Comité International de la Quatrième Internationale
Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskysme

Le WRP trahit les masses arabes

C’est de façon plus directe et immédiate encore que pour le Zimbabwe, que la résolution du Quatrième congrès apportait une justification théorique à la trahison par le WRP des ouvriers et des paysans du Moyen-Orient.

Le document de Banda décrivait la lutte du peuple palestinien contre le sionisme comme « le paroxysme de la révolution mondiale » une définition pabliste qui déformait les rapports objectifs existant entre les divers éléments de la lutte de classe internationale. De plus, désigner un élément particulier comme étant « le paroxysme » impliquait politiquement que toutes les autres luttes lui étaient subordonnées. Cette formulation se révéla être la justification pour une réorientation du travail international du WRP autour d’une série d’alliances opportunistes avec la bourgeoisie arabe.

Ce château de cartes théorique était complété par l’affirmation selon laquelle « La stratégie de l’impérialisme anglo-américain dans cette région est dictée uniquement par son désir de protéger les champs pétrolifères d’une expropriation par un régime radical. » (Fourth Congress Resolution, p. 15, caractères gras ajoutés)

Les conclusions politiques qui découlaient implicitement de cette évaluation absurde étaient : 1) que le travail pratique du WRP devait se concentrer sur la défense de ces régimes radicauxbourgeois en coordonnant son travail avec celui des ministères des Affaires étrangères de divers Etats arabes ; et 2) que la classe ouvrière, ne jouant qu’un rôle de second plan dans la lutte anti-impérialiste, devait nécessairement subordonner ses propres intérêts à la défense des régimes en place, qui ont auparavant été définis comme l’ennemi principal de l’impérialisme anglo-américain.

Cette subordination de la classe ouvrière était ensuite justifiée par une évaluation politique de l’histoire du Moyen-Orient qui ne tenait compte que du seul ennemi extérieur des masses arabes – le sionisme – tout en ignorant les contradictions sociales internes par lesquelles sont médiatisés les intérêts de l’impérialisme. Ainsi, Banda écrivait : « Jamais l’impérialisme n’eût de meilleur instrument que l’immigration sioniste. » (Idem.) Cette déclaration évitait toutes les questions fondamentales d’une analyse marxiste des tâches du prolétariat au Moyen-Orient. Outre que l’immigration sioniste était une conséquence directe des trahisons du stalinisme et de la social-démocratie qui menèrent à la victoire du fascisme dans les années 1930 et à l’éclatement de la Deuxième guerre mondiale impérialiste, l’incapacité des dirigeants arabes de défendre les droits nationaux du peuple palestinien et d’avancer une stratégie pour vaincre le sionisme, soulève la question de la crise de la direction révolutionnaire – internationalement ainsi qu’au Moyen-Orient. Ayant rejeté cette considération de classe primordiale – le point de départ pour l’élaboration d’un programme révolutionnaire et d’un plan d’action – le document du Quatrième congrès dégénérait en une glorification journalistique petite-bourgeoise de la politique étrangère de la bourgeoisie arabe.

Plutôt que d’éduquer les travailleurs arabes les plus conscients à prendre une attitude critique face à la politique des Etats bourgeois du Moyen-Orient – en expliquant l’incapacité organique, même pour les régimes les plus radicaux, de mener une politique anti-impérialiste conséquente, en s’opposant aux illusions naïves nourries vis-à-vis des instruments de l’impérialisme comme les Nations unies, et en démasquant chaque geste perfide commis par la bourgeoisie envers la classe ouvrière et les masses opprimées de tous les pays arabes – le document mettait l’accent sur leurs soi-disant conquêtes diplomatiques, élevant ces parodies politiques soigneusement orchestrées au rang de véritables victoires des ouvriers et des paysans. Cette méthode petite-bourgeoise mena à une trahison de fait de la lutte anti-impérialiste, et particulièrement de celle des masses palestiniennes.

Ainsi, « Grâce à l’intervention du régime Baath irakien qui s’est opposé de façon conséquente à ce qu’Israël soit jamais reconnu et qui a supporté la révolution palestinienne dans les jours sombres de la guerre civile au Liban, le complot de Camp David fut déjoué. » Quelle pathétique myopie !

