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La mondialisation : le point de vue socialiste

Deuxième partie
Par Nick Beams
6 juin 2000

Première partie

Nick Beams, membre du bureau de rédaction international du World Socialist Web Site et secrétaire général du Parti de l'Égalité Socialiste en Australie, vient de donner une série de conférences dans six universités australiennes. La conférence de Beams, intitulée La mondialisation : le point de vue socialiste a trouvé son public auprès des étudiants, des universitaires, des travailleurs, et des professionnels à Sydney, Melbourne, Newcastle, et Canberra. Le wsws.org publie la conférence en trois parties.

L'éruption de la soi-disant crise asiatique des années 1997-98 fut un coup dur pour les défenseurs du « libre marché ». Après tout, la croissance dans cette région du monde avait excité la Banque mondiale qui parlait du « miracle économique de l'Asie », une démonstration éclatante des capacités du capitalisme à mettre un terme à la pauvreté.

Toutefois, les plus importants représentants du capitalisme mondial ne se laissent pas impressionner par la contradiction évidente entre leurs affirmations et le test de l'expérience, et ont construit une défense encore plus incroyable du « libre marché ».

Dans un important discours qu'il donnait en avril 1998, au beau milieu de la crise financière asiatique, le président de la Réserve américaine, Alan Greenspan, a proclamé que la crise était « une importante étape dans ce qui a été, de toute évidence, une tendance significative et apparemment inexorable vers le capitalisme de marché ». Selon Greenspan, le marché est né « d'un ensemble de stabilités profondément enracinées dans la nature humaine » et « l'histoire est remplie d'exemples de systèmes économiques et sociaux qui ont tenté de contrer, ou d'altérer, la nature humaine, et ont failli à la tâche. »

Il semble que les défenseurs idéologiques du capitalisme n'ont pas avancé beaucoup depuis le XVIIIe siècle, alors que le philosophe conservateur anglais, Edmund Burke proclamait que la société capitaliste était à la fois naturelle et sacrée. « Les lois du commerce, écrivait-il il y a plus de deux cents années, sont les lois de la nature, et en conséquence, les lois de Dieu. »

Ou encore, selon la tournure de Greenspan, « la conclusion qu'on semble devoir tirer est qu'il n'y a que les systèmes de libre marché qui font preuve de la flexibilité et de la robustesse nécessaire pour s'accommoder de la nature humaine et pour harnacher rapidement les développements technologiques dans le but de faire constamment progresser le niveau de vie. »

Notre but ici, toutefois, ne se limite pas à exposer l'étonnante contradiction qu'on trouve entre la situation réelle que vit la majorité de la population mondiale et les déclarations que font les défenseurs du capital sur les merveilles du libre marché et les vertus du système de profit.

Il est encore nécessaire de montrer pourquoi l'accroissement de la polarisation sociale, par laquelle, selon les mots de Marx, « accumulation de richesse a un pôle, c'est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d'ignorance, d'abrutissement, de dégradation morale au pôle opposé... » découle de la logique intrinsèque du système de profit. De plus, nous devons établir comment le développement même du capitalisme mondial rend non seulement obligatoire le passage à un nouveau système social, plus évolué, basé sur la satisfaction des besoins humains, mais encore, en pose les bases objectives.

Accumulation du profit

Pour mener à bien cette analyse, il faudra auparavant établir certains faits essentiels. Le capitalisme en tant que système social de production n'a pas pour but la production de la richesse en tant que telle. Quoi qu'en disent les défenseurs du marché, ce n'est pas un système de production qui a pour but de satisfaire les besoins et les désirs des consommateurs.

La force motrice du mode de production capitaliste est l'accumulation du profit, l'expansion sans fin de la valeur, dont la source se trouve dans la force de travail de la classe ouvrière.

