wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

L'échec des pourparlers à l'OMC : la signification pour le capitalisme mondial

Par Nick Beams
Le 8 décembre 1999

On dira de l'échec de la rencontre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à Seattle qu'il a représenté un point tournant dans les affaires du capitalisme mondial et qu'il a eu de profondes répercussions. Alors que les représentants des grandes puissances capitalistes tentent de faire passer cet échec pour un simple incident ou « contretemps », pour mieux le faire paraître, personne ne nie la signification de ce qui vient de se produire.

Cette rencontre n'était pas qu'une collection de négociations sur des questions économiques et commerciales bien définies, mais bien une tentative de mettre en place le cadre dans lequel se développerait l'économie capitaliste mondiale au prochain siècle. Or, il doit découler de causes profondes que cette tentative se soit effondrée de façon aussi spectaculaire et que les différences se soient révélées tranchées à un point tel qu'elles n'ont pu être reconciliées dans un document final. Ces derniers temps, les négociations entre les grandes puissances capitalistes sont venus de plus en plus près d'atteindre le point de rupture. Mais à la dernière minute, une formule avait toujours été trouvée pour présenter au moins une façade d'accord. Pas cette fois.

Immédiatement après la débâcle, les principaux participants se sont mis à se blâmer les uns les autres.

Sans grande surprise, Charlene Barshefsky, la représentante américaine du commerce extérieur dont l'arrogance à la présidence du sommet a soulevé la colère de la majorité des délégués, a tenté de faire porter la responsabilité de l'échec sur les autres gouvernements, incapables selon elle de suivre l'ordre du jour décidé par les États-Unis. « La complexité et la nouveauté des questions, a-t-elle déclaré, est venue à bout de la capacité collective des délégations de prendre des décisions. Les gouvernements n'étaient tout simplement pas prêts à faire le saut. »

Le chef de la délégation de l'Union européenne, Pascal Lamy, dont l'opposition aux compressions dans les subsides aux agriculteurs a constitué un obstacle majeur, a défendu l'innocence de l'UE qui a la « conscience claire » selon lui. « Nous sommes venus à Seattle avec l'esprit ouvert et avec un ordre du jour des plus flexibles ». La responsabilité de l'échec incombe à la structure même de l'OMC, a-t-il insisté, et seul un génie aurait pu obtenir des résultats avec de telles procédures « médiévales ».

Il n'empêche que de telles explications ne peuvent vivre bien longtemps car, comme le faisait remarquer le Financial Times dans son éditorial du 6 décembre, l'OMC n'est pas une quelconque « créature de l'espace » mais bien la création des États-Unis et de l'UE.

Majoritaires au sein de l'OMC, les pays les plus pauvres ont eu une réaction quasi unanime. Pour eux, l'échec des discussions découle de la tentative des grandes puissances capitalistes, et en tout premier lieu des États-Unis, d'imposer leur ordre du jour au reste du monde. Selon les dires mêmes du représentant thaïlandais, le premier ministre Supachi Panitchpakdi qui occupera le poste de directeur général de l'OMC en 2002, l'échec des discussions amènera les nations les plus riches à se réveiller et à réaliser que les pays en développement ne se laisseront pas écraser.

Ces sentiments se sont manifestés dans l'énoncé officiel des pays des Caraïbes et de l'Amérique Latine qui stipulait « que tant et aussi longtemps que les conditions de transparence, d'ouverture et de participation nécessaires pour garantir des résultats équitables par rapport aux intérêts de tous les membres seront absentes, nous ne nous joindrons pas au consensus requis pour atteindre les objectifs de la conférence ministérielle. » Le langage était certes diplomatique, mais le sens ne faisait aucun doute.

Le Financial Times a publié un rapport qui démontre bien l'atmosphère qui régnait au sein de la salle de conférence au cours des dernières heures. Les discussions qui étaient « supposées ouvrir une ère nouvelle pour le commerce mondial » se sont transformées en « cauchemar » en « dégénérant en querelles qui ont duré des nuits entières entre les divers ministres, pour finalement se solder par le plus abject des échecs. »

« Par moment, le désordre qui régnait dans la salle de conférence était tout aussi fiévreux que celui des rues avoisinantes. Pendant que les procédures devenaient de plus en plus chaotiques, les délégués des pays en développement se sont mis à frapper sur leurs bureaux, à huer et à siffler Charlene Barshefsky pour ses prises de décisions brutales... Certains ont même menacé de quitter la conférence avant la fin. »

Bien que le Financial Times attribue l'échec des discussions à la « sottise et à la couardise » dont ont fait preuve les grands politiciens capitalistes, l'amertume et l'acrimonie extraordinaires qui les ont caractérisées étaient l'expression, en dernière analyse, des profondes et insolubles contradictions qui règnent au sein de l'économie capitaliste mondiale même.