Ce n’est pas tout. Inspiré par les astuces politiques du Moyen-Orient, Banda déclarait : « Au sommet de Bagdad en novembre 1978, l’OLP et les régimes radicaux de la Syrie, de l’Irak, de la Libye, de l’Algérie et du Sud-Yemen se sont assurés l’appui des Etats conservateurs de l’Arabie Saoudite, de la Jordanie et des Emirats arabes pour rejeter l’accord de Camp David et réaffirmer le droit de l’OLP à être le seul représentant du peuple palestinien. La promesse d’un soutien financier et politique à la révolution palestinienne par les Etats producteurs de pétrole a été un coup dur porté aux rêves réactionnaires de Sadat. » (Idem., p. 16)

Il suffit de regarder les événements sanglants des huit dernières années – au cours desquels l’OLP et le peuple palestinien ont été les victimes d’innombrables actes de trahison de la part de leurs « frères arabes » – pour se rendre compte du peu de valeur de cette estimation. Durant cette période, Healy et Banda étaient en contact constant avec l’OLP et leurs analyses furent un lien objectif de la chaîne des événements qui menèrent au désarmement et à l’isolement du mouvement palestinien. Depuis 1978, chacun des Etats cités dans le panégyrique de Banda a poignardé l’OLP dans le dos et a œuvré pour anéantir physiquement ses chefs et ses cadres.

En fait, le WRP a participé en pratique à la conspiration vicieuse dirigée contre l’OLP. L’objectif politique principal de Healy au Moyen-Orient n’était pas d’assurer les droits nationaux du peuple palestinien mais d’entretenir des relations rémunératrices pour le WRP avec les Etats arabes « enrichis par le pétrole ». Lorsqu’il était forcé de choisir entre les deux, Healy protégeait invariablement ses liens avec les régimes arabes. C’est Banda qui fournit la couverture politique de ces manœuvres de mauvaise foi et sa résolution du Quatrième congrès qui s’énonçait comme suit : « Le sommet de Bagdad a mis un terme aux luttes de factions sanglantes au sein de l’OLP et a jeté les bases pour une coordination de la politique étrangère et de la politique de défense irakienne et syrienne, de même que celles d’une possible réunification des deux partis baassistes. » (Idem.)

Dans ce passage se manifestait le réel mépris de la direction du WRP pour l’OLP. L’acceptation de l’hégémonie irakienne dans les affaires internes de l’OLP était une violation du principe de l’autodétermination. La référence faite en passant par Banda à la fin des « luttes de factions sanglantes au sein de l’OLP » signifiait que le WRP soutenait la suppression des droits démocratiques pour les tendances politiques qui existent parmi les masses palestiniennes. Il était politiquement évident que les Baassistes réprimaient justement les tendances qui entraient en conflit avec les relations entretenues par les dirigeants irakiens avec l’impérialisme et la bureaucratie soviétique.

Quant à la spéculation sur les relations entre les sections syrienne et irakienne de la monstruosité politique baassiste, pourquoi une telle perspective d’unité entre ces politiciens bourgeois soulevait-elle l’enthousiasme des dirigeants du WRP ? Depuis quand les trotskystes encouragent-ils de telles manœuvres politiques ? Cette spéculation démontrait la crédulité petite-bourgeoise de Healy et Banda à l’égard de la viabilité historique du nationalisme bourgeois. En l’espace de quelques mois, tous les pourparlers en faveur de l’unité furent enterrés sous une nouvelle vague de luttes intestines sanglantes entre les sections nationales rivales du baassisme.

Quant à ses relations avec l’OLP, la direction du WRP alliait la duperie politique à la malhonnêteté sur le plan théorique. Invoquant son appui inconditionnel à l’OLP face à l’impérialisme – un principe trahi à plusieurs reprises par Healy – le WRP minimisait le rôle décisif du prolétariat au Moyen-Orient. Healy, Banda et Slaughter attribuaient de façon malhonnête à l’OLP un rôle qu’elle ne jouera pas, ni ne pouvait jouer : « La puissance de la classe ouvrière et de la paysannerie est directement reflétée dans la croissance de l’OLP et dans sa montée comme direction de la lutte pour l’émancipation de toute la nation arabe. » (Idem., caractères gras ajoutés)

Cette déclaration représentait la répudiation la plus complète de la théorie de la Révolution permanente, qui affirme qu’à l’époque de l’impérialisme seul le prolétariat, armé d’un programme marxiste et sur la base de la lutte de classe, peut mener à bien les tâches démocratiques d’unification et de libération nationales face à l’impérialisme. En outre, la véritable unification des peuples arabes est historiquement liée à la liquidation des frontières actuelles qui bloquent le progrès économique et perpétuent les anciennes divisions tribales et féodales, de même que celles fomentées par l’impérialisme. Loin de se présenter, sur la base de son programme, comme l’unificateur de toute la nation arabe du Maghreb au golfe Persique, l’OLP s’est traditionnellement définie comme le seul représentant légitime du peuple palestinien et a explicitement reconnu l’existence de plusieurs tendances sociales dans ses propres rangs.