Toute société de classe est, en dernière analyse, basée sur l'appropriation du surtravail de la classe des producteurs directs au bénéfice des propriétaires des moyens de production. Mais les sociétés de classe peuvent différer radicalement par leurs structures. Ces différences sont déterminées, en fin de compte, par les mécanismes sociaux par lesquels prend place l'appropriation de surtravail. Les formes précédentes de société de classe, l'esclavagisme ou le féodalisme par exemple, s'appropriaient le surtravail par la force politique. Sous le capitalisme, cette appropriation a lieu par un système de rapports sociaux basé sur le libre marché, qui atteint l'apogée de son développement avec le système de travail salarié.

Le surtravail sous le capitalisme prend la forme de plus-value, dont la source se trouve dans la différence entre d'une part la valeur de la marchandise que le travailleur vend au capital en vertu du contrat qu'il passe avec lui, c'est-à-dire sa force de travail, sa capacité de travail, et d'autre part la valeur que l'usage de cette force de travail crée lors du processus de production. La valeur de la force de travail et la valeur ajoutée par le travailleur dans le processus de production au cours d'un jour de travail sont deux grandeurs différentes. Cette différence est la source de plus-value, qui apparaît à la surface de la société sous la forme de profit, d'intérêt ou de rente.

Mais l'appropriation de plus-value est marquée d'une profonde contradiction qui est aussi la force motrice du développement des forces productives au sein d'une économie capitaliste.

La seule et unique source de profit est la plus-value extraite du travail vivant et réel de la classe ouvrière. Par contre, le taux de profit, le taux auquel le capital grandit, est calculé lui par rapport à la masse totale du capital employé dans le processus de production. Ce capital est composé de deux parties : le capital avancé pour acheter la force de travail (le capital variable), la source de plus-value, et le capital avancé pour les matières premières et la machinerie (le capital constant) qui ne fait que garder sa valeur dans le processus de production.

Dans la mesure où l'accumulation du capital est marquée de la tendance incessante du capital constant à s'accroître par rapport au capital variable, ce qui traduit l'augmentation de la productivité du travail, il y aura tendance à la baisse du taux de profit. En d'autres mots, alors que le capital dans son ensemble s'accroît, la part relative de la partie engendrant la plus-value a tendance elle à diminuer. Par conséquent, le taux de profit, le rapport de la plus-value au capital total a tendance à baisser.

Marx appelait cette loi la tendance du taux de profit à décroître, la plus importante loi de l'économie politique, avant tout d'un point de vue historique. Ce n'est pas, comme il a parfois été faussement énoncé, parce que cette loi implique que le système capitaliste va être simplement paralysé un jour lorsque le taux de profit deviendra nul, mais au contraire parce qu'elle montre comment la révolution sans fin des forces productives vient des contradictions inhérentes à l'économie capitaliste elle-même.

Le capital cherche à résoudre cette tendance du taux de profit à diminuer en développant de nouvelles méthodes de production, basées sur de nouvelles technologies, qui permettront d'accroître l'appropriation de plus-value de la classe ouvrière. Le développement de telles méthodes peut créer les conditions où le taux de profit demeure stationnaire, ou même peut augmenter, mais inévitablement l'accumulation même de capital induit une baisse du taux de profit, poussant ainsi le capital à révolutionner encore les forces productives dans le but d'essayer de contrer ses effets.

La fin de l'expansion d'après-guerre

Sur la base de ces considérations théoriques, passons maintenant à l'examen de la dernière phase du développement du capitalisme liée à la mondialisation de la production.

Celle-ci a ses origines dans la baisse des taux de profit qui a refait surface à partir des années 1970. Pendant les 25 ans après la Deuxième guerre mondiale, le système capitaliste a connu une période d'expansion sans précédent. Plusieurs facteurs ont contribué à ceci : les arrangements politiques et économiques d'après-guerre mis en place par les États-Unis avec le plan Marshall, l'adoption des politiques keynésiennes de la stimulation de la demande par les principaux gouvernements capitalistes, et les concessions sociales faites à la classe ouvrière de peur qu'un retour aux conditions des 1930 ne provoque des soulèvements sociaux majeurs et des luttes révolutionnaires au sein des principaux pays capitalistes.

