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La pression américaine fissure l'Union européenne

Par Alex Lefebvre
19 novembre 2002

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La crise économique mondiale, l'élargissement de l'Union européenne (UE), et le débat sur sa structure gouvernementale suscitent des changements importants de position parmi les puissances européennes, exposant les clivages économiques et politiques énormes au sein de l'UE. Les désaccords, et les calculs politiques qu'ils cachent, démontrent l'impact de la politique extérieure américaine sur le projet d'intégration européenne. Le tournant unilatéral et militariste américain, au lieu de favoriser l'intégration européenne comme à l'époque de la Guerre froide, est en train d'exacerber les tensions intergouvernementales.

La dispute vigoureuse sur les subventions agricoles qui a récemment opposé le président français Jacques Chirac et le premier ministre britannique Tony Blair démontre encore une fois le lien inséparable qui existe entre les disputes internes de l'UE et la question des relations euro-américaines.

Un des principaux obstacles à l'expansion orientale de l'Union européenne avait toujours été la Politique agricole commune (PAC), un programme de subventions agricoles coûtant environ 40 milliards d'euros par an (40 pour cent du budget de l'UE). L'extension des subventions aux nombreuses petites exploitations en Europe de l'Est aurait coûté très cher. Les négociations sur l'extension à l'est de la PAC avaient toujours opposé un groupe de pays bénéficiaires de la PAC (France, Espagne, Italie) aux pays qui y contribuent plus qu'ils n'en retirent (Allemagne, Royaume-Uni, Danemark).

Un accord surprise entre Chirac et le chancellier allemand Gerhard Schröder juste avant les négociations d'extension de l'UE, a largement exaucé les voeux du président français : la PAC sera pérennisée jusqu'en 2006 et ensuite lentement réduite année par année. Les pays de l'Est recevront une certaine fraction (commençant vers 25 pour cent et atteignant la parité à une date à laquelle la PAC sera largement réduite) de l'aide accordée aux membres actuels. Cet accord franco-allemand, que les négociations des quinze membres de l'UE ont largement respecté, a permis de clore rapidement le dossier de l'élargissement.

Blair a publiquement attaqué l'hypocrisie du gouvernement français, qui parle d'aider l'Afrique tout en coupant les fermiers africains des marchés européens. Chirac a riposté en reportant indéfiniment le sommet diplomatique franco-britannique au Touquet du 3 décembre.

La décision franco-allemande sur la PAC a jeté la politique extérieure du gouvernement Blair dans une profonde crise. La tentative britannique de s'allier avec les gouvernements conservateurs en Italie et en Espagne donne des résultats mixtes suite à l'échec de leur politique ultra-répressive sur l'immigration au Congrès de Séville, face à l'opposition de la France et de la Suède. La presse britannique a évoqué le spectre de l'époque du «moteur franco-allemand», quand le président français François Mitterrand et le chancelier allemand Helmut Kohl ont présenté le lancement de l'euro comme un fait accompli au Royaume-Uni. Blair a eu la piètre consolation d'annoncer que les augmentations d'un pour cent du financement de la PAC dans les années à venir seraient probablement inférieures au taux d'inflation.

La ministre française des Affaires européennes, Noëlle Lenoir, a annoncé la «fin du pathos antigermanique» dans la diplomatie française, tandis que les directives du gouvernement français à ses représentants européens étaient «d'affin[er], voire ajust[er]» les buts de la diplomatie française en fonction des désirs de ses alliés, «au premier chef l'Allemagne». La collaboration franco-allemande était quelque peu surprenante, puisque les deux chefs d'Etat ­ Chirac et Schröder ­ avaient auparavant des relations très distantes : Chirac avait donné la Légion d'honneur au challenger du CDU, Stoiber, en pleine campagne électorale allemande.

Une variété de facteurs économiques et géopolitiques poussent un certain rapprochement des positions allemandes et françaises. Les deux gouvernements ont des déficits budgétaires qui risquent de dépasser la limite des trois pour cent imposée par le pacte de stabilité de l'UE et ont indiqué qu'ils approuvaient une levée des restrictions en période de crise économique. Cependant, on ne peut cacher les implications géopolitiques même de l'administration de la crise budgétaire ­ le gouvernement français avait auparavant argumenté qu'il fallait aménager le pacte de stabilité pour permettre aux pays de la zone euro de s'endetter davantage afin de financer leurs dépenses militaires.

Les commentateurs britanniques ont aussi remarqué que la France et l'Allemagne, qui poussent à présent l'intégration européenne, sont aussi les pays européens qui ont exprimé le plus de réserves sur le projet américain de guerre en Irak avant de s'incliner devant Washington. La réelection de Schröder n'est devenue possible qu'après qu'il ait adopté une attitude pacifiste quant à l'offensive contre l'Irak, et la France a mené de longues négociations au sein de l'ONU sur certains aspects des textes proposés par l'administration Bush. Le journal anglais Guardian a parlé du «scénario cauchemar» pour Tony Blair : se retrouver isolé en Europe à cause du soutien qu'il porte à la machine de guerre américaine.