C’est vainement qu’on cherche parmi toutes les formulations antimarxistes de ce document une référence quelconque au rôle historique du prolétariat au Moyen-Orient. Le problème de l’unité des travailleurs arabes et juifs – un problème d’importance stratégique sur lequel la Quatrième Internationale avait insisté dans les années 1940 tout en s’opposant à la création d’Israël – n’était bien sûr pas mentionné.

Dans une autre de ses productions journalistiques nauséabondes, Banda affirmait que « l’OLP avait surmonté tous les obstacles se trouvant sur son chemin, avait uni le peuple palestinien et était reconnue comme son unique représentant. » (Idem.)

Il s’agissait là de la pire des traîtrises : se servir de viles flatteries sous les dehors d’une analyse scientifique, pour mentir au peuple palestinien. Il n’est guère nécessaire de réfuter l’affirmation selon laquelle l’OLP « a surmonté tous les obstacles se trouvant sur son chemin... » Seuls des imbéciles pourraient prendre au sérieux ce genre d’affirmation. Les assertions suivantes cependant, méritent du point de vue théorique qu’on les considère avec plus d’attention. Il n’est pas seulement impossible, pour les raisons que nous avons mentionnées plus haut, à l’OLP d’unifier la nation arabe, mais aussi, dans un sens marxiste, que l’OLP unisse véritablement le peuple palestinien. Elle est aussi incapable de le faire que la Ligue Awami d’unir les masses du Bangladesh, ou encore, que le Front patriotique d’unir les masses du Zimbabwe. A moins de définir quelles sont concrètement les différentes classes en présence à l’intérieur du mouvement national, toute référence à la nation palestinienne est une abstraction politique qui, encore une fois, sert à nier le rôle décisif de la classe ouvrière. Quant à la définition qui veut que l’OLP soit « le seul représentant légitime » du peuple palestinien, elle est acceptable pour défendre publiquement l’OLP contre les intrigues de l’impérialisme, du sionisme et de la bourgeoisie arabe. Mais lorsqu’elle est présentée dans un document programmatique du mouvement trotskyste comme une définition politique, elle ne peut que semer illusions et confusion. La seule conclusion qu’on puisse tirer d’une telle définition est que le WRP s’opposait à la construction du CIQI au sein d’une classe ouvrière palestinienne qui grandissait rapidement. En d’autres termes, le trotskysme n’a aucun rôle à jouer dans l’émancipation des masses palestiniennes.

Une fois encore, c’est Banda qui fournit la justification théorique de cette capitulation liquidatrice devant la bourgeoisie palestinienne. La résolution du Quatrième congrès dit :

« Ce qui caractérise l’OLP, c’est la lutte armée qui a pris la forme d’une guérilla prolongée, l’accent qu’elle met sur la mobilisation des masses en opposition au terrorisme individuel et sa détermination à mener la lutte sur tous les fronts.

« Cette lutte s’exprime dans leur cri de guerre : ‘Révolution jusqu’à la victoire’ » (Idem., p. 16-17)

On se servit pour caractériser politiquement l’OLP de la même théorie de la « lutte armée » que celle dont on se servit pour masquer la nature de classe du Front patriotique au Zimbabwe. Cette fausse théorie allait avoir au Moyen-Orient des conséquences encore plus tragiques qu’au Zimbabwe. On substitua la « lutte armée » et une abstraite « mobilisation des masses » à l’organisation d’un parti prolétarien pour établir l’indépendance de la classe ouvrière face aux régimes bourgeois arabes. Le développement ultérieur de la lutte de classe au Moyen-Orient, surtout après l’invasion sioniste du Liban en juin 1982, démontra le caractère fallacieux du concept de « lutte armée » défendu par l’OLP.

