Le dernier rapport sur les prix des denrées alimentaires au Canada confirme ce que la classe ouvrière et en particulier les plus vulnérables de la société savent déjà : la nourriture est en train de devenir rapidement un produit de luxe dans l'un des pays capitalistes les plus avancés et les plus riches du monde.
Tout comme l'accès à l'enseignement supérieur, à des soins de santé de qualité, à un logement convenable ou même à un emploi correctement rémunéré, les aliments nutritifs font désormais partie de la liste des choses qui sont, ou pourraient bientôt être, inaccessibles pour la grande majorité de la population.
Le Rapport canadien sur les prix alimentaires (RCPA) est le fruit d'une collaboration annuelle entre des partenaires de recherche issus d'universités de tout le pays. Il est actuellement produit par le laboratoire Agri-Food Analytics Lab de l'université Dalhousie. À l'aide d'une série de modèles d'analyse prédictive, l'équipe de recherche prévoit les prix des denrées alimentaires au Canada pour l'année à venir. Le rapport est publié chaque année depuis décembre 2010.
Le rapport 2026 prévoit une augmentation globale des prix des denrées alimentaires de 4 à 6 %, soit nettement au-dessus du taux d'inflation général prévu de 2,2 %. Cela s'ajoute à l'augmentation de 27 % des prix des denrées alimentaires au cours des cinq dernières années. Avec une augmentation pouvant atteindre 994,63 dollars en 2025, une famille moyenne de quatre personnes pourrait s'attendre à dépenser 17 571,79 dollars en nourriture au cours de l'année à venir.
Le rapport souligne plusieurs domaines particulièrement préoccupants pour l'année qui s'achève.
La flambée des prix de la viande a été le principal facteur de cette hausse globale de 7,2 %, soit le taux d'inflation le plus élevé de toutes les catégories alimentaires du pays. La sécheresse due au changement climatique qui a touché de vastes régions d'Amérique du Nord au cours de l'été a entraîné une forte augmentation des prix des aliments pour le bétail, ce qui a entraîné une hausse des prix du bœuf. À cela s'est ajoutée une augmentation à deux chiffres des coûts de production du bétail, des produits animaux et des coûts d'emballage. Tout cela a été répercuté sur le consommateur. Et avec des troupeaux de bovins à leur plus bas niveau depuis 1988 au début de l'année, la faiblesse des stocks s'est traduite par une hausse des prix en vertu de la « loi » capitaliste de l'offre et de la demande.
Au cours du seul premier trimestre 2025, les prix du bœuf ont augmenté de 16 %. Bien que cette pression se soit atténuée au cours de l'année, les prix du bœuf ont tout de même augmenté de 9 % par rapport à 2024 et de 23 % par rapport à la moyenne sur cinq ans.
Comme le souligne le RCPA, de nombreux Canadiens se sont tournés vers le poulet, source de protéines plus abordable que le bœuf. Mais le rapport indique clairement que ce choix est sur le point de subir les mêmes hausses de prix choquantes qui ont détourné tant de consommateurs du bœuf. La production canadienne de poulet a atteint un niveau historiquement bas en 2025. Fait très rare, l'industrie avicole canadienne n'a pas réussi à respecter son quota national pendant neuf cycles consécutifs.
Les températures douces tout au long de l'automne, autre effet des changements climatiques, ont permis aux oiseaux sauvages de rester au Canada avant de migrer vers le sud. Il en a résulté une augmentation soudaine de la grippe aviaire dans les élevages commerciaux. Les quarantaines et les abattages, associés à d'autres problèmes de gestion de l'offre, contribueront à réduire encore la disponibilité du poulet et à faire grimper les prix en 2026.
Le RCPA suggère les protéines végétales telles que le tofu, les haricots, les lentilles et les pois chiches comme alternatives plus abordables à la viande. Mais cela n'offrirait certainement qu'un répit temporaire, car la même loi capitaliste de l'offre et de la demande ferait grimper les prix ; de plus, ces cultures sont également soumises aux effets des changements climatiques.
