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Les suicides à Guantanamo et leur impact sur la vie politique américaine

Par David Walsh
17 juin 2006

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Les suicides de trois prisonniers au camp de concentration de Guantanamo constituent un événement honteux qui va intensifier la crise sociale et politique aux États-Unis.

Le fossé moral qui s’élargit au pays ne peut être dissimulé. Alors que l’armée américaine et les représentants de l’administration Bush réagissent par des commentaires brutaux et sans coeur, et que les médias et les démocrates font leurs sophistes ou gardent le silence, une part de plus en plus grande de la population américaine est horrifiée par ce que l’on est en train de faire en son nom. Présentement, beaucoup choisissent de détourner le regard. Mais cet écoeurement trouvera une expression politique, et plus tôt que tard.

La guerre en Irak va se poursuivre encore très longtemps et la situation va continuer de se détériorer. Plus de trois ans après l’invasion et l’occupation, et la proclamation vantarde «mission accomplie», plus de 70.000 soldats américains et irakiens ont débuté une opération mercredi dernier pour «sécuriser Bagdad»!

Le fait que les troupes américaines en Irak, dont la présence est pratiquement détestée universellement, se démoralisent et deviennent de plus en plus brutales, garantit que des incidents pires que Haditha surviendront. Diabolisé, Zarkaoui sera remplacé par une autre incarnation du démon, dont le nom sera diffusé avec dévouement à un public américain perplexe et de plus en plus aliéné. Même si le goulag de Guantanamo était fermé, la détention illégale et les mauvais traitements recommenceraient à un autre camp. Pendant ce temps, la CIA va continuer à faire fonctionner les prisons secrètes établies à travers le monde qui pratiquent la torture.

À chaque nouvelle action, le régime à Washington dévoile son caractère criminel. Les États-Unis sont largement perçus à travers le monde comme un pays hors-la-loi qui fait ce que bon lui semble. Des récents sondages montrent qu’il existe un dégoût et une méfiance, au niveau international, pour la conduite américaine officielle, même si la politique étrangère des États-Unis semble de plus en plus désorientée, vindicative et irrationnelle. Toutefois, derrière l’évidente folie, se trouve une perspective, aussi démente soit-elle: la campagne de l’élite financière et corporative américaine pour l’hégémonie mondiale.

Les commentaires de l’administration et de ses défenseurs après les décès à Guantanamo ne font qu’un. Les suicides d’hommes abattus, qui croyaient, après quatre ans d’isolement total, être condamnés à vivre comme des animaux en cage à perpétuité, furent accueillis par ces paroles infâmes du commandant de la base de Guantanamo, le contre-amiral Harry Harris: «Je ne crois pas qu’il s’agissait d’un acte de désespoir, mais d’un acte de guerre asymétrique contre nous»

Colleen Graffy, en charge de la diplomatie publique au département d’État des États-Unis, a répété des paroles semblables à l’émission «Newshour» de la BBC: «Cela ressemble à une stratégie; ils n'accordent pas de valeur à leur propre vie, et certainement pas à la nôtre, et ils utilisent les attentats suicides comme une tactique. Se donner la mort n'était pas nécessaire, mais c'est indubitablement une bonne opération de relations publiques»

Des commentaires aussi brutaux entraînent des réactions à travers le monde. Massoud Shadjareh de la Commission islamique des droits de l’Homme en Grande-Bretagne a commenté: «Ce genre de déclaration aurait rendu jaloux un officier SS de l’Allemagne nazie».

De toute façon, beaucoup de personnes du monde arabe sont suspicieuses de l’histoire de suicide. Une publication panarabe, Al-Quds Al-Arabi, a commenté: «Les avocats et les institutions internationales des droits humains sont sceptiques face au rapport officiel américain sur les suicides des [deux] prisonniers saoudiens et yéménite à Guantanamo Bay. L’hypothèse la plus répandue veut qu’ils soient morts torturés»

Interrogé à propos des suicides des détenus, George Bush, avec son petit sourire narquois habituel, a déclaré, le 14 juin, lors d’une conférence de presse que «Guantanamo... fournit un prétexte, par exemple, pour dire que les États-Unis ne font pas respecter les valeurs qu’ils tentent d’inculquer aux autres pays. Je réponds à ceux-là que nous sommes une nation de droit et un gouvernement qui respecte la loi.» Aucune administration de l’histoire des États-Unis n’a agi avec un tel mépris pour la loi constitutionnelle et internationale.

