David North
L’héritage que nous défendons

La Quatrième Internationale dans la Seconde guerre mondiale

Trotsky écrivait il y a longtemps qu’un des signes distinctifs des petits-bourgeois qui renient le marxisme était le mépris qu’ils affichent pour les traditions de leur mouvement. Fidèle à cette règle, Banda va jusqu’à se moquer de la mémoire des innombrables martyrs trotskystes qui ont perdu la vie au cours de la Seconde guerre mondiale alors qu’ils luttaient dans l’illégalité contre le fascisme.

Le cynisme politique avec lequel Banda aborde toutes les questions de principe s’exprime bien dans ces accusations absurdes portées contre les trotskystes européens : ils se sont « abstenus de participer à la résistance » et ils n’ont « joué qu’un rôle mineur ou encore inexistant dans la lutte pour une ligne défaitiste révolutionnaire ».

Banda a manifestement oublié que le programme du défaitisme révolutionnaire ne put être défendu par les trotskystes des pays d’Europe de l’Ouest occupés par les nazis qu’au prix d’une lutte farouche contre les mouvements officiels de la « Résistance », dirigés par les staliniens et leurs alliés bourgeois. Ces mouvements s’appuyaient sur une politique de collaboration de classe, de front populaire et de soutien à l’impérialisme américain et britannique. De plus, comme nous l’expliquerons par la suite, la Quatrième Internationale fut obligée de mener une lutte acharnée contre des éléments révisionnistes qui soutinrent la politique de front populaire dans le mouvement de résistance, justifiant ce soutien par l’argument que le seul fondement historique d’une lutte contre le nazisme était une lutte de « libération nationale » au-dessus des classes et non pas la lutte anticapitaliste pour le pouvoir ouvrier et le socialisme.

Après la guerre, ceux qui poussèrent de hauts cris devant le prétendu abstentionnisme de la Quatrième Internationale à l’égard de la résistance furent les éléments les plus à droite du mouvement international. Sous la conduite de Félix Morrow et d’Albert Goldman ces éléments étaient, avec les partisans de Shachtman, en train de capituler devant l’impérialisme démocratique et de devenir des anticommunistes.

Attaquer les trotskystes pour « le rôle mineur ou encore inexistant qu’ils ont joué dans la lutte pour une ligne défaitiste révolutionnaire » est une absurdité politique, étant donné qu’en dehors de la Quatrième Internationale il n’y eut pas, dans le mouvement ouvrier international, d’autre tendance qui se soit opposée à la guerre impérialiste ! Les trotskystes furent traqués et persécutés par un « front populaire » composé de fascistes, d’impérialistes « démocratiques » et de staliniens, précisément parce qu’ils portèrent haut le drapeau du défaitisme révolutionnaire et de l’internationalisme prolétarien.

La Seconde guerre mondiale mit à l’épreuve les cadres rassemblés et entraînés par Trotsky pendant la décennie précédente. Dans une lutte à mort dont les conséquences furent souvent tragiques pour les individus, les trotskystes prouvèrent une fois de plus qu’ils pouvaient nager contre le courant. En Europe, au Moyen-Orient, en Amérique du Sud et en Asie, les cadres de la Quatrième Internationale défendirent le programme de la révolution socialiste mondiale.

Examinons brièvement l’histoire de la lutte révolutionnaire traitée avec tant de mépris par le renégat Banda.

Les trotskystes français, Marc Bourhis et Pierre Gueguen, furent exécutés par les nazis le 22 octobre 1941, leur camarade Jules Joffre, fusillé en 1942. En octobre 1943, le secrétaire de la section française, Marcel Hic fut arrêté par la Gestapo, déporté à Buchenwald et à Dora où il fut assassiné. Des dizaines d’autres trotskystes français furent arrêtés et périrent dans les camps de la mort nazis. Malgré cette répression, le PCI trotskyste publia, à partir d’août 1940, soixante-treize numéros clandestins de son journal, La Vérité, dont la circulation était de quinze mille exemplaires.