Ceci donne une indication des enjeux fondamentaux de l'actuel rapprochement franco-allemand : la composition et l'orientation géopolitique du pouvoir européen. On devrait remarquer qu'il n'y a pas de garanties fermes que ce rapporchement soit durable, et plusieurs membres de l'UE ­ dont le gouvernement italien de Silvio Berlusconi ­ oscillent entre des positions qui rejoignent l'axe franco-germanique et d'autres plus proches de l'américanisme des britanniques.

Le gouvernement britannique craint que le développement d'une politique européenne moins soumise à Washington pourrait nuire à sa position traditionnelle d'intermédiaire entre l'UE et les Etats-Unis. Il a donc répondu à l'accord franco-germanique sur la PAC en insistant immédiatement qu'il essaierait de torpiller le nouveau projet de Constitution de l'UE esquissé par l'ancien président français, Valéry Giscard d'Estaing.

Ce projet, qui prévoit la formation d'un pouvoir étatique embryonnaire ­ un Congrès des peuples d'Europe consistant de parlementaires européens et nationaux, un président du Conseil des chefs d'Etat, et un président de chaque Conseil des ministères spécialisés (agriculture, transports, etc.) ­ et le transfert de nombreuses compétences auparavant laissées aux Etats nationaux, est loin de faire l'unanimité. Cependant, le ministre des Affaires étrangères allemand, Joschka Fischer, s'il a fait savoir qu'il n'approuvait pas toutes les nouvelles institutions, a aussi ajouté que s'il allait y avoir une Constitution européenne, ce serait celle esquissée par Giscard, «sans nouvelles négociations de détail».

La France et l'Allemagne ont prévu un sommet pour rédiger un texte annonçant une position commune sur la Constitution européenne. La presse française a fait savoir que Chirac insisterait pour inclure une clause de «garantie mutuelle d'assistance» sur la question de «sécurité globale» et sur un engagement définitif du gouvernement allemand sur le financement de l'A-400M, le projet d'un avion de transport militaire européen ­ un élément essentiel de toute capacité de frappe européenne indépendente des Etats-Unis et de l'OTAN.

La pression américaine sur le développement de l'UE ne s'exerce pas uniquement par le biais d'un gouvernement britannique qui cherche désespèrément à freiner l'expression des antagonismes euro-américains. Le soutien assidûment prêté par Washington à l'adhésion de la Turquie à l'UE représente une tentative plus ou moins déguisée d'augmenter son influence dans le fonctionnement interne de l'UE. La Turquie, dont la population d'environ 60 millions lui donnerait un nombre important de sièges dans les institutions européennes, est un des principaux alliés de Washington au Moyen-Orient.

Les gouvernements britannique et italien, traditionnellement plus proches de Washington, ont porté leur soutien à la candidature d'Ankara. Le 9 novembre, Giscard a annoncé qu'il pensait que l'adhésion turque serait «la fin de l'UE», citant un écart culturel et le dynamisme démographique de la Turquie. Démontrant que les questions religieuses et culturelles avaient peu à voir avec sa position, il a ensuite prôné l'organisation d'un marché commun entre l'Europe les régions limitrophes du Moyen-Orient, parlant de la possibilité d'un «pacte de partenariat» entre l'UE et la Turquie. La seule véritable inquiétude de Giscard était donc l'effet sur l'équilibre politique de l'UE qu'aurait l'adhésion turque.

Le président du groupe du gouvernement à l'Assemblée nationale à Paris, Jacques Barrot, a fait écho à cette opinion, et Jean-Claude Juncker, ministre-président du Luxembourg, a indiqué son opposition à des pourparlers sur l'adhésion de la Turquie à l'UE. Le 13 novembre, Schröder a indiqué qu'il voulait voir un «rapprochement» de la Turquie et de l'UE, mais il n'a pas parlé d'adhésion ; il a notamment demandé quel était le «sens géopolitique» du pays. Un parlementaire européen du CDU allemand, Elmar Brok, a indiqué qu'il pensait sérieusement à un niveau d'adhésion inférieure pour les régions limitrophes de l'UE. Les débats pour décider si oui ou non l'UE fixera une date pour discuter de l'adhésion turque, qui devront avoir lieu au mois de décembre, seront sans doute très tendus.

Les disputes qui secouent l'UE ont tous un point en commun : une large part de leur intensité provient des inquiétudes immenses qu'ont les dirigeants européens sur les relations euro-américaines et la direction des intentions de Washington. Les alliances mouvantes parmi les différents pays de l'UE se définissent en large partie par leur attitude envers les Etats-Unis. La politique de plus en plus déséquilibrée, unilatérale et militariste de Washington provoquera inévitablement des crises politiques majeures dans l'UE.

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