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La Cour suprême du Canada donne le feu vert au démantèlement du système public de santé

par Keith Jones
(Article original paru le 11 juin 2005)

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La Cour suprême du Canada vient de donner à la droite politique et à la grande entreprise l'argument massue qu'elles cherchaient depuis longtemps pour démanteler le système universel de santé public, l'assurance-maladie.

Dans une décision partagée à quatre contre trois, la plus haute cour du pays vient de déclarer invalides deux dispositions de la loi au Québec qui interdisaient aux compagnies d'assurances privées de couvrir les soins médicaux essentiels offerts par le système public de santé financé par l'État.

Les plaignants, des activistes opposée à l'assurance-maladie, le Dr Jacques Chaoulli et son patient, Georges Zeliotis, arguaient que l'interdiction d'avoir recours à une assurance privée violait le droit à la vie et à la sécurité de sa personne garanti par la constitution parce que Zeliotis a été forcé de subir une attente douloureuse de près d'un an avant d'avoir sa chirurgie à la hanche.

Jeudi, la Cour suprême renversait la décision de deux tribunaux inférieurs. Les tribunaux inférieurs avait considéré que, bien que le droit constitutionnel de Zeliotis était violé, la violation était justifiée puisque l'interdiction d'avoir recours à une assurance privée avait pour objectif le bien être commun ­ soit le maintien de la viabilité d'un système public de santé qui assure à tous un accès à des soins, au lieu d'un système qui ne permet qu'à ceux qui ont les moyens financiers de se payer une assurance-santé privée.

La majorité de la Cour justifie son intervention en soulignant l'existence de longue liste d'attente au Québec et dans la plupart des provinces canadiennes pour avoir accès à des soins nécessaires et même potentiellement vitaux et l'incapacité des gouvernements de corriger cette situation, une situation qui persiste depuis des années.

La juge en chef Beverley McLachlin, appuyé de deux autres juges, a déclaré : «En l'espèce, la preuve démontre que les délais du système public sont répandus et que, dans des cas graves, des patients meurent en raison de listes d'attente pour la prestation de soins de santé public.»

Comme le débordement des urgences et les épidémies de super-bactéries dans les hôpitaux canadiens, les longues listes d'attentes sont le résultat de politiques qui sont en vigueur depuis près de quinze ans maintenant, de coupures budgétaires des gouvernements fédéraux et provinciaux et du sous-financement chronique des services de santé. Mais les juges se gardent bien de mentionner le point évident, mais essentiel : les plus ardents promoteurs du «droit» d'acheter une assurance-santé privée sont précisément ceux-là même qui pressaient les gouvernements d'imposer des réductions massives dans les dépenses publiques et les services sociaux et de procéder à des réductions dans les taxes pour les sociétés et les individus au nom du maintien de la «compétitivité», c'est-à-dire, la capacité de faire toujours plus de profits pour les entreprises canadiennes.

Ignorant les conclusions d'une récente commission royale d'enquête sur la santé au Canada, menée par l'ex-premier ministre de la Saskatchewan, Roy Romanow, la majorité de la Cour suprême proclame qu'il n'y pas de preuve que l'existence d'un système de santé parallèle privé ­ dans lequel les assureurs font des profits en offrant à ceux qui ont la capacité de se le payer, un accès rapide à des soins de santé offerts par un réseau à but lucratif de cliniques et d'hôpitaux ­ allait saper le système public de santé. Citons à cet effet le jugement rédigé par les juges McLachlin et Major : «Lorsque nous examinons la preuve plutôt que des suppositions, le lien entre l'interdiction de souscrire une assurance privée et le maintien de soin de santé publics de qualité disparaît.»

Pour soutenir cette prétention, ils citaient l'Angleterre en exemple. En fait, les listes d'attentes est un problème aussi grave, sinon plus grave, en Angleterre qu'au Canada. S'il n'y a qu'un pourcentage relativement faible de Britanniques, moins de 15 pour cent, qui choisit de s'en remettre à une assurance médicale privée, ce n'est pas parce que le Service national de santé n'a pas été sapé par le drainage des ressources vers le système parallèle privé. C'est à cause du coût prohibitif d'une assurance privée.

