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Le gouvernement du Québec ouvre la porte au privé dans le système de santé

Par Éric Marquis et Richard Dufour
2 mars 2006

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L'annonce du gouvernement québécois qu'il compte autoriser le secteur privé à assurer ou à fournir aux frais de l'état des services hospitaliers représente une étape décisive dans l'assaut frontal sur le réseau public de la santé que réclame avec insistance l'élite dirigeante partout au Canada.

Le projet de loi déposé le 16 février dernier par le gouvernement Charest prévoit en premier lieu la mise sur pied de cliniques privées spécialisées dites «affiliées» au système public. Construites, équipées et gérées par des entrepreneurs en quête de profits, celles-ci pourront effectuer des opérations de la hanche, du genou et de la cataracte, qui seront payées par le gouvernement à même la caisse publique de la santé. La liste de soins médicaux autorisés dans ces cliniques serait ensuite étendue, dans un premier temps aux soins cardiaques spécialisés, aux services de radio-oncologie et aux chirurgies liées au cancer.

Le Québec compte déjà une cinquantaine de cliniques médicales privées offrant un accès rapide, moyennant argent comptant, à des services de radiologie ainsi qu'à des médecins généralistes et spécialistes. Le nouveau statut d'affiliation introduit par le gouvernement fournira à de telles cliniques un accès garanti aux fonds publics et les moyens d'attirer les professionnels de la santé en leur offrant la possibilité jusqu'ici interdite de pratiquer à la fois dans le privé et le public.

Selon le nouveau projet de loi, un patient en attente d'une opération du genou, de la hanche ou de la cataracte qui n'est pas traité dans un délai de six mois dans un étabissement public de la santé pourra être acheminé vers une clinique privée «affiliée», et après neuf mois vers n'importe quelle clinique privée hors Québec ou hors Canada si nécessaire, les frais encourus étant couverts par le régime d'assurance-maladie du Québec. Le gouvernement a présenté le délai prescrit avant le recours à des cliniques privées comme une garantie contre une privatisation à outrance de la santé. Mais ce délai peut être réduit à l'avenir. Et surtout, en se tournant vers le secteur privé pour combler le déficit de soins médicaux, le gouvernement se crée un puissant incitatif à continuer d'étouffer financièremement le réseau public de la santé pour pouvoir alimenter les cliniques privées.

Le second élément majeur du projet de loi est l'autorisation maintenant accordée au secteur privé d'offrir une police d'assurance pour les trois types de chirurgie disponibles en clinique affiliée. Ceux qui auront les moyens de débourser les milliers de dollars par année que coûteront de telles polices pourront ensuite court-circuiter le processus d'attente et se faire soigner directement dans un établissement privé non «affilié». Un médecin évoluant dans un tel établissement restera toutefois soumis à l'interdiction de pratiquer dans un établissement public de santé.

Cet aspect du projet de loi se veut la réponse du gouvernement Charest au jugement de juin 2005 de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Chaoulli. La Cour suprême a statué que les délais d'attente encourus dans le réseau public de la santé, couplés à l'interdiction de souscrire à une police privée d'assurance, mettaient en péril le droit à la vie et à la sécurité de la personne et violaient la Charte québécoise des droits et libertés. Le gouvernement du Québec avait douze mois pour se conformer à ce jugement en révisant la loi québécoise de la santé, ou invoquer une clause dérogatoire de la Charte.

La choix de la première option par le gouvernement québécois était tout à fait prévisible étant donné que le jugement de la Cour suprême -- qui a passé sous silence le fait indéniable que les longues listes d'attente dans le réseau public de la santé sont la conséquence des décennies de coupures budgétaires par tous les paliers de gouvernement -- n'était au fond qu'un rude signal politique lancé par les représentants en toge du grand capital à l'endroit des représentants élus du grand capital que la profonde crise du capitalisme canadien et international exigeait de faire fi du profond attachement de la population canadienne à son réseau public de santé et de s'en prendre directement à cette «vache sacrée».

Le gouvernement Charest a d'ailleurs recouru à des arguments tout aussi malhonnêtes pour justifier sa décision de soumettre les soins de santé à l'emprise accrue d'un secteur privé uniquement motivé par l'appât du gain. La «garantie d'accès» claironnée à toutes les tribunes par le premier ministre et son ministre de la santé n'est assortie d'aucune nouvelle injection de fonds dans un réseau public de la santé saigné à blanc par les vagues de coupures effectuées tout au long des années 90 tant par le gouvernement libéral fédéral que le Parti québécois à l'échelle provinciale.

Il y avait environ 15.000 postes d'infirmières de moins au Canada en 1996 qu'en 1990. En 1997, 51 pour cent seulement des infirmières travaillaient à temps plein, comparativement à 61 pour cent en 1992. Au Québec, des dizaines de milliers de travailleurs de la santé et du secteur public ont été acculés à une retraite anticipée en 1997 dans le cadre de la politique du déficit zéro poursuivie par le gouvernment péquiste de Lucien Bouchard avec le plein appui des centrales syndicales de la province.