L'agriculture dans son ensemble au Canada subit une pression croissante due aux effets des changements climatiques. Comme le constate le RCPA, 66 % des terres agricoles au Canada ont connu une sécheresse modérée à extrême en juin 2025. L'Alberta et la Saskatchewan dominent l'industrie bovine au Canada, mais ces deux provinces produisent également la majorité des céréales, des oléagineux et des légumineuses. Ces cultures se sont bien comportées en 2025, mais des inquiétudes persistent quant à l'humidité des sols pour la prochaine saison. Les régions fruitières et maraîchères de l'Ontario, du Québec et de la Nouvelle-Écosse ont connu des niveaux de précipitations bien inférieurs à la normale, ce qui a entraîné une baisse des rendements et une diminution de la taille des récoltes, et là encore, une hausse des prix.
Preuve de l'intensification de la menace que représentent les changements climatiques, plus de 8,3 millions d'hectares de terres ont brûlé à travers le pays en 2025, lors de la deuxième pire saison de feux de forêt de l'histoire du Canada. Mais une mesure plus illustrative de l'effet des changements climatiques est la moyenne du carbone forestier brûlé dans les feux de forêt canadiens au fil du temps. Au cours des années 1990, la moyenne des émissions de CO2 provenant des incendies de forêt était de 800 tonnes métriques par an. Au cours de la dernière décennie, la moyenne était de 3200 tonnes métriques par an, soit une multiplication par quatre. La hausse des températures due à l'activité humaine (qui se traduit en fait par la combustion de combustibles fossiles, des méthodes d'extraction polluantes, la déforestation, etc. dans la recherche du profit) exerce une pression énorme sur l'environnement mondial dans son ensemble et sur la production alimentaire en particulier. Les sécheresses prolongées peuvent entraîner l'érosion des sols, les incendies de forêt peuvent endommager les cultures et les hivers plus chauds rendent le bétail et les cultures plus vulnérables aux parasites et aux maladies.
Les aliments importés ont également connu des hausses de prix importantes en raison des mêmes pressions qu'au Canada, selon un récent rapport de Statistique Canada. Par exemple, les prix du café ont augmenté de plus de 28 % au cours de la dernière année, ceux du café torréfié ou moulu, par opposition au café instantané, ayant augmenté de 41 %. Les noix, dont la plupart sont importées des États-Unis, et les graines ont connu une hausse de prix de plus de 15 % par rapport à l'année précédente. De plus, les mauvaises conditions météorologiques et les maladies en Afrique de l'Ouest, qui fournit 70 % du cacao mondial, ont entraîné un doublement du prix de ce produit au cours des deux dernières années.
Si la pression exercée sur les citoyens ordinaires pour qu'ils puissent se procurer les produits de base dans les régions densément peuplées du Canada est intense, la situation dans le Nord est encore plus extrême. Les prix des denrées alimentaires dans le Nord sont deux à quatre fois plus élevés que dans les zones urbaines, et l'insécurité alimentaire y est environ deux fois plus élevée que la moyenne nationale. Pendant des décennies, les longues distances, le manque d'infrastructures et les coûts de transport ont été utilisés comme excuses pour justifier la pénurie d'aliments frais et nutritifs dans le Nord. Le nord de la Saskatchewan a récemment enregistré 27 cas de scorbut, liés à un manque d'aliments frais et abordables. La résurgence de cette maladie du XVIIIe siècle n'est pas un ensemble inexplicable de maladies malheureuses, mais le résultat de choix délibérés en matière de politiques sociales.
