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Lafontaine et le "Parti de la gauche"

L'impasse du réformisme national

Par Ulrich Rippert
(Article original paru le 10 juin 2005)

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Depuis qu'Oskar Lafontaine a démissionné du Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD) et que l'ancien dirigeant du Parti du socialisme démocratique (PDS), Gregor Gysi, a annoncé être candidat aux prochaines élections parlementaires, la création d'un soi-disant « Parti de la gauche » bénéficie d'une sérieuse relance.

Cette démarche, entre l'Alternative électorale travail et justice sociale (WASG) qui se compose en grande partie de fonctionnaires sociaux-démocrates et de syndicalistes désenchantés et le (PDS), est accompagnée d'âpres discussions. Les deux organisations se querellent encore au sujet d'une plateforme et d'un nom communs, mais les forces insistant sur une fusion des deux groupes sont très importantes.

C'est avant tout l'ancien parti d'Etat de la RDA (République démocratique allemande) qui, en 1989, année de la chute du mur de Berlin, s'était transformé en SED/PDS (Parti socialiste unifié/ Parti du socialisme démocratique) puis quelques mois plus tard en PDS, qui s'efforce dans la mesure du possible d'empêcher la dissolution de son propre parti. Toujours-est-il que depuis sa création en avril 1946, il dispose d'un passé d'une soixantaine d'années et compte dans l'Est du pays plusieurs milliers de fonctionnaires au niveau communal ; il est également fortement représenté dans tous les parlements régionaux, notamment en Mecklenburg-Vorpommern et à Berlin où des ministres issus du parti siègent aux gouvernements des Länder.

A ceci s'ajoute que le PDS évita une dissolution du parti durant le « tournant de 1989 ». Il put ainsi sauvegarder une grande partie du patrimoine de l'ancien parti d'Etat. Par contraste, la WASG est une fiancée pauvre dont le trousseau apporte peu au ménage politique si ce n'est quelques syndicalistes et quelques sociaux-démocrates déçus. A l'occasion de sa première participation à des élections, la WASG n'obtenait que deux pour cent des voix le mois dernier aux élections régionales de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

La loi électorale ne permet pas une simple alliance des deux partis ; elle n'admet que des partis reconnus ou des candidats isolés. Donc, les deux organisations tentent, en collaboration avec le président de la commission électorale, de trouver le moyen dans le peu de temps qu'il leur reste d'ici l'automne prochain, date des élections anticipées, de déposer une candidature commune tout en respectant à la fois, le plus possible, l'indépendance des deux partis et les lois électorales.

Ce qui prime sur les chamailleries au sujet des postes, des finances et de la proportionnalité des votes qui sont liés à ce regroupement politique et qui occupent présentement les médias, ce sont les points de vue programmatiques qui sont à la base de ce projet politique. Et là, il ne fait pas de doute, c'est Lafontaine qui décide des mots d'ordre.

La mondialisation ­ une excuse ?

Lafontaine place au centre de son argumentation, l'affirmation qu'une autre politique sociale équilibrée est faisable dans le cadre de l'ordre social capitaliste existant. Il nie les profonds changements qui ont eu lieu dans la société en raison du pouvoir des marchés financiers internationaux ; il considère la mondialisation de la production d'un point de vue purement subjectif comme étant des arguments servant aux néo libéraux à imposer leurs intérêts.

Le chapitre cinq de son dernier livre « La politique pour tous ­ Un écrit polémique pour une société juste » a pour titre : « La mondialisation comme une mauvaise excuse». Nulle part dans le monde, écrit Lafontaine, « les doctrines erronées du néo libéralisme sont représentées de façon aussi énergique et conséquente qu'en Allemagne », et les « prétendues contraintes de la mondialisation » ont toujours servi d'excuse.

Mettons pour le moment de côté le fait que ce sont les arguments des néo libéraux qui donnent le ton, non seulement en Allemagne mais partout dans le monde, et concentrons-nous sur le fait que Lafontaine évite systématiquement un examen sérieux de la mondialisation et de ses conséquences sur le développement social. Au lieu de cela, il affirme catégoriquement qu'une « autre politique » pourrait facilement prendre le relai des réformes sociales des années 1970.

