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États-Unis: La presse américaine réagit avec haine et crainte face aux protestations en France

Par Jerry White
Le 1er avril 2006

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La presse américaine, connue pour ne pas suivre de trop près les développements politiques internes se produisant dans les autres pays à moins qu'ils n'aient un impact direct sur les Etats-Unis, a produit un nombre démesuré de commentaires désagréables au sujet de la vague de protestation en France contre l'instauration d'une loi permettant aux patrons de licencier des jeunes travailleurs sans fournir de justification.

La réaction des médias a été universellement hostile, allant de la dénonciation par la presse de droite de «la loi de la populace» à la perplexité plus discrète exprimée par la presse non conservatrice suggérant que les Français souffrent d'une sorte de folie collective parce qu'ils sont convaincus d'avoir droit à certaines choses comme la sécurité de l'emploi.

Les gros titres de plusieurs journaux donnent une idée de ce mépris, du Wall Street Journal titrant «Le déclin de la France» (21 mars) et «Casseurs» (29 mars), au Washington Post «Les Français descendent dans la rue pour sauvegarder leur lubie économique» (22 mars) et «Les Français disent non» (28 mars) au New York Times «Les manifestants français sur la mauvaise voie» (27 mars).

D'une manière ou d'une autre, tous les commentaires suggèrent que les manifestations sont illégitimes. Ils affirment que le droit du travail et les protections sociales en France sont dépassés et doivent être «réformés» si on veut voir les entreprises prospérer et créer des emplois. Ils suggèrent que «tout le monde» est d'accord là-dessus, tout le monde, mis à part les millions de travailleurs et de jeunes qui manifestent dans les rues en France. Répétant les commentaires tristement célèbres du premier ministre britannique, Tony Blair, au moment de l'invasion de l'Iraq, la presse américaine suggère que la force de la démocratie se mesure à la capacité des dirigeants politiques de défier la volonté du peuple et de faire «ce qui est juste».

Comme d'habitude, le Wall Street Journal donne le ton à ces voix réactionnaires. Après n'avoir épargné aucune insulte provocatrice contre Jacques Chirac et Dominique de Villepin pour avoir refusé de s'aligner derrière les Etats-Unis lors de l'invasion de l'Iraq, le Journal déclare à présent que le président et le premier ministre français sont les champions de la démocratie. Le gouvernement français est confronté à des étudiants «djihadistes» qui, affirme le quotidien, recourent à la violence pour défendre leur «religion de la sécurité de l'emploi». L'auteur, Nidra Poller, déclare «Les démocraties fonctionnent au moyen d'élections et de lois ; la populace règne par le feu et l'épée», suggérant que la répression de l'Etat est nécessaire pour écraser les protestations et maintenir la «démocratie».

Tout comme le Wall Street Journal, des journaux libéraux tels le Washington Post et le New York Times présupposent que le taux de chômage élevé en France est dû au fait que le fardeau injuste de la protection sociale, pour laquelle la classe ouvrière s'est battue et qui fut instauré après la seconde guerre mondiale, est placé sur le dos des employeurs. Si les entreprises obtiennent le droit de licencier les travailleurs sans aucune restriction et de les exploiter comme aux Etats-Unis, alors cela encouragera les entreprises à créer de nouveaux emplois.

Alors que «ceux d'entre vous qui ont subi le lavage de cerveau du capitalisme de marché anglo-américain» voient la nécessité de ce genre de «flexibilité du marché du travail» en vue d'augmenter l'emploi, le journaliste du Post, Steven Pearlstein, déclare cyniquement, «vu à travers le prisme sombre de l'imagination française, ces emplois ne sont pas de vrais emplois ­ ce sont des «emplois poubelles», des «contrats pour esclaves» censés miner le droit inné des Français à être protégés de tout risque économique. Une reculade là-dessus, et qui sait ce qui sera sacrifié ensuite ? La semaine de 35 heures ? Les congés payés de six semaines ? Le partage des bénéfices imposés par l'Etat ? La retraite à 60 ans ?

Oh, que d'abominations !

Passant pour le défenseur des chômeurs, Pearlstein affirme que la raison pour laquelle les jeunes immigrés et de nombreux étudiants ne peuvent trouver du travail est dû au fait qu'»une masse de vieux travailleurs de la classe moyenne dont le nombre est en baisse» jouit de «toute la panoplie de protections des travailleurs» et «absorbe l'innovation et la vitalité de l'économie». Exprimant sa consternation sur le fait que les jeunes exigent les mêmes droits que leurs parents, Pearlstein se plaint, «au lieu de soutenir les réformes qui pourraient générer plus d'emplois et plus de revenu, les 'outsiders ' [jeunes] ont fait leur cette fantaisie nostalgique d'une France d'antan, à jamais disparue, en faisant cause commune avec ces 'insiders' [vieux travailleurs] dont l'égoïsme et le socialisme obstiné les laissent sur le carreau.»

En effet, c'est l'influence continue du socialisme et des idéaux égalitaires en France ­ en dépit des trahisons du stalinisme et de la social-démocratie ­ qui indigne le plus Pearlstein et ses collègues de la presse. Le journaliste du Post fait remarquer avec amertume les résultats d'un récent sondage d'opinion effectué par l'université du Maryland sur les positions face à la politique internationale qui montre que seuls 36 pour cent des Français interrogés étaient d'avis que «le système de libre entreprise et de libre marché» est le meilleur. C'était le pourcentage le plus faible des 22 pays sondés, contre 59 pour cent en Italie, 65 en Allemagne, 66 en Grande-Bretagne et 71 aux Etats-Unis.

Se plaignant de ce que la France ne compte «que» 14 milliardaires contre 24 en Grande-Bretagne pour une superficie identique, Pearlstein termine son article par : «En effet, si vous demandez à des étudiants français qui est le Bill Gates français, ils vous regardent sans comprendre. Ce n'est pas simplement le fait qu'ils sont incapables d'en nommer un. Le problème est plus grave, ils ne voient pas pourquoi c'est important, ou ce que cela a à voir avec le fait qu'ils ne peuvent trouver un bon emploi.»

Pearlstein n'explique nulle part comment les vastes fortunes amassées par les ultra- riches et les inégalités sociales béantes ont amélioré le sort des travailleurs américains. Au lieu de cela, lui, tout comme les autres spécialistes bien payés de la presse qui est à la botte des grandes entreprises, considèrent qu'il est normal que les patrons américains disposent à la fois de pouvoirs dictatoriaux sur les lieux de travail et du «droit» incontesté de supprimer des milliers d'emplois et de détruire les salaires et les bénéfices sociaux. Après tout, docteur Pangloss, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Robert J. Sanuelson, l'homologue de Pearlstein au Post, avance l'argument que les protestations en France marquent une «situation plus difficile» pour l'Europe. «Bien sûr personne ne veut renoncer aux bénéfices et protections fournis aujourd'hui par le généreux Etat-providence, mais l'attachement farouche à ces programmes coûteux et qui vont à l'encontre du but recherché empêchent l'Europe de se préparer à un avenir qui, même si on peut le regretter, est inévitable.»

Puis Samuelson vend la mèche, en reconnaissant que les attaques contre les protestations françaises de la part de la presse sont liées à la situation politique aux Etats-Unis et aux inquiétudes quant à la riposte des travailleurs américains face aux attaques sans précédent qui sont à l'ordre du jour des patrons américains et de leurs deux partis politiques. «Le dilemme des pays démocratiques avancés», dit-il, «y compris les Etats-Unis, est qu'ils ont fait plus de promesses qu'ils ne peuvent en tenir. Leurs engagements politiques dépassent la capacité de l'économie à les tenir Désavouer des promesses faites incite à la fureur publique ; ne pas les désavouer aggrave les futurs problèmes du pays.»

Ce souci quant à la «fureur publique» aux Etats-Unis fut même exprimé plus clairement encore dans l'éditorial de USA Today, sous le titre, «Avant de railler les Français, songez à la connexion américaine.» L'article commence par un avertissement disant que les protestations françaises démontrent «jusqu'où le peuple est prêt à aller pour défendre les acquis et les bénéfices sociaux» au risque de «nuire à leurs propres avantages à long terme et à ceux de leurs enfants.»

Alors que les Etats-Unis devraient s'estimer «heureux» de ne pas «doter leurs travailleurs du droit de ne pas être licenciés», l'article poursuit, «on peut voir des sentiments contre-productifs similaires à ceux ressentis par les manifestants français parmi les travailleurs d'entreprises telles General Motors (GM). Ils exigent le maintien de retraites généreuses et d'une assurance maladie à vie de la part de leurs employeurs qui pourraient bien être mis en faillite

«A une échelle plus grande, il est possible de voir les Français dans l'opiniâtreté des débats sur les soins de santé et de sécurité sociale,» poursuit l'éditorial. Affirmant qu'une longévité accrue, que la retraite à venir de la génération du baby boom et l'explosion des coûts de la santé poussaient le gouvernement et l'économie vers un «abîme fiscal», le journal se plaint de ce que «ceux qui reçoivent ces prestations sociales ou sont sur le point de les recevoir, font preuve de peu d'intérêt pour les réformes qui sont indispensables pour prévenir une crise qui est imminente»

L'éditorial conclut : «Les Etats-Unis connaissent rarement les grèves et les manifestations de rue pour lesquelles la France est presque aussi célèbre que pour ses fromages. Mais ils souffrent en partie du même manque de disposition à considérer l'avenir.»

Ainsi, l'intérêt soudain de la presse pour la France se révèle être l'inquiétude que la résistance de la classe ouvrière pourrait se répandre aux Etats-Unis mêmes, où le programme réactionnaire de la politique de libre marché fut instauré en premier avant de s'étendre à la Grande-Bretagne et au reste du monde. Au vu d'attaques incessantes à l'encontre des travailleurs par GM, Delphi, Northwest Airlines et d'autres entreprises américaines, tout comme de projets du gouvernement Bush de supprimer des programmes de «droits acquis» pour financer des réductions d'impôts supplémentaires aux riches et les coûts croissants des aventures militaires américaines de par le monde, il ne fait pas de doute qu'au moins certaines figures de l'establishment qui ne sont pas tout à fait aveugles envisagent la possibilité que si une opposition de masse peut exploser en France, cela pourrait aussi être le cas aux Etats-Unis.

Les arguments selon lesquels la société ne peut tout simplement pas satisfaire les besoins fondamentaux de la population laborieuse sont de moins en moins crédibles non seulement pour les travailleurs français mais aussi pour leurs homologues américains. En dépit de leurs efforts pour s'assurer du soutien populaire pour le système capitaliste, la réalité est qu'il y a un nombre croissant de travailleurs et de jeunes aux Etats-Unis qui se rendent compte que le vrai problème réside dans le fait que la société ne peut pas se permettre d'accepter qu'une infime minorité de la population monopolise la richesse créée par la population laborieuse. Malgré l'affirmation obsédante des années durant sur la mort de la lutte des classes et de la classe ouvrière, les événements explosifs en France, comme ce fut si souvent le cas de par le passé, sont un signe avant-coureur de ce qui va se passer de par le monde et aux Etats-Unis mêmes.

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