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Le Parti libéral du Canada conserve le pouvoir, mais les élections démontrent une désaffection populaire massive

par Keith Jones
30 juin 2004

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Le Parti libéral qui a traditionnellement formé le gouvernement au Canada et est au pouvoir sans interruption depuis 1993, a réussi de justesse à s'accrocher au pouvoir lors des dernières élections du 28 juin. Il lui manque vingt sièges pour obtenir une majorité parlementaire, ce qui signifie que les libéraux devront manuvrer avec les trois partis de l'opposition, le Parti conservateur dirigé par Stephen Harper, le Bloc québécois (BQ), un parti indépendantiste et les sociaux-démocrates du Nouveau Parti démocratique (NPD).

Personne ne peut dire combien de temps les libéraux voudront continuer ainsi ou combien de temps ils réussiront à gagner suffisamment d'appui des partis d'opposition. Le dernier gouvernement minoritaire fédéral a été élu en mai 1979 et n'a pas terminé l'année.

Mais on peut dire hors de tout doute que les prétentions des sociaux-démocrates selon qui les libéraux, ce parti de la grande entreprise, seront forcés de faire des concessions importantes aux travailleurs à cause de la pression parlementaire du NPD se révéleront n'être qu'un canular cruel.

Les élections fédérales ont fait la preuve de la désaffection de masse envers l'ensemble de l'establishment politique, surtout envers les partis de la grande entreprise, et d'un virage à gauche au sein d'une partie importante de la population.

Les élections ont connu le plus bas taux de participation de l'histoire canadienne alors que seulement 60,5 pour cent des électeurs inscrits se sont rendus votés. Autant en termes réels que relatifs, les libéraux et les conservateurs ont perdu une part importante du vote par rapport aux élections 2000, alors que les partis perçus comme étant de gauche, le NPD, le BQ et les verts, ont obtenu 1,7 million de votes supplémentaires et ont vu leur part du vote augmenté d'environ 14 pour cent.

Les sondages avaient prédit que les libéraux et les conservateurs obtiendraient un nombre presque identique de sièges. Mais lorsque les votes furent comptés, les libéraux avaient 36 sièges et une part du vote de 7 pour cent de plus que l'opposition officielle conservatrice. Stephen Harper, abattu, a admis qu'il était désappointé, mais a promis que la lutte n'était pas terminée puisque aucun des deux partis n'avait obtenu de majorité.

Pour éviter la défaite, le premier ministre libéral Paul Martin a dû louvoyer vers la gauche. En tant que ministre des Finances fédéral, Martin a mis en oeuvre les plus importantes coupes budgétaires de l'histoire canadienne, pour ensuite récompenser la grande entreprise et les biens nantis avec des réductions d'impôts sur les sociétés et sur le revenu de 100 milliards sur cinq ans. Dans sa longue campagne pour arracher la direction du Parti libéral à Jean Chrétien, Martin avait promis que le rapprochement avec l'administration Bush serait sa priorité. Ceci ne l'a empêché lors de la campagne électorale de poser au défenseur du réseau de santé public, des droits des homosexuels et du droit à l'avortement et dénonçant Harper à maintes reprises pour avoir demander que le Canada participe à l'invasion illégale de l'Irak aux côtés des Britanniques et des Américains et pour être «à genoux» devant Washington.

La remontée des libéraux dans les derniers jours de la campagne ne fait que souligner qu'un nombre important d'électeurs n'a voté libéral que pour empêcher que le Parti conservateur, néo-conservateur et pro-Bush, ne forme le gouvernement.

Il y a quelques mois, les analystes politiques prédisaient que les libéraux gagneraient facilement les élections pour former un gouvernement majoritaire pour la quatrième fois de suite. Mais, les libéraux ont finalement perdu quarante sièges et ont vu leur part du vote exprimé passé de 40,8 pour cent aux dernières élections en 2000 à 36,7 pour cent.

Le Parti conservateur, un parti qui a été créé à la fin de l'an dernier de la fusion de l'Alliance canadienne, un parti populiste de droite, avec le Parti progressiste-conservateur, le parti de la bourgeoisie qui alternait au pouvoir avec les libéraux, a gagné 99 sièges, 21 de plus que la somme des sièges qu'avaient gagnés ensembles l'Alliance et le Parti progressiste-conservateur en 2000. Mais la part du vote des conservateurs a chuté de façon remarquable, de plus de 8 pour cent, par rapport au vote combiné qu'avaient récolté l'Alliance et le Parti progressiste-conservateur aux dernières élections, passant de 37,7 pour cent à 29,6 pour cent.