Après l’organisation du Secrétariat européen en 1943, les camarades français assumèrent la responsabilité de publier un organe théorique, Quatrième Internationale. Les trotskystes publièrent aussi un journal en langue allemande, Arbeiter und Soldat (Travailleur et Soldat) qu’on faisait circuler parmi les soldats allemands ouvriers. Cette manifestation héroïque d’internationalisme révolutionnaire coûta la vie à plusieurs camarades allemands et français y compris un certain nombre de soldats gagnés au marxisme.

L’éditeur de Arbeiter und Soldat, Paul Widelin fut arrêté par la Gestapo à Paris au printemps 1944. Il fut rapidement conduit devant un peloton d’exécution et fusillé au Bois de Vincennes, sans avoir réussi à le tuer toutefois. Il fut aidé par un passant et conduit à l’hôpital d’où il put faire passer un message au mouvement trotskyste clandestin qui entreprit de le secourir. Mais avant de pouvoir être sauvé, il fut trahi par un membre du personnel de l’hôpital. La Gestapo s’empara de lui et s’assura cette fois-ci qu’il fût bien mort.

En Hollande, neuf membres du RSAP, un parti qui avait été associé au trotskysme, furent exécutés le 12 avril à la suite d’un procès public organisé par les nazis. Parmi ceux qui furent exécutés, il y avait Henk Sneevliet qui chanta l’internationale devant le peloton d’exécution.

En Belgique, le dirigeant du mouvement trotskyste, Léon Lesoil fut arrêté et assassiné en 1941. Fusillés également par les pelotons d’exécution nazis furent ses camarades Remery, Van Belle et Lemmens. Le jeune et brillant trotskyste A. Léon, auteur de l’excellent essai La question juive, fut arrêté en 1944 et déporté à Auschwitz où il fut assassiné. Malgré cette brutale répression, les camarades belges publièrent un journal en langue française, La Voix de Lénine qui circulait à 10 000 exemplaires et un journal en langue flamande, La Lutte des classes avec une circulation de 7000 exemplaires.

En Grèce, Pantelis Pouliopoulis, le dirigeant des trotskystes « archéomarxistes » fut exécuté avec dix-sept de ses camarades en juin 1943. Avant d’être fusillé, Pouliopoulis parla dans leur langue aux soldats du peloton d’exécution et provoqua une mutinerie. Quand les soldats déclarèrent qu’ils n’exécuteraient pas leur sanglante mission, les officiers nazis durent intervenir et s’en charger eux-mêmes.

Le trotskyste italien Blasco fut assassiné par les staliniens. Un document contemporain rédigé par un témoin oculaire et publié dans Militant du 30 septembre 1944, décrit ainsi le travail des trotskystes en Italie :

« Les trotskystes italiens sont en majorité des travailleurs, vétérans des prisons de Mussolini qui ont fait leurs preuves dans la dure lutte clandestine contre le fascisme. J’ai discuté avec un travailleur trotskyste de Rome, un combattant révolutionnaire endurci. C’est lui qui m’a appris qu’il y avait des groupes trotskystes importants à Rome et à Milan.

Ce travailleur a rencontré des trotskystes pour la première fois dans les prisons de Mussolini où il avait été enfermé pendant huit ans. Les prisons étaient de véritables universités d’éducation révolutionnaire. Ils avaient constitué un groupe trotskyste dans la prison. Mon informateur avait appris des révolutionnaires milanais qu’il y avait des centaines de trotskystes dans la région industrielle de Milan. »

En 1944, alors que la France était toujours occupée par les nazis, les sections européennes de la Quatrième Internationale, réussissant à échapper aux griffes de la Gestapo, organisèrent une conférence d’une durée de six jours. Celle-ci publia un communiqué qui résumait ainsi correctement sa signification historique :

