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La fête de Lutte Ouvrière Silence sur la guerre en Irak et soutien à la loi interdisant le port du voile

Par Peter Schwarz
Le 3 juin 2004

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Le week-end dernier s'est tenue près de Paris la fête annuelle de Lutte ouvrière (LO). Cette organisation qui se réclame du trotskysme est une des principales tendances de l'extrême gauche en France. La candidate de LO, Arlette Laguiller, a obtenu 6 pour cent des suffrages exprimés à l'élection présidentielle de 2002. A l'élection européenne du 13 juin, LO présente des listes communes avec la Ligue communiste révolutionnaire (LCR).

Cette fête qui dure trois jours et se tient dans le parc d'un petit château de la vallée de l'Oise dans lequel se rassemblent chaque année des milliers de membres et de sympathisants de l'organisation, est avant tout consacrée à des activités de loisirs. La plus grande partie du parc où se déroule la fête est occupée par des stands et des espaces offrant des spécialités régionales, des concerts de rock, des activités culturelles et d'information et des jeux. Seul un recoin de la fête est réservé aux débats politiques. Là on permet à d'autres organisations, qui peuvent obtenir un stand s'ils en font la demande, d'y présenter leurs vues. Des débats d'une heure sont organisés sur certains thèmes dans le cadre de trois forums qui sont dirigés soit par LO, soit par des organisations invitées.

Chaque après-midi toutes les activités se sont interrompues pendant une demi-heure pendant laquelle Arlette Laguiller prononça un discours sur la scène centrale. Ce fut là le temps fort politique de la fête et, étant donné la date toute proche de l'élection européenne, ce fut aussi le temps fort de la campagne électorale de LO. Le dimanche, jour où, outre Arlette Laguiller, Olivier Besancenot de la LCR s'est aussi exprimé, plusieurs chaînes de radio et de télévision s'étaient déplacées avec leurs véhicules de retransmission. La presse aussi était là en force.

Les discours de Laguiller et Besancenot furent remarquables par l'absence de toute prise de position sur les questions politiques du moment. Ils ne dirent pas un mot sur la guerre en Irak en particulier, qui constitue pourtant depuis plus d'un an le principal sujet de reportage des journaux et des médias du monde entier. Les deux discours n'allèrent pas au-delà de ce qu'un bureaucrate syndical offre à son audience un jour de Premier mai.

La première allocution de Laguiller se borna à lancer des accusations contre le patronat et le gouvernement. « Ce que nous voulons, c'est avant tout dénoncer la situation qui est faite au monde du travail, à la fois par la politique du patronat mais aussi par les gouvernements qui se succèdent et dont les mesures accompagnent ou précèdent la volonté exprimée par le grand patronat de ce pays », dit elle.

Laguiller en conclut qu'on ne pouvait remédier à cette situation qu'en intensifiant les luttes sociales : « Pour arrêter cette offensive (patronale), il faudra bien plus que des bulletins de vote. Il faudra que les travailleurs reprennent le combat social. Il faudra qu'ils se servent de leur force collective, qui est considérable. Il faudra une lutte ample, des grèves larges, voire des grèves générales unissant l'ensemble des forces vives du monde du travail, par-delà les catégories, par-delà les corporations. »

Si l'on en croit Laguiller rien ne s'oppose à un retour à la politique de réformes sociales, si ce n'est le manque de combativité de la classe ouvrière. « A qui fera-t-on croire que toutes les entreprises qui affichent des profits florissants ne peuvent pas augmenter le pouvoir d'achat de leurs travailleurs ? » demanda-t-elle. « Elles le peuvent mais elles ne le feront que si elles y sont contraintes. » Puis elle affirma : « L'économie dégage suffisamment de profits pour qu'il soit possible d'empêcher les licenciements collectifs ».

Laguiller ne parla de l'Europe que tout à la fin de son discours. La seule chose qu'elle eut à dire à ce sujet était que les travailleurs avaient partout les mêmes problèmes et devaient se battre davantage. « Car, à l'échelle de l'Europe comme à l'échelle de ce pays, la clé de l'avenir se trouve dans la capacité de la classe ouvrière à reprendre confiance en elle-même, à retrouver la combativité pour arracher au grand patronat son pouvoir incontrôlé sur l'économie ».

Elle reprit la même idée dans son allocution du dimanche et l'exprima ainsi : « Alors, bien sûr, tout cela [le chômage, la pauvreté, etc.] ne s'arrêtera que lorsque les travailleurs y mettront un coup d'arrêt par leurs actions collectives. Il n'y a pas d'autre moyen d'arrêter l'offensive des patrons, il n'y a pas d'autre moyen de stopper les mesures anti-ouvrières du gouvernement que la lutte collective des travailleurs ».

Laguiller a 64 ans et elle est dans la politique depuis sa jeunesse. On ne peut donc pas simplement mettre sur le compte de la naïveté ses efforts pour confiner à des luttes syndicales l'opposition aux attaques du gouvernement et du patronat. Elle essaie délibérement d'empêcher un développement politique de la classe ouvrière.

Si l'on considère l'affirmation qu'une offensive « sociale » pourrait vaincre le problème de la pauvreté et du chômage au vu des dernières expériences, on peut dire qu'il s'agit d'une absurdité. Dans leurs efforts pour défendre leurs droits et leurs acquis les travailleurs se heurtent depuis des années à deux obstacles fondamentaux : le caractère international des entreprises modernes qui se montrent de plus en plus insensibles à la pression syndicale nationale et le rôle traître des partis ouvriers et des syndicats officiels. S'il est un pays où les luttes sociales ne manquent pas, c'est bien la France. Des millions de travailleurs y ont, à maintes reprises, montré qu'ils étaient disposés à défendre leurs droits et leurs acquis sociaux. Mais leurs grèves et leurs mouvements de contestation ont régulièrement échoué à cause des partis de la gauche officielle et des syndicats qui ont, à chaque fois, conduit ces actions dans une impasse ou les ont boycottées.

La condition préalable essentielle au succès de toute offensive ouvrière est par conséquent une rupture politique d'avec les organisations réformistes. La classe ouvrière a besoin d'une stratégie internationale socialiste sans laquelle elle ne peut pas résister efficacement aux attaques croissantes du Capital. C'est précisement une telle rupture que LO et la LCR essaient d'empêcher. Affirmer, comme le fait Laguiller, qu'on peut s'opposer à l'offensive du patronat au moyen de luttes « sociales », c'est à dire purement syndicales, revient à réhabiliter le réformisme des syndicats et des partis de la gauche officielle, quelle que soit l'intensité avec laquelle elle fustige la « politique néolibérale » de l'ancien gouvernement de gauche.

LO et la LCR avaient déjà soutenu loyalement la bureaucratie syndicale et bloqué toute critique de leur ligne dans les grands mouvements de grève des années passées. Au printemps dernier, alors que des millions de salariés avaient participé à des grèves et des manifestations contre la réforme des retraites du gouvernement conservateur, LO avait rejeté avec véhémence la revendication d'une grève générale.

C'est par cette attitude que l'on peut expliquer le fait remarquable que Laguiller et Besancenot n'ont pas dit un mot de la guerre en Irak, alors que le monde entier en parle. Le changement dans la situation mondiale dont cette guerre est la manifestation ­ intentions hégémoniques des Etats-Unis, résurgence du colonialisme, lutte pour un nouveau partage du monde - prive de tout fondement la perspective d'une amélioration graduelle de la situation sociale dans le cadre national. Les gouvernements européens, de droite comme de gauche, réagissent à la pression de plus en plus forte exercée par les Etats-Unis en se réarmant eux-mêmes et en intensifiant leurs attaques contre la classe ouvrière.

Lorsque nous avons demandé à Laguiller, après son discours, quelles conséquences la crise du capitalisme américain avait sur la situation en Europe, elle n'a pas semblé savoir comment réagir à la question. Sa première réaction fut de dire « Je ne sais pas vraiment répondre à ça. »

Puis elle considéra la question exclusivement du point de vue de l'impact de la guerre sur la « mobilisation » de la population. Dans certains pays qui avaient soutenu la guerre, cela avait eu « une incidence directe » sur la situation politique interne dit-elle, « mais dans les pays d'Europe qui ont choisi de ne pas aller en Iraq, ça en a eu forcément moins parce que la population n'avait pas tellement de raison de manifester indéfiniment. » Elle résuma en disant : « Il n'y a pas eu une conséquence identique au niveau de l'Europe. Ça a dépendu vraiment des pays. »

Cette réponse ne témoigne pas seulement d'une incompréhension totale des conséquences dramatiques de la crise de l'impérialisme américain sur l'équilibre intérieur européen, mais elle montre aussi que LO n'a pas d'objection fondamentale à la politique étrangère de Chirac. L'attitude de celui-ci dans la crise irakienne fut, dès le début, déterminée par la meilleure prise en compte possible des intérêts de l'impérialisme français au Moyen Orient et dans d'autres régions du monde.

Il est caractéristique que LO soutienne aussi l'élargissement de l'Union européenne ­ autre projet de la politique étrangère de l'impérialisme françaiset allemand. Dans un dépliant sur l'élection européenne, largement composé d'anecdotes décousues et où il n'est d'ailleurs pas possible de distinguer une ligne claire, il est dit sous le titre « Ne pas craindre l'élargissement » : « L'élargissement de l'Europe, même avec toutes ses limites, est incontestablement un progrès ».

LO concède bien que l'élargissement de l'Union européenne sert avant tous les intérêts des grandes entreprises mais elle ajoute : « L'unification, incomplète pour le moment, deviendra totale d'ici quelques années et le poids de la classe ouvrière et des travailleurs en général augmentera alors dans toute l'Europe. Et elle sera alors apte à peser plus lourd sur les pouvoirs publics et sur les dirigeants de la finance. »

Elle ignore totalement qu'une Europe socialiste ne peut se créer que dans une lutte politique contre les institutions de l'Union européenne, celles-là mêmes qui aujourd'hui dirigent les attaques contre les droits sociaux et politiques de la classe ouvrière.

La seule question politique qui agita les esprits à la fête de LO fut celle de la loi passée récemment interdisant aux filles musulmanes de porter le voile à l'école. LO soutient cette loi sans réserves, bien qu'elle ait été promulgée, pour citer Laguiller, par « un des gouvernements les plus réactionnaires que nous ayons connu depuis longtemps ».

Lorsque le WSWS lui demanda pourquoi elle avait manifesté en faveur de cette loi avec la secrétaire d'Etat de Chirac, Nicole Guedj, Laguiller répondit qu'elle était « du côté du droit des femmes ». Elle compara la défense de cette loi qui interdit le port de symboles religieux à l'école à la lutte pour le droit à l'avortement, comme si une loi répressive et une loi qui accorde des droits étaient comparables. A l'époque, dit Laguiller, elle avait aussi manifesté aux côtés d'une politicienne conservatrice, Simone Weil.

Un des forums de discussion sur la question du port du voile islamique attira un public de plusieurs centaines de personnes. La porte-parole officielle de LO fit, en termes parfois hystériques, du port du voile l'incarnation de l'oppression des femmes, comme si tous les problèmes de discrimination des femmes allaient être résolus par l'interdiction de ce symbole religieux. Un jeune algérien qui venait de rejoindre LO, déclara qu'il ne s'agissait pas là de questions sociales mais du rapport entre les « mecs » et les filles. Il dit encore que quiconque s'opposait à l'interdiction devait s'attendre à des réactions hostiles de la part du public.

Ce n'est que lorsque qu'un assistant social d'un certain âge, travaillant depuis quarante ans auprès d'immigrés maghrébins, prit la parole et dit que les conséquences de cette loi étaient « catastrophiques », que les partisans de la législation antivoile baissèrent le ton. Il décrivit comment celle-ci stigmatisait les familles musulmanes et aggravait la situation des filles. LO persista néanmoins à défendre la loi.

Si l'on tire un bilan des événements importants de cette fête ­ la dérobade devant les questions politiques et le silence sur la guerre en Irak, l'insistance sur une perspective strictement syndicaliste, l'approbation de l'élargissement de l'UE et la défense véhémente d'une loi réactionnaire - se dessine une évolution clairement vers la droite de LO. Devant l'éruption de conflits sociaux et politiques dans le monde entier cette organisation se rapproche de l'Etat français.


 

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