Consciente du fait qu'elle est en terrain glissant en suggérant que le développement d'un système de santé privé - qui répond aux besoins des couches les plus riches et puissantes de la société - n'est pas une solution à la crise des listes d'attente, la majorité de la Cour suprême dit que ce n'est pas aux plaignants de faire la démonstration que les assurances santé privées sont la solution aux problèmes de l'assurance-maladie.

La décision de jeudi n'a d'effet juridique immédiat qu'au Québec. Ceci pour deux raisons : bien que les neuf autres provinces aient des lois interdisant l'assurance-santé privée semblables à celle du Québec, la décision de la Cour portait sur une loi québécoise; deuxièmement et plus important, la décision majoritaire est basée sur la conclusion que la loi québécoise violait la Charte des droits québécoise.

Trois des quatre juges de la majorité ont aussi considéré que la loi québécoise violait la Charte canadienne des droits et libertés. Mais la quatrième juge, la juge Deschamps, n'a pas appuyé les trois autres juges sur cette question, refusant de se prononcer sur la conformité de la loi québécoise relativement à la Charte canadienne.

Néanmoins, tous concèdent que la décision rendue jeudi par la Cour suprême a établi un précédent juridique qui va entraîner une série de remises en question judiciaires des lois prohibitives dans les autres provinces. Il est aussi à prévoir, que les gouvernements favorables à l'établissement d'un système parallèle, basé sur le profit, vont saisir l'occasion offerte par le présent jugement pour annuler l'interdiction d'avoir recours aux assurances-santés privées sans attendre que la question soit devant les tribunaux.

Le premier ministre albertain, Ralph Klein, a dit qu'il était «très heureux de la décision. J'appuie entièrement tout changement qui permettrait aux Canadiens d'avoir un plus grand choix d'accès aux services de santé qu'ils veulent.»

«Ceci est la fin du système de santé tel que nous le connaissons», déclarait John Williamson du groupe de droite, la Fédération canadienne des payeurs de taxes. En disant plus qu'il n'aurait voulu, Williamson qualifiait la décision de la Cour suprême de «petit pas pour les soins aux patients et de pas de géant pour la réforme du système de santé» - c'est-à-dire l'expansion des soins de santé privés. «Ça va provoquer des litiges partout à travers le pays dans les autres provinces, puisque les payeurs de taxes poussent pour les mêmes droits, qui est le droit de se chercher et de se payer une assurance couvrant les soins de santé offerts par le privé».

Le premier ministre du Québec, Jean Charest a dit qu'il demanderait à la Cour un délai de six mois à deux ans pour la mise en application du jugement. Mais Charest, qui a lui-même fait la promotion pour une grande part du privé dans l'administration et la prestation des services de santé, a souligné que son gouvernement se conformerait à la décision de la Cour.

Un mécanisme pour surmonter l'opposition populaire

Pour la majeur partie de la dernière décennie, la grande entreprise a fait pression pour une «réforme» de l'assurance-maladie ­ un euphémisme pour le transfert d'une plus grande part des coûts de la santé de l'État vers les individus et leur famille, une plus grande utilisation des mécanismes du marché pour contrôler les coûts, une plus grande participation des compagnies vouées à la recherche du profit dans le système de santé, un des secteur de l'économie qui connaît la croissance la plus rapide.

Malgré l'impact ruineux qu'ont eu les rondes successives de coupures budgétaires dans la santé ­ pendant des années les sondages d'opinions montraient que l'état du système de santé public était l'une des premières préoccupations des Canadiens ordinaires ­ la grande entreprise n'a pas été capable de créer une base populaire pour démanteler l'assurance-maladie.

Fois après fois, les politiciens et les partis qui se sont ouvertement identifié avec la campagne pour le démantèlement de l'assurance-maladie ont essuyé une rebuffade par l'électorat. Même le Parti conservateur ­ le nouveau parti de droite formé de la fusion de l'Alliance canadienne, un parti populiste de droite néo conservateur et du Parti progressiste-conservateur ­ a voulu se présenter comme un défenseur de l'assurance-maladie lors des dernières élections.