« Le fait que, dans une Europe ensanglantée par plus de quatre ans de guerre totale, écrasée sous le joug du plus hideux des impérialismes, dont les prisons et les camps de concentration regorgent des victimes de la plus sauvage et de la plus systématique des répressions, notre organisation ait pu tenir son assemblée européenne, élaborer et définir sa ligne politique de lutte, cela à lui seul constitue la manifestation la plus éloquente de sa vitalité, de son esprit internationaliste et de l’ardeur révolutionnaire qui l’anime. » [61]

Au cours de cette conférence extraordinaire, les trotskystes examinèrent la question de leur attitude envers les mouvements de résistance populaire. Tout en s’opposant résolument à faire une quelconque concession au chauvinisme réactionnaire propagé par les staliniens et l’impérialisme anglo-américain, les délégués reconnurent la nécessité de pénétrer dans les masses qui se trouvaient entraînées dans la lutte contre les nazis. Il était vital avant tout de lutter pour la perspective de la révolution socialiste contre tous les efforts, encouragés par les staliniens, pour remplacer les nazis par des États bourgeois reconstruits dans les pays occupés. Dans un document intitulé : La liquidation de la Deuxième guerre impérialiste et la montée révolutionnaire, la conférence déclarait :

« Bien que le prolétariat doive refuser l’alliance avec sa propre bourgeoisie, il ne peut se désintéresser de la lutte des masses contre l’oppression de l’impérialisme allemand. Le prolétariat soutient cette lutte pour faciliter et accélérer sa transformation en lutte générale contre le capitalisme. Cette attitude implique une lutte des plus énergiques contre les tentatives des agents de la bourgeoisie nationale de prendre le contrôle des masses et de s’en servir pour reconstruire l’État et l’armée capitaliste. Tout doit être mis en œuvre au contraire pour développer les embryons du pouvoir ouvrier (milices, comités, etc.) tandis qu’une lutte très énergique doit être menée contre toutes les formes de nationalisme. » [62]

Le document insistait particulièrement sur l’importance de pénétrer dans les mouvements populaires de résistance. Il déclarait que la Quatrième Internationale devait « prendre en considération cette volonté de lutte des masses et de tenter, malgré les nombreux dangers contenus dans les formes nationalistes de cette lutte, de l’orienter vers des objectifs de classe ». [63]

Un appel fut lancé à cette fin aux cadres trotskystes pour qu’ils fassent « pénétrer leur politique dans les rangs des partisans en vue de regrouper, sur une base politique et organisationnelle de classe, les forces révolutionnaires qui s’y trouvent à l’état latent ». [64]

Les trotskystes qui travaillaient dans les grands mouvements de résistance n’avaient pas seulement affaire au danger d’une arrestation par la Gestapo, il leur fallait aussi éviter d’être détectés par les staliniens qui n’éprouvaient aucun scrupule à collaborer avec les nazis contre la Quatrième Internationale, tout comme le PC américain collaborait avec le FBI contre le SWP.

Banda préfère « oublier » la lutte menée par les trotskystes sur le continent européen. Quant au travail de la Quatrième Internationale en Grande-Bretagne, il semble n’en avoir rien retenu, si ce n’est une erreur politique de Gerry Healy concernant l’Independant Labour Party. Que cette affirmation selon laquelle Healy avait pour un temps envisagé de rejoindre cette organisation centriste soit vraie ou fausse, ne change rien à ce que fut la conduite de la Quatrième Internationale pendant la Seconde guerre mondiale.

Ce que Banda oublie de préciser, c’est qu’après la fusion longtemps remise de la WIL (Workers International League) et de la RSL (Revolutionary Socialist League) – un processus au cours duquel Healy, ayant corrigé ses erreurs passées, joua un rôle de premier plan – le RCP qui venait ainsi de se constituer fut presque immédiatement attaqué par le gouvernement de coalition dirigé par Winston Churchill au pouvoir pendant la guerre.