L'examen des origines historiques de l'OMC révèlera ces contradictions. L'organisation fut créée en 1995 à l'instigation des grandes puissances capitalistes. Jusqu'à cette date, le commerce mondial avait été réglementé sous les auspices du GATT, l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce qui avait lui-même vu le jour en 1948, et ne comptait à l'origine que 23 pays membres. L'objectif du GATT était d'éliminer les tarifs sur les principaux biens industriels pour ainsi empêcher les destructrices guerres commerciales qui avaient caractérisé la grande crise des années 1930.

Dès les années 80, le cadre du GATT s'est avéré beaucoup trop étroit pour l'économie mondiale, qui s'était depuis développée. À l'époque de la naissance du GATT, les relations économiques internationales ne consistaient principalement qu'en simples rapports commerciaux entre économies nationales. Mais cette période est depuis lors belle et bien terminée. Le développement de la production mondiale, l'importance croissante des banques et des autres institutions financières, de même que des services et des industries dites de l'information, annonçaient la nécessité de développer un nouveau mécanisme pour réglementer les affaires dans une économie capitaliste de plus en plus mondiale.

C'est pourquoi l'OMC a été créée, non seulement pour réglementer le commerce des biens manufacturés et des denrées agricoles, mais aussi divers services tels que les banques, les télécommunications et les assurances, en plus de définir les règles de protection des « droits de propriété intellectuelle » dans les domaines des logiciels, de la biotechnologie et de l'industrie de la vidéo et du cinéma, réglementant dans bien des cas des industries qui n'existaient même pas lors de la création du GATT.

Bref, la création de l'OMC a été une tentative des grandes puissances capitalistes de créer une organisation mondiale en phase avec la mondialisation de la production engendrée par les développements révolutionnaires dans les transports et les communications ainsi que par les grands progrès des forces productives qui ont résulté de l'application de découvertes scientifiques aux technologies de production.

Même si elle a été conçue en réponse à la mondialisation, l'OMC n'en est pas moins enracinée dans le système des États-nations qui est la base même de l'organisation politique capitaliste. Par conséquent, plutôt que de fonctionner comme un mécanisme conçu pour favoriser un développement harmonieux des forces productives, l'OMC a été, dès le départ, l'arène dans laquelle les puissances capitalistes ont mené des luttes de plus en plus acerbes pour s'accaparer des marchés et des profits.

Autrement dit, au cours des dernières semaines de 1999, l'OMC est venu s'échouer sur la principale contradiction qui a tourmenté le capitalisme mondial tout au long du XXe siècle : la contradiction entre le développement mondial des forces productives ­ qui en lui même constitue un progrès ­ et le système dépassé des rapports sociaux capitalistes qui sont basés sur la propriété privée et l'État-nation. Ce conflit insoluble s'est reflété dans les failles qui ont marqué la rencontre ministérielle et empêché tout accord.

Il y a d'abord un premier conflit entre les grandes puissances capitalistes que sont les États-Unis, l'Europe et le Japon. Ces dernières n'ont pu s'entendre ni sur les demandes américaines visant à ce que les produits agricoles soient considérés de la même façon que toute autre marchandise, ni sur la portée des discussions mêmes.

La deuxième grande division se situe entre les pays capitalistes avancés d'un côté et les pays en développement de l'autre. Ces derniers ont perçus que les diverses propositions mises de l'avant par les États-Unis et les autres grandes puissances visaient à améliorer leur position déjà avantagée aux dépends de la majorité des nations les plus pauvres.

Enfin, la troisième ligne de démarcation est constituée par la polarisation sociale qui découle de la subordination de la mondialisation aux diktats du système de profit capitaliste. Les protestations dans les rues de Seattle sont le résultat des expériences de milliards de personnes dans le monde entier qui ont vu leur niveau de vie décliner alors que s'accroissait la domination du marché capitaliste sur tous les aspects de la vie économique et sociale. Nulle part cette expérience ne s'est exprimée de façon aussi criante qu'aux États-Unis où, malgré la plus longue période de croissance de l'histoire et l'ascension sans précédent des valeurs en bourse ­ l'indice Dow Jones a fracassé un nouveau record le jour même où la conférence s'est soldée par un échec ­ le marché a engendré un désastre social pour des millions de personnes.

L'autopsie de l'échec de la rencontre de l'OMC ne serait pas complète sans un examen du rôle spécial tenu par les Etats-Unis, en tant que la plus grande puissance capitaliste. Tout au long de son histoire, le capitalisme mondial a été miné par la contradiction entre la tendance inhérente des forces productives à se développer sur une échelle mondiale et le système des États-nations rivaux.

Mais lors de certaines périodes historiques, cette contradiction a pu être régulée et contenue par l'hégémonie d'une grande puissance sur l'organisation de l'économie. C'est ainsi que la période d'expansion capitaliste de 1870 à 1913 a reposé en bonne partie sur la puissance du capitalisme britannique qui en vertu de sa domination du marché mondial, a fournit les fondements du système de libre-échange d'alors. Mais la montée de ses rivaux, notamment de l'Allemagne capitaliste qui connaissait alors un développement fulgurant, entraîna l'éruption de la Première Guerre mondiale.

