Comité International de la Quatrième Internationale
Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskysme

Le Dixième congrès du Comité international

Deux faits politiques intimement liés l’un à l’autre ont dominé le Dixième congrès du Comité international de la Quatrième Internationale, tenu en janvier 1985, bien qu’aucun de ces faits n’ait été discuté. Le premier était la crise politique dévastatrice au sein du WRP et le second la suppression des divergences politiques ayant surgi au sein du Comité international au cours des trois années précédentes.

La dégénérescence politique du WRP était à l’origine de la crise du Comité International. Non seulement la section britannique avait abandonné sa responsabilité d’assurer la direction théorique, politique et organisationnelle du mouvement mondial, mais elle représentait maintenant la source principale de la politique révisionniste et de la désorientation au sein du Comité International. Son travail dans le Comité international était devenu une opération de sabotage universel. Pour Healy, le Comité international s’était transformé en une simple source de revenus financiers et de prestige politique. Au delà de ces considérations toutes pragmatiques, il était hostile à ce qu’il continue d’exister. Quant à Slaughter, le Comité international était pour lui un divertissement occasionnel et une agence de voyages utile pour ses vacances d’été, sans plus.

Ni Healy, ni Banda, ni Slaughter – les principaux délégués britanniques au Dixième congrès – ne se tenaient au courant ni des détails du mouvement ouvrier international, ni de la vie politique quotidienne d’aucune des sections du Comité international en dehors de la Grande-Bretagne. Aucun d’eux ne suivait systématiquement ni la presse des sections du CI, ni ne lisait leurs documents. Au cours du Dixième congrès, il est apparu que Banda laissait traîner sur son bureau depuis plus d’un an un document important écrit par des camarades canadiens sans l’avoir lu. La correspondance des sections du CI et des sympathisants d’autres pays restait le plus souvent sans aucune réponse. Healy, qui avait maintenu une correspondance considérable avec la Workers League entre 1966 et 1974, n’a pas écrit plus de deux courtes lettres à David North pendant la décennie suivante. En revanche, Healy écrivait régulièrement à divers dirigeants bourgeois nationaux du Moyen-Orient.

A partir de 1975, les dirigeants du WRP ont réduit au minimum leurs visites aux sections internationales. Avant la scission avec Wohlforth, au sein de la Workers League, Healy s’était rendu régulièrement au Canada pour maintenir le contact avec les dirigeants de l’organisation américaine. Mais, après 1974, Healy n’a plus jamais visité le continent nord-américain pour rencontrer le Comité central de la Workers League. Une fois, en 1979, il s’était rendu en Alaska en avion pour rendre visite à Vanessa Redgrave en déplacement pour le tournage d’un film, « Bear Island ». Une réunion avec la Workers League était pourtant prévue à Toronto au cours du voyage de retour de Healy à Londres. Les camarades américains versèrent donc une caution après avoir trouvé des logements appropriés. Sans aucune explication, Healy annula l’escale à la dernière minute pour rentrer directement à Londres.

Les rapports avec les autres sections n’étaient pas meilleurs et, dans certains cas, même pires. Le Bund Sozialistischer Arbeiter (BSA), la section allemande du Comité international, n’a pas reçu une seule visite de Slaughter après 1975. On empêcha ses dirigeants de mener un travail politique systématique en Allemagne. Au contraire, on se servit d’eux année après année pour organiser de longues marches à travers l’Europe, qui se terminaient inévitablement par des rassemblements à Londres, servant les intérêts politiques immédiats du WRP. La section britannique a pillé leurs réserves par dizaines de milliers de marks. En 1980, Healy s’est présenté à Munich pour une exposition de machines d’imprimerie et a obligé de jeunes camarades allemands à engager leur section à acheter une rotative pour un prix de plusieurs centaines de milliers de livres sterling. Pour faire face à leurs obligations, ils furent obligés de contracter des prêts énormes qui ont paralysé l’organisation. En fin de compte, ils furent obligés de résilier le contrat. Le WRP qui, lui, négocia la résiliation du contrat avec l’entreprise d’imprimerie en tira bien du profit. Comme la Commission internationale de contrôle devait l’apprendre ultérieurement, Healy a menti aux Allemands au sujet du montant définitif de l’accord avec la société Solna et empocha à peu près 35 000 marks (17 500 euros).

La section sri lankaise, une des plus anciennes du Comité international, après être sortie de la lutte contre la trahison historique du LSSP, reçut sa dernière visite d’un dirigeant politique du mouvement britannique en 1972. Elle reçut ultérieurement la visite d’Alex Mitchell et de Corin Redgrave dont la valeur politique pour la Revolutionary Communist League sri lankaise n’était que ce à quoi l’on pouvait bien s’attendre. La correspondance des dirigeants de la RCL restait souvent sans réponse et ils étaient tenus dans l’ignorance quant au travail du Comité international et de la plupart de ses réunions. Aux yeux du WRP, les ressources restreintes des trotskystes sri lankais ne méritaient pas qu’il perde son temps.