Il écrit : « L'Etat social qui prétendument n'est plus finançable le serait si nous disposions des mêmes taux d'impôts et de taxes que nos voisins européens. » Certes, un conflit virulant existe actuellement au sujet des taux exacts d'impôts et de taxes allemands et il ne fait pas l'ombre d'un doute que le gouvernement fédéral a baissé de façon substantielle les impôts dans l'intérêt des employeurs. Mais, l'affirmation que la situation est meilleure en France, en Hollande, en Belgique ou ailleurs, est purement démagogique.

En réalité, il s'agit d'un phénomène européen et mondial. Partout les programmes sociaux subissent des coupes et c'est précisément en cela que l'on peut voir que la mondialisation de la production est un développement objectif à l'encontre duquel des programmes de réformes nationaux à l'image de ceux des années 1970 s'avèrent impuissants.

Lafontaine écrit que pas une seule coupe sociale effectuée par le gouvernement du chancelier social-démocrate Gerhard Schröder et du dirigeant du Parti Vert, Joschka Fischer ait été « sans alternative » ou « une conséquence impérative de la mondialisation » et il soutient : « A l'image d'autres Etats européens, il aurait été tout à fait possible de faire aller de pair les salaires et donc les pensions et les allocations chômage avec la productivité.»

Autrement dit, le fait que nulle part en Europe les salaires, les pensions ou les allocations chômage aient été rehaussés ces dernières années, serait purement accidentel ou la simple conséquence d'une motivation subjective de la politique. L'affirmation de Lafontaine est absurde. En réalité, la tendance universelle consiste à maintenir les salaires à bas niveau et à dégrader les conditions de vie de la classe ouvrière. En France, par exemple, la productivité croît actuellement au rythme de trois pour cent par an alors que la progression des salaires par tête est inférieure à un pour cent.

Lafontaine pose la question : « Est-ce-que les développements en 2004 chez Opel, Karstadt, Siemens et Mercedes sont vraiment la conséquence des impératifs de la mondialisation contre lesquels les politiques nationales sont impuissantes » Il y répond en montrant du doigt les fautes de gestion et une « politique de modèles erronés ». Comme contre-proposition, il cite en référence le « succès de la politique de gestion » des entreprises automobiles françaises Renault, Peugeot et Citroën qui auraient recruté plusieurs milliers de salariés.

En effet, les derniers modèles de l'industrie automobile française avaient connu un certain succès ce qui, du point de vue d'une entreprise isolée, est intéressant mais ne change rien à la vue d'ensemble de l'industrie automobile. Au succès d'un groupe international fait face l'échec d'un autre comme par exemple Fiat et GM.

L'industrie automobile offre une image exemplaire de l'impact de la mondialisation. Ce qui prédomine c'est la tendance à la baisse pour les salaires et la délocalisation de la production vers d'autres pays où les salaires et les coûts de production sont plus faibles. La France, où l'industrie automobile recourt fortement à la sous-traitance en employant des dizaines de milliers d'ouvriers sous contrat précaire, intérimaire ou à durée déterminée (CDD), ne fait pas exception. En effet, la pression sur les salaires se fait également souvent au moyen de la sous-traitance industrielle.

Là encore, les chiffres indiqués par Lafontaine sont faux. Il est vrai que Renault a recruté entre 1999 et 2004 près de 25 000 salariés en France, mais au moins un nombre équivalent de suppression d'emplois fut enregistré. C'est ainsi, qu'en dépit de nouveaux recrutements, le nombre total des effectifs a régressé de près d'un millier de salariés entre 2001 et 2003. De plus, Renault est en train de construire de nouvelles usines en Russie, en Slovénie et en Turquie où la production pourrait être transférée, entraînant ainsi une nouvelle perte d'emplois dans ses usines en France.

Les travailleurs de par le monde sont confrontés au fait que les groupes internationaux poursuivent une stratégie internationale, en dressant les uns contre les autres les sites et leurs effectifs.