À la conférence de fondation qui eut lieu en mars 1944, les soixante-neuf délégués adoptèrent une résolution sur la « Politique militaire prolétarienne » qui déclarait :

« La Seconde guerre mondiale, dans laquelle le capitalisme a plongé l’humanité pour la deuxième fois en l’espace d’une génération et qui se déchaîne depuis maintenant plus de quatre ans, est le résultat inévitable de la crise des méthodes de production capitalistes prédite depuis longtemps par les marxistes. Elle est un exemple de l’impasse dans laquelle le capitalisme ne peut faire sortir l’humanité…C’est le devoir des socialistes révolutionnaires d’expliquer patiemment la politique impérialiste de la classe dirigeante et de démasquer les mots d’ordre mensongers et trompeurs de ‘Guerre contre le fascisme’ et de ‘Guerre pour la démocratie’ ». [65]

Churchill réagit à la radicalisation grandissante de la classe ouvrière en Grande-Bretagne et au rôle actif joué par le RCP dans une série de grèves par l’arrestation de quatre dirigeants du parti trotskyste au début du mois d’avril 1944 : Jock Haston, le secrétaire général du RCP, Roy Tearse, Heaton Lee et Ann Keen. On les accusa « d’avoir promu, aidé et encouragé » des grèves dans la région de Tyneside, grèves qui avaient été déclarées illégales en vertu du Trade Dispute and Trade Unions Act de 1927. Les dirigeants du RCP furent les premiers représentants de la classe ouvrière britannique à être jugés et condamnés en vertu de cette loi infâme, votée à la suite de la défaite de la grève générale de 1926.

Lewe et Tearse furent condamnés à douze mois de prison, Haston à six mois. Les sentences auraient été nettement plus sévères n’eût été la vague de protestation de la part du mouvement ouvrier.

Partout où elle avait des cadres, la Quatrième Internationale lutta pour son programme révolutionnaire. En Égypte, le gouvernement fantoche du roi Farouk interdit le journal trotskyste Al Majda-Al Jadida. En Palestine, les trotskystes publièrent des journaux en hébreu, en arabe et en anglais qui s’opposaient avec véhémence à la formation de l’État hébreu tout en luttant pour l’unité des travailleurs arabes et juifs dans la lutte contre l’impérialisme britannique.

En Uruguay, le gouvernement invoqua les poursuites contre les trotskystes britanniques pour réclamer des mesures contre les militants de la Quatrième Internationale de Montevideo. Le ministre de l’Intérieur prononça à la chambre des députés un discours hystérique au cours duquel il agita le journal publié par la Ligue ouvrière révolutionnaire, Contra la corriente, criant : « Ces gens se trouvent à présent chez nous. Ils disent qu’en fait la guerre est une guerre impérialiste, que la classe ouvrière ne doit pas croire aux élections ; ils traînent le parlementarisme dans la boue ; ils ne prennent pas fait et cause pour la victoire de la justice, mais veulent précipiter la société dans la tragédie sociale de l’action révolutionnaire directe ». [66]

En réponse aux allégations que les trotskystes s’opposaient à la guerre, la Ligue ouvrière révolutionnaire plaida coupable et déclara dans une lettre ouverte :

« Nous caractérisons cette guerre d’impérialiste, comme le dit le ministre de l’Intérieur, parce que tous les pays qui y sont engagés mise à part l’Union Soviétique, défendent des intérêts impérialistes. Cette guerre ne sera réellement et véritablement une guerre pour la démocratie que lorsque ce seront les peuples qui prendront eux-mêmes en main la conduite de la guerre. Cette politique favorise-t-elle la victoire d’Hitler ? Nous mettons quiconque au défi de montrer qu’un seul de nos actes a favorisé le développement du nazisme. Personne ne désire autant que nous la défaite d’Hitler et depuis 1930 le trotskysme a été la seule force ayant mis en garde contre le danger du nazisme, tandis que les capitalistes britanniques et américains soutenaient son développement économique. » [67]

Cette lettre ouverte fut abondamment distribuée et discutée dans tout le mouvement ouvrier uruguayen.

Aucune histoire de l’activité de la Quatrième Internationale durant la Seconde guerre mondiale ne devrait être prise au sérieux si elle omet de mentionner l’action exemplaire et héroïque des trotskystes du Ceylan et de l’Inde dont la lutte inlassable contre l’impérialisme britannique constitue une démonstration classique du défaitisme révolutionnaire en pratique.

Le Lanka Sama Samaja Party (LSSP) fut fondé par un groupe de cinquante travailleurs et étudiants en décembre 1935, alors que le Ceylan était encore une colonie britannique. En un temps très bref, le LSSP gagna le soutien de près de sept millions de travailleurs et de paysans. Il organisa le syndicat des cheminots, des travailleurs journaliers et des travailleurs des plantations. Le LSSP était également actif parmi les sections les plus pauvres de la paysannerie.

Alliant travail électoral et travail parmi les masses, le LSSP gagna pour N.M. Pereira et D.P.R. Goonewardene, dès sa première campagne électorale, un siège au Conseil d’État du Ceylan. Le LSSP s’est affilié à la Quatrième Internationale en 1942.

Quand, en septembre 1939, la guerre éclata entre impérialistes allemands, anglais et français, Pereira et Goonewardene furent arrêtés en violation de leur immunité parlementaire. Deux autres dirigeants du LSSP, Colvin da Silva et Edmond Sammarakkody furent également arrêtés. Les presses et les publications du parti furent saisies. Des unités armées du Rifle Corps de l’Association des planteurs du Ceylan commencèrent une campagne de terreur contre le parti. Cette persécution criminelle du LSSP par l’impérialisme britannique fut suivie de la décision par le gouverneur général britannique, Sir Andrew Caldecott, le 13 mars 1942, de mettre le parti dans l’illégalité.

En mars 1941, alors que la répression battait son plein, le LSSP, la Ligue socialiste révolutionnaire du Bengale et le Parti bolchevique-léniniste des provinces unies et du Béhar tinrent une conférence qui présenta et soumit à la discussion un programme trotskyste pour l’Inde. En novembre 1941, un comité provisoire agissant en tant que direction pour tout le mouvement fut élu. Après une discussion et une analyse détaillée du projet, le programme fut adopté en mai 1942 et un parti pour toute l’Inde fut officiellement fondé.

En avril 1942, au milieu des préparatifs pour la fondation du parti qui coïncidèrent avec un grand essor de la lutte des masses contre l’impérialisme britannique, Pereira et Goonewardene réussirent, avec l’aide d’un geôlier qu’ils avaient gagné au trotskysme, une audacieuse évasion du camp de concentration où ils étaient internés. Ce geôlier avait introduit dans le camp des vêtements élégants pour les prisonniers et leur avait procuré un double des clés. Au moment propice, Pereira et Goonewardene, accompagnés de Sammarakkody et de Da Silva s’habillèrent à la façon de dignitaires en visite et quittèrent ainsi la prison de manière aussi digne qu’officielle. Pour mettre un comble à l’humiliation de l’impérialisme britannique, les fugitifs, dès qu’ils furent sortis, jetèrent les clés par-dessus le mur de la prison.

Les autorités britanniques, consternées par l’évasion d’adversaires tant redoutés, mirent leur tête à prix et les firent rechercher dans tout le pays. Ils furent finalement arrêtés le 15 juillet 1943, à cause de la trahison d’un agent stalinien du nom de Kulkarni qui s’était introduit dans le mouvement trotskyste à Bombay. Comme aux États-Unis, en Amérique latine et en Europe, les staliniens de l’Inde collaborèrent directement avec les autorités impérialistes dans la persécution et la répression du mouvement trotskyste.

