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Le général Gueï évincé lors d'affrontements en Côte d'Ivoire

Par Chris Talbot
28 octobre 2000

Le général Guéï qui avait saisi le pouvoir lors d'un coup militaire en Côte d'Ivoire le 24 décembre dernier, a été forcé de démissionner après que des milliers de manifestants aient envahi les rues de la capitale Abidjan. Ces faits sont la conséquence des élections présidentielles de dimanche dernier dont la majorité des candidats avaient été exclus par Guéï et qui s'attendait à remporter le scrutin.

Les dirigeants de l'opposition avaient appelé au boycott du scrutin ayant pour conséquence une faible participation aux urnes. Le seul opposant de taille restant encore en lice, Laurent Gbagbo, aurait apparemment remporté la majorité des votes bien que le décompte final n'ait pas encore été annoncé. Gbagbo, qui a à présent été investi comme président, a annoncé qu'il formerait « un gouvernement d'unité nationale fondé sur une vaste base ».

Des commentateurs ont présenté l'évincement de Guéï comme étant un autre exemple de révolte démocratique populaire pour écarter un dictateur suivant le modèle de l'évincement du président yougoslave Slobodan Milosevic. Tout comme en Yougoslavie, cette interprétation est pour le moins discutable. Les partisans de Gbagbo eurent recours aux manifestations après que Guéï ait dissout la commission électorale et se soit proclamé lui-même vainqueur des élections.

Des manifestants non armés et se chiffrant au plus à quelques milliers auraient à peine représenté un problème pour les troupes défendant Guéï; une trentaine ayant été tués durant les deux jours d'émeute. Toutefois les manifestants, soutenus par la gendarmerie - une force de police paramilitaire - devaient rapidement organiser leurs attaques contre les troupes avec l'aide de la police et des fusils. Le conflit prit une tournure dramatique quand quatre blindés de transport de troupes de la police, armés de canons et de mitrailleuses lourdes, assaillirent les locaux de la station de télévision de la capitale et mirent en déroute les troupes encore loyales à Guéï et défendant ces locaux. Des gendarmes escortèrent alors Gbagbo à l'intérieur pour lui permettre de tenir une brève allocution télévisée et annoncer qu'il venait de prendre le pouvoir. Entre-temps, de plus en plus d'unités de l'armée avaient changé leurs fusils d'épaule en rejoignant l'autre camp et, en l'espace de quelques heures, Guéï fut forcé de se retirer.

Il n'est pas difficile de détecter la main de la France derrière ces agissements. Compte tenu de ses énormes intérêts économiques en Côte d'Ivoire, la France avait fait savoir clairement en juillet dernier dans des déclarations publiques, qu'elle était hostile aux ambitions électorales de Guéï. Paris dispose de 550 troupes en stationnement dans le pays, y compris une compagnie de chars légers de la Légion étrangère ainsi qu'un cuirassé croisant au large de la côte. Il n'y avait eu aucun besoin de faire ouvertement appel à ces forces - et risquer des accusations d'ingérence coloniale - il a suffit d'agir par le biais des forces locales. Comme le mentionnait le Washington Post, « la décision des gendarmes d'attaquer l'armée était sans précédent ici. Des diplomates ont précisé que des commandants de gendarmerie sont proches des Français, les anciens colonisateurs du pays, et que la France a usé de son influence pour empêcher que l'armée ne se dresse contre les manifestants. »

Il existe des lien très forts entre le Parti socialiste du gouvernement français (PS) et le Front Populaire Ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo qui, au même titre que le PS, le Parti travailleur de Grande-Bretagne et le Parti social-démocrate allemand, appartiennent tous à la Seconde Internationale. Michel Rocard, député influent du PS, avait été chaleureusement applaudi en annonçant à un groupe d'études que Guéï avait été renversé et que « notre camarade Gbagbo est président de la Côte d'Ivoire ». Henri Emmanuelli, le député PS qui dirige le groupe d'amitié France-Côte d'Ivoire, a fortement supporté Gbagbo comme le nouveau président en déclarant que ce dernier « jouit d'une culture démocratique et d'une force de caractère pour consolider le rétablissement d'une démocratie fonctionnelle. »

Pour contraster avec le soutien que la France accorde à Gbagbo, un concert de demandes en faveur de nouvelles élections et de l'abandon de la présente constitution, se fait entendre, orchestré par les Etats-Unis et repris par l'Afrique du Sud et d'autres Etats africains.

