Comité International de la Quatrième Internationale
Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskysme

Centres de formation de jeunes : une escapade fabianiste

On procéda à quelques changements de nature toute décorative suite aux critiques de la Workers League, car il fallait bien redonner un peu de crédibilité trotskyste au WRP dans le Comité international et soustraire à d’autres attaques éventuelles les cibles les plus voyantes. La signature de Healy disparut ainsi pratiquement du News Line et, hormis une brève contribution, – un texte incohérent bizarrement intitulé : « Comment Hegel se retrouva parmi les conseillers des Tories » – Healy n’écrivit plus rien sur la philosophie. Afin de ne pas donner prise à l’affirmation que le WRP abandonnait le trotskysme, le News Line publia de grosses annonces mentionnant une nouvelle série de cours sur la théorie de la Révolution permanente dans son centre d’éducation. Cependant des modifications de ce genre ne signifiaient pas que le WRP abandonnait sa ligne opportuniste. Healy ne permit un léger changement d’orientation dans la question de la Révolution permanente que parce que les changements politiques au Moyen-Orient avaient fait provisoirement dérailler ses vieilles alliances. C’est ainsi qu’on put citer sans problème l’Irak et le Zimbabwe comme des exemples confirmant la manière dont Trotsky avait caractérisé la duplicité des nationalistes bourgeois. Dans le même temps Healy put collaborer avec Savas Michael pour nouer de nouvelles relations avec le régime iranien.

Mais on ne modifia pas réellement la ligne politique. Les zigzags dans les différentes positions prises ne faisaient que refléter les manœuvres qui avaient lieu dans les coulisses. Healy travaillait dur pour étendre ses relations sans principe avec la bureaucratie syndicale et certaines sections du Parti travailliste.

Il lui sembla qu’un projet réformiste destiné à détourner les jeunes de la lutte révolutionnaire était une occasion à ne pas manquer pour obtenir le soutien de la bureaucratie syndicale. L’idée d’un projet de formation des jeunes avait germé dans son esprit depuis que, lors d’une tournée en Irak, on l’avait emmené visiter des centres de jeunesse contrôlés par l’Etat. C’est armé de ce qu’il avait perçu du « socialisme » irakien, qu’il entreprit de liquider les Jeunes Socialistes dans un projet qu’il chérissait par-dessus tout, les « centres de formation de jeunes » (Youth Training) et qui prit de la vitesse après les émeutes du printemps et de l’été 1981.

La raison officielle du projet était que les jeunes au chômage représentaient un danger pour le mouvement ouvrier. C’est pour cette raison que les Jeunes Socialistes entreprendraient de donner chaque semaine quelques rudiments de formation professionnelle à des jeunes au cours d’un programme minimum de formation. Healy déclarait que les Jeunes Socialistes donnaient l’exemple pour tout le mouvement syndical. C’est-à-dire qu’il proposait que la charge et le coût de la formation élémentaire des jeunes soient supportés par le mouvement ouvrier avec, cela s’entend, un peu d’aide philanthropique de la part du patronat et de divers libéraux bien intentionnés.

Les bureaucrates syndicaux étaient, bien sûr, aux anges d’entendre que Healy ne passait plus son temps à mobiliser les jeunes contre eux et les réformistes du Parti travailliste. Ils étaient heureux de pouvoir fournir, qui un peu d’argent, qui des vieilles pièces de machines usagées, qui des restes d’ordinateurs de la première génération, des tableaux de distribution inutilisés, des sèche-cheveux pour d’éventuelles esthéticiennes, de la laine en bobines pour d’éventuels tailleurs, des bougies usagées pour une future génération de mécaniciens et de vieux gants de boxe pour mi-lourds prometteurs. La fourniture de ce dernier équipement produisit une certaine angoisse dans la direction du WRP après que Vanessa Redgrave eût suggéré que des matchs de boxe dans les locaux de Youth Training risquaient d’effaroucher les libéraux pacifistes et autres amis des bêtes et priver le projet de leurs éventuelles contributions. On renonça par conséquent aux leçons de karaté et de boxe et on tenta de compenser la perte de participants que cela entraîna, par des cours d’espagnol et de théâtre anglais mais sans le succès escompté. Les jeunes semblaient plus intéressés à maîtriser les arts martiaux pour répéter le prochain round contre les policiers de Brixton qu’à se préparer à passer des vacances sur la Costa del Sol ou à assister à des représentations à l’Old Vic.

Les nobles efforts de la direction du WRP pour insuffler les bienfaits de la culture à la jeunesse mal léchée des grandes villes lui firent définitivement abandonner le Programme de Transition. Le contenu politique du projet de formation était tout à fait réactionnaire et visait à détourner les jeunes de la lutte contre le capitalisme et ses laquais dans la bureaucratie ouvrière.

Trotsky faisait avant tout porter l’entière responsabilité du chômage au système capitaliste. Proposer que la classe ouvrière et ses organisations supportent le coût du chômage veut dire prendre pour argent comptant les assurances du patronat et de l’Etat capitaliste qu’ils sont en faillite et ne peuvent pas fournir d’emplois ni de formation. Dans sa motion sur la jeunesse, adoptée à sa conférence de fondation en 1938, la Quatrième Internationale déclara :

« Dans la lutte contre le chômage, les mots d’ordre : Prolongation de la scolarité, organisation de l’apprentissage, ne peuvent avoir de sens que dans la mesure où on en fait supporter le poids, non à la classe ouvrière, mais aux gros capitalistes. Les bolcheviques-léninistes se doivent donc de formuler ainsi les revendications de la jeunesse ouvrière dans ce domaine comme suit :

« Prolongation de la scolarité jusqu’à seize ans, avec une indemnité pour charge de famille aux ouvriers et aux petits paysans.