La section australienne a reçu deux fois des visites au cours d’une décennie – mise à part la tournée théâtrale de Vanessa Redgrave en 1982, qui s’avéra particulièrement lucrative pour le WRP, mais qui faillit ruiner la Socialist Labour League (SLL). De plus, la tournée de Redgrave a empoisonné les rapports entre la section australienne et la communauté arabe car, nombre d’entre eux la considérait comme une opportuniste qui se servait de la cause palestinienne pour collecter des fonds.

Dans d’autres pays, des sections très prometteuses furent détruites. Un groupe de militants portugais qui s’était rapproché du Comité international de la Quatrième Internationale après la Révolution d’avril 1974 était perdu sans la moindre explication. La section espagnole qui, à un moment donné, comptait plusieurs dizaines de membres actifs lors de l’effervescence politique qui suivit la mort de Franco, se trouvait réduite en 1985 à trois membres actifs au plus. Le groupe irlandais avait simplement été abandonné. Non moins criminelle fut l’attitude de Healy vis-à-vis de la construction d’un mouvement en France. Une jeune camarade dévouée fut chargée de passer tout son temps à gérer en France une petite société ; soi disant que cela poserait des bases sûres pour l’établissement d’une section. Ce travail était placé sous le contrôle personnel de Healy et il était impossible d’aborder ce sujet au sein du CIQI.

De jeunes camarades très prometteurs de différentes sections étaient convoqués et gardés à Londres où ils étaient intégrés à l’appareil de Healy et retenus dans le pays durant des années. Pire encore, leur activité revêtait la plupart du temps un caractère technique et apolitique. Lorsqu’ils étaient enfin renvoyés dans leurs sections – le plus souvent, sur dénonciation de Healy pour une faute imaginaire – ces camarades se trouvaient dans un état de désorientation politique complète et la plupart d’entre eux ne tardaient pas à quitter le mouvement révolutionnaire.

Ces pratiques organisationnelles horrifiantes étaient inséparables du sabotage politique mené par la direction Healy-Banda-Slaughter. Fonctionnant comme une clique au sein du CI – ils n’ont jamais fait part de leurs divergences au cours des réunions du Comité international – ils étaient, soit indifférents aux questions soulevées par les sections, soit ils intervenaient délibérément dans leur travail pour imposer des lignes politiques désastreusement fausses.

La ligne radicale de gauche inventée par le WRP en 1975 fut imposée aux autres sections en Europe et en Australie où il existait de grands partis sociaux-démocrates. La revendication du renversement des gouvernements travaillistes et sociaux-démocrates fut transformée en stratégie universelle, ce qui eut des effets catastrophiques pour les sections concernées. Le BSA fut presque détruit par cette politique ; la classe ouvrière allemande répondant avec hostilité à cette absurdité radicale de gauche. L’imposition de la même ligne a produit la même désorientation politique au sein de la SLL australienne.

Il faut mentionner tout particulièrement le rôle joué par Banda – le prétendu expert de la théorie de la Révolution permanente – minant le travail des camarades sri lankais. En 1972, Banda leur avait dit que leur position de soutien du droit à l’autodétermination de la nation tamoule était fausse et devait être révisée. En 1977, après que le mouvement de libération ait gagné un soutien considérable auprès des masses et ayant ainsi établi sa légitimité, la position initiale du RCL s’est avérée correcte. C’est à ce moment que Banda suggéra que la section sri lankaise change sa ligne. Cependant, lorsqu’une tendance ouvertement singhalaise et chauvine émergea au sein de la RCL pour s’opposer à cette rectification indispensable et tardive, Banda s’aligna avec la minorité de droite contre la direction de la RCL. En préparation du Dixième congrès du CIQI, la RCL avait soumis un important document de perspectives pour la discussion qui se basait sur la théorie de la Révolution permanente. Banda dénonça les camarades de la RCL pour lui avoir fait perdre son temps avec un document de 50 pages – leur demandant de façon sarcastique s’ils pensaient préparer une thèse de doctorat ; il refusa de le faire circuler parmi les délégués internationaux.

