemment à toute concession par rapport au document. Le député pro-français de Nouvelle-Calédonie, Nicolas Metzdorf, a déclaré que Paris «craint de nouvelles violences en Nouvelle-Calédonie en raison d'un possible boycott du FLNKS». Il a affirmé que si la nouvelle réunion convoquée par Macron voulait «aller plus loin que Bougival, la réponse sera non».
Le Conseil constitutionnel français a validé le report des élections locales de Nouvelle-Calédonie. Le scrutin, initialement prévu pour novembre, a été reporté à juin 2026. En raison de la crise continue, les reports successifs des élections atteignent désormais vingt-cinq mois.
Moutchou a quitté Nouméa avec peu de promesses concernant de nouveaux engagements de la part de Paris pour remédier à la situation financière catastrophique du territoire. On estime à 13,5 pour cent la chute du PIB; des centaines d'entreprises ont été détruites et des dizaines de milliers d'emplois perdus.
L'État français a débloqué l'an dernier un prêt exceptionnel d'un milliard d'euros. L'endettement de la Nouvelle-Calédonie a explosé, atteignant 360 pour cent, avec des échéances de remboursement dès 2026, assorties d'un taux d'intérêt élevé de 4,54 pour cent. De plus en plus de voix s'élèvent pour demander la conversion de ce prêt en subvention non remboursable.
Plus de 7 000 personnes ont récemment quitté le pays, dont de nombreux travailleurs qualifiés et du personnel médical. Sur une population de 264 596 habitants, 12 000 sont toujours sans emploi et le dispositif d’aide aux chômeurs, prolongé en 2024, arrive à terme ce mois-ci. Certains plaident pour sa prolongation au moins jusqu’en juin 2026. Le régime de retraite local menace de s'effondrer.
Le FLNKS est, quant à lui, en proie à une scission qui va s’élargissant; deux partis constituants «modérés» l’ont quitté. L'UPM (Union progressiste de Mélanésie) a officialisé son départ le mois dernier lors de son congrès, cinq jours après que le PALIKA (Parti de libération kanak) eut également finalisé sa rupture d’avec le FLNKS à son 50e congrès.
Les deux groupes, membres fondateurs du FLNKS en 1984, ont invoqué des raisons similaires pour justifier leur décision. Le dirigeant de l'UPM, Victor Tutugoro, a déclaré que son parti éprouvait «de plus en plus de difficultés à exister au sein du mouvement indépendantiste (FLNKS), dont une partie [s'était] désormais largement radicalisée sous l'effet de l'indignation et des menaces.» Il a ajouté que l'UPM et le PALIKA n’acceptaient pas «le mode opératoire» de plus en plus «violent» du FLNKS.
Depuis août 2024, l'UPM n’était plus active au sein du FLNKS, car elle rejetait les «méthodes musclées» employées par l'Union Calédonienne, parti dominant, le recrutement de nouvelles factions «nationalistes» et la nomination de Christian Téin, chef de la CCAT (Cellule de Coordination de l'Action sur le Terrain), à sa présidence. Arrêté en juin 2024 pour son implication dans les émeutes, Téin avait été incarcéré en métropole jusqu'à sa libération sous caution le mois dernier.
L'UPM et Palika sont en train de former une nouvelle Union Nationale pour l' Indépendance (UNI) afin de créer un parti politique en vue des élections municipales et provinciales. Les deux groupes ont, avec quelques réserves, réaffirmé leur soutien à l'accord de Bougival.
Derrière la campagne de Paris pour imposer un «règlement négocié», «l'ordre républicain» comme l’a appelé Macron – c’est-à-dire la militarisation et la répression d’État –, sera strictement appliqué. Moutchou a déclaré que les forces de sécurité, fortes de plus de 2 500 hommes, resteraient sur place aussi longtemps qu’il le faudrait. Elle a déclaré à Radio Rythme Bleu: «Soyons très clairs, il y aura tolérance zéro. Je suis très attachée à l’autorité de l’État. Il y a des règles et elles doivent être respectées. On peut manifester, on peut exprimer son désaccord. Mais on ne franchit pas la ligne rouge.»
(Article paru en anglais le 23 décembre 2025)
