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Les Etats-Unis répondent par des menaces aux tentatives françaises de rapprochement sur l'Irak

Par Alex Lefebvre
1er mai 2003

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La dernière tentative française de rapprochement vis-à-vis le militarisme américain ­ une offre de suspendre les sanctions de l'ONU contre l'Irak ­ a seulement eu l'effet de provoquer plus de menaces et de tentatives d'intimidations par des hauts responsables de l'administration Bush. Cette réaction, une continuation des tactiques employées contre Paris depuis que cette dernière a opposé la guerre américaine en Irak au Conseil de Sécurité à l'ONU, ne laisse aucun doute quant à comment Washington compte diriger les affaires européennes, et internationales, dans la période à venir. Les Etats-Unis vont essayer de diviser l'Europe, visant à isoler et humilier tout Etat qui tentrait d'avoir une politique étrangère indépendante.

Pendant plusieurs semaines, les déclarations françaises applaudissant les succès militaires américains en Irak et les tentatives par Paris de réparer les relations franco-américaines n'ont eu aucun effet sur l'administration Bush et ses conseillers Républicains conservateurs. Le 21 avril, des responsables de l'administration se sont réunis pour discuter ce que les Etats-Unis pourraient faire pour punir la France. Des membres de l'Administration de Sécurité Nationale (NSA) et du Département d'Etat étaient présents, comme deux faucons influents de l'Etat-Major du Vice-président Richard Cheney, I. Lewis Libby et Eric Edelman.

Le gouvernement français a offert des concessions importantes. Auparavant, il avait insisté que toute levée des sanctions de l'ONU contre l'Irak pour raison d'armement devrait attendre le redémarrage et la conclusion des inspections d'armement de l'ONU et un vote du Conseil de Sécurité. Cette position faisait pression sur l'administration Bush, puisque les inspections en Irak risquaient d'exposer à nouveau les mensonges sur les armes de destruction massive irakiennes avec lesquels Bush a essayé de justifier la guerre en Irak. Le 22 avril, la France a abandonné cette position, indiquant qu'elle accepterait de lever immédiatement les sanctions de l'ONU. Elle a seulement insisté qu'une levée permanente des sanctions devrait attendre que l'on ait vérifié que l'Irak est désarmé.

Plus tard ce même soir, le Secrétaire d'Etat Colin Powell ­ souvent décrit comme le « modéré » de l'administration Bush ­ a proposé des mesures de rétorsion contre la France. A la télévision publique américaine, l'intervieweur Charlie Rose a demandé si un pays qui avait opposé la politique américaine, comme la France, devrait en subir les conséquences ; Powell a immédiatement et fermement répondu : « oui ! »

Le matin du 23, le Département d'Etat a confirmé que Powell n'avait pas fait d'erreur et que c'était la position officielle américaine. Le porte-parole du département, Richard Boucher, a ajouté que les conséquences pour la France seraient « plus que philosophiques ». En même temps il a décrit un coup de téléphone à Powell par le Ministre des Affaires Etrangères français, Dominique de Villepin, pendant lequel Powell et Villepin ont « un peu ri de certains rapports exagérés dans la presse sur ce que 'oui' veut dire [] je pense que certains des journaux ont décrit 'oui' comme 'la guerre' ».

Le gouvernement américain a surtout mentionné des mesures de rétorsion politiques contre la France, visant à diminuer son influence dans la diplomatie internationale et à l'isoler à l'intérieur de l'Europe. Il considère la possibilité de contourner le Conseil de l'Atlantique Nord de l'OTAN, auquel participe Paris, et de prendre plus de décisions sur le Conseil du Plan de Défense, qui n'inclut pas la France. Il considère aussi la possibilité d'inclure l'Italie et l'Espagne, traditionnellement plus pro-américaines, à des réunions euro-américaines qui ne regroupent traditionnellement que les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, et la France.