Les Canadiens sont bien au courant des conditions déplorables qui existent au sud de la frontière, où le «libre marché» dans la santé laisse 45 millions d'Américains sans assurance-santé et des dizaines de millions d'autres devant lutter pour rencontrer les coûts toujours croissants des primes d'assurance-santé.

À travers le mécanisme d'une Cour suprême non élue, la classe dirigeante au Canada cherche maintenant à déjouer l'opposition populaire dans sa lutte pour le démantèlement de l'assurance-maladie.

Le National Post a été à l'avant scène d'une campagne dénonçant «l'activisme judiciaire» qui aurait eu pour conséquence d'indûment étendre l'application de la Charte canadienne des droits et libertés pour limiter le pouvoir policier, étendre les protections contre la discrimination et accorder des droits aux gais et lesbiennes. Mais dans son éditorial principal de vendredi, le Post n'avait que des louages à offrir à la majorité de la Cour, malgré le fait que cette décision constitue une intrusion quasiment sans précédent des tribunaux dans la formulation de politique publique. Le Post a spécialement commenté le jugement du juge Deschamps, qui réfutait les arguments des trois juges dissidents en disant qu'ils voulaient créer un climat de peur et qu'ils faisaient de l'opposition entre « les riches et les pauvres» le cadre de leur analyse sur le future du système public de santé.

«Hier», proclamait le Post, «a été une journée historique. Maintenant que le tabou du système de santé au Canada a été démoli par son tribunal le plus vénéré, ce n'est plus qu'une question de temps pour que nos dirigeants acceptent le fait que le Canada a besoin d'un système de santé mixte, privé et public Quelle pauvre image cela donne-t-il de notre timide classe politique qu'il ait fallu qu'un juge non élu nous ouvre les yeux.»

Le premier ministre libéral Paul Martin et plusieurs autres premiers ministres provinciaux se sont engagés à ne pas permettre au jugement de miner l'assurance-maladie. «Nous n'allons pas avoir un système de santé à deux vitesses» a déclaré Martin.

Il ne faut donner aucune crédibilité à ces promesses. Ce sont les coupures introduites par tous les partis de l'élite dirigeante au Canada, incluant le Parti québécois, un parti indépendantiste, mais particulièrement le gouvernement libéral de Chrétien et Martin, qui ont sapé l'assurance-maladie et ouvert la porte à la décision de la Cour suprême et à la grande entreprise d'exploiter les graves lacunes du système et promouvoir un système de santé privé.

Quant aux syndicats et aux sociaux-démocrates du Nouveau Parti démocratique, ils ont étouffé la lutte contre le démantèlement des services publics, particulièrement la grève des enseignants en 1997 en Ontario et la grève des infirmières en 1999 au Québec. Les syndicats et les sociaux-démocrates acceptent entièrement le cadre du débat de la classe dirigeante sur la santé, c'est-à-dire que les besoins humains doivent être subordonnés aux impératifs du profit. Donc, le Congrès du travail du Canada (CTC) a répondu à la décision de la Cour suprême en rappelant à la grande entreprise canadienne que l'assurance-maladie offrait un important avantage en terme de coût de main d'oeuvre par rapport à ses rivaux aux États-Unis.

Le jugement de jeudi menace le système de santé public canadien de nouvelles coupures. La grande entreprise et la droite vont maintenant chercher à renverser ce qui reste d'empêchements légaux au développement d'un système de santé privé, en mettant sur pied des cliniques et des hôpitaux privés qui vont s'accaparer les traitements médicaux les plus profitables et une grande partie des ressources humaines les mieux qualifiées. Avec le temps, l'assurance-maladie va être sucée de tout son sang, ne laissant à la vaste majorité des Canadiens qu'un système réduit et dilapidé.

Pour éviter ce scénario cauchemardesque, la classe ouvrière doit intervenir dans le débat sur la santé en tant que force politique indépendante luttant pour une réorganisation radicale de la vie économique qui placerait les besoins humains avant les profits individuels.

 

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