Bush faisait peut-être allusion au Parlement européen qui, un jour plus tôt, avait passé une résolution demandant que le camp de Guantanamo soit fermé, par un vote de 597 contre 15, avec 20 abstentions. La résolution exigeait que «chaque prisonnier soit traité conformément au droit international» La principale opposition à la résolution vint de la Ligue des familles polonaises (LPR), un groupe antisémite et ultranationaliste.

Les médias américains droitiers ont répondu aux événements avec leur habituelle soif de sang. Le Wall Street Journal a observé dans un éditorial du 13 juin, «Le suicide de trois prisonniers à Guantanamo Bay a été accueilli par un autre choeur de rhétorique antiaméricaine des soi-disant défenseurs des «droits de l’homme». Soupir. Les hommes décédés étaient parmi les pires des djihadistes, ce qui explique pourquoi ils étaient encore là-bas aussi longtemps après la chute du régime taliban en Afghanistan.»

Voilà comment le Wall Street Journal décrit des hommes qui ont été emprisonnés, tout d’abord dans des cages, ensuite dans des cellules de six pieds par huit pieds, à peine assez grandes pour tenir un lit de camp, qui n’ont jamais été accusé d’aucun crime et qui ont encore bien moins eu la possibilité de confronter leurs accusateurs et de plaider leur cause.

Dans une déclaration sur les suicides, les neuf britanniques relâchés de Guantanamo ont décrit les conditions mentales et physiques qui régnaient au camp : «Une des armes qu’utilisaient les interrogateurs américains, un fait maintenant reconnu par plusieurs personnes qui ont travaillé à Guantanamo, était d’enlever toute notion d’espoir. Nous en étions amenés à croire non seulement que nous ne reverrions plus nos familles, mais encore que nous serions emprisonnés pendant des décennies sans accusation ou procès… Nous avons tous été physiquement et sexuellement dégradés, battus, déshabillés de force et rasés et nous avons été abandonnés par notre gouvernement pendant plus de trois ans. Certains d’entre nous ont été mis dans des cellules d’isolement pendant des années, sans lumière naturelle. Nous avons tous envisagé le suicide à un moment donné.»

Zachary Katznelson, conseiller senior chez Reprieve qui représente 36 détenus de Guantanamo Bay, a écrit dans le Gardian du 12 juin : «De ces trois hommes, on sait peu de choses. Ils étaient à Camp I, une zone à sécurité maximale où les prisonniers n’ont même pas droit à un rouleau de papier hygiénique. Mais nous ne connaissons pas les histoires des hommes décédés. Alors que la plupart des hommes à Guantanamo ont des avocats qui luttent pour leur droit à un procès juste, ces hommes n’en avaient pas… Les hommes qui se sont suicidés se sont précisément retrouvés dans un trou noir légal. Ils n’avaient aucun recours légal, seulement la perspective d’une vie en prison, dans l’isolement, sans famille, sans amis, rien.»

Un des suicidés, le détenu Yasser Talal Al Zahrani, 22 ans, emprisonné depuis l’âge de 17 ans, était décrit par les responsables militaires américains comme un combattant taliban. Il a été arrêté après le massacre par des forces américaines et afghanes à la prison de Mazar-i-Sharif au nord de l’Afghanistan en 2001. Ainsi, il a été victime de deux crimes de guerre américains.

La soumission de vastes portions des médias américains à la machine militaire est presque totale. Comme expliquer autrement cet article sur le site Web d’ABC News : «Qui sont les victimes à Gitmo? Des rapports du Pentagone décrivent comment les gardiens sont abusés par les prisonniers.»

L’article décrit «le système de harcèlement et d’abus constant » que doivent subir les gardiens au camp d’internement. Des rapports «décrivent les altercations avec des prisonniers qui impliquaient des excréments, de la salive, des ustensiles, entre autres choses… 

«Le colonel Michael Bumgarner, qui supervise les gardiens du camp, a dit à Fox News qu’avant les suicides, les détenus étaient motivés par la haine, pas le désespoir. «C’est une chose étrange; ça me prendrait des heures pour tenter de vous l’expliquer. Ils nous haïssent, ils haïssent les Américains. Je le vois chaque jour. Je vois une lueur dans leur regard que je ne peux vous expliquer. C’est un regard démentiel lorsque nous avons affaire à eux» a dit Bumgarner.»

Cet extrait soulève une question historique intéressante: y a-t-il eu des gardiens de camp de concentration nazi à porter plainte contre leurs victimes?

Ni l’existence de Guantanamo ni les morts misérables de trois prisonniers désespérés n’ont soulevé de protestation sérieuse dans les médias américains. Quelques éditoriaux éparpillés, quelques libéraux qui se tordent les mains, tout cela de mauvaise foi, dans un appareil de propagande qui a retransmis chacun des mensonges de l’administration. En tout cas, mercredi, quatre jours après les événements, les commentaires éditoriaux étaient terminés. Personne ne demande de comptes aux criminels de Washington.