Le RCPA met notamment l'accent sur le niveau de concentration du marché dans le secteur de l'alimentation au Canada. Il déplore à juste titre le pouvoir des quatre plus grandes chaînes d'alimentation, qui possèdent au moins 72 % du marché, de limiter la concurrence et le choix des consommateurs. Il ne mentionne pas Loblaw, Sobeys, Métro et Walmart par leur nom, mais suggère que le « Code de conduite pour les épiceries », un cadre volontaire destiné à guider les interactions entre les détaillants alimentaires et leurs fournisseurs, qui doit entrer en vigueur en janvier 2026, pourrait contribuer à stabiliser les prix des denrées alimentaires. Mais l'histoire des secteurs de l'assurance, des télécommunications et de l'énergie, parmi tant d'autres, prouve que ces ajustements mineurs apportés au capitalisme, qui vise la consolidation et la domination du marché, s'avéreraient totalement inutiles. Quoi qu'il en soit, l’élite dirigeante n'a aucune volonté de restreindre la recherche du profit et de limiter le pouvoir de l'oligarchie financière, quelles que soient les conséquences sociales négatives.
Au contraire, la crise de l'accessibilité alimentaire, associée à l'aggravation des inégalités sociales et à l'augmentation du nombre de sans-abri, sont les manifestations d'une crise capitaliste systémique qui a été exacerbée pour la classe ouvrière par une guerre de classe unilatérale menée par l'élite dirigeante au cours des quatre dernières décennies. L’assaut incessant sur les droits des travailleurs et les salaires réels, ainsi que la réorientation des ressources des services publics et de l’aide sociale vers d'énormes réductions d'impôts pour les grandes entreprises et les riches et vers des subventions aux entreprises par les gouvernements de toutes tendances politiques, ont appauvri de larges couches de la population, tout en enrichissant une petite minorité au sommet.
Ce processus s'accélérera sous le gouvernement libéral de Carney qui, avec le soutien des syndicats et des partis d'opposition conservateur et néo-démocrate, met en œuvre un programme de réarmement massif au détriment des dépenses publiques. En guise d'acompte sur les centaines de milliards de dollars de dépenses militaires supplémentaires prévues au cours de la prochaine décennie, le gouvernement Carney a augmenté le budget de la défense de 17 % pour le seul exercice financier en cours.
La preuve de cette analyse se trouve dans le rapport annuel HungerCount publié par Food Banks Canada en octobre de cette année. Le bilan de mars 2025 montre que plus de 2 millions de personnes au Canada ont eu recours à une banque alimentaire pour obtenir de l'aide, un chiffre qui a doublé depuis 2019. Parmi celles-ci, 20 % avaient un emploi, soit également le double du taux de 2019. Cela souligne le fait qu'un nombre croissant de personnes qui n'ont pas les moyens de se nourrir sont des « travailleurs pauvres », c'est-à-dire des personnes dont le salaire est insuffisant pour subvenir à leurs besoins fondamentaux.
Soulignant cette tendance, un rapport d'Omniweb Léger a montré que l'insécurité alimentaire au Québec est passée de 22 % en 2020 à 36 % cette année. L'insécurité alimentaire grave a plus que doublé pour atteindre 17 %, tandis que près de la moitié des jeunes adultes âgés de 18 à 34 ans (49 %) sont en situation d'insécurité alimentaire.
Le RCPA espère permettre aux consommateurs de prendre de meilleures décisions d'achat en comprenant les tendances de l'industrie alimentaire grâce à ses rapports. Mais la réalité est qu'il n'y a pas de solution pour la classe ouvrière dans le système capitaliste. L'insécurité alimentaire touche de plus en plus les familles de la classe ouvrière, tout comme la précarité de l'emploi et le logement inabordable, et aucune réforme au sein du système capitaliste ne permettra d'endiguer cette vague.
Garantir une alimentation abordable et résoudre les innombrables problèmes sociaux qui y sont associés est une tâche qui dépend de la mobilisation politique et sociale de la classe ouvrière dans la lutte pour le socialisme. Ce n'est qu'en expropriant les richesses mal acquises de l'oligarchie financière et en plaçant les vastes ressources de la société sous le contrôle démocratique des travailleurs que les besoins de chacun pour une vie pleine et épanouissante pourront être satisfaits.
