wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

Pour l'internationalisme marxiste contre la perspective de la protestation radicale

Une réponse à la critique de la mondialisation du professeur Chossudovsky

Par Nick Beams

Le 25 février 2000

Voici la troisième et dernière partie d'un article de Nick Beams, secrétaire national du Socialist Equality Party d'Australie et membre du comité de rédaction du WSWS, en réponse à l'article du professeur Michel Chossudovsky, « Seattle and beyond: disarming the New World Order » que nous avons publié sur notre site en anglais le 15 janvier 1999. Auteur de nombreux articles, Beams a prononcé de nombreuses conférences sur l'économie capitaliste moderne, notamment Marxism and the Globalisation of Production (Marxisme et mondialisation de la production) et The Significance and Implications of Globalisation: a Marxist Assessment (L'importance et les implications de la mondialisation : une évaluation marxiste).

Les première et deuxième parties de l'article de Nick Beams ont été publiées sur notre site le 28 mars et le 6 avril respectivement.

Première partie
Deuxième partie

Troisième partie

Selon le professeur Chossudovsky, le mouvement d'opposition qui s'est développé contre l'Organisation mondiale du commerce et les autres institutions du capitalisme mondial « doit être orienté de façon à désarmer le système économique et démanteler ses institutions ». Comme nous l'avons expliqué précédemment dans les deux premières parties de cet article, pour M. Chossudovsky, cela signifie que l'ordre économique actuel doit être rejeté et que la société doit retourner à un stage de développement précédent dans lequel l'État national exerçait un plus grand rôle sur le fonctionnement de l'économie. Nos divergences gravitent autour de cette question fondamentale.

Contrairement à l'approche préconisée par M. Chossudovsky, nous ne pensons pas que le développement d'une perspective et d'un programme politiques pour les grandes masses puisse être mis de l'avant simplement en rejetant les vastes changements économiques qui ont pris place. Les processus économiques et sociaux engagés dans la mondialisation de la production et le développement d'un système financier mondial doivent plutôt être soumis à un examen critique afin de bien saisir leur importance du point de vue du développement historique de la société humaine. Autrement dit, il est nécessaire d'extraire le noyau rationnel du système de production mondialisé des formes sociales et économiques dans lequel il est enfermé.

Ce n'est pas la première fois qu'une crise capitaliste mondiale est accompagnée de demandes pour défendre la puissance économique et la souveraineté de l'État-nation. Des positions de ce genre étaient fréquentes pendant la Crise des années 1930. Analysant alors ces positions, Léon Trotsky plaçait cette question dans le contexte du développement de l'ensemble de la société humaine et des lois gouvernant son évolution.

« L'humanité est poussée dans sa montée historique par le besoin d'atteindre la plus grande quantité de biens avec la dépense de travail la plus réduite. Cette base matérielle de la croissance culturelle fournit également le critère le plus profond permettant d'apprécier les régimes sociaux et les programmes politiques. La loi de la productivité du travail a la même signification dans la sphère de la société humaine que la loi de la gravitation dans celle de la mécanique. La disparition de formations sociales dépassées n'est que la manifestation de cette loi cruelle qui a déterminé la victoire de l'esclavage sur le cannibalisme, du servage sur l'esclavage, du travail salarié sur le servage. La loi de la productivité du travail se fraie son chemin, non pas en ligne droite, mais de façon contradictoire, par de brusques accélérations, des sauts et des zigzags, surmontant à sa façon les barrières géographiques, anthropologiques et sociales. C'est pourquoi il existe en histoire autant d'exception, qui ne sont toutes en réalité, que des reflets de la "règle" ».1

C'est de ce point de vue que Trotsky abordait les demandes pour repousser les processus économiques dans la camisole de force de l'État-nation : « La tâche progressive qui consiste à savoir adapter l'arène des rapports économiques et sociaux à la nouvelle technologie est renversée et devient un problème de savoir comment restreindre et diminuer les forces productives afin de les adapter aux vieilles arènes nationales et aux vieilles relations sociales ».2