Mais en dernière analyse, la période d'après-guerre a reposé sur la croissance de l'accumulation de plus-value pour l'ensemble de l'économie capitaliste, croissance qui fut rendue possible par l'extension à l'ensemble des pays capitalistes avancés des méthodes plus productives de production à la chaîne développées aux ÉU au cours des années 1920 et 1930.

L'accumulation même du capital engendrée par ces méthodes de production a toutefois inévitablement mené à une baisse du taux moyen de profit alors que la masse de la valeur de la plus-value finit par devenir insuffisante pour permettre la croissance du capital au même rythme.

Les données de l'économie américaine sur les profits montrent très clairement ce processus. En 1946, le taux de profit aux ÉU était d'environ 22 pour cent. En 1966, il était toujours de 21 pour cent, mais à partir de là est tombé assez brusquement, n'étant plus que de 12 pour cent en 1974 et de 10 pour cent en 1980. En d'autres mots, de 1966 à 1974 le taux de profit a décliné d'environ 45 pour cent après être demeuré relativement stable pendant deux décennies. Les données sur les profits des autres pays capitalistes importants montrent une tendance semblable.

La baisse du taux moyen de profit a été annoncée par la récession mondiale des années 1974-75, qui fut le plus grave ralentissement économique depuis la Crise des années 1930, quarante ans plus tôt. Mais le plus important indice de la venue d'une nouvelle époque fut qu'après la fin de la récession, les conditions économiques n'étaient plus revenues à ce qu'elles avaient été durant les années 1950 et 1960. Le fait que le taux moyen de profit ne parvenait pas à revenir à ses précédents niveaux était reflété dans les faibles taux de croissance et la soi-disant stagflation, une combinaison de taux élevés de chômage et d'inflation.

Les années 1970 furent une période de tourmente économique et politique, qui commença avec les événements de mai-juin 1968 en France et se termina avec la grève des mineurs en Grande-Bretagne qui évinça le gouvernement conservateur en 1974 et les soulèvements révolutionnaires au Portugal en 1974-75. Toutefois, avec l'aide des partis sociaux-démocrates et des partis staliniens, la bourgeoisie a pu reprendre le contrôle de la situation.

Sa position stabilisée, celle-ci a ensuite entrepris une offensive contre la classe ouvrière. Cette contre-révolution est le plus clairement associée avec les gouvernements de Thatcher et Reagan. D'un point de vue économique, l'événement le plus significatif fut la nomination de Paul Volcker à la tête de la Réserve fédérale américaine en 1979 et le lancement de son programme de taux d'intérêt élevés au cours des années 1980. Ceci revenait en fait à un diktat du capital financier pour que soient adoptées de nouvelles mesures pour augmenter la plus-value extraite de la classe ouvrière. Avec la récession induite par le régime des taux d'intérêt élevés de Volcker, des pans entiers de l'industrie furent fermés, et le capital industriel fut forcé de se lancer dans une vaste réorganisation de la production.

C'est ceci qui est à l'origine de la production mondialisée et de la série toujours en cours de transformations dans les méthodes de production sur la base des technologies informatiques. Confronté à la baisse des taux de profit, le capital a répondu par une campagne incessante pour accroître la productivité et augmenter l'appropriation de la plus-value de la classe ouvrière, tout en cherchant à introduire des technologies plus économiques et à séparer en plus petits blocs des processus de production qui étaient jusque-là unifiés dans le but de profiter de la main-d'uvre à bon marché disponible dans d'autres régions du monde.

Deux tendances identifiées par Marx

Alors qu'il analysait la tendance du profit à décroître, Marx indiqua deux de ses principales conséquences.