Un des plus cyniques et plus révélateurs articles sur la tragédie des suicides a été publié le 12 juin dans le New York Times sous le titre: «Une ruse des prisonniers sous enquête à Guantanamo». Cet article porte sur la supposée ruse qu’ont déployée les prisonniers pour trouver des moyens de mettre un terme à leur propre vie. Il affirme que les trois prisonniers «ont tenté de se cacher dans leurs cellules, derrière de la lessive et par d’autres moyens, pour empêcher que les gardiens les voient se suicider, a déclaré un responsable militaire haut gradé dimanche… La tromperie des prisonniers soulève des questions sur le temps qu’il a fallu aux militaires pour trouver les corps».

L’article poursuit en notant que «La réaction dans le monde a semblé discrète». En fait, tout organe ayant un minimum d’indépendance a exprimé de l’indignation. Même certains des alliés de l’administration Bush en Europe ont condamné les conditions à Guantanamo. Il serait beaucoup plus approprié de qualifier de «discrète» la réponse de l’establishment politique américain, qui est allée de la satisfaction sadique à l’indifférence.  

L’article du Times note ensuite: «Les démocrates aux États-Unis ont peu réagi, apparemment craintifs de paraître sympathiser avec des détenus qui pourraient s’avérer impliqués dans d’importants réseaux terroristes». Effectivement, une recherche des commentaires qu’auraient pu émettre la sénatrice de New York Hillary Clinton, Howard Dean ou tout autre membre en vue de ce parti s’est soldée par un échec. 

Le parti démocrate, qui a soutenu les invasions de l’Afghanistan et d’Irak, est entièrement impliqué dans la tragédie de Guantanamo. Le sénateur John Kerry du Massachussets, candidat à la présidence des démocrates en 2004, a émis un communiqué de presse lundi, deux jours après les suicides, qui débutait ainsi: «Aucun leader américain ne peut garder le silence sur la question de l’Irak». Mais Kerry s’est arrangé pour garder un complet silence sur les trois horribles morts dans un camp d’internement américain.

Les démocrates ne veulent surtout pas s’associer aux sentiments anti-guerre de la population, y compris une forte majorité de ceux qui votent pour eux. Cela préfigure le caractère de droite de la campagne que mènera le parti à l’élection de mi-mandat de 2006, et la nature réactionnaire qu’aurait un Congrès contrôlé par les démocrates ou une administration démocrate, si les démocrates revenaient au pouvoir.

Les médias américains et l’élite politique, tant son aile républicaine que démocrate, souffrent d’un cas extrême de «volonté de croire», l’un des principes les plus subjectifs du pragmatisme. Ils fonctionnent en se disant que c’est à eux de décider ce que sont les faits, que les réalités déplaisantes vont disparaître si personne n’en parle dans les médias, et que la vérité est quelque chose entièrement déterminé par leurs intérêts sociaux et politiques.

Ils font sérieusement erreur. Malgré toutes les ressources et la technologie dont ils disposent, ce auquel les ministres de la propagande d’une époque antérieure n’auraient pu que rêver, les médias américains ne peuvent pas faire disparaître les conditions en Irak, en Afghanistan, à Guantanamo ou aux États-Unis. Les mensonges, omissions et obstructions du Pentagone et de la Maison Blanche n’auront pas plus de succès.

Nous approchons du point de bascule. Il existe beaucoup de confusion politique et idéologique dans la population américaine, mais la nature ininterrompue de la réaction sociale, des attaques économiques, de la violence impérialiste et de la dégradation officielle a un effet cumulatif. 

L’équipe Bush, les démocrates et le Times sont convaincus, ou veulent se convaincre, que personne ne porte attention à ceux qui meurent dans la solitude à Cuba. Mais ces événements n’échappent pas à tout le monde. Il y a une base de soutien pour le sang et la boue, comme on en trouve toujours, mais une portion beaucoup plus large de la population est écoeurée. Cet écoeurement va se transformer en colère.

Des processus tragiques, face auxquels les gens peuvent initialement se sentir débordés et impuissants, sont déjà en train de radicaliser de grandes couches de la population. Par la force des choses, le mouvement de masse qui surgit va se développer en dehors des canaux politiques existants qui sont discrédités. Il sera poussé à tirer des conclusions politiques ayant de profondes implications. Le Parti de l’égalité socialiste et le World Socialist Web Site vont continuer à préparer ce mouvement politiquement et idéologiquement et à l’armer d’une perspective socialiste consciente.

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