Le Parti réformateur, qui est devenu l'Alliance canadienne, est né à la fin des 1980 en tant que parti régional demandant un plus grand rôle pour l'Alberta riche en pétrole et les autres provinces de l'Ouest canadien au sein du gouvernement central, attaquant le bilinguisme officiel et l'establishment politique pour soi-disant céder aux demandes du Québec et défendant un programme économique néolibéral et le conservatisme social. Lors des élections du 28 juin, le «nouveau» Parti conservateur a réussi à garder la base électorale qu'avaient le Parti réformateur et l'Alliance canadienne dans l'Ouest canadien. En prenant 24 sièges en Ontario, il mettait un terme au quasi-monopole des libéraux dans la province la plus populeuse et la plus industrialisée du Canada depuis trois élections. Mais les conservateurs restent un parti surtout rural. Si l'on fait exception de l'Alberta, les conservateurs n'ont que quelques sièges dans les banlieues et pratiquement aucun dans les principaux centres urbains commeToronto, Vancouver, Winnipeg et Ottawa. Au Québec, les conservateurs n'ont obtenu que 8,8 pour cent du vote et n'ont pas réussi à faire élire un seul député.

Conscients de l'opposition populaire à leur programme de réductions des impôts au profit des biens nantis, de privatisation de la plus grande partie du système de santé, de l'expansion rapide de l'armée canadienne et du rapprochement encore plus prononcé des liens géopolitiques et économiques avec Washington, les conservateurs ont placé la dénonciation de la corruption, de la mauvaise gestion et du gaspillage des libéraux au centre de leur campagne. Au début, cette approche a eu un écho à cause de la frustration de la classe moyenne devant l'insécurité économique grandissante et un niveau de vie qui, au mieux, stagne. Mais l'appui pour les conservateurs a cessé de croître, puis est diminué après qu'il est devenu évident qu'ils étaient en position de gagner les élections.

Les sociaux-démocrates font les plus grands gains

Contrairement aux conservateurs, le Nouveau Parti démocratique (NPD), bénéficiant de l'appui des syndicats, a gagné un million de votes de plus que lors des élections 2000 et a doublé sa part du vote populaire. Le NPD a obtenu 15,7 pour cent du vote par rapport à 8,5 pour cent il y a quatre ans. En vertu du système électoral canadien, où les votes qui vont aux perdants dans chacune des circonscriptions électorales sont perdus, les gains du NPD en terme du nombre des sièges ont été beaucoup plus modestes. La représentation des sociaux-démocrates en Chambre est passée de 14 députés avant les élections à 19 aujourd'hui. Alors que le NPD a perdu des sièges en Saskatchewan, là où le gouvernement provincial néo-démocrate met en oeuvre une politique de budgets équilibrés et de diminutions d'impôts, le NPD en a gagné en Ontario et en Colombie-Britannique.

Pour la première fois depuis les années du gouvernement ontarien de Bob Rae (1990-95), qui était avait mené une attaque frontale contre la classe ouvrière en diminuant les dépenses sociales, en augmentant les impôts et en imposant un «contrat social» de diminution des salaires et d'élimination des emplois dans le secteur public, le NPD a une importante députation ontarienne à la Chambre des communes. Il a réussi à faire élire des députés à Windsor, Hamilton, Toronto et au nord de la province.

Si l'on se fie aux sondages, des centaines de milliers de personnes qui avaient déclaré qu'elles voteraient pour le NPD ont migré vers les libéraux à la dernière minute pour empêcher une victoire des conservateurs. Qu'elles agissent ainsi n'est pas surprenant puisque la direction du NPD elle-même a très clairement annoncé qu'elle avait l'intention d'appuyer le gouvernement minoritaire libéral de Martin pour empêcher un gouvernement conservateur. De plus, une cohorte de néo-démocrates en vu, comme l'ancien premier ministre Ujjal Dosanjh, le président de l'IWA (un syndicat regroupant les travailleurs de la forêt et du bois) Dave Haggard, le maire de Winnipeg Glen Murray et l'ancien ministre de Saskatchewan Chris Axworthy, s'est présenté sous la bannière des libéraux lors des élections du 28 juin.

Le Bloc québécois, comme son parti frère du provincial, le Parti québécois, se décrit comme un parti progressiste qui bénéficie de l'appui de la bureaucratie syndicale. Lors des élections, ils ont pu bénéficier de la colère populaire envers les diminutions des primes d'assurance-chômage des libéraux fédéraux et envers le gouvernement provincial de Jean Charest. Ce dernier, au nom de la compétitivité du Québec, a abrogé des dispositions législatives limitant la sous-traitance et a entrepris une «réingénierie» de l'État, c'est-à-dire un programme de déréglementation, de privatisations et d'importantes diminutions des dépenses sociales et des impôts. Le BQ a obtenu 54 des 75 sièges, une augmentation par rapport aux 38 qu'il avait gagnés en 2000. Il a obtenu 48 pour cent du vote populaire au Québec, soit une augmentation de 1,7 pour cent de la part du vote national.

Pour la première fois dans une élection fédérale, le Parti vert a obtenu une part non négligeable du vote. Avec près de 600.000 voix, il a obtenu environ 4,3 pour cent du vote exprimé, soit quatre fois mieux que lors des dernières élections.

La fonction du Parti libéral

Même si ce n'est que d'une façon confuse politiquement parlant, les élections ont révélé une profonde hostilité de la classe ouvrière envers le programme des sections les plus rapaces du capital.

Mais les travailleurs conscients des intérêts de leur classe ne doivent pas se faire d'illusion. Si les libéraux ont été le parti que la bourgeoisie canadienne a préféré voir au pouvoir depuis un siècle, c'est précisément parce qu'ils ont pu défendre, avec l'aide de la bureaucratie syndicale et des sociaux-démocrates, les intérêts du capital en portant un masque populiste.

À maintes reprises depuis qu'ils ont pris le pouvoir en 1993 en promettant de mettre l'accord du libre-échange (ALENA), la taxe sur les biens et services (TPS) et la fixation envers le déficit des conservateurs au rancart, les libéraux ont utilisé leurs opposants réformateurs, alliancistes et aujourd'hui conservateurs comme d'un épouvantail de droite. Cela ne les a jamais empêchés une fois au pouvoir de réaliser les éléments essentiels du programme de cet épouvantail, y compris des compressions budgétaires massives des dépenses sociales et la réécriture des règles sur la sécession du Québec (Loi de la clarté). Au même moment que les libéraux s'élèvent contre les politiques socialement destructives et antidémocratiques de la droite, sous leur règne, le pays a connu l'augmentation de l'insécurité économique et de l'inégalité sociale. Au nom de la lutte au terrorisme, ils ont voté une série de lois autoritaires.

La «montée en pointe» de l'appui au conservateur lors des premières semaines de la campagne électorale n'avait qu'une base étroite, mais si elle a pris fin, ce n'est pas seulement à cause d'une réaction populaire à la possibilité d'un gouvernement conservateur. Des sections cruciales de la grande entreprise n'étaient pas prêtes, au moins pas encore, à leur offrir les rennes du pouvoir.

Le Globe and Mail, propriété du géant des télécommunications Bell Canada Entreprises et de la famille milliardaire Thomson, a traditionnellement été le porte-parole de l'élite financière basée à Toronto. Il demandait à ses lecteurs de voter libéral. Dans un long éditorial la semaine avant les élections, le Globe défendait l'idée que le principe qui devait guider les élections était de ne rien faire qui pourrait nuire. Il critiquait Martin pour n'avoir pas réussi à aller de l'avant avec une «réforme» de l'assurance-santé, c'est-à-dire un transfert d'une partie des coûts de la santé vers les patients et leurs familles et pour ne pas avoir assez augmenter les dépenses militaires. Mais il faisait remarquer que Martin avait déjà livré la marchandise, pour ainsi dire, en mettant en oeuvre des diminutions massives des dépenses sociales et des impôts et entraînait l'espoir qu'il continue à faire preuve du même «leadership» à l'avenir.