Suite à un référendum qui avait eu lieu en juillet dernier, une nouvelle constitution avait été adoptée, décrétant qu'un candidat présidentiel doit être né de parents ivoiriens d'origine. Guéï avait alors été en mesure, grâce à un jugement, d'empêcher son principal rival Alassane Ouattara, le dirigeant du Rassemblement des républicains (RDR), de participer à l'élection en affirmant que ses origines se trouvaient au Burkina Faso (anciennement Haute-Volta). Il eut également recours à la justice pour éliminer d'autres candidats, y compris Emile Constant Bombet, du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI). Le PDCI avait été le parti de Henri Konan Bédié, le président évincé par Guéï et qui avait formé le parti au pouvoir depuis l'indépendance de 1960. Ouattara, un ancien fonctionnaire du Fonds monétaire international (FMI), est indubitablement le favori des Etats-Unis. En tant que premier ministre de la Côte d'Ivoire au début des années 1960, avait rigoureusement appliqué une politique de libre marché et de réduction des dépenses publiques.

La France ne demande pas de nouvelles élections. Dans un article intitulé « Avis divergents à Paris et à Washington », Le Monde interroge si les élections de dimanche dernier confèrent à Gbagbo la « légitimité nécessaire » et conclue que, pour le gouvernement français, « il n'est manifestement pas question de remettre en cause cette élection ». L'installation de Gbagbo permettrait au pays « d'échapper au chaos » poursuivit le journal. Hubert Védrine, le ministre français des affaires étrangères, avait déclaré l'élection « légale, dans le sens où elle est conforme à la légalité ivoirienne ».

L'exclusion d'Ouattara des élections avait été la conséquence d'une adoption plus forte par Guéï de la tendance chauvine que Konan Bédié avait introduite dans la politique ivoirienne durant les années soixante.

En tant que premier producteur de cacao du monde, la Côte d'Ivoire avait été considérée comme le noyaux économique d'Afrique occidentale. Elle produit près de la moitié de l'ensemble du produit intérieur brut de la zone CFA (Communauté financière en Afrique) des Etats de l'Afrique de l'Ouest - dont la monnaie est liée au franc français. Mais la chute des cours du cacao et le programme d'ajustement structurel imposé par le FMI ont entraîné un déclin économique, une pauvreté et un chômage croissants.

Des milliers d'ouvriers immigrés du Burkina Faso, du Mali, du Nigeria et d'autres pays d'Afrique de l'Ouest s'étaient installés en Côte d'Ivoire dans le courant de plusieurs décennies, si bien qu'ils constituent à présent près de la moitié de la population. Bédié et d'autres dirigeants politiques avaient mis au point le concept d'« ivoirité » (pour ceux dont les origines sont supposées se trouver en Côte d'Ivoire - bien que les nombreux groupements tribaux de la région dépassent les frontières actuelles et que la Côte d'Ivoire elle-même est le résultat d'un partage colonial arbitraire de l'Afrique occidentale française).

L'intention de Bédié avait été d'attiser la discrimination envers les immigrants pour détourner l'attention des difficultés économiques, en forçant des milliers de travailleurs à quitter la Côte d'Ivoire. Il visa tout particulièrement Ouattara en tant que musulman du nord où les Burkinabés prédominent - le sud étant surtout chrétien. Faute d'une perspective alternative, des milliers de travailleurs et d'immigrés soutiennent à présent Ouattara et ce, en dépit de son programme en faveur du Fonds monétaire international.

Gbagbo a un long passé de dirigeant syndical et d'opposant qui remonte aux années 1970 et il se dit être un socialiste. Mais dès les années 1980 il avait, lui aussi, adopté la ligne du chauvinisme ivoirien. Mais, cet aspect de sa politique fut passé sous silence dans les discours des députés socialistes français.

La France s'était opposée à la candidature de Guéï à la présidence en raison de ses doutes quant à la capacité de ce dernier de contrôler les cliques belliqueuses qui dominent la société ivoirienne, et non pour sa position anti-immigrante. Le Monde avait cité une source du ministère des affaires étrangères français qui admettait la défense raciste de « l'ivoirité » de Gbagbo, tout en précisant que Gbagbo était le candidat « le moins mal placé »: « La Côte d'Ivoire est aux prises aujourd'hui avec une crispation identitaire sur laquelle ils surfent tous (). C'est une réalité dont il faut bien tenir compte () Ouattara est haï par une grande partie des Ivoiriens. »

Sitôt l'annonce faite par Gbagbo qu'il n'y aurait pas de nouvelles élections, de nouveaux conflits surgirent jeudi 26 octobre, mais cette fois entre les partisans de Gbagbo et ceux du RDR. Des milliers de militants du FPI de Gbagbo, appuyés par des gendarmes, attaquèrent la résidence d'Ouattara qui s'enfuya pour trouver refuge à l'ambassade d'Allemagne toute proche. Selon les dernières nouvelles, une vingtaine au moins de ses partisans furent tués. Alors que Gbagbo et des membres dirigeants du RDR ont, depuis, lancé des appels au calme, la spirale des troubles sociaux en Côte d'Ivoire semble vouloir continuer sa marche.

Voir aussi:
Menace de guerre civile et intervention française en Côte d'Ivoire 22 septembre 2000
Le meneur du coup d'état en Côte d'Ivoire cherche à consolider son pouvoir 15 juin 2000


 

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