Jusqu'ici les responsables américains ont évité des mesures économiques ou commerciales. Des tentatives de viser des compagnies françaises employées par le gouvernement américain ont buté sur l'objection que la plupart de ces compagnies fabriquent leurs produits aux Etats-Unis et emploient des travailleurs américains. En plus, vu l'économie mondiale chancelante et la dépendance américaine sur des capitaux étrangers ­ souvent européens ­ pour maintenir la balance des paiements américaine, des mesures qui risqueraient de produire une guerre commerciale généralisée seraient très dangereuses. Le journal français conservateur Le Figaro a remarqué que « La Maison-Blanche, par intérêt commercial bien compris, a discrètement torpillé plusieurs projets de sanctions économiques mitonnés au Congrès contre Paris ».

Ces menaces n'ont pas changé l'orientation fondamentale du gouvernement conservateur français, qui a fermement décidé de se raccomoder avec les Etats-Unis. En visite à Ankara,Villepin a déclaré que « La page 'guerre ou pas' est tournée, il faut regarder ensemble vers l'avenir. La France est désireuse de faire preuve d'ouverture et de pragmatisme ».

Des sections puissantes de l'élite dirigeante française considèrent la détermination américaine de punir la France malgré tout avec consternation et incompréhension. Le Figaro a fait une liste d'autres concessions récente de la France aux Etats-Unis : « Elle a accepté, pour la première fois, que l'Otan intervienne hors d'Europe en prenant la direction de la force de sécurité internationale en Afghanistan. Elle a demandé la suspension «immédiate» des sanctions internationales qui frappent l'Irak depuis 1990. Elle a envisagé que les inspecteurs de l'ONU travaillent aux côtés d'inspecteurs américano-britanniques en Irak pour rechercher des armes de destruction massive. Elle a mis sous le boisseau ses dénonciations de «l'illégalité» de la guerre. Autant de tentatives de mettre de l'huile dans les rouages, qui n'ont manifestement pas suffi à apaiser Washington ».

Le porte-parole gouvernemental Jean-François Copé a tenté de relativiser l'importance des commentaires de Powell, prétendant que « Cela ne correspond absolument en rien à la réalité de nos relations actuelles avec les Etats-Unis, comme en a témoigné récemment la conversation téléphonique entre le président Chirac et le président Bush ». Cependant, comme l'a indiqué le quotidien centre-gauche Libération, le mot utilisé par les responsables américains pour décrire cette conversation (« businesslike ») « en langage diplomatique, évoque un climat polaire ».

Les cercles dirigeants français reconnaissent la menace posée par la discorde franco-américaine à la cohésion de l'Europe bourgeoise. Guillaume Parmentier, chef du Centre Français pour les Etats-Unis, a dit au Figaro qu'il « suffit que les relations franco-américaines restent tendues pour que nos partenaires européens évitent de se rallier à nos conceptions d'une politique étrangère commune européenne. [ La France devra] sinon aller à Canossa, du moins de rabibocher avec les Etats-Unis ».

Les dirigeants américains semblent être déterminés que la France ne se « rabibochera » pas avec eux. L'administration Bush a annoncé que quand elle participera au sommet du G-8 le 1er juin à Évian dans les Alpes françaises, le Président Bush refusera symboliquement de passer la nuit en France, rentrant chaque soir dans un hôtel en Suisse. Un responsable français a répondu que « Nous ne voulons forcer personne à passer la nuit en France ». Cependant, un diplomat français anonyme a remarqué l'ironie du refus de Bush de rester en France, qui a permis aux avions américains allant bombarder l'Irak de survoler son territoire, vu qu'il va rester en Suisse, qui a refusé ce même droit à l'aviation américaine.

Si l'administration Bush semble vouloir punir la France d'une manière exemplaire ­ selon l'éditorialiste du Washington Post Jim Hoagland, la devise de la conseillière en sécurité nationale Condoleezza Rice est « Punir la France, faire comme si l'Allemagne n'existait pas, et pardonner la Russie » ­ elle ne réserve pas à la seule France ce style de comportement. En une violation extraordinaire du protocole diplomatique, l'administration Bush a toujours refusé de féliciter le chancelier allemand Gerhard Schröder sur sa réélection en 2002, quand il a promis de maintenir l'Allemagne à l'écart de la guerre en Irak.