« Si le taux de profit décroît, il se produit, d'une part, une tension du capital, dans le but de permettre au capitaliste individuel d'abaisser, par de meilleures méthodes, etc., la valeur individuelle de ses marchandises au-dessous de leur valeur sociale moyenne et de réaliser un profit extra pour un certain prix de marché ; d'autre part se développe la spéculation ; ce qui la favorise, c'est que tout le monde se lance dans des tentatives passionnées pour trouver de nouvelles méthodes de production, réaliser de nouveaux investissements de capitaux, se lancer dans de nouvelles aventures en vue de s'assurer quelque surprofit, indépendant de la moyenne générale et plus élevé qu'elle. » [2]

Le développement de la production mondialisée et l'introduction de technologies informatiques, qui ont révolutionné les processus de production au cours des deux dernières décennies, sont la façon par laquelle le capital tente de suivre la première voie indiquée ici par Marx. Chaque section du capital cherche à accroître sa part de la plus-value extraite de la classe ouvrière en développant de nouvelles méthodes de production, ce qui est fait en coupant ses coûts de production sous la moyenne sociale.

Mais les augmentations de productivité qui en résultent n'ont pu offrir une base pour une nouvelle d'expansion comparable à celle des années 1950 et 1960. Aux États-Unis, par exemple, malgré une réduction générale des salaires en dollars constants, et des bouleversements qui ont touché tous les secteurs de l'industrie, le taux de profit n'a récupéré qu'un tiers de sa baisse et demeure inférieur de 35 à 40 pour cent des meilleurs taux de l'après-guerre.

Vient immédiatement la question suivante : est-il possible, s'il y avait toujours assez d'innovations technologiques, que le capital puisse établir une nouvelle période d'expansion des profits, des emplois et des salaires, ou y a-t-il des contradictions intrinsèques du processus d'accumulation de la plus-value qui signifierait que la diminution des niveaux de vie n'est pas une aberration temporaire mais plutôt une caractéristique permanente de l'économie capitaliste à l'orée du XXIe siècle ?

Pour répondre à cette question, nous devrons développer plus à fond notre compréhension du processus d'accumulation de la plus-value.

Une augmentation de la productivité augmente la quantité des biens produits. Mais pour le capital, l'importance de la technologie réside dans son impact sur l'appropriation de la plus-value.

Nous avons vu que la plus-value trouve sa source dans la différence entre la valeur de la force de travail que le travailleur vend au capital dans le contrat salarié et la valeur qui est ajoutée en faisant usage de cette force de travail au cours de la journée de travail.

Il en découle que la journée de travail elle-même est divisée entre le temps que prend le travailleur pour reproduire la valeur de sa force de travail et le temps pour lequel il y a surtravail pour le capital. L'impact de la technologie sur l'accumulation du surtravail dépend en fin de compte sur combien est affectée cette division de la journée de travail entre travail nécessaire et surtravail.

Supposons que pour une journée de travail qui compte huit heures, le travailleur génère la valeur équivalente à sa force de travail en quatre heures et que les quatre heures qui restent sont du surtravail que s'appropriera le capital. Supposons ensuite qu'à la suite d'une innovation technologique (dans la société en général), le temps que doit consacré le travailleur à la reproduction de la valeur de sa force de travail passe de quatre à deux heures. Il en résulte automatiquement que la journée de travail de huit heures compte maintenant six heures de surtravail, soit une augmentation de 50 pour cent.

Supposons maintenant que la productivité double encore, ce qui a pour impact que le travail nécessaire passe de deux heures à une. Le surtravail passera lui de six à sept heures. Mais cette fois, l'augmentation n'est pas de 50 pour cent, mais de 16.67 pour cent. Nous voyons donc que chaque fois que la productivité double, l'augmentation proportionnelle de plus-value devient de moins en moins importante.

En d'autres mots, plus une technologie a déjà entraîné un accroissement de la productivité, c'est-à-dire que plus le travail nécessaire a été réduit (un phénomène qui prend place tout au long de l'histoire du capitalisme), plus if devient difficile pour une nouvelle technologie, peu importe sa contribution à l'augmentation de la productivité, d'accroître le taux de plus-value d'une quantité suffisante pour restaurer le taux général du profit et assurer l'expansion du capital pris dans son entier.