« Réorganisation de l’école en liaison avec l’usine  : l’école doit préparer les enfants à la vie et au travail : elle doit souder la jeunesse ouvrière aux générations aînées, d’où la revendication du contrôle des organisations ouvrières sur l’enseignement technique.

« Réduction du temps d’apprentissage à un maximum de deux ans.

« Interdiction de tous travaux étrangers à l’apprentissage.

« Création aux frais du patronat à côté de chaque entreprise ou groupe d’entreprises industrielles, minières, commerciales , d’écoles d’apprentissage, avec un effectif d’au moins trois pour cent du personnel employé dans l’entreprise ou le groupe d’entreprises.

« Désignation des instructeurs par les syndicats ouvriers.

« Contrôle des écoles par une commission mixte de délégués ouvriers et de délégués des apprentis eux-mêmes » (traduit de Documents of the Fourth International, Pathfinder, pp. 279-280).

Alors que Trotsky développa des revendications de transition pour mobiliser la jeunesse aux côtés de la classe ouvrière contre le capitalisme, Healy proposait, lui, la démobilisation réformiste de la jeunesse et son alignement sur les exigences du capitalisme et de la bureaucratie travailliste.

Le projet concernant les « centres de formation de jeunes » n’était pas seulement indéfendable du point de vue du trotskysme, il reposait sur des conceptions théoriques totalement antimarxistes. Healy avait développé l’idée qu’on ne pouvait pas gagner les jeunes pour la lutte révolutionnaire tant qu’ils étaient au chômage (un point de vue qu’il avait acquis grâce à une totale incompréhension de certains passages des Manuscrits économiques et philosophiques de 1844 de Marx). Il faisait dépendre l’organisation révolutionnaire de la jeunesse du plein emploi, une étrange variante de la théorie de la révolution en deux étapes – où la première, si elle venait à s’achever, rendrait la deuxième impossible.

A la fin de 1982, le WRP publia une déclaration intitulée : « Six raisons pour joindre les rangs du WRP » à laquelle on aurait mieux fait de donner le titre : « Six raisons pour lesquelles le WRP est une organisation centriste. » Dans sa troisième raison, le WRP annonçait fièrement que son mouvement de jeunesse s’efforçait à décourager les jeunes de s’occuper de politique :

« Le Workers Revolutionary Party emploie plus d’un tiers de ses moyens financiers à développer son organisation de jeunesse, les Jeunes Socialistes. Nous soutenons les objectifs non politiques du mouvement Youth Training qui est soutenu par les Jeunes Socialistes et qui donne une formation à des jeunes quittant l’école et à des jeunes chômeurs qui, sans cela, seraient forcés de participer aux projets gouvernementaux de travail à bon marché (YOP schemes).

« Nous pensons que des jeunes sans travail, sans formation et qui sont hors du mouvement syndical, sont coupés du reste de la classe ouvrière et ne peuvent pas se développer en tant que participants conscients à la vie politique. Nous considérons par conséquent la tâche d’apprendre un métier, comme étant au-dessus de la politique. » (caractères gras ajoutés)

Même la plume du ministre conservateur de la formation professionnelle n’aurait pas pu rédiger répudiation plus complète de la lutte révolutionnaire.

Comme dans tout projet cher à Healy, il était question, derrière l’étalage de bel altruisme, d’avantages en monnaie sonnante et trébuchante. Bill Sirs, l’homme qui aida les Tories à jeter à la rue des dizaines de milliers de sidérurgistes, était un des supporters enthousiastes des Youth Training et assista à l’inauguration d’un de ces centres. Dans ses tentatives d’établir des relations amicales avec la bureaucratie, le WRP mettait une sourdine à ses critiques vis-à-vis de ces traîtres professionnels. C’est pourquoi, la raison numéro quatre pour adhérer au WRP se limitait à ce qui suit en ce qui concerne la politique du WRP dans les syndicats :

« Tous les membres du WRP doivent être membres du syndicat dont ils dépendent. Le parti soutien le TUC dans sa décision d’organiser des ouvriers et des jeunes au chômage dans le syndicat dont ils dépendent, comme s’ils avaient un travail.

« Toutefois, mener une campagne pour réaliser cet objectif, c’est autre chose. Le TUC ne le fait pas et tous les efforts possibles doivent être entrepris pour l’y forcer. »

Dans cette déclaration publique, qui prétend gagner les travailleurs à une politique révolutionnaire, il n’y avait pas la moindre référence à la trahison historique du TUC et à sa collaboration permanente avec le gouvernement conservateur ! Voilà que le WRP se mettait à concurrencer les staliniens dans leur soumission servile à la bureaucratie.

Le WRP prenait vis-à-vis de ces derniers un ton de voix singulièrement assourdi. Dans la raison numéro un, le WRP décrivait son attitude à l’égard des criminels staliniens du Kremlin en ces termes : « Le WRP a des divergences politiques fondamentales avec les dirigeants bureaucratiques du Parti communiste soviétique à propos de l’orientation nationaliste du ‘Socialisme dans un seul pays’. » Voilà que le « fleuve de sang » qui sépare le trotskysme du stalinisme, se réduisait à des « divergences politiques ».

La déclaration poursuivait en décrivant « la coexistence pacifique » et « la voie pacifique au socialisme » comme une « politique qui menace les acquis de la classe ouvrière internationale et qui, si elle n’est pas révisée et modifiée, conduira à des défaites catastrophiques pour la classe ouvrière. »

Comme si la politique du stalinisme n’avait pas déjà conduit à des défaites catastrophiques et comme s’il existait encore la moindre possibilité que cette politique, qui exprime les intérêts les plus vitaux de l’impérialisme et qui s’appuie socialement sur une bureaucratie parasitaire et contre-révolutionnaire, pouvait être « révisée ».