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Les propagandistes aux États-Unis invoquent la guerre froide

Par Bill Vann
30 octobre 2001

L'administration Bush et ses apologistes dans les médias comparent souvent la politique intérieure et extérieure justifiée par la «guerre contre le terrorisme» à la guerre froide menée contre l'Union Soviétique. Au début du mois d'octobre, la veille de sa visite à l'ancienne république soviétique d'Ouzbékistan, le secrétaire à la Défense américain Donald Rumsfeld a repris ce thème. «Ceci ressemblera sans doute beaucoup plus à une guerre froide qu'à une guerre ouverte», a-t-il dit.

La guerre froide, a-t-il continué, «ne comprenait pas des batailles, mais des pressions continues, une coopération entre de nombreux pays, et une volonté populaire de s'y investir et de la soutenir. Et quand elle a pris fin, ce ne fut pas dans une explosion, mais dans une implosion et le soutien de ce mode de vie et de cette menace au monde s'est désagrégé de l'intérieur».

Lorsqu'on lui a demandé si le conflit actuel pouvait durer des décennies, comme la guerre froide, qui a occupé la plupart de la seconde moitié du vingtième siècle, Rumsfeld a répondu : «Je n'en ai aucune idée.»

Cette comparaison suppose une défiguration grossière de l'histoire et une falsification des buts et des méthodes qui sous-tendent l'offensive militaire actuelle. L'administration Bush veut promouvoir un mythe sur la guerre froide pour justifier de nouveau la défense des intérêts géopolitiques et économiques du capitalisme américain. En même temps, l'élite dirigeante américaine espère utiliser la menace du terrorisme mondial comme nouveau péril externe, remplaçant la menace «rouge» soviétique, pour créer un soutien politique généralisé pour son agenda social réactionnaire et sa politique extérieure militariste.

Les hauts fonctionnaires, les figures médiatiques, et les universitaires prennent tous part à la re-formulation de l'idéologie anticommuniste d'hier pour mieux servir les intérêts de l'impérialisme américain du monde post-soviétique. On peut prendre comme exemple un article remarquable, paru le 6 octobre dans le New York Times, intitulé «La guerre de 40 ans.»

Son auteur, Bill Keller, anciennement correspondant du journal à Moscou, actuellement un de ses principaux éditeurs, cite John Lewis Gaddis, le «doyen des études de la guerre froide.»

«Le communisme des années 1950, remarque le professeur Gaddis, était perçu non pas comme un état rival mais comme une conspiration, soutenue par un État, qui nous menaçait de l'intérieur comme de l'extérieur. La réplique américaine était de «contenir» son développement, une sorte de chasse mondiale aux méchants qui tentait de contrer l'influence communiste partout où elle ferait surface, utilisant le pouvoir diplomatique et économique et des combats par personnes interposées plutôt que la puissance armée américaine.»

Keller ajoute: «Comme la guerre froide, celle-ci, tant qu'elle durera, pèsera sur tout. Elle déterminera qui seront nos amis, changera nos priorités, et indiquera l'élasticité de nos idéaux.»

Qu'était la guerre froide, et quelle est sa vraie relation à la guerre en Afghanistan?

Essentiellement, la guerre froide était une lutte mondiale menée par Washington contre la menace posée par la révolution sociale aux intérêts internationaux du capitalisme américain. Elle a commencé après la deuxième guerre mondiale. Cependant, on peut discerner ses origines en 1918, quand les forces armées américaines formaient une grande part des forces expéditionnaires impérialistes envoyées en Russie pour essayer d'étrangler le nouvel État soviétique. L'offensive impérialiste tentait de rétablir le capitalisme en Russie et de contrer l'attraction immense qu'avait la première révolution socialiste pour les ouvriers et les intellectuels à travers le monde.

Si les Soviétiques ont pu vaincre l'intervention, la pression constante de l'impérialisme sur l'État soviétique isolé a permis la croissance d'une bureaucratie privilégiée et un revirement vers la droite dans la politique intérieure et internationale du parti dirigeant. Washington a applaudi ce changement. Il a reconnu officiellement l'Union Soviétique en 1933, et a conclu une alliance contre l'Allemagne nazie avec le régime stalinien au Kremlin, qui avait à cette époque exterminé les leaders de la révolution de 1917 par des purges en masse et des procès truqués.

À la fin de la deuxième guerre mondiale, la politique extérieure américaine a subitement changé. L'administration Truman a proclamé qu'elle voulait «contenir» l'Union Soviétique et lutter à travers le monde contre la «propagation du communisme.» Washington exposait les méthodes d'État policier du stalinisme pour tenter de présenter sa politique impérialiste comme une lutte pour la démocratie et la liberté, contre la tyrannie et l'oppression.