Les processus auxquels Trotsky fait référence se sont développés incommensurablement au cours des cinquante dernières années. On n'a qu'à penser à la formation des transnationales qui ont commencé à apparaître dans les années 1930, principalement dans le domaine de l'industrie pétrolière, et qui dominent maintenant toutes les formes de production. Selon de récentes évaluations, des cent plus grades entités économiques actuelles dans le monde, environ la moitié sont des transnationales, et cette proportion a probablement augmenté substantiellement avec toutes la vague de fusions et de prises de contrôles de la dernière année. Ce fait seul démontre l'impossibilité pratique du programme prôné par M. Chossudovsky qui vise à restaurer la souveraineté économique de l'État national.

La croissance des transnationales et leur domination sur les autres formes économiques sont l'expression même de la loi de la productivité du travail. La montée de ces organisations ne signifie pas seulement la transcendance de l'entreprise nationale et de l'État national, mais souligne également l'apparition de nouvelles formes supérieures d'organisations économiques et sociales.

Il est nécessaire ici d'aborder la confusion idéologique créée par les partisans du « libre marché » avec leurs dénonciations interminables relatives à l'impossibilité de toute existence de système économique socialiste basé sur une planification consciente. De par leur essence même, la progression des transnationales n'est rien d'autre qu'une tentative, dans le cadre du système des rapports sociaux capitalistes, de surmonter l'anarchie et le gaspillage causés par les tendances destructrices du marché capitaliste.

La base même de toute activité au sein d'une transnationale est de tenter constamment de contrôler le processus de production et de le soumettre à une planification consciente. Bien entendu, les rapports sociaux au sein de la société dans son ensemble étant dominés par l'anarchie du marché, la croissance de la transnationale ne peut surpasser cette même anarchie. Ce processus mène plutôt à un mélange des tendances socialement destructrices et anarchiques du marché capitaliste à une échelle encore plus grande. Malgré tout, il n'en reste pas moins que la transnationale constitue toujours, dans sa poussée constante pour développer la productivité du travail, une tentative de soumettre l'activité économique à un contrôle conscient.

Dans un article perspicace écrit il y a plus de 60 ans, le prix Nobel d'économie Ronald H. Coase soulignait que « la marque distinctive d'une entreprise est la suppression du mécanisme des prix ». Les entreprises poursuivent leurs activités dans le cadre du marché pour finalement se retrouvées dominées par ce dernier, mais elles le font en tant « qu'îles de conscience dans un océan de coopération inconsciente, tels des grumeaux de beurre coagulant dans un seau de babeurre ».3

Toutes les étapes du développement des entreprises, qu'il s'agisse au siècle dernier de la formation des monopoles nationaux ou de celle des transnationales, ou encore du mouvement de fusions actuel que connaissent les transnationales géantes, ont été marquées par la tentative de remplacer la main invisible du marché par celle, bien visible, de la planification. La même tendance est révélée dans les transformations technologiques qui balaient actuellement tous les secteurs de l'économie. Le but de la soi-disant technologie de l'information n'est pas seulement de sensibiliser immédiatement le processus de production au sein d'une entreprise donnée, mais aussi de coordonner encore plus étroitement les activités de différentes branches et mêmes de différentes entreprises, qu'elles soient situées tout près ou à l'autre bout de la planète.

Vue dans cette perspective historique, l'importance de la production mondialisée représente la maturation dans le cadre du capitalisme des prémisses matérielles pour le développement d'une économie socialiste planifiée.

Si les procédés de production peuvent être organisés jusqu'au dernier détail par delà les pays et les continents, et que les mouvements des biens et services peuvent être déterminés avec précision dans le temps et dans l'espace, alors la question de se demander s'il est matériellement possible d'organiser l'économie mondiale pour satisfaire les besoins de la population mondiale ne se pose plus. Bref, l'argument des partisans du libre marché selon lequel une économie socialiste planifiée est foncièrement impossible à cause de la complexité du processus de prise de décision et que, par conséquent, le marché et le système de profit constituent la seule forme viable d'organisation sociale, est réfuté par la pratique même des développements qui surviennent au sein de l'économie capitaliste.