Ayant systématiquement privé le réseau public des ressources financières nécessaires pour être en mesure de répondre à temps et de façon adéquate aux besoins de la population en soins de santé, l'élite dirigeante canadienne évoque maintenant l'état déplorable du réseau public pour en sacrifier des pans entiers, sinon la totalité, devant l'autel des profits.

Le projet de loi du gouvernement Charest présente le rôle accru du secteur privé dans le domaine de la santé comme la manière la plus efficace de résorber les listes d'attente. Pourtant de nombreuses études internationales attestent du fait que les pays ayant un sytème de santé à forte composante privée sont ceux dont les niveaux de dépenses en santé sont les plus élevés. À preuve, les États-Unis qui consacrent plus de 15 pour cent de leur produit intérieur brut à la santé contre moins de 10 pour cent pour les pays à financement public (9,4 pour cent pour le Canada), laissant malgré tout un pourcentage important de leur population -- quarante millions d'Américains -- sans assurance médicale.

La véritable raison de l'engouement du gouvernement Charest pour le privé dans le réseau de la santé n'a rien à voir avec l'efficacité ou l'accessibilité du réseau et tout à voir avec l'agenda de la grande entreprise -- d'une part le démantèlement de ce qui reste de l'État-providence pour détourner une part plus importante de la richesse collective vers les plus couches les riches au moyen de réductions massives de l'impôt sur le revenu et des taxes sur les gains en capital; et d'autre part, la création d'un marché qui représenterait, compte tenu du vieillisement de la population et des besoins grandissants en soins de santé, une véritable manne pour les profits.

Le large consensus en faveur d'une telle politique parmi l'élite dirigeante s'est manifesté dans l'acceuil plutôt enthousiaste qu'ont réservé les milieux officiels à la décision du gouvernement Charest d'ouvrir la porte au privé. Au même moment, la nette conscience qu'elle suscite une vive opposition au sein d'une large majorité de la population occasionne des divergences tactiques parmi les représentants de l'élite sur la manière de la mettre en pratique. Certains préconisent de dissimuler l'assaut en cours en présentant les brèches les plus larges au réseau public comme étant compatibles avec son maintien. D'autres exigent une campagne agressive affirmant haut et fort le «droit» du grand capital d'accaparer les richesses collectives et de soumettre la société à ses intérêts privés.

Dans le premier groupe, on trouve les commentaires du journal Le Devoir que «le projet de réforme soumis à la consultation par Québec a le mérite de proposer des changements concrets susceptibles d'accroître le volume des interventions sans pour autant remettre en cause les grands principes du régime public». Dans le même ordre d'idées, le chef du Parti Québécois, André Boisclair, s'est dit «soulagé» que le gouvernement Charest ait limité l'accès à l'assurance privée en santé, ses seuls reproches étant que ce plan ne comportait «aucune idée neuve». Même «soulagement» chez Henri Massé, président de la Fédération des travailleurs du Québec, qui a seulement regretté que le gouvernement Charest n'ait pas eu recours à la clause dérogatoire.

Représentant typique du second groupe, l'influent chroniqueur Alain Dubuc a exposé l'impatience ressentie par certains milieux dirigeants face à l'attitude jugée trop timide du gouvernement du Québec. «Ce qui est décevant», écrivait-il dans l'édition du 18 février de La Presse, «c'est que cette approche constitue moins une réforme qu'une amélioration du statu quo. Le gouvernement Charest a clairement choisi d'éviter les débats déchirants, en répondant de la façon la plus minimaliste possible à l'ouverture de la médecine privée qu'imposait la Cour Suprême. Cela nous dit d'abord que le gouvernement de M. Charest semble avoir perdu sa capacité et sa volonté de changer les choses».

Quant aux réactions dans le reste du Canada, elles démontrent clairement que la démarche du gouvernement québécois n'est pas la politique d'un seul gouvernement provincial, mais de la classe dirigeante canadienne en son ensemble. La ministre de la santé de l'Alberta, Iris Evans, a affirmé que le plan du Québec n'était pas différent de ce que l'Alberta tentait présentement de réaliser, ou avait déjà réalisé. Parlant au nom du gouvernement de la Colombie-Britannique, le lieutenant-gouverneur Iona Campagnolo se demandait récemment dans le discours du Trône «si le lieu ou la manière importent réellement aux patients qui recevront leurs traitements chirurgicaux dans la mesure où ces derniers sont payés par les fonds publics». Le premier ministre fédéral conservateur Stephen Harper a résumé le sentiment de l'élite canadienne en déclarant que le Québec «fait preuve de leadership national, développant un climat qui influencera les autres provinces».

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