Les dirigeants du mouvement trotskyste du Ceylan furent incarcérés pendant cinq mois dans des prisons indiennes avant de retourner au Ceylan où, le 8 février 1944 on leur fit un procès. Pereira et Goonewardene firent cette déclaration défendant les principes et le programme du trotskysme devant un tribunal impérialiste à Kandy :

« Pourquoi est-ce qu’on nous gardait en prison ? Je refuse le droit à Sir Andrew Caldecott, agent de la Banque d’Angleterre et instrument de la classe capitaliste britannique d’émettre un mandat pour mon arrestation et ma détention. Quel droit la classe dirigeante britannique a-t-elle de régner sur cette île, si ce n’est que par la force ? L’Angleterre n’a pas plus de droit de régner sur ce peuple que les nazis n’en ont de régner sur les peuples danois et norvégiens ou que les impérialistes japonais de régner sur Formose et Java. PAS PLUS. La classe dirigeante britannique est arrivée sur cette île comme une bande de pirates et elle y est restée pour la piller. L’Empire britannique fut ainsi construit : par le parjure de jour et la contrefaçon de nuit.

« Depuis mon retour dans cette île en 1932 mes collègues ont travaillé sans relâche pour propager dans l’intelligentsia petite-bourgeoise et les sections avancées de la classe ouvrière les idées du socialisme scientifique. Le mouvement ouvrier spontané qui s’avéra extrêmement vigoureux et militant dans les années 1920 avait, dès le début des années 1930 épuisé ses forces dans les eaux mortes de la politique syndicale. Après trois ans de travail de propagation du marxisme, nous avions développé un noyau pénétré des idées du socialisme scientifique suffisamment important, pour être en mesure de fonder, en décembre 1935, le Lanka Sama Samaja Party. Le peuple de ce pays connaît l’histoire de notre parti. Qu’il nous suffise de dire que depuis sa fondation il s’est placé au premier rang de chaque lutte contre l’impérialisme et contre la classe capitaliste de ce pays.

« La direction du LSSP a refusé dès le début de se placer sous la direction de l’Internationale communiste stalinienne et elle est toujours restée loyale aux principes que Lénine et Trotsky ont défendus en leur temps. En mars 1940, sous l’influence des enseignements de Trotsky, le parti expulsait les staliniens qui tentaient d’introduire leur contrebande dans le parti. En 1942, le LSSP devenait une section de la Quatrième Internationale fondée par Trotsky et les camarades de l’Opposition de gauche internationale.

« Quand la Deuxième guerre impérialiste mondiale éclata en septembre 1939, le parti la caractérisa comme étant une guerre impérialiste et adopta la position politique du défaitisme révolutionnaire. Mes collègues et moi-même avons continué d’intensifier la lutte de classe et le combat contre l’impérialisme britannique. La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, c’est-à-dire par des moyens violents. Le caractère de la guerre est déterminé par les classes qui la dirigent. La guerre était et demeure une guerre impérialiste pour les marchés, les sources de matières premières et pour les colonies. Les puissances « démocratiques » et les puissances de l’Axe luttent pour savoir quel groupe dominera le monde. Démocratie et fascisme ne sont que deux faces d’une même médaille. Le capitalisme pourrissant et décadent se développe vers le fascisme quand la classe ouvrière se montre incapable de le renverser et d’établir sa propre forme de gouvernement – la dictature du prolétariat.

« Avec l’entrée en guerre de l’Union Soviétique, le parti refusa de changer sa façon de caractériser la guerre. Il la définit aussitôt comme une guerre impérialiste pour tous les pays impliqués à l’exception de l’Union Soviétique et de la Chine. L’Union soviétique est un État ouvrier, bien que déformé. L’Union Soviétique mène donc une guerre progressiste pour défendre les conquêtes de la révolution d’octobre. Le Parti soutient l’Union Soviétique dans cette guerre et fait tout ce qui est en son pouvoir pour permettre à la classe ouvrière de lui donner toute l’aide autonome possible. Il prend position pour la victoire militaire contre les forces contre-révolutionnaires de l’Europe hitlérienne.

« Nous soutenons la guerre des travailleurs et des paysans chinois pour la libération nationale contre le joug de l’impérialisme japonais. Mais le parti agit dans cette guerre en vue d’une défaite de l’impérialisme britannique infligée par les forces des masses coloniales et de la classe ouvrière britannique.