Parallèlement, dans le système des rapports sociaux capitalistes dans lequel toute activité économique est subordonnée à la course aux profits, ces vastes transformations technologiques entraînent nécessairement une dégradation continuelle du niveau de vie des vastes masses et une croissance de la polarisation sociale - l'accumulation de richesses fabuleuses d'un côté allant de pair avec l'accroissement de la misère de l'autre - avec tous les maux sociaux qui l'accompagnent.

La résolution de cette crise ne repose pas dans le rejet de la mondialisation en faveur de l'utopie réactionnaire de la souveraineté économique nationale, mais dans la libération des forces productives des contraintes imposées sur elles par les rapports sociaux dépassés du capitalisme. La base sociale et politique d'un tel mouvement est l'unité internationale de la classe ouvrière. Contrairement aux affirmations de ceux qui prétendent que la classe ouvrière a « disparu » sous l'impact des nouvelles technologies, cette dernière a en fait pris de l'ampleur tant en termes absolus que relatifs.

La mondialisation de la production a en effet entraîné la croissance de la classe ouvrière qui a vu ses rangs grossir de centaines de millions de travailleurs dans des régions du monde où l'industrie existait à peine il y a quelques décennies. Dans les pays capitalistes avancés, plusieurs des formes anciennes de travail ont disparu, tout comme ce fut le cas auparavant lors de phases précédentes du développement capitaliste. Mais les changements économiques associés aux innovations technologiques signifient que beaucoup de sections de la population, auparavant considérées comme appartenant à la « classe moyenne », couche sur laquelle la stabilité du règle capitaliste dépend, se sont prolétarisées depuis. Il s'ensuit que pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la majorité de la population mondiale est constituée de prolétaires, des travailleurs n'ayant rien d'autre à vendre que leur force de travail.

Et dans chaque partie du monde, indépendamment des différences particulières de la vie économique nationale, les larges masses des travailleurs voient leurs conditions sociales détruites par ce même système économique mondial. Le développement de l'économie capitaliste mondiale intégrée a provoqué une polarisation mondiale dans toutes les sociétés ­ avec un côté une élite riche, indépendamment de ses origines nationales particulières, et de l'autre la large masse de la population.

L'impact de la mondialisation a déjà entraîné une vague de bouleversements sociaux, dont le mouvement de grève massif de 1995 en France et la chute du dictateur indonésien Suharto pour n'en nommer que deux, démontrant l'instabilité qui prévaut dans le soutien à l'économie capitaliste mondiale. La décennie des années 90 a été salué par nombre de proclamations relatives au triomphe du marché et à la défaite du socialisme. Mais ce triomphe s'est avéré de bien courte durée. La dernière décennie a été le témoin de toute une série de crises économiques et financières toujours de plus en plus importantes. L'effondrement du mécanisme européen des taux de change en 1992 a été suivi par la crise des banques scandinaves. Puis est survenu le bouleversement du marché des obligations de 1994, suivie de l'injection de 50 milliards $ en 1994-1995 pour renflouer l'économie du Mexique, et enfin de la soi-disant crise financière asiatique de 1997-1998 qui s'est rapidement transformée en crise mondiale du système financier. De nouveaux orages financiers se préparent actuellement au cur même du système capitaliste avec l'orgie spéculative et la dette des marchés financiers américains. Tout comme l'échec des principales puissances capitalistes de conclure le moindre accord lors du sommet de l'OMC à Seattle, ces éruptions financières témoignent indéniablement de la crise constante que vit l'économie capitaliste mondiale. L'échec de Seattle va entraîner de profondes luttes sociales au sein des pays capitalistes avancés comme dans ceux qualifiés d'« en voie de développement ».

La question cruciale reste à savoir à partir de quel programme les mouvements de lutte se développeront. Il n'y a pas l'ombre d'un doute que toutes les exigences partielles et particulières auront un rôle à jouer. Mais toutes ces luttes ne permettront de progresser que si les éléments les plus avancés adoptent une perspective internationaliste clairement établie. Pour ce faire, ces derniers devront assimiler les leçons politiques du XXe siècle, et avant tout acquérir une compréhension historique de la nature de la R
évolution russe de 1917 et de son sort subséquent.