Après le Septième congrès en 1977 – la dernière réunion du CIQI qui traita de près où de loin des problèmes de perspectives internationales – il était devenu pratiquement impossible de discuter de questions politiques avec les Britanniques. A partir du Huitième congrès en 1979, chaque rassemblement important du CIQI était transformé en théâtre de provocations déloyales fomentées par Healy et avec l’aide de Banda et Slaughter. Ces provocations avaient pour but d’empêcher toute discussion des documents politiques et du travail pratique des sections, ainsi que d’étouffer toute critique éventuelle du travail du WRP qui aurait pu exister au sein du CIQI. Des incidents sans importance et sans aucune signification politique étaient exagérés pour prouver que telle ou telle section était « hostile » au WRP. En revoyant chacune de ces expériences, on peut y déceler une réelle tentative de sabotage de toute discussion politique à l’intérieur du CIQI. Healy ne s’intéressait plus aux questions politiques en dehors de la Grande-Bretagne. Il lisait les journaux des autres sections que très rarement et seulement quand il cherchait un prétexte pour lancer une attaque fractionnelle.

L’attitude de la direction du WRP à l’égard du Comité international était dominée par un chauvinisme presque incroyable qui déterminait chaque aspect de ses relations avec les sections. Exploitant l’autorité politique acquise par leur rôle dans la lutte contre le pablisme dans les années 1960, ils ont subordonné consciemment tout le travail du mouvement international aux besoins pratiques immédiats de la section britannique. Leur propre participation à la vie interne du CIQI avait un caractère privilégié et exceptionnel. Ils ne préparaient aucun rapport politique concernant leur propre travail. Ils ont caché et menti sur la vraie nature de leurs relations avec la bourgeoisie arabe. Pendant les séances du CIQI leurs délégués se déplaçaient comme bon leur semble. La seule chose dont ils discutaient longuement était leurs fantastiques succès organisationnels : ventes de 17 000 exemplaires du News Line par jour, un nombre d’adhérents approchant les 10 000 et de vastes ressources. Le secret de leurs réussites, du moins le prétendaient-ils, se résumait maintes et maintes fois en une phrase : « Nous savons comment construire » qui était opposée aux problèmes de toutes les autres sections. Il aura fallu du temps, en raison du manque d’expérience des sections, mais le CIQI a fini par comprendre ce que construisait Healy – un tas de fumier centriste !

Il faut dire que la dégénérescence politique du WRP dans les années 1970 avait créé une situation dans laquelle le CIQI ne pouvait pas se développer politiquement en tant qu’organisation homogène. Aucune des sections fondées après 1973 n’a adhéré au CIQI sur la base d’un véritable accord sur des questions de principes. Les sections du CIQI ne fonctionnaient pas sur la base d’un programme international commun. A partir de 1975, Healy travaillait consciemment au sein du CIQI pour empêcher une véritable clarification sur le plan international. Lorsque des différends surgissaient, ils étaient réglés de manière bureaucratique. En Grèce, la direction qui a soulevé des divergences politiques – erronées, il est vrai – fut exclue pour de faux motifs organisationnels. Le dirigeant qui remplaça D. Toubanis fut aussi expulsé, sans discuter au préalable les divergences politiques avec le CIQI. Savas Michael était le malheureux produit de ce processus, qu’on pourrait le mieux qualifier de survivance du plus inapte. Plus tard, comme on l’a déjà expliqué, Healy et S. Michael ont élaboré une ligne internationale vis-à-vis du régime iranien qui était en contradiction complète avec la position programmatique officielle du CIQI. La direction du mouvement espagnol, qui s’était développée pendant une période d’illégalité, fut expulsée à son tour, après que les différences politiques aient été exagérées au maximum. Dans ce cas précis, la manœuvre était liée aux sordides affaires personnelles de Healy.

Après la scission Healy et son associé Michael ont tenté de présenter l’opposition au sein du Comité international comme une rébellion illégale contre les décisions du Dixième congrès – d’une manière à peu près semblable à celle dont Pablo dénonça la Lettre ouverte de Cannon, comme une attaque contre le « Troisième congrès historique ». S. Michael de la Workers Internationalist League et E. Romero de la section espagnole ont publié un communiqué commun, justifiant leur refus d’assister à une réunion du CIQI convoquée selon les statuts. Dans ce communiqué, ils déclaraient « notre loyauté au Dixième congrès mondial du CIQI en tant qu’instance suprême du CIQI et ses politiques et résolutions ne peut être changé que par un autre congrès ». Ils en appelaient au « camarade Gerry Healy, en tant que dirigeant historique de ce mouvement, de dirigeant du Dixième congrès mondial et en tant que combattant le plus éminent pour ses perspectives, de convoquer une réunion d’urgence du Comité International. Nous ne reconnaîtrons pas d’autre réunion fractionnelle convoquée frauduleusement au nom du CIQI. »

L’histoire ne peut décerner à Healy de châtiment plus terrible qu’en le condamnant à avoir la réputation d’être le « combattant le plus éminent » pour les perspectives du Dixième congrès – qui était, sans aucun doute, le document le plus lamentable jamais produit dans l’histoire du CIQI. Par comparaison, le projet de programme du VIe congrès du Komintern apparaîtrait comme un chef-d’œuvre de littérature marxiste.

