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Une échange de lettres sur l'interdiction du foulard islamique

8 avril 2004

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Ci-dessous nous publions une lettre de réponse à un article du WSWS du 18 février intitulé France: l'Assemblée Nationale interdit le foulard islamique à l'école et la réponse de l'auteur de l'article, Alex Lefèbvre

M. Lefèbvre,

J'ai trouvé intéressant de lire une perspective différente sur la nouvelle loi interdisant les signes religieux dans les écoles publiques. Je reconnais qu'une telle loi pourrait avoir des conséquences négatives, voire même créer un plus grand fossé et moins de compréhension entre ceux qui ont des croyances religieuses différentes.

Cependant, ayant vécu l'ingérence troublante de chrétiens de droite dans les affaires publiques et politiques aux Etats Unis, je me prends à fortement souhaiter des dirigeants politiques qui aient le courage de réaffirmer ce que nous appelons la séparation de l'église et de l'état ou ce que les français semblent appeler la laïcité ou l'état laïc.

Mon sentiment est que les politiques américains ont été bel et bien intimidés par la droite chrétienne, comme le démontre l'exemple récent de Howard Dean. M. Dean commença par refuser de répondre à des questions sur ses croyances religieuses. Quand les questions ont persisté il a déclaré qu'il ne fréquentait que rarement l'église, mais il a fini par déclarer publiquement des croyances et une pratique de la prière plus pieuses. Mon interprétation fut qu'il avait été intimidé, alors qu'il aurait dû citer le principe de la séparation de l'église et de l'état comme raison pour refuser catégoriquement de répondre à ces questions.

Que les dirigeants politiques français aient pris la position que l'on sait au sujet des signes religieux me fait penser que le principe de l'état laïc est plus fort que la liberté religieuse car la liberté religieuse semble en fait donner de l'importance à la religion, plutôt que d'adopter une attitude neutre envers elle.

La religion a servi de justification à des actes horribles de cruauté, de violence et de persécution à travers l'histoire. Bien que cette constatation soit bien connue, malheureusement elle s'applique au présent aussi bien qu'au passé.

L'idée qu'il faut permettre aux gens de croire en la religion de leur choix me paraît être la reconnaissance d'une réalité inchangeable. C'est-à-dire, la croyance religieuse semble être d'une puissance telle que les gens vont forcément y croire, quoi que fassent d'autres personnes qui ont des croyances différentes pour les en empêcher.

L'idée qu'il faut autoriser les pratiques religieuses, quelles qu'elles soient, que les gens choisissent est, par contre, une idée qui rend obligatoire l'intervention et le contrôle extérieurs, du fait que des pratiques comme le sacrifice humain et autres atteintes physiques, dégradations et discriminations, ont été et continuent d'être bien trop répandues.

Vous faites remarquer que l'enseignement est essentiel pour soutenir et promouvoir la laïcité et la liberté religieuse. Je suis d'accord. L'éducation que je pense être primordiale est celle qui traite des excès des pratiques religieuses et celle qui traite de la différence entre les croyances religieuses, qui sont protégées comme il se doit, et les pratiques religieuses, qu'il faut contrôler comme il se doit.

Du fait que je vois la nouvelle loi française comme une tentative de s'attaquer à des pratiques religieuses et non pas à des croyances religieuses, comme j'ai vu des hommes politiques américains se faire intimider par des démagogues et d'autres hommes politiques aller jusqu'à devenir des démagogues religieux, ma position est de soutenir l'action du gouvernement français sur cette question.

Cordialement
AK


* * *

Cher AK

Merci pour votre lettre. Votre hostilité à l'influence de l'intégrisme chrétien dans la politique américaine est compréhensible, cependant il faut que je dise dès le début que votre appréciation de la loi française sur le port du foulard islamique se base sur une lecture profondément erronée de la situation politique en France, aussi bien que sur des conceptions de la religion et de la liberté religieuse que nous ne partageons pas.

Vous dites que vous soutenez la loi contre le foulard islamique car vous pensez qu'elle montre que les politiques français affirment le principe de la séparation de l'église et de l'état.

Donc vous écrivez par rapport aux USA, " je me prends à fortement souhaiter des dirigeants politiques qui aient le courage de réaffirmer ce que nous appelons la séparation de l'église et de l'état ou ce que les français semblent appeler la laïcité ou l'état laïc ».

Vous opposez la laïcité à la liberté religieuse, en préférant l'idée que vous vous faites de la première car elle permet à l'état de jouir d'une autorité accrue pour réguler les pratiques religieuses.

Il m'est impossible d'être d'accord avec ces prises de position. Ou bien on accorde la liberté de conscience et la liberté d'exprimer ces croyances avec des pratiques qui ne portent pas préjudice aux autres, ou bien on n'accorde pas la liberté religieuse. Votre formulation de « la laïcité » affirme essentiellement que tout le monde a le droit d'avoir ses croyances, mais personne n'a le droit de les exprimer si elles s'opposent à celles de l'état. Une dictature ne demanderait pas mieux.

Nous avons une conception différente du contenu du principe de la séparation de l'église et de l'état. Du point de vue et de l'histoire et de la défense des droits démocratiques, le principe de laïcité, ou de séparation de l'église et de l'état, ne signifie pas qu'il faut céder aux élites politiques les outils nécessaires au contrôle de la vie religieuse, mais bien plutôt le contraire. Ce principe insiste sur le fait qu'il n'est pas du ressort de l'état d'imposer ses idées sur la religion et les croyances personnelles des citoyens. De ce point de vue, il est erroné et finalement réactionnaire d'établir une distinction entre la séparation de l'église et de l'état et la liberté de conscience ou de croyance.

Cette conception de la laïcité n'admet aucune illusion sur la religion elle-même. La religion est le reflet fantastique d'une réalité matérielle, résultat de l'ignorance de l'homme et de son aliénation du monde naturel et social où il vit. Cependant, au lieu de voir les illusions religieuses comme « une réalité inamovible », nous les considérons comme un facteur dynamique déterminé par les évolutions socio politiques et liées aux luttes de l'humanité pour sa libération matérielle, sociale et spirituelle.

Les superstitions religieuses ne seront complètement surmontées qu'avec la fin des divisions de classes de la société et le développement du socialisme, ce qui rendra possible une avancée profonde des forces productives et de la culture humaines. Ceci présuppose une transformation révolutionnaire au cours de laquelle le système d'exploitation du capitalisme est aboli et les masses elles-mêmes dirigent consciemment et rationnellement la vie sociale selon leurs besoins.

Les racines matérielles et psychologiques de la religion seront balayées au cours d'un bond en avant de la culture matérielle et spirituelle de l'homme. Les premières étapes de ce processus impliquent l'éducation politique et l'élévation morale des masses laborieuses au cours d'une lutte consciente pour en finir avec le capitalisme et asseoir les fondements politiques et économiques pour la construction du socialisme.

Toujours et partout, sous le capitalisme, l'application du principe de la laïcité et de son corollaire, la liberté religieuse, reste incomplète, partielle et hypocrite. La religion n'est qu'une forme de la mystification des relations sociales qui se sont développées au cours de l'histoire et dans lesquelles et à travers lesquelles les gens mènent la lutte, ancrée dans le processus du travail, pour modifier et transformer la nature. Les formes mêmes de la production sociale, sous le capitalisme, cachent les relations réelles entre le capital et le travail, et génèrent l'illusion d'un échange de valeurs équivalentes entre les propriétaires des moyens de production et ceux obligés de vendre leur capacité de travail aux propriétaires capitalistes. Quand le travail humain lui-même, sous la forme de « force de travail », devient une marchandise, la nature exploiteuse inhérente de la relation entre propriétaires et ceux qui produisent est cachée.

Cette mystification engendre toutes sortes d'idées fausses sur le monde, dont les idées religieuses. La classe dominante, en plus, a intérêt à maintenir l'ignorance des masses laborieuses, et la religion est un instrument qui a fait ses preuves pour maintenir la désorientation et l'abrutissement des travailleurs

Cependant, faire appel à l'état bourgeois pour qu'il prescrive ce que les masses ont le droit de croire ne fera pas venir plus vite le jour où elles se libéreront de l'ignorance et de la superstition. C'est plutôt le contraire : une telle politique accroît les illusions sur l'état et renforce les obstacles auxquels doivent faire face les travailleurs dans leur quête pour comprendre le monde afin de le changer.

La lutte démocratique pour la laïcité contre la promotion étatique de la religion tout au long de l'histoire dans les colonies américaines, culminant avec la guerre révolutionnaire d'indépendance contre la Grande Bretagne et la mise en place des Etats-Unis comme république, démontre le lien entre le principe de la séparation de l'église et de l'état, d'un côté, et de la liberté de conscience, de l'autre.

Bien que les premières colonies aient été fondées, pour la majeure partie, par des réfugiés fuyant la persécution religieuse en Europe, nombreuses furent celles ­ notamment la Colonie de la Baie de Massachusetts ­ qui établirent des gouvernements théocratiques dans le Nouveau Monde. Le contexte religieux de l'époque eut son expression la plus tragique avec les procès des sorcières de Salem de 1692.