Dans la période de l'entre-deux-guerres, le système de libre-échange s'est ensuite effondré, cédant la voie à des rivalités croissantes, à la grande crise économique et enfin à une deuxième grande guerre impérialiste. Ce n'est qu'après 30 ans de conflits sanglants que l'ordre capitaliste d'après-guerre put être reconstruit, encore une fois grâce aux efforts d'une nouvelle puissance capitaliste hégémonique, les États-Unis, qui entreprirent la tâche de réorganiser l'économie mondiale.

Pendant la guerre froide, la politique américaine était marquée du sceau du multilatéralisme. Bien qu'ils s'assuraient toujours que leurs intérêts soient protégés, les États-Unis ont organisé les affaires économiques mondiales de façon telle que les autres grandes puissances capitalistes, et dans une certaine mesure, les pays plus pauvres, puissent connaître une expansion économique.

Le rôle des États-Unis s'est maintenant transformé. Au lieu du multilatéralisme qui apporta avec lui une expansion du marché mondial, les politiques économiques internationales des États-Unis sont maintenant caractérisées par ce qu'on ne peut décrire autrement qu'un unilatéralisme de plus en plus belliqueux. Incapables de faire accepter leur ordre du jour, les États-Unis ont décidé de refuser toute concession et de mettre tout simplement fin aux discussions. Selon les dires mêmes d'un haut fonctionnaire rapporté par le New York Times : « Une seule chose aurait pu être pire que de ne pas parvenir à un accord, et cela aurait justement été le type d'accord que nous semblions pouvoir obtenir ».

Que présage l'échec de l'OMC pour l'avenir du capitalisme mondial ? Le directeur général de l'OMC, Mike Moore, a rappelé que le GATT avait souffert de bien des revers sans mourir pour autant, alors que d'autres ont exprimé l'espoir que l'échec des discussions agira comme une sonnerie de réveil qui sera bientôt suivie d'un intérêt renouvelé pour en arriver à un accord.

La crainte augmente de voir la fin de la période du multilatéralisme céder la place à un avenir qui ressemblerait de plus en plus au passé turbulent où les blocs commerciaux et les arrangements bilatéraux dominaient les relations commerciales internationales. C'est ce qui trouve expression dans l'éditorial du 6 décembre du Financial Review d'Australie intitulé, «L'impensable s'est réalisé » :

« La première moitié de ce siècle a été marquée par deux guerres mondiales qui doivent en partie leur origine à la vision selon laquelle les pays peuvent prospérer en interférant dans la libre circulation des biens vers les autres pays. La seconde moitié vit une période de croissance sans précédent alors que les pays reconnaissaient les bénéfices mutuels de commercer entre eux et la façon dont le commerce pouvait même permettre aux moins biens nantis d'accéder à un nouveau stade de développement.

« Il n'y a pas de meilleur contexte que les deux périodes du siècle qui s'éteint pour mesurer l'échec du nouveau cycle de négociations commerciales internationales survenu ce week-end à la veille d'un nouveau millénaire.

« Il n'y a pas deux semaines, l'ancien directeur général de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, M. Peter Sutherland écrivait «Qu'un échec [des discussions de l'Organisation mondiale du commerce à Seattle] soit perçu publiquement ne peut être envisagé. Un tel résultat ne servirait les intérêts d'aucun pays représenté à l'OMC et pourrait même pousser l'organisation près du point de rupture.»

« En dépit de la rhétorique dramatique sur une reprise des discussions à l'OMC au début de l'année prochaine et une reprise des négociations mises en branle par le cycle de l'Uruguay, l'impensable s'est produit. Et le fait que cela soit arrivé à Seattle, ville tournée sur le Pacifique, bassin même de Boeing et de Microsoft, symbole de la nouvelle économie américaine en pleine expansion, rend cet échec encore plus préoccupant. Cela soulève en effet des interrogations quant à la forme que prendra l'économie mondiale au siècle prochain. »

Les forces économiques vont continuer de pousser vers la mondialisation mais « si les bénéfices découlant de ce processus sont coincées dans un monde de restrictions commerciales et de déséquilibres financiers, le prochain siècle pourrait voir apparaître une nouvelle version de la pensée économique des années 30 : ruiner son voisin »

La subordination de l'économie mondiale au système de profit capitaliste a déjà entraîné un déclin du niveau de vie, le prolongement du temps de travail et une plus grande insécurité économique chez la plupart des peuples du monde ­ tant pour les pays capitalistes avancés que pour les nations les plus pauvres. Elle menace maintenant d'entraîner une crise économique et la guerre. Comme le WSWS l'a maintes fois souligné, la tâche la plus urgente actuellement est la constitution d'un mouvement anticapitaliste, basé sur l'unité internationale de la classe ouvrière, afin de construire un nouvel ordre social et économique dans lequel les bénéfices de la mondialisation et de la technologie seront utilisés pour satisfaire les besoins humains et non les diktats du système de profit.

Voir aussi:

Des milliers de personnes manifestent lors de la réunion de l'Organisation Mondiale du Commerce de Seattle
Principes politiques premiers pour un mouvement contre le capitalisme global
6 décembre 1999


 

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés