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  France: La Confédération générale du Travail renforce son virage à droite

Par Peter Schwarz
29 avril 2006

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Le 48ème congrès de la CGT (Confédération générale du Travail) s’est tenu à Lille du 24 au 28 avril. Un millier de délégués discutèrent, cinq jours durant, de l’orientation que devra prendre le syndicat dans les trois prochaines années ; ils avaient également pour tâche d’élire une nouvelle direction confédérale.

Deux semaines avant le congrès, le gouvernement gaulliste de Dominique de Villepin, confronté à un vaste mouvement de protestation, fut contraint de retirer le soi-disant Contrat première embauche (CPE). Le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, essaie à présent de profiter au maximum de ce succès pour atténuer les tensions régnant au sein de son organisation et pour rassembler les délégués derrière le cours droitier de la direction.

Dans son discours d’ouverture, il qualifia le retrait du CPE de victoire « historique », s’agissant là d’une « belle page écrite par le syndicalisme français » et d’un « succès collectif » rendu possible par « l’unité des lycéens, étudiants et salariés » et le « soutien inédit des syndicats de nombreux pays ». La « mobilisation conjointe des salariés et d’une grande partie de la jeunesse » a été « décisive » dans cette victoire, a-t-il martelé. « Ensemble, nous étions plus forts. »

Les représentants des trois organisations étudiants/lycéens invitées, Bruno Julliard (UNEF), Karl Stoeckel (UNL) et Tristan Rouquier (FIDL), furent ovationnés par les délégués qui scandaient « Tous ensemble, tous ensemble ».

En réalité, le retrait du CPE était loin d’être une victoire « historique ». Certes, le gouvernement fut contraint, après huit semaines de manifestations et de grèves, d’opérer un recul d’ordre tactique, mais il ne retira qu’un des aspects de sa « Loi pour l’égalité des chances » toutes les autres dispositions restant en vigueur. Le cours social et économique de sa politique demeura inchangé.

Au sein du camp gouvernemental, même l’aile ultra-droite du ministre de l’Intérieur qui est aussi le président de l’UMP (Union pour un mouvement populaire), Nicolas Sarkozy, sortit renforcée de ce conflit. A en croire les derniers sondages, Sarkozy aurait une réelle chance de remporter l’élection présidentielle de l’année prochaine.

Le gouvernement gaulliste a survécu à un vaste mouvement social sans grands dommages alors qu’il aurait facilement pu entraîner sa chute. Il doit sa survie en premier lieu aux syndicats qui réfrénèrent et contrôlèrent le mouvement. Les syndicats, y compris la CGT, ont à maintes reprises souligné que leur objectif n’était pas le renversement du gouvernement, mais le retrait du CPE.

Les cris de victoire de Thibault dissimulent non seulement le rôle véritable joué par les syndicats dans la lutte contre le CPE, mais cachent également un nouveau virage à droite de la CGT. Thibault justifie le regroupement de la CGT, qui fut longtemps dominée par le Parti communiste, avec les syndicats traditionnels dominés par la social-démocratie, par des appels incessants à l’« unité » et au « tous ensemble ».

La voie du partenariat social

Bernard Thibault, qui depuis sept ans se trouve à la tête de la CGT, est partisan d’un soi-disant syndicalisme rassemblé, voire d’un mouvement syndical uniformisé. Alors que la CGT revendique une tradition de « lutte de classe » (à savoir des actions militantes telles que des manifestations et des grèves), Thibault cherche à mettre l’accent sur des négociations et des accords avec les organisations patronales et le gouvernement. Il préconise une stratégie alliant « revendications fortes et participation active aux négociations. »

Il préconise également une collaboration étroite avec la CFDT (Confédération française démocratique du Travail), proche du Parti socialiste et qui défend une politique de partenariat social. Au cours de ces dernières années elle a à maintes reprises joué le rôle de briseuse de grèves. C’est ainsi qu’en 2003, la CFDT poignarda dans le dos le grand mouvement de grève et de manifestation qui s’était organisé contre la « réforme » de la retraite et de l’enseignement. Alors que des millions de travailleurs se mirent en grève et manifestèrent, la CFDT conclut en son temps un accord unilatéral avec le gouvernement gaulliste.

Au sein de la CGT, le cours emprunté par Thibault ne passe pas sans résistance. En 2005, il avait dû essuyer une grave défaite au sein de la centrale syndicale. Le secrétaire général s’était alors prononcé en faveur de la Constitution européenne qui fit l’objet d’un référendum. Thibault fut désavoué par le comité confédéral national, un cas unique dans les annales de la confédération.

A Lille également, le document d’orientation soumis par la direction suscita à nouveau de violents débats et qui, selon Le Monde, ressemblaient à une « guérilla verbale ».

Plus de 3.000 amendements furent déposés concernant plutôt la forme que la substance de l’orientation. Les adversaires de Thibault (parmi eux plusieurs membres de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et du Parti des travailleurs) qui lui reprochèrent son « réformisme » restaient confinés dans le cadre d’une perspective purement syndicaliste. Ils ne prononcèrent pas le moindre mot quant à la nécessité d’une nouvelle orientation politique allant à l’encontre des principes de la société capitaliste.

De nombreuses résolutions et contributions exigèrent que le terme de « lutte de classe » soit à nouveau intégré dans la partie préliminaire du texte. D’autres critiquèrent le fait que le mot « travailleur » ait partout été remplacé par « salarié ». Une déléguée reprocha à la direction de « faire évoluer la CGT vers un syndicalisme de mandatés, une élite bureaucratisée, technocratique ». L’adhésion de la CGT au sein de la Confédération européenne des syndicats (CES), dominée par le PS, furent également critiquée.

Le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, fut accueilli par un concert de sifflets et de huées lorsqu’il s’adressa mardi à Lille aux délégués du congrès. Chérèque, fils d’un ministre socialiste sous Mitterrand, est surtout haï par les membres CGT de l’Education nationale et des Transports pour son rôle de briseur de grève en 2003.

Finalement, la direction rassemblée autour de Thibault put facilement s’imposer. Les quatre cinquième des délégués votèrent en faveur du document d’orientation. Ce n’est qu’en ce qui concerne la réforme de la grille des cotisations que surgirent des difficultés. Depuis sept ans, la direction essaie en vain de drainer vers la centrale une part plus importante des cotisations issues des nombreuses fédérations de la CGT. Cette fois-ci elle y réussit. Soixante trois pour cent des délégués votèrent en faveur d’un nouveau règlement. L’approbation aura été facilitée par le fait que les cotisations, qui se montent à trois millions d’euros, ne représentent plus qu’un tiers des recettes annuelles du syndicat. Les deux tiers restants provenant en grande partie de subventions.

Le rapprochement international des appareils syndicaux

Au plan international, la CGT envisage également de se rapprocher plus fortement des syndicats traditionnels sociaux-démocrates. Elle projette d’adhérer en automne à la Confédération internationale des syndicats libres (CISL).

De 1945 à 1995, la CGT fut membre de la Fédération syndicale mondiale (FSM) dominée par les staliniens. Celle-ci était violemment opposée à la CISL qui, durant la guerre froide, servit d’organisation écran anti-communiste. Certes, en 1995, la CGT quitta la FSM pour rejoindre peu de temps après la CES dans laquelle des syndicats à dominance sociale-démocrate telle la Confédération des Syndicats allemands (DGB) ou la Confédération syndicale britannique (TUC) donnent le ton. Par contre, la CGT n’adhéra pas à la CISL où la Fédération des syndicats américains AFL-CIO joue un rôle important.

A présent, Thibault profite de la fusion prévue cet automne entre la CISL et la Confédération mondiale du travail (CMT) pour forcer l’adhésion de la CGT. Il présente la fusion de ces deux appareils bureaucratiques de droite comme la création d’une toute nouvelle organisation internationale et répondant aux intérêts des travailleurs à l’époque de la mondialisation. Beaucoup d’énergie fut dépensée à Lille pour faire comprendre ceci aux délégués.

La veille du congrès, des fonctionnaires syndicaux issus de 80 pays se rassemblèrent pour un débat public. Thibault y expliqua que « l’unification du syndicalisme à l’échelle mondiale » était « une absolue nécessité ». Au vu d’une mondialisation générant « des déséquilibres entre pays et à l’intérieur de chaque pays » et entraînant une « précarisation accrue », les syndicats doivent « reconstruire des solidarités internationales efficaces. »

L’ancien secrétaire général de la CES, Emilio Gabaglio déclara de manière enthousiaste qu’une page allait être tournée durant laquelle le mouvement syndical avait été divisé. Avec la chute du mur de Berlin, « les raisons idéologiques qui motivent les divisions » étaient « largement dépassées.» De plus, le mouvement syndical mondial était « confronté au même défi, celui de la mondialisation débridée. »

Le secrétaire général du Centre des syndicats indiens (CITU), M.K. Pandhe, souligna «  le besoin de concertation » quand, par exemple, des sociétés japonaises installées en Inde, licencient des salariés dès que ces derniers tentent de se syndiquer.

Le secrétaire général du premier syndicat italien, la CGIL, Guglielmo Epifani, dit, que le syndicalisme mondial était confronté à la situation la plus difficile de son histoire : « En s’attaquant aux rapports de solidarité, la mondialisation vise à frapper la base même du syndicalisme. »

Même le premier vice-président de l’AFL-CIO, Larry Cohen, lança à Lille un appel en faveur d’un combat commun contre le « capitalisme de casino ».