Au cours du dix-huitième siècle, cependant, les principes théocratiques ont en général perdu du terrain face à l'influence grandissante de la pensée anticléricale des Lumières européennes. William Nelson écrit dans The Americanisation of the Common Law (l'américanisation du droit commun), "Pris dans l'ensemble, les différents changements libertaires des lois (à la fin du dix-huitième siècle et au début du dix-neuvième) ont fait beaucoup plus que de seulement restructurer des institutions, de défendre les droits procéduraux des accusés criminels, et d'accorder des droits égaux à des classes auparavant déshéritées. Ces changements ont contribué de diverses façons importantes à miner l'idéal hérité de la période d'avant la Révolution Américaine selon lequel les communautés devaient rester unies pour atteindre des buts éthiques communs. »

Donc, l'aspiration grandissante pour la séparation de l'église et de l'état était étroitement liée à la montée du mouvement pour les libertés individuelles et religieuses au commencement des USA.

Le "Memorial et Remonstance Against Religious Assessments" de James Madison, où il s'opposait aux propositions stipulant qu'une partie des impôts des citoyens aillent à des institutions religieuses de la Virginie, exprima avec force ces idéaux. Il écrivit : « La religionde tout homme doit être laissée à la conviction et la conscience de tout homme ; et c'est le droit de tout homme de la pratiquer comme le lui dictent sa conviction et sa conscience. Ce droit est de par nature un droit inaliénable. Il est inaliénable, car les opinions des hommes, qui dépendent uniquement des données contemplées par leur propre esprit, ne sauraient être dictées par autrui ».

A l'aune de cette conception historique de la laïcité, que le gouvernement Raffarin prétende défendre la laïcité en ciblant une minorité religieuse est absurde. Le soi-disant engagement du gouvernement Raffarin en France vis-à-vis de la laïcité fournit un exemple concret de l'attitude hypocrite et inconsistante de l'élite capitaliste au pouvoir sur le sujet, ainsi que sur toutes les autres questions de droits démocratiques.

Le gouvernement français est loin de voir sa campagne pour "la laïcité » comme la réaffirmation de sa « position neutre » par rapport à la religion, comme vous dites. En effet, un thème commun des déclarations gouvernementales sur le débat sur le voile a été la nécessité d'encourager et de promouvoir la religion. Pour ne citer qu'un exemple criant, le premier ministre Raffarin dit au Journal du Dimanche le 25 janvier que « Notre société a besoin d'espoir, c'est pourquoi je ne veux pas d'une laïcité agressive ». Raffarin, catholique pratiquant, dit, par la suite, au journaliste qu'il avait souvent rencontré l'archevêque de Paris, le cardinal Lustiger, pour discuter de ses intentions et projets pour l'application de cette loi.

Comme tout le monde le sait, l'interdiction du port du foulard cible, non pas l'expression religieuse en général dans les écoles publiques, mais plutôt l'expression de croyances religieuses par des membres de la communauté minoritaire musulmane. L'état français, et le gouvernement Raffarin, font toutes sortes de concessions aux autorités religieuses plus établies et plus puissantes.

L'envergure des mensonges de la croisade antivoile du gouvernement Raffarin se révèle avec clarté quand on considère ses liens à peine cachés avec l'Eglise catholique. L'exemple le plus criant, peut-être, de l'ingérence de l'état dans la chose religieuse est le statut spécial des trois départements du nord-est de la France : Moselle, Haut-Rhin, et Bas Rhin. Du fait que ces départements se trouvaient sous contrôle allemand entre la guerre franco prussienne de 1870-1871 et la Première guerre mondiale, la loi française de 1905 sur la séparation des églises et de l'état ne s'y applique pas. Au lieu de cela, une combinaison étrange de lois datant de l'époque napoléonienne et du Second Reich Allemand est appliquée qui reconnaît trois religions officielles ­ catholique, protestante et juive. Des représentants de ces religions, mais non pas de la religion musulmane, sont reconnus et payés comme fonctionnaires de l'état. Les élèves des établissements publics de ces départements doivent choisir l'éducation religieuse d'une de ces trois religions officielles, ou entamer un processus pénible de demande de dispense.

On pourrait citer aussi les fonds publics généreux accordés par l'état français aux établissements scolaires privés qui en font la demande, dont la grande majorité est catholique. Le budget du Ministère de l'éducation nationale de 2004 révèle que sur des dépenses de 55,5 milliards d'euros, plus de 10% - 6.8 milliards d'euros ­ ont financé les établissements privés. L'état paie non seulement le salaire des enseignants, mais donne aussi de l'argent pour les manuels, les fournitures et équipements et des bourses.

Il est impossible de réconcilier l'image d'un gouvernement Raffarin partant en guerre contre la démagogie religieuse étant donnée la réalité de ce gouvernement qui, tout en accordant des subventions massives à l'Eglise catholique, ne cache guère ses sentiments pro chrétiens, et qui encourage les préjugés anti-immigrés en excluant les élèves musulmanes de l'Ecole publique.

Cordialement.
Alex Lefèbvre

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