L'idée que la politique américaine lors de la guerre froide répondait à «l'agression soviétique» était une absurdité idéologique. L'URSS sous Staline avait depuis longtemps cessé de soutenir la révolution. Elle avait établi son hégémonie dans les territoires de l'Europe de l'Est que l'URSS avait pris à l'Allemagne nazie, créant ainsi un cordon sanitaire pour se défendre d'une invasion en provenance de l'Ouest. L'URSS avait adopté cette politique avec l'assentiment des impérialistes, en partie pour subjuguer une région qui avait longtemps été une source de troubles sociaux et nationaux. Si la bureaucratique soviétique a donné un soutien limité aux mouvements nationalistes dans d'autres régions, elle l'a fait pour faciliter sa propre défense nationale.

Si l'on enlève le voile de propagande qui la recouvre, le contenu essentiel de la politique de Washington lors de la guerre froide était une réponse agressive à la menace grandissante de révolution dans les pays coloniaux et, ce qui était même plus grave, dans l'Europe de l'Ouest et l'Asie déchirées par la guerre, où des mouvements travaillistes militants et orientés vers le socialisme passaient à l'offensive après la guerre. À l'intérieur des États-Unis, le spectre de la révolution sociale hantait la bourgeoisie, qui faisait face à une vague de grèves sans précédent en 1945 et 1946.

Loin d'être une lutte pour la liberté, la politique américaine lors de la guerre froide se distinguait par la violence militaire et la répression. Beaucoup des conflits se déroulaient dans les pays les plus opprimés du monde. En Corée et au Vietnam, elle a mené à des échecs militaires américains qui ont coûté la vie à des dizaines de milliers de soldats américains et à des millions d'ouvriers et de paysans asiatiques.

Elle nécessitait aussi des opérations secrètes pour renverser des régimes de gauche et installer des dictatures pro-américaines. Au Guatemala, en 1954, la Central Intelligence Agency (CIA) a organisé un coup militaire contre le gouvernement Arbenz, qui avait osé mettre en cause l'hégémonie de la United Fruit Company. Washington a aussi soutenu le Shah en renversant le régime nationaliste de Mossadegh en Iran. Là, les compagnies pétrolières américaines considéraient que le programme de réformes populiste de Mossadegh menaçait leurs profits.

Dans les deux pays, des régimes policiers installés et soutenus par le gouvernement américain ont emprisonné, torturé, et massacré des centaines de milliers d'ouvriers, de paysans, et d'intellectuels. Washington justifiait ces interventions en disant qu'il tentait d'enrayer «l'expansion communiste.»

Au long des quatre décennies suivantes, les administrations américaines ont organisé l'assassinat de leaders nationalistes populaires tels que Patrice Lumumba au Congo, dirigé des coups militaires sanglants tels celui qui a renversé le régime Sukarno en Indonésie, lors duquel environ un million de personnes furent massacrées, et imposé des dictatures militaires à travers l'Amérique du Sud. Pendant les années 1980, Washington a organisé des guerres d'intervention terroriste et de répression étatique au Nicaragua et en El Salvador qui ont coûté encore des dizaines de milliers de vies.

À l'intérieur des États-Unis, on a inauguré la guerre froide par une campagne de répression étatique et d'intimidation qui a vu l'arrestation de centaines de personnes et la disgrâce de plusieurs milliers de personnes, surtout dans les milieux artistiques. L'Amérique en a hérité un abrutissement du développement intellectuel et artistique qui afflige encore la vie culturelle et politique américaine.

Cette chasse aux sorcières était particulièrement sévère à l'intérieur du mouvement syndical particulièrement bureaucratisé. La hiérarchie du AFL-CIO (Fédération américaine du travail et Congrès des organisations industrielles) a fonctionné comme une agence du gouvernement, extirpant les militants de gauche et s'engageant dans un anticommunisme virulent. Le résultat final était l'organisation ouvrière la plus corrompue, politiquement sans direction, et impuissant au monde.

La force motrice derrière la guerre froide était la poussée de l'impérialisme américain vers la domination mondiale. Malgré sa dégénérescence stalinienne, l'URSS était un obstacle important aux aspirations hégémoniques de l'élite dirigeante américaine. Washington devait prendre en compte la possibilité que ses interventions militaires provoqueraient une réaction des soviétiques.

Paradoxalement, la guerre froide a forcé le gouvernement américain à mettre en place des réformes sociales limitées aux États-Unis. L'URSS, malgré les déprédations de la bureaucratie stalinienne, représentait toujours d'une manière corrompue les buts de la révolution sociale, particulièrement dans le domaine de la propriété nationalisée qui indiquaient la possibilité d'une économie planifiée rationnellement basée sur les besoins sociaux, plutôt que sur le profit privé. Washington devait donc faire concurrence avec l'URSS sur le niveau idéologique, comme sur les niveaux politique et militaire. La ségrégation raciale, par exemple, devenait impossible à justifier au cours des années 1960, tandis que les États-Unis essayaient de se présenter comme le champion de la démocratie en Afrique et en Asie.