Ce document était né sous des auspices peu favorables. A l’origine, rédigé par Slaughter afin d’être discuté lors de la réunion du CIQI en février 1984, il fut critiqué et rejeté par la Workers League. Une section supplémentaire – qui était supposée traiter de la crise économique mondiale – avait été rajoutée à temps pour le Septième congrès du WRP qui l’avait voté avant la convocation du Dixième congrès du CIQI.

Ce document représentait un monument vivant à l’effigie des suppressions de discussions politiques au sein du CIQI par Healy, Banda et Slaughter. En dépit du fait que le dernier congrès du CIQI avait eu lieu en février 1981, ce document ne traitait aucun des développements majeurs de la situation politique et économique mondiale survenus au cours des quatre années précédentes. Toutes les expériences stratégiques de la lutte de classe internationale, du CIQI et de ses sections étaient passées sous silence. Entre février 1981 et janvier 1985, il y avait eu trois guerres importantes : l’invasion israélienne du Liban, la guerre des Malouines et la conflagration continuelle entre l’Iran et l’Irak. Le sous-continent indien était en ébullition : il y avait eu l’assassinat de Gandhi et la crise du Punjab, les pogromes sanglants au Sri Lanka et l’expansion de la lutte des Tamouls pour l’autodétermination, une série de coups d’Etat au Bangladesh et les manifestations massives au Pakistan.

En Afrique, il y avait eu le coup d’Etat au Nigeria, l’intervention impérialiste au Tchad et, surtout, la croissance énorme du mouvement révolutionnaire en Afrique du Sud. En Amérique latine et aux Caraïbes, il y avait eu la chute de la junte militaire en Argentine, l’apparition du pouvoir civil au Brésil, l’amplification du mouvement de guérilla Sendero Luminoso (Sentier Lumineux), l’invasion par les Etats-Unis de l’île de Grenade et les menaces continuelles de l’agression impérialiste au Nicaragua. En Europe, Pasok resta au pouvoir en Grèce et le Parti socialiste a gagné les élections en France, mais ailleurs, dans les pays du Marché commun, la tendance vers des régimes de centre droite prédominait.

En Australie et en Nouvelle-Zélande, les Travaillistes étaient élus et aux Philippines l’assassinat d’Aquino a commencé l’agonie du régime Marcos.

La crise du stalinisme en URSS et en Europe de l’Est a atteint d’immenses proportions avec la répression de Solidarnosc en Pologne et la crise prolongée de la direction au sein de la bureaucratie soviétique avec la guerre qui s’éternisait en Afghanistan. En Chine, la direction de l’ère de l’après Mao continuait sa politique économique de droite et signait un accord qui l’engageait à préserver la domination capitaliste à Hong-Kong.

En Amérique du Nord, les conservateurs sont arrivés au pouvoir au Canada et Reagan était réélu pour un deuxième mandat.

Et enfin et surtout, il y avait eu la grève des mineurs britanniques.

La plupart de ces événements étaient passés sous silence, quant aux autres, ils avaient droit à une phrase au plus. Pas un seul développement politique n’était concrètement analysé – et ce même pas dans les pays où le CIQI avait des sections. La partie du document traitant de la situation objective mondiale se limitait à neuf petites pages imprimées – consistant en généralités, platitudes, banalités et en grosses bévues théoriques.

La thèse centrale du document déclarait qu’il existait sur la planète une situation révolutionnaire universelle et indifférenciée « caractérisée avant tout par le fait que la classe ouvrière et toutes les masses opprimées se sont maintenant engagées sur la voie de la lutte contre l’Etat capitaliste, dans des conditions telles que, chaque jour, la nécessité de la conquête révolutionnaire du pouvoir d’Etat leur est posée. Du prolétariat des pays capitalistes européens aux travailleurs des Etats-Unis, des masses latino-américaines à celles de l’Asie du sud-est, s’établit le même niveau de la lutte de classe révolutionnaire. » (Resolution on International Perspectives, p. 1)

Cette « analyse » n’était établie ni sur la base d’une analyse spécifique, ni sur un examen concret de la lutte de classe dans chaque pays mais se basait plutôt sur des références abstraites faites « à l’action nécessaire des lois objectives et des contradictions historiques accumulées du système capitaliste mondial. » (Idem., p. 2)

Il n’y avait aucune analyse concrète de la crise économique s’appuyant sur un examen sérieux du commerce international, de la production industrielle, du chômage, de l’impact des développements technologiques, etc. Au lieu de cela, la résolution déclarait simplement que les contradictions économiques « ont maintenant rompu le ‘barrage’ de Bretton Woods avec une force inexorable et que rien, ni personne ne peut reconstruire ce barrage. C’est là la clé de la situation internationale et c’est là le contenu de la lutte politique dans tous les pays. » (Idem., p. 3)