Elle a aussi critiqué le premier ministre canadien Jean Chrétien pour son soutien pas assez enthousiaste de la guerre. Le 24 avril le journal canadien Globe and Mail a remarqué avec inquiétude que « L'administration de M. Bush n'a pas essayé de cacher comment elle considère la non-participation du Canada, de la France, de l'Allemagne, et d'autres alliés de longue date dans la coalition de belligérants en Irak ».

William Safire, éditorialiste du New York Times, a assumé sa fonction habituelle de propagandiste cynique et de médiseur dans un éditorial du 24 avril sur les conflits Franco-américains, intitulé « La dernière ruse de Chirac ». Il se réjouit que la « realpolitik » empêche les corporations françaises d'obtenir de « gros contrats » dans la reconstruction de l'Irak. Il désigne ensuite le rôle de l'ONU en Irak comme moyen de faire passer des fonds à « Paris, Moscou, et Damas » et la dernière concession de la France comme « une façon de maintenir la botte de l'ONU sur les tuyaux [de pétrole] irakiens ». Après davantages de critiques de la France, la Russie, et de l'ONU, Safire conclut que la France et les Etats-Unis « seront de nouveau amis », mais que « Chirac et son petit chien Poutine ont sévèrement endommagé l'ONU ».

Beaucoup de ceci est tellement malhonnête que cela se réfute presque soi-même. Si Safire fulmine à l'idée que les sociétés françaises pourraient obtenir de « gros contrats » en Irak, il n'est pas du tout gêné quand les Etats-Unis utilisent la « realpolitik »­ un terme désignant la politique militariste et expansionniste de la Prusse du 19e siècle ­ pour bloquer les corporations françaises et donner ces mêmes contrats à leurs rivales américaines. Safire accepte de voir la malhonnêteté et l'avarice des Européens, mais il ne considère jamais même la possibilité que de telles motivations pourraient avoir quoi que ce soit à faire avec la politique américaine.

Quand aux propositions françaises sur un retour des inspecteurs onusiens en Irak, ils ont du sens si l'on croit du tout les affirmations américaines concernant l'Irak et les armes de destruction massive. Après tout, le reversement du régime Hussein par Washington a provoqué des pillages largement répandus et incontrôlés, pendant lesquels d'hypothétiques armes de destruction massive auraient pu tomber aux mains du mouvement chi'ite de plus en plus puissant, que le gouvernement américain accuse de longue date d'avoir des liens aux groupes terroristes et à l'Iran, qui fait partie de « l'Axe du Mal » de Bush. Safire ne traite pas cette question.

Cependant, l'omission probablement la plus sérieuse de l'article remarquablement évasif de Safire est celle qu'il partage avec l'administration Bush et tous ses apologues qui ont commenté sur les conflits Franco-américains : ils sousestiment fondamentalement les conséquences imprévisibles et sérieuses de leurs actions.

L'assurance facile avec laquelle l'administration Bush compte s'imposer aux Etats européens contraste avec sa suite de défaites diplomatiques internationales avant la guerre en Irak. Ses incapacités diplomatiques à présent bien connues pourraient finir par leur nuire, les travailleurs européens considérant leurs dirigeants pusillanimes et pro-américains avec un dédain grandissant.

On ne devrait pas non plus sousestimer l'importance de la campagne de plus en plus virulente et militariste aux Etats-Unis contre la France. L'éditorial de Safire mentionne Paris et Moscou en même temps que Damas, que l'on suppose largement être la prochaine victime arabe des Etats-Unis. Le jour que Bagdad est tombée, le journal conservateur New York Post avait un éditorial intitulé « Vers Paris ! » ­ le cri de guerre des armées allemandes au début de la Première Guerre Mondiale.

Les médias américains ont rempli une fonction importante ces dernières années : de justifier les guerres des Etats-Unis en tentant de fabriquer un certain soutien populaire pour les agressions militaires en caricaturant et diffamant des ennemis lointains. A présent ce processus ­ qui dépend largement sur les éléments les plus fanatiques et primitifs de l'élite dirigeante américaine ­ se tourne, non pas sur un pays du Tiers Monde sans réelle défense, mais sur une autre grande puissance capitaliste.

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