L'attitude actuelle de l'élite dirigeante américaine face aux réformes sociales réfute clairement le prétendu parallèle entre la «guerre contre le terrorisme» de Washington et la guerre froide. Aucun de ceux qui invoquent la guerre froide pour justifier la guerre en Afghanistan ne suggère que de pareilles concessions sociales pourraient avoir lieu. On insiste de tous les côtés sur des sacrifices et des mesures d'austérité de la part de la classe ouvrière.

D'un point de vue historique et politique, l'analogie entre la «guerre sur le terrorisme» de Bush et la guerre froide s'écroule sous les contradictions et les absurdités. L'État soviétique possédait la plus grande armée de la planète et un vaste arsenal nucléaire. Oussama Ben Laden dirige son réseau terroriste d'une grotte en Afghanistan, un des pays les plus pauvres de la planète.

Si l'URSS était toujours un pôle d'attraction pour des millions de personnes autour du monde, c'était à cause de ses origines révolutionnaires et de sa promesse d'une société nouvelle et plus avancée. Le parti qui a dirigé la révolution russe était fermement séculier et se basait sur les plus grandes avances intellectuelles de l'ère moderne. Peut-on sérieusement comparer un tel mouvement avec le fondamentalisme religieux de Ben Laden, dont le but est la résurrection d'un État islamiste médiéval?

Si l'on peut indiquer un parallèle entre la guerre froide et la nouvelle éruption du militarisme américain, c'est que la «guerre sur le terrorisme» entraîne l'utilisation des méthodes de la guerre froide -- coups, assassinats, massacres à grande échelle -- que l'impérialisme américain a utilisé, particulièrement dans les pays coloniaux, le long de la deuxième moitié du vingtième siècle. Cet agenda violent et réactionnaire se dédouble d'un retour aux méthodes du mccarthyisme et de l'utilisation du FBI comme une sorte de police politique pour supprimer ceux qui opposent la politique extérieure ou nationale de l'élite dirigeante. Maintenant comme alors, ces méthodes ne visent pas à parer une agression étrangère, mais à poursuivre les intérêts économiques et géopolitiques américains.

Le nouvel assaut militaire lancé par Washington au nom d'une «guerre contre le terrorisme» ne résoudra pas les contradictions profondes et explosives qui sont l'héritage de la guerre froide. L'effondrement de l'Union Soviétique a permis l'exploitation américaine de vastes ressources qui auparavant leur étaient inaccessibles, particulièrement les immenses réserves de gaz et de pétrole de l'Asie centrale, où Washington expédie à présent ses troupes.

Mais la chute de l'URSS a aussi éliminé les contraintes imposées par la guerre froide aux conflits entre les États-Unis et leurs rivaux économiques en Europe de l'Ouest et au Japon. Ces rivaux, anciennement unis avec Washington dans le conflit contre Moscou, ont leurs propres ambitions en ancienne Union Soviétique et en Asie centrale. Leurs déclarations de solidarité avec Washington ne changent rien au fait que ces puissances ne peuvent rester oisives tandis que les États-Unis utilisent la forces des armes pour imposer leur hégémonie économique et politique.

En ce sens, le conflit actuel ressemble non pas tellement à la guerre froide, mais plutôt aux périodes de tensions inter-impérialistes grandissantes qui ont immédiatement précédé la Première guerre mondiale et la Seconde guerre mondiale, quand des disputes locales ou régionales ont préparé le chemin pour des conflagrations et des secousses révolutionnaires à travers le monde.

La tentative de créer un accord national autour d'une campagne mondiale contre le «terrorisme» ne peut cacher les contradictions aiguës à l'intérieur des États-Unis, exacerbées par une polarisation sociale qui ne fait que s'aggraver tandis que l'économie s'affaiblit. À la différence de la guerre froide, il n'y aura pas de concessions sociales à l'intérieur du pays pour accompagner la guerre à l'extérieur. Tous les économistes bourgeois sont d'accord que la politique «du beurre et des fusils» (de grandes dépenses sociales et en même temps que de grandes dépenses militaires) est hors de question pour le capitalisme américain au vingt-et-unième siècle.

Un soutien populaire durable pour l'agression militaire américaine est impossible. Les évènements rendront évident le fait que cette nouvelle éruption du militarisme américain cherche à protéger et agrandir les profits d'une élite économique aux dépens de la grande majorité des travailleurs. La tentative de dicter la conformité idéologique et d'imposer des sacrifices matériels sous ces conditions ne peut que provoquer une intensification des conflits de classe aux États-Unis, en même temps qu'elle provoque de nouveaux cataclysmes à l'étranger.

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