Les conditions sociales et économiques objectives qui entraînèrent la Révolution russe ont été réunies lors de la première phase de la mondialisation capitaliste qui s'est étendue de 1870 à 1914. Cette révolution fut la première tentative de la classe ouvrière de reconstruire la société sur une base socialiste. Le Parti Bolchevik dirigé par Lénine et Trotsky et les travailleurs qui entreprirent les premiers de renverser le capitalisme furent inspirés et guidés par leur compréhension que la conquête du pouvoir politique en Russie ne constituait pas une fin en soit mais plutôt un pas vers un objectif plus vaste, la révolution socialiste mondiale.

Cette première tentative de reconstruction socialiste de la société a échoué. La révolution resta en effet isolée et ne parvint pas à s'étendre. Cette situation créa les conditions qui permirent la montée d'une perfide réaction nationaliste qui pris la forme de la bureaucratie stalinienne et de sa perspective du « socialisme dans un seul pays ».

Au cours des années qui suivirent, de terribles coups furent assénés à la classe ouvrière internationale qui vit sa direction révolutionnaire assassinée, d'abord par les social-démocrates, puis les staliniens et enfin les nazis. La dégénérescence de la Révolution russe suivie de l'élimination physique de ses cadres dirigeants ont créé une grande confusion au sein de la classe ouvrière, les crimes les plus monstrueux ayant été effectués au nom du marxisme et du communisme.

Le recul idéologique et politique au sein du mouvement ouvrier international a créé les conditions pour la domination des diverses doctrines nationalistes que sont le réformisme social et le stalinisme, de même que de celles associées avec les mouvements paysans et petits-bourgeois tels que le maoïsme et le foquisme (mouvements de guérilla).

L'héritage politique de ce processus est la désorientation actuelle que vit la classe ouvrière. Mais les conditions objectives apparaissant à nouveau permettent l'éducation politique, l'éclaircissement et la réorientation de la classe ouvrière internationale, de même que le renouvellement du mouvement socialiste international. Tout comme la Révolution russe a été le résultat de la première phase de la mondialisation capitaliste, l'intensification de ce même processus historique au cours des 25 dernières années va créer des conditions pour de nouveaux soulèvements révolutionnaires.

Certains prétendent que la roue de l'histoire ne tourne que trop lentement. L'opportunisme petit-bourgeois se complaît dans de telles pensées et proposent de nouvelles voies et de nouveaux raccourcis prometteurs de « résultats » immédiats qu'ils opposent à la lutte de longue haleine qu'est celle de la construction d'une nouvelle direction révolutionnaire au sein de la classe ouvrière. Mais si le processus historique semble, à certaines époques, progresser au ralenti, il est néanmoins toujours très profond. Tous les programmes nationalistes qui prétendaient offrir une voie de l'avant pour les masses se sont effondrés, ne laissant « pas pierre sur pierre ».

Le seul programme ayant survécu aux épreuves des grands événements du XXe siècle, c'est la perspective du socialisme international défendue par Léon Trotsky et que présente aujourd'hui la Quatrième Internationale sous la direction du Comité International. Nous sommes confiants que le World Socialist Web Site deviendra le pôle d'attraction de la rééducation et de la réorganisation du mouvement ouvrier international sur la base de ce programme. C'est pourquoi nous avons accepté la contribution faite par le professeur Chossudovsky, car elle a permis de lancer une discussion sur des questions politiques décisives qui doivent être résolues pour relever les défis de notre époque.

Notes :
1. Léon Trotsky, Nationalisme et vie économique, uvres, Novembre 1933, avril 1934, EDI, p. 104-105.
2. Léon Trotsky, op. cit., p. 106
3. Ronald H. Coase, « The Nature of the Firm », Economica no 4, 1937, cité dans Wall Street par Henwood, p. 249


 

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés