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Qu'est-il vraiment arrivé à la Ligue des Nations?

par David North
20 septembre 2002

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Dans les marécages intellectuels et moraux où aime vivre le journalisme américain, il n'y a pas de région plus répugnante que celle où vit le chroniqueur politique, connu aussi sous le nom d' «expert». Sa tâche quotidienne consiste à administrer les quantités de cynisme, de tromperie, d'ignorance, d'adoration de l'argent et de chauvinisme qui sont nécessaires pour endormir, tromper et manipuler l'opinion publique.

Ayant d'innombrables protecteurs et amis dans les agences de renseignement et les corridors du pouvoir politique et économique, avec qui il échange confidences et secrets intimes, il traduit les vastes intérêts de l'élite dirigeante en des formes appropriées à la propagande. Naturellement, on trouve parfois des exceptions, comme Paul Krugman du New York Times qui fait montre de courage, ayant consacré plusieurs de ses chroniques à faire la lumière sur les affaires financières douteuses (il s'est abstenu de les qualifier de criminelles) de membres en vue de l'administration Bush, y compris le président et le vice-président. Mais ce qui rend Krugman si remarquable, c'est qu'il y a bien peu de journalistes de la même espèce. Pour la plupart, les chroniques que l'on trouve dans les journaux américains sont écrites par des fripouilles réactionnaires et sans scrupules.

Ce qui motive ce commentaire est une chronique publiée dans le Washington Post, écrite par un de personnages les moins recommandables du journalisme américain, George F. Will. Depuis près d'un quart de siècle, Will s'est dédié à une unique cause suprême pour laquelle il n'a jamais faibli: la défense des intérêts des biens nantis. Et les services qu'il leur a rendus furent bien récompensés, puisque M. Will est lui-même devenu très riche.

La chronique de George Will est un exemple remarquable d'un des trucs favoris de l' «expert»: l'abus de l'analogie historique pour justifier les actions de l'impérialisme américain. Un article publié récemment sur le World Socialist Web Site faisait la remarque que chaque fois que le gouvernement et les médias rappelaient la capitulation de l'Angleterre et de la France devant Hitler à Munich en 1938, c'était pour justifier que les Américains s'en aillent en guerre contre l'«agresseur», Saddam Hussein, même si le comportement politique qui ressemble le plus à celui d'Hitler à Munich est celui des dirigeants de l'impérialisme américain [voir L'administration Bush veut la guerre]

Au cours de la dernière semaine, la presse a découvert une nouvelle analogie entre la Ligue des Nations qui existait avant la Deuxième Guerre mondiale et les Nations unies. C'était juste après le discours que Bush a donné face à l'Assemblée générale des Nations unies. Il avait affirmé que les Nations unies connaîtraient l'échec, comme la Ligue des Nations, si elles ne se ralliaient pas aux États-Unis pour faire la guerre à l'Irak. M. Bush ne s'est pas risqué à expliquer son analogie.

Inévitablement, M. Will s'est donné la tâche d'expliquer ce que le président des États-Unis, bien connu pour ses vastes connaissances en histoire, voulait dire en réalité.

«Avec l'Irak, les Nations unies connaissent leur Abyssinie, nous apprend M. Will. C'est ainsi que l'on appelait l'Éthiopie en octobre 1935, la date à laquelle l'Italie de Mussolini l'a envahie et que le prédécesseur des Nations unies, la Ligue des Nations, a démontré combien impuissante elle était en tant qu'instrument de l'ordre international.»

M. Will a des légions de recherchistes à sa disposition pour l'aider à écrire ses chroniques. Il faut dire qu'elles auraient beaucoup plus aidé Will si elles lui avaient dit de ne pas toucher à la question de la Ligue des Nations. En effet, si l'on accorde aux faits et au contexte historique l'attention qu'ils méritent, les événements de 1935 vont à l'encontre de la position américaine.

Il faut rappeler que les États-Unis n'ont jamais joint la Ligue des Nations. Même si le président Woodrow Wilson en avait été un des principaux instigateurs, le Sénat américain avait rejeté le traité qui menait à sa création.

Ce fait souligne une des principales faiblesses des fondements politiques sur lesquels reposait la Ligue des Nations, faiblesse inhérente au système impérialiste mondial lui-même : il n'existe aucun moyen viable de forcer une grande puissance capitaliste à soumettre ce qu'elle considère comme ses intérêts nationaux essentiels à un consensus international.

Alors que la crise économique mondiale qui a commencé avec l'effondrement de Wall Street en 1929 s'intensifiait dans les années 1930, la Ligue des Nations s'empêtrait dans des conflits insolubles entre les principales puissances impérialistes. Lorsque les militaires japonais ont invoqué un geste prétendument réalisé par des terroristes (la destruction d'une section de voie ferrée de la Compagnie des chemins de fer de la Mandchourie du Sud) pour envahir la Mandchourie, la Chine a fait appel à la Ligue des Nations pour qu'elle intervienne. Mais le Japon, affirmant faussement que la Chine avait violé ses obligations en vertu des traités, a rejeté toute médiation.

Les autres grandes puissances impérialistes, la France et l'Angleterre en particulier (et les États-Unis aussi même s'ils ne faisaient pas partie de la Ligue) n'ont pas considéré qu'il était souhaitable de s'opposer au Japon impérial sur cette question à ce moment dans l'histoire. À moins que les intérêts d'une autre des grandes puissances soient directement touchés jusqu'au point où elle est prête à en faire une guerre, la Ligue n'avait pas l'intention d'empêcher une grande puissance impérialiste d'imposer sa domination sur un faible pays semi-colonial. [1]

L'exemple célèbre de l'invasion de l'Éthiopie par l'Italie en 1935 est un autre exemple de l'hypocrisie et de la barbarie impérialistes qui créaient les conditions pour le déclenchement d'une guerre totale à l'échelle planétaire à la fin de cette même décennie. L'invasion italienne, que le dictateur Mussolini avait ordonnée pour revigorer son régime en crise avec le mirage de la gloire militaire, n'aurait jamais été possible sans l'acceptation en arrière-scène de la France et de l'Angleterre. Espérant toujours gagner l'appui de Mussolini contre les aspirations impérialistes beaucoup plus inquiétantes du régime nazi de Berlin, les gouvernements français et britannique ont discrètement encouragé les ambitions qu'avait Mussolini pour l'Afrique de l'Est. Mussolini avait eu des indications très claires que la France et l'Angleterre ne s'opposeraient pas à la transformation graduelle de l'Abyssinie en un protectorat italien.

Mais Mussolini voulait une conquête militaire et son invasion augmenta les tensions entre son pays et la France et l'Angleterre qui ne s'opposaient pas aux objectifs de domination territoriale du dictateur, mais aux moyens employés pour y arriver. L'Italie répondit qu'elle avait le droit d'entreprendre toute action qu'elle jugeait nécessaire par rapport à l'Éthiopie, «puisque cette question a une incidence sur les intérêts vitaux d'une importance fondamentale pour la sécurité et la civilisation italiennes».

Cherchant à tout prix à couvrir le rôle qu'ils avaient joué pour préparer l'agression de l'Italie, l'Angleterre et la France ont concocté une condamnation inoffensive de l'invasion par la Ligue des Nations. Rien ne fut fait pour traduire cette condamnation sans dents en gestes puisqu'aucune des principales puissances impérialistes n'avait de véritable intérêt à défendre l'indépendance de l'Éthiopie. Le dirigeant de l'Éthiopie, l'empereur Haile Selassie, a pitoyablement demandé à la Ligue des Nations de lui donner son appui dans une «lutte inégale entre, d'un côté, un gouvernement à la tête de plus de quarante-deux millions d'habitants, qui a à sa disposition des moyens financiers, industriels et techniques qui lui permettent de produire une quantité illimitée des armes les plus mortelles et de l'autre, un petit peuple de douze millions d'habitants sans armes, sans ressource...».

La Ligue des Nations, l'outil docile des impérialismes français et britannique n'a en substance rien fait pour aider l'Éthiopie. Les sanctions économiques limitées qu'elle a approuvées ne comprenaient pas d'embargo sur les exportations de pétrole à l'Italie, exportations desquelles la machine militaire de Mussolini dépendait. Et qui était le principal fournisseur de pétrole à l'Italie? Nul autre que les États-Unis qui ont doublé leur vente de pétrole à l'Italie lors de la guerre éthiopienne. [2]

La Ligue des Nations n'a pas connu l' «échec» parce que les pays faibles et sous-développés ont refusé de se soumettre à la loi internationale. Plutôt, elle s'est effondrée parce qu'il n'existait aucun moyen de contraindre une grande puissance impérialiste à ne pas utiliser la violence pour arriver à ses fins.

S'il fallait faire une analogie avec les événements contemporains et 1935, le rôle de l'Éthiopie serait joué par l'Irak, celui de l'Italie par les États-Unis et celui de la France et l'Angleterre par..., ma foi, la France et l'Angleterre.

Voici, M. Will, votre leçon d'histoire pour aujourd'hui.

[1] L'historien américain, William Keylor, a donné un exposé concis de la réponse des impérialistes à l'invasion de la Mandchourie par le Japon. Le département d'État américain, écrit Keylor, «a continué à décourager le commerce et les investissements américains avec le reste de la Chine sous contrôle du Guomindang. Les exportations américaines de marchandises stratégiques vers le Japon ont continué sans ralentissement pour le reste des 1930.» Ce que fit la Grande-Bretagne ne fut pas moins ignoble. «La Grande-Bretagne a voulu encore moins prendre le risque de se mettre le Japon à dos en cherchant à le déloger d'une région où elle n'avait pas particulièrement d'intérêts nationaux. Des représentants de Londres ont même accueilli la plus grande implication de l'armée japonaise au nord de la Chine pour être une diversion bien utile de la région de l'est de l'Asie, qui va de Hong Kong jusqu'à Singapour, qui était très importante pour la Grande-Bretagne, aussi bien en termes économiques qu'en termes stratégiques. Tout au long de l'épisode de la Mandchourie, la politique britannique envers l'Asie de l'Est a été dominée par l'aspiration de diviser toute la région en sphères d'intérêts commerciaux et stratégiques à la satisfaction mutuelle du Japon et de l'Angleterre.» [The Twentieth Century World: An International History (New York and Oxford, 1996), p. 233.]

2. Keylor, p. 151


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