Le secrétaire général de la CES, John Monks avait même, pour s’attirer les bonnes grâces de la CGT, participé le 4 avril à une manifestation de masse contre le CPE. Monks qui avait auparavant présidé le TUC, est un partisan convaincu de Tony Blair et n’avait jamais participé à une manifestation en Grande-Bretagne.

Le déclin des syndicats

Cette tentative de présenter la fusion des appareils syndicaux « libres », ex-staliniens et chrétiens comme l’expression d’une solidarité entre les travailleurs et comme un nouveau printemps du mouvement syndical international est absurde.

Tous les syndicats rassemblés à Lille ont à leur actif une longue histoire de déclin et de trahisons. Depuis des décennies, l’AFL-CIO n’a soutenu aucun conflit du travail et elle en a encore moins remporté. Dans l’industrie minière, sidérurgique, automobile et aéronautique, elle a collaboré à la suppression de millions d’emplois et accepté des réductions de salaire de 50 pour cent. Il en est de même dans d’autres pays.

Le rapprochement des appareils syndicaux se fait pour des raisons bureaucratiques qui leurs sont propres. La mondialisation de la production a coupé l’herbe sous les pieds de leur rôle traditionnel de médiateur des antagonismes de classe dans le cadre national. Face aux entreprises mondiales opérant sur les marchés mondiaux et capables de délocaliser les investissements et la production dans des pays offrant une main-d’œuvre bon marché, les armes syndicales traditionnelles consistant à faire pression sur le patronat se sont émoussées. La perte générale des adhérents, conséquence de nombreuses défaites dont ils sont eux-mêmes responsables, menace de rendre les syndicats insignifiants.

Ils réagissent en s’efforçant de prouver aux gouvernements et aux groupes transnationaux leur utilité en tant que cogestionnaires. Pour ce faire, ils requièrent un certain poids organisationnel et c’est pourquoi ils s’efforcent de renforcer les appareils en les fusionnant.

Depuis longtemps, les syndicats ont cessé de défendre les intérêts de leurs membres et, au lieu de cela, mettent en œuvre leur expérience, leurs appareils et leurs conseillers scientifiques pour imposer les mesures dictées par les grandes entreprises en créant le moins de conflits possibles et en sauvegardant la « paix sociale ».

Des commissions tripartites où collaborent, dans le but de planifier la suppression des acquis sociaux et des conventions collectives, des représentants des syndicats, des organisations patronales et des gouvernements, sont monnaie courante partout en Europe. La CES n’est rien moins qu’un groupe de pression qui travaille en étroite collaboration avec la Commission européenne de Bruxelles. La critique des syndicats français à l’encontre du CPE était dirigée en premier lieu contre le fait que le gouvernement Villepin l’ait fait votée sans les avoir préalablement consultés et fort peu contre son contenu.

La tendance consistant à collaborer avec les gouvernements et les associations patronales est commune à tous les syndicats – aussi bien les syndicats traditionnels réformistes que ceux prônant « la lutte de classe ». Cette tendance trouve son origine dans l’étroitesse de la perspective syndicale, qui accepte l’économie capitaliste comme condition préalable à leur activité, refusant de ce fait une perspective politique dont le but est le renversement du capitalisme. La CGT en est un exemple parfait.

Créée en 1895, la CGT est le plus vieux syndicat français. Durant l’après-guerre, elle se trouva sous le contrôle du Parti communiste et était surtout présente dans les grandes entreprises industrielles.

En 1968 déjà, elle joua un rôle décisif dans la trahison de la grève générale contre le régime du Général de Gaulle. Alors que onze millions de travailleurs participaient à la grève générale, elle négociait avec le gouvernement les soi-disant accords de Grenelle, qui permit de contrôler le mouvement de grève grâce à une suite de concessions d’ordre économique.

En dépit de cette trahison, la CGT connut durant les années 1970 l’apogée de son influence organisationnelle. Entre 1968 et 1977, le nombre de ses adhérents dépassa toujours les deux millions. Aussi longtemps que le niveau de vie progressait et que de nombreux travailleurs avaient des illusions dans le programme commun de l’union de la gauche, le Parti socialiste et le Parti communiste, ceux-ci restèrent fidèles à la CGT.

A partir de 1977, débuta un déclin continu qui se poursuivra tout au long de la présidence de François Mitterrand. En 1992, le nombre d’adhérents fut au plus bas, avec 630.000 adhérents. Parallèlement à ceci, le Parti communiste dépérissait et la CGT s’en détacha de plus en plus. Depuis ce temps-là, le nombre des adhérents stagne à un faible niveau. Aujourd’hui, la CGT n’est plus que le deuxième syndicat français avec 711.000 membres. La CFDT compte 100.000 membres de plus.

La CGT réagit à ce déclin de la même façon que tous les autres syndicats : elle renonce à sa rhétorique de la lutte de classe et se lie d’autant plus au pouvoir d’Etat et aux associations patronales. C’est ce que le congrès de Lille a clairement montré.

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