Il souligne que la mondialisation ne contraint personne à verser des millions d'euros aux PDG démissionnaires, tout en supprimant les primes de vacances et de Noël, « même là où un tel comportement scandaleux fait partie de la culture d'entreprise comme aux Etats-Unis. »

Lafontaine n'a rien à dire sur les causes pour lesquelles les marchés financiers internationaux sont capables d'imposer des conditions américaines en Europe et pourquoi tous les gouvernements européens et les partis sociaux-démocrates au même titre que les syndicats se sont révélés être tout à fait incapables de contrecarrer ces développements.

Au lieu de simplement qualifier la mondialisation d'excuse avancée par les néo libéraux, il serait nécessaire de comprendre les changements économiques et sociaux qui ont eu lieu au cours de ces dernières vingt-cinq années et qui emprisonnent des masses de gens comme dans un tourbillon. Chaque jour apporte de nouvelles catastrophes, pas seulement des fermetures d'usines, des destructions d'emplois ou des coupes sociales, mais aussi la famine, les conflits ethniques, les conflits économiques et les guerres. Tout cela se déroule dans un contexte de lutte mondiale que mènent les grandes puissances pour gagner le pouvoir économique et l'hégémonie géopolitique.

La menace d'une vaste crise économique pèse sur le monde entier. Compte tenu de l'augmentation du déficit américain et de la croissance constante de la spéculation, de nombreux experts n'évoquent plus la possibilité d'un effondrement du système financier international mais plutôt le moment où il aura lieu et la forme qu'il prendra.

Cela dépasserait le cadre de cet article que de vouloir traiter en détail les causes et les effets de la mondialisation. Quelques chiffres sur l'accroissement des contradictions sociales rendent clair à quel point la polarisation sociale s'est développée parallèlement à la suprématie du marché capitaliste mondial.

C'est ainsi que la richesse des 475 milliardaires dans le monde équivaut au revenu total de plus de 50 pour cent de la population mondiale. Et cette concentration de richesse va s'accélérant. Rien qu'aux Etats-Unis, le nombre des milliardaires est passé de treize en 1982 à 149 en 1996 ; il n'a cessé de croître depuis.

Il y a cinq ans, au début des années 1990, les Etats-Unis présentaient aux Nations unies un Rapport mondial sur le développement d'où il ressort que la fortune des trois individus les plus riches du monde dépasse la somme du Produit national brut (PNB) des 48 pays les plus pauvres. Les quinze personnes les plus riches disposent d'une fortune qui dépasse le PNB de l'ensemble des Etats subsahariens d'Afrique et la fortune des 32 individus les plus riches excède le PNB de l'Asie du Sud. Enfin, la fortune des 84 individus les plus riches dépasse le PNB de la Chine avec ses 1,2 milliards d'habitants.

Cette concentration du pouvoir du capital non seulement domine les pays en voie de développement dans lesquels plus de la moitié des 4,4 milliards d'habitants ne bénéficie pas d'infrastructure sanitaire et un tiers n'a pas d'eau potable. En Europe aussi, dans tous les secteurs, les entreprises publiques et les prestations sociales restantes sont ouvertes aux grands investisseurs internationaux ­ à commencer par les caisses sociales, les caisses d'assurance maladie jusqu'au système de transport et au réseau routier.

L'affirmation de Lafontaine, qu'il est possible de s'opposer à ce processus sans mettre en cause les relations de propriété capitaliste et absurde.

Un ton nationaliste

L'argumentation de Lafontaine le conduit obligatoirement dans une direction nationaliste. Etant donné qu'il sait que toute démarche allemande en solo comporte de hauts risques, il plaide pour une « confédération d'Etats franco-allemande ». C'est sous ce titre qu'il prône dans son livre la collaboration entre Berlin et Paris et souligne que ces deux « Etats industriels modernes comptant 142 millions d'habitants » auraient un poids considérable dans l'équilibre mondial actuel.

Mais la France et l'Allemagne sont toutes deux aussi des pays capitalistes poursuivant des objectifs impérialistes, un fait que Lafontaine essaie à tout prix de dissimuler. Il écrit : « Une telle union n'aurait pas seulement une signification militaire et économique. Elle serait également un acte culturel vu que la philosophie, l'art et la littérature constituent un riche héritage pour les deux pays et ne devrait pas être abandonné. » Puis il s'échauffe de ce que des « lambeaux de mots anglais estropient les langues européennes », comme si l'anglais n'était pas une langue européenne et les auteurs anglais et américains n'avaient pas eux aussi contribué largement à la littérature mondiale.