Assurément, chaque entreprise capitaliste peut, et en fait est poussée par la concurrence, à essayer de maintenir ou d'améliorer son profit individuel en introduisant de nouvelles technologies qui réduiront ses coûts de production. Mais quel est l'effet de ce processus sur l'accumulation de la masse totale de plus-value ?

Les nouvelles méthodes de production réduisent les coûts en éliminant des sections entières du travail. Mais le travail est l'unique source de plus-value et en bout de ligne du profit. Donc, le développement de ces méthodes tend à réduire la masse de la plus-value dans l'économie capitaliste considérée dans son ensemble. D'un autre côté, cette tendance est contrée jusqu'à un certain point par l'augmentation de la plus-value extraite du travail qui reste. Mais, parce que le travail nécessaire a déjà été réduit à une relativement petite fraction de la journée de travail, en conséquence de tous les précédents développements de la technologie, il ne peut plus augmenter suffisamment pour permettre l'expansion de la masse totale de la plus-value.

C'est pourquoi les nouvelles technologies n'arrivent plus à augmenter la masse de plus-value comme auparavant, mais entraîne plutôt une stagnation ou même un déclin, ce qui entraîne une concurrence effrénée, la réduction des coûts et l'élimination du travail, et des contraintes encore plus serrées sur l'accumulation totale de la plus-value.

En mettant à nu ces contradictions du processus de l'accumulation de la plus-value, nous pouvons voir pourquoi le capital prend de plus en plus la seconde voie indiquée par Marx, c'est-à-dire essayer de contrer la baisse du taux de profit par des opérations financières de plus en plus séparées du processus de production lui-même.

Les données sur les développements en ce sens sont tout simplement étonnantes. Par exemple, le volume des échanges extérieurs de devises à la fin des années 1990 (largement consacré aux tentatives de faire des profits sur des changements du taux de change des monnaies) a été autour de 1,5 billion par jour, ce qui représente une multiplication par huit depuis 1986. Pour comparaison, le volume mondial des exportations pour 1997 (ce qui comprend les biens et les services) était de 6,6 billions, ou 25 milliards par jour. Au milieu des 1990, le capital total investi aux ÉU dans les fonds communs de placement, les caisses de retraite et autres formes semblables atteignaient 20 billions, soit dix fois le niveau de 1980. Et ce phénomène prend un caractère mondial. Les transactions interfrontalières des bons et des actions entre 1970 et 1996, mesurées en pourcentage de PNB, a été multiplié par 54 aux États-Unis, par 55 au Japon et par près de 60 en Allemagne.

Un des aspects les plus spectaculaires que prend ce processus d'expansion du capital par des manipulations et des transactions purement monétaires est sans aucun doute l'accroissement des valeurs en bourse à travers le monde. Dans son récent livre Irrational Exuberance, l'écrivain américain Robert Shiller décrit ainsi l'escalade des valeurs boursières aux États-Unis :

« Le Dow Jones était aux environs de 3 600 au début de 1994. En 1999, il dépassait les 11 000, triplant en cinq ans, pendant que la valeur totale des actions en bourse augmentait elle de 200 pour cent. Au début de l'an 2000, le Dow atteignait 11 700. Toutefois, dans la même période, les indicateurs économiques essentiels sont loin d'avoir triplé. Le revenu personnel aux États-Unis et le produit national brut ont augmenté de 30 pour cent, et presque la moitié de cette augmentation est due à l'inflation. Les profits des entreprises ont augmenté de moins de 60 pour cent, et ce, à partir d'un niveau temporairement abaissé par la récession. » [3]

Qu'est-ce qui peut expliquer ces développements extraordinaires et quelles en sont les implications pour le développement à venir du capitalisme mondial ?

En général, on croit que le rôle de la bourse est de fournir de nouveaux capitaux pour les investissements dans la production. Si elle a en effet cet objectif, ce n'est pas son principal rôle. Entre 1981 et 1987 aux États-Unis par exemple, les entreprises non financières ont retiré 813 milliard de plus d'opérations de rachat et de prise de contrôle que de l'émission d'actions.