Quant aux conservateurs, le Globe craignait que certaines de ses politiques étant trop conservatrices socialement et trop pro-Ouest, elles finiraient par déstabiliser des institutions essentielles de l'État canadien, y compris le judiciaire, et par provoquer une crise constitutionnelle. En particulier, le Globe s'inquiétait que les conservateurs pourraient faire cause commune avec le BQ séparatiste pour diminuer le pouvoir de l'État central au moyen d'une dévolution importante des pouvoirs aux provinces. Fortement sous-entendue dans toute l'argumentation du Globe, on trouvait ses appréhensions sur la sagesse de voir Harper et les conservateurs prendre le pouvoir dans un contexte où leur modèle, l'administration Bush, est en voie de désagrégation.

Comme il fallait s'y attendre, les chroniqueurs du National Post, le quotidien fondé par Conrad Black, ont exprimé leur colère et leur désarroi devant les résultats électoraux et ont averti qu'ils alimenteraient «l'aliénation de l'Ouest canadien», peut-être même déclencheraient une crise de l'État canadien. Mais le Globe et d'autres porte-parole de l'establishment ont accueilli l'élection d'un gouvernement libéral minoritaire. Ils considèrent que cela leur procure un mécanisme pour faire continuellement pression sur Martin pour qu'il mette en oeuvre le programme de la grande entreprise tout en créant les meilleures conditions pour que le nouveau Parti conservateur devienne plus apte à former l'alternative au gouvernement libéral.

Les mesures que la grande entreprise veut voir mises en place ont été énoncées dans de nombreux rapports de think tank, bien qu'ils manquent souvent les détails et les modalités, et jusqu'à un certain point dans les plateformes électorales des libéraux et des conservateurs. Parmi les principaux éléments, on trouve : entreprendre de rendre l'État canadien plus «compétitif», à commencer par une restructuration radicale de l'assurance-maladie; une expansion importante des Forces armées canadiennes pour lui permettre de participer de façon plus importante aux interventions que mènent les États-Unis; et finalement des relations économiques et géopolitiques plus étroites avec les États-Unis pour garantir aux grandes entreprises canadiennes un accès privilégié au marché américain.

Les sociaux-démocrates ont répondu à l'augmentation de leur députation dans le nouveau Parlement en promettant de travailler de «façon responsable» avec tous les partis et en s'enthousiasmant d'avoir le pouvoir de faire pression sur les libéraux. Ils espèrent arriver à un accord de collaboration formel avec les libéraux de Martin, même si cela n'était qu'une entente et pas une coalition. Une telle entente ne peut être exclue. Entre 1972 et 1974, le NPD a soutenu le gouvernement libéral minoritaire. Il est courant au sein du NPD de croire que les sociaux-démocrates ont pu, à cette époque, forcer les libéraux à promulguer des lois progressistes. En fait, l'alliance NPD-libéral a été un produit dérivé d'une vague de luttes sociales et syndicales militantes. Avec cette alliance, la classe dirigeante a voulu que le soulèvement de la classe ouvrière soit contenu dans le cadre politiquement abrutissante de la négociation collective et du parlementarisme. Elle a donné aux libéraux la légitimité populaire dont ils avaient besoin pour reprendre le pouvoir avec une majorité. Le nouveau gouvernement libéral a aussitôt lancé des attaques importantes contre la classe ouvrière, y compris un programme de contrôle des salaires de trois années.

À ce moment-ci, toutefois, les libéraux préféreront peut-être ne pas s'encombrer d'une alliance parlementaire avec le NPD et essayeront plutôt de prendre des ententes avec les autres partis au cas par cas. La justification parlementaire pour une telle façon de procéder est que si la répartition des sièges ne changent suite à un recomptage des voix, alors il manquera un siège au NPD pour garantir aux libéraux qu'ils ne tomberont pas. Plus fondamentalement, en refusant une entente formelle avec les sociaux-démocrates et en manoeuvrant entre les trois partis d'opposition, les libéraux auront toute la liberté de s'allier avec les conservateurs sur les questions que la classe dirigeante considère comme cruciales.

Une de ces questions est la participation du Canada au programme provocateur de l'administration Bush du bouclier anti-missile. Le monde des affaires, l'armée et les grands médias sont à toutes fins pratiques unanimes à dire que le Canada doit déclarer sur le champ qu'il y participera, mais le NPD et le BQ y sont opposés.

Peu importe les alliances qui se feront et se déferont dans le nouveau parlement, les élections démontrent que le gouffre entre les soucis et les aspirations des travailleurs et ceux de l'élite politique et économique s'approfondit de plus en plus. Il est donc inévitable que le conflit entre les classes s'intensifie dans la période qui vient.

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