« Cette guerre a mis en mouvement des forces sociales et politiques que les classes dirigeantes des puissances impérialistes belligérantes n’avaient jamais envisagées. Déjà le fascisme chancelle en Europe grâce aux coups de boutoir de l’Armée rouge. Mais le fascisme prend forme en Amérique et en Grande-Bretagne.

« Le sort de l’empire du Mikado est scellé. La maison de papier du Mikado s’envolera en fumée. Mais il faut s’attendre à ce que ce soit la classe ouvrière du Japon qui règle leurs comptes aux propriétaires terriens et aux capitalistes de l’Empire du soleil levant et non pas les armées de l’Amérique et de l’Empire britannique. Avant la fin de la guerre, la guerre civile explosera dans toute l’Europe et en Asie. L’Union Soviétique jouera dans les prochaines années un rôle dominant dans l’établissement de la nouvelle carte du monde.

« Les révolutions sont à l’ordre du jour. Il n’y a aucune raison de croire que la classe ouvrière européenne n’a pas profité des expériences faites depuis la révolution d’octobre 1917. La chute du fascisme entraînera des révolutions de la classe ouvrière en Europe. La chute de l’impérialisme japonais entraînera la montée de la révolution coloniale. Lénine a caractérisé cette époque comme celle des guerres et des révolutions.

« Je me suis évadé de prison en avril 1942 dans le but d’aider le petit groupe de la Quatrième Internationale en Inde à construire un parti de la classe ouvrière qui puisse tirer profit des crises de la société indienne, crises qui éclatent et se succèdent avec rapidité. Mes collègues et moi avons organisé notre évasion de façon à nous trouver en Inde au moment où éclatait une des crises les plus importantes de son histoire. Nous sommes fiers d’avoir pu jouer un rôle, si infime était-il, dans le mouvement qui eut lieu en Inde à partir du mois d’août 1942.

« Nous avons été arrêtés le 15 juillet 1943. Après avoir passé cinq longs mois dans les prisons de l’impérialisme britannique en Inde, nous sommes de retour dans les geôles de l’impérialisme britannique au Ceylan. Le temps joue en notre faveur. L’IMPÉRIALISME EST CONDAMNÉ, L’AVENIR APPARTIENT À LA CLASSE OUVRIÈRE. La classe ouvrière du Ceylan, sous la direction du Sama Samaja Party, jouera pleinement son rôle dans les années qui viennent. » [68]

Il y a de bonnes raisons de croire que cette déclaration de Goonewardene et Pereira joua un rôle important dans l’éducation politique de deux jeunes frères de Kandy – Michael et Anthony Van Der Poorten – et qu’elle fut une inspiration, les aidant à rompre avec leur éducation bourgeoise et à prendre la décision de se vouer en tant que trotskystes à la révolution socialiste. Et cependant, ce chapitre glorieux du développement de la Quatrième Internationale pendant la deuxième guerre mondiale, n’est même pas mentionné par Banda, le nom utilisé par Michael Van Der Poorten pendant les quarante années qu’il a passées dans le mouvement trotskyste. En tentant de détruire la Quatrième Internationale, il est obligé de détruire ce qu’il y avait de meilleur en lui.

La capitulation ultérieure du LSSP, après 1953, ne peut en rien effacer les immenses réalisations des premières années de son existence, pas plus que la dégénérescence de Banda ne peut effacer l’importance de ses contributions passées. Comparée à ses prometteuses premières années, l’ampleur historique de sa trahison n’en apparaît que plus dans toute son énormité.


[61]

National Education Department Socialist Workers Party, Towards a History of the Fourth International, juin 1973, 2e partie, p.31.

[62]

Ibid., p.31.

[63]

Ibid., p.32.

[64]

Ibid., p.32.

[65]

Militant, 6 mai 1944.

[66]

Militant, 8 juillet 1944.

[67]

Militant, 9 septembre 1944.

[68]

Militant, 14 octobre 1944.