L'échange d'actions sur la bourse a bien peu à voir avec la recherche de nouveaux capitaux. C'est un échange de titres de propriété, de réclamations sur l'accumulation à venir de revenus et des profits. Plus précisément, les actions et les bons sont un capital fictif dans le sens où ils ne sont pas engagés en tant que capital productif directement dans l'appropriation de plus-value de la classe ouvrière, mais représentent des droits sur le revenu et la propriété, des réclamations sur la plus-value produite par d'autres sections du capital.

Le développement de système de crédit et l'apparition du capital d'actions sont parfois traités comme des excroissances parasitaires et non nécessaires sur un corps capitaliste qui serait autrement en bonne santé. En fait, l'apparition de différentes formes de capital fictif s'explique par le processus de l'accumulation de la plus-value et provient du développement du système capitaliste lui-même.

Le capital, comme Marx ne se lassait pas de répéter, n'est pas une chose, mais un rapport social. Il est une valeur qui croît d'elle-même, prenant à différents moments la forme d'argent, de moyens de production, de marchandises pour revenir à sa forme argent et recommencer le circuit de l'expansion de la valeur.

Dans ce processus sans fin de l'accumulation, le capital est poussé à renverser tout obstacle qui s'oppose à lui. Alors qu'il était encore jeune, il s'était buté aux barrières qu'imposaient à l'accumulation la richesse et le revenu personnels. Pour dépasser les limites de l'entreprise familiale et du partenariat d'affaires, il devait s'approprier les ressources de la société dans son ensemble. Le développement du crédit et des compagnies par actions fut la façon d'y arriver.

De plus, alors que la production capitaliste prenait de l'expansion, le capital productif se concentrait de plus en plus. Les investissements en capital fixe, les usines, les bâtiments, les équipements, les processus chimiques et de raffinage à grande échelle ne peuvent remplir leur rôle dans l'appropriation de plus-value que sur un temps assez long. C'est que le processus de production lui-même exige du capital qu'il se cristallise dans une forme donnée pour une longue période. Mais en même temps, le capital a aussi besoin de pouvoir se déplacer librement, d'un domaine de l'économie à l'autre, pour profiter de toutes les occasions qui s'ouvrent dans la lutte incessante pour s'approprier la plus-value.

Cette contradiction entre les besoins de la production capitaliste en investissements à long terme d'un côté et le besoin de grande mobilité du capital de l'autre, a été résolue par le développement des actions. Le capital est obtenu par l'émission d'actions et ensuite mis en oeuvre dans le processus de production. L'existence d'une bourse permet aux détenteurs d'actions, y compris ceux qui ont pu fournir le capital d'appoint, de déplacer leur capital dans un autre domaine en vendant leurs actions, les droits au revenu, sans liquider dans les faits le capital lui-même. En d'autres mots, le développement des compagnies à actions et de la bourse a été la façon historique par laquelle le capital a résolu la contradiction entre le besoin de grandes quantités de capital fixe d'un côté, et de mobilité du capital de l'autre.

Le capital fictif est donc né d'un moyen de résoudre les contradictions du processus de l'accumulation de la plus-value. Mais, il est devenu lui-même source de nouvelles contradictions. L'apparition d'un marché de titres de propriété, de réclamations sur la plus-value, a donné naissance à la possibilité que le capital puisse accroître sa valeur simplement par des échanges sur ce marché.

Et cette option devient de plus en plus attirante, en fait même nécessaire, lorsque se resserent les possibilités pour le capital productif d'accumuler de la plus-value. Alors que le taux de profit stagne ou baisse, le capital se tourne toujours plus vers la spéculation pour s'accroître.

C'est là que se trouvent les origines de la fantastique augmentation en valeur de la bourse dont nous sommes témoins depuis le début des années 1980 et qui s'accélère depuis cinq ans. C'est aussi ce qui explique le poids de plus en plus important de la bourse dans l'économie en son ensemble.

Notes :

2. Marx, Le capital, tome III, Éditions sociales, p.252
3. Robert Shiller, Irrational Exuberance, p.4

 

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