Au Liban même, l’OLP ne fut jamais en mesure d’avancer un programme pour l’unification des masses palestiniennes et libanaises. L’organisation de parades militaires à Beyrouth s’est avérée nuisible, ne servant qu’à provoquer le nationalisme libanais. Malgré tout leur héroïsme, les unités militaires de l’OLP n’ont pas pu arrêter la percée des forces sionistes. Le vrai défi, celles-ci l’ont finalement rencontré lorsqu’elles furent repoussées par le soulèvement des ouvriers et des paysans libanais qu’elles ont elles-mêmes provoqué – ce qui a démontré que la principale faiblesse de l’OLP, inhérente à sa nature même, fut son incapacité à formuler un programme pouvant, bien avant 1982, mobiliser cette grande puissance pour la défense du droit des Palestiniens à l’autodétermination. Pour un marxiste, la perspective de la lutte de classe est au cœur de son programme. Elle n’est pas un « cri de guerre ».

La résolution cherchait ensuite à apporter une justification théorique à l’adulation du régime de Kadhafi en Libye. Dans un passage important se référant aux pressions croissantes de l’impérialisme au Moyen-Orient et à ses efforts pour obtenir l’appui de l’Egypte et du Soudan, la résolution affirmait que « ces manœuvres d’approche de l’impérialisme ne peuvent que conduire à accroître les tensions à l’intérieur du mouvement national et pousser les éléments les plus radicaux du mouvement national arabe à reconnaître que ‘l’arme historique de la libération nationale ne peut être que la lutte de classe.’ (Idem., p. 17)

Dans ce passage, la réalité était mise à l’envers. On transformait la lutte de classe, qui est le résultat objectif du développement du capitalisme au Moyen-Orient, en une politique adoptée subjectivement par la bourgeoisie nationale sous les pressions de l’impérialisme. A l’aide de cette formulation, Banda apportait une justification au caractère bonapartiste de régimes bourgeois dans des pays sous-développés, qui se tiennent en équilibre de façon précaire entre l’impérialisme et la classe ouvrière nationale. De tels régimes, dont les dirigeants haranguent les masses de leurs balcons, cherchent habituellement à adapter la lutte de classe aux besoins pratiques de leurs marchandages avec l’impérialisme.

Pour le WRP, le but immédiat de cette formule subtile était de se donner un couvert à son double jeu politique au Moyen-Orient ; elle permettait au WRP de prétendre que la personne du Colonel Kadhafi incarnait le mouvement national radical et la lutte de classe prolétarienne et que la Jamahiriya libyenne se transformait en un Etat socialiste.

La résolution prétendait que la trahison de l’OLP par Sadat avait démontré la justesse du « bloc politique entre le Workers Revolutionary Party et le Congrès Populaire de la Jamahiriya arabe libyenne et socialiste » et que le bloc « avait été formé dans le cadre de tâches pratiques, strictement définies et avec le maintien de l’indépendance complète de notre propre organisation... » (Idem.)

Mais cette affirmation était démentie par la nature du bloc qui se basait sur des tâches d’un caractère essentiellement propagandiste – « avertissant les peuples arabes et la classe ouvrière européenne du changement de tactique opéré par l’impérialisme et du contenu contre-révolutionnaire de la politique étrangère de Sadat et du roi Khaled. » (Idem.) Or, comme le disait L. Trotsky avec insistance : « Mais c’est précisément dans le domaine de la propagande qu’un tel bloc est inadmissible. La propagande doit s’appuyer sur des principes clairs, sur un programme précis. Marcher séparément, frapper ensemble. Le bloc n’est créé que pour des actions pratiques de masse. Les transactions au sommet sans base de principe ne mènent à rien, sauf à la confusion. » (Léon Trotsky, Comment vaincre le fascisme, Editions Buchet/Chastel, Paris, 1973, p. 163)

De la confusion... et de l’argent ! Healy et A. Mitchell auraient pu dire en protestant que leur bloc avec la Libye concernait des tâches pratiques comme l’organisation de piquets devant les ambassades égyptienne et américaine à Londres. Mais, était-il nécessaire pour des trotskystes de former un front uni afin d’accomplir un geste de solidarité anti-impérialiste aussi élémentaire ? Est-ce qu’un travailleur membre du syndicat demanderait d’abord un front uni avec la bureaucratie syndicale avant d’accepter d’accomplir sa tâche en tant que piquet de grève ? En fait, c’est dans le domaine de l’analyse politique que le bloc du WRP avec la Libye fut conclu – c’est-à-dire qu’il engageait le WRP à dire uniquement les choses que la Jamahiriya voulait avoir dites ou voulait entendre.