La classe ouvrière doit rejeter de façon catégorique de telles tentatives d'attiser des sentiments nationalistes au nom de la défense de l'Etat-providence. Elle doit s'opposer à toute attitude nationaliste ou euro-chauviniste et répondre à l'offensive mondiale des multinationales et des banques par sa propre stratégie internationale. Les débuts d'un tel développement furent visibles en France et en Hollande par la puissante mobilisation contre la constitution européenne. Mais elle requiert une perspective socialiste consciente qui place les besoins et les intérêts de la grande majorité de la population laborieuse au-dessus de la course au profit des grands groupes.

Lafontaine, qui était le seul politicien allemand connu à faire campagne en France pour le « non » à la constitution européenne, rejette de façon décisive une telle perspective. Il considère comme son devoir premier d'endiguer le développement de tendances révolutionnaires.

Il est intéressant de voir comment Lafontaine, qui était le président du SPD jusqu'en 1999, justifie sa démission du parti. Dans des interviews et des talk-shows il a averti que le futur gouvernement ­ indépendamment de sa composition ­ porterait une « responsabilité fatale ». Une « situation révolutionnaire serait inévitable » s'il ne réussissait pas à faire passer ses réformes de manière socialement acceptable.

Dans la préface de son livre, il cite le président de la Conférence des évêques allemands, le cardinal Karl Lehmann, qui, au vu de la croissance de l'inégalité sociale, s'est ainsi exprimé: « Un tel développement est un symptôme de décadence sociale. Ceci n'est pas soutenable et, s'il se poursuivait, pourrait mener tôt ou tard à un climat pré-révolutionnaire. » Dans une démocratie, précisa Lehmann, il y a « des limites bien définies à l'inégalité ».

Lafontaine considère l'Etat-providence comme un moyen de sauvegarder l'ordre public et la domination des relations bourgeoises ; pour lui, son rôle consiste à parer au mouvement croissant de résistance populaire en le contrôlant et en le déviant vers des canaux réformistes ne présentant aucun danger à l'ordre bourgeois.

C'est la raison pour laquelle il s'appuie sur le PDS à l'Est et la WASG à l'Ouest en essayant de les réunir sur une seule liste électorale. Le PDS dispose encore d'un puissant appareil de parti dans l'ancienne RDA et d'une grande expérience dans la répression des conflits sociaux. A l'Ouest, la WASG s'efforce de créer un tel appareil bureaucratique avec l'aide de la bureaucratie syndicale.

Quiconque affirme qu'un Parti de la gauche émanant du PDS et de la WASG est progressiste pour la simple raison qu'il déplacerait la relation des forces sociales vers la gauche, est soit un naïf invétéré soit un charlatan politique. Il y a sept ans, les mêmes arguments avaient été avancés pour soutenir un gouvernement Rouge-Vert, et à l'époque ils étaient déjà faux. Depuis tous les partis se sont nettement décalés vers la droite. En Allemagne de l'Est, le PDS est un pilier de l'ordre bourgeois. Ses ministres et ses élus locaux imposent les coupes sociales avec la même brutalité que leurs homologues du SPD ou de la CDU (Union chrétienne démocrate d'Allemagne).

Le programme de réformes nationales avancé par Lafontaine mène à une impasse politique. Tous ceux qui placent leurs espoirs dans un tel programme et qui s'engagent à le soutenir activement seront déçus demain. Les travailleurs devraient être sur leurs gardes car, dans le passé, de telles manoeuvres ont toujours affaibli la classe ouvrière et renforcé les forces réactionnaires.

Au lieu de placer des espoirs en Lafontaine, un homme qui n'a cessé de prouver au cours de ces quatre dernières décennies par son activité politique que son souci majeur était de préserver la paix sociale et l'ordre bourgeois, il serait nécessaire d'entamer et de poursuivre un débat sérieux et fondamental sur la perspective socialiste internationale basée sur les riches leçons du siècle dernier.

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