C’est par une immense manifestation que le
quatrième anniversaire de la chute de Bagdad aux mains des forces de l’invasion
américaine a été marqué en Irak. Des centaines de milliers d’Irakiens sont
descendus lundi dans les rues de la ville de Najaf pour demander la fin de
l’occupation américaine de l’Irak.
Une immense foule d’hommes, de femmes et
d’enfants avec des drapeaux irakiens — un appel à l’unité nationale contre
l’occupation — s’est rangée derrière des bannières sur lesquelles on pouvait
lire « A bas Bush, à bas l’Amérique ». Plusieurs manifestants ont
brûlé ou piétiné des drapeaux américains.
La manifestation, dans une large mesure
composée des chiites répondant à l’appel de l’imam Moqtada al-Sadr, était la
plus grande ayant eu lieu à Najaf depuis l’invasion de l’Irak en 2003. Les
manifestants scandaient « Non, non, non aux Etats-Unis » et
« Bush le terroriste doit quitter ». La manifestation de masse a
commencé devant une mosquée de Kufa, la ville jumelle de Najaf, pour se rendre
jusqu’au centre de Najaf qui est considéré comme une ville sainte par la
communauté chiite.
La veille de la manifestation, al-Sadr avait
demandé aux soldats et aux policiers irakiens de ne pas se battre aux côtés des
Américains contre leurs coreligionnaires de l’Armée du Mahdi, la milice chiite
qui est loyale à al-Sadr. Le fait que des soldats et des policiers en uniforme
se soient joints en nombre important à la manifestation est une indication de
la puissance d’un tel appel.
Cet appel a été fait au moment où des
combats féroces faisaient rage vendredi dernier alors que les forces
américaines et irakiennes assiégeaient Diwaniya, une ville de plus de 400 000
personnes à 175 kilomètres au sud de Bagdad.
La profonde méfiance de l’armée américaine
envers les forces de sécurité irakiennes y a été clairement démontrée par le
fait que les Américains ont lâché des tracts sur la ville à partir d’avion pour
avertir la police locale de rester à demeure et que tout policier portant une
arme serait abattu à vue.
Les combats, nommés opération Aigle noir
par les commandants américains, comprenaient des frappes aériennes par
l’aviation américaine. Samedi, une attaque par missile a démoli une maison,
tuant au moins six personnes qui s’y trouvaient, y compris deux enfants et une
femme. Des hélicoptères d’assaut patrouillaient aussi des secteurs de la ville
densément peuplés. Il a été rapporté que des forces semblant être organisées
par l’Armée du Mahdi ont détruit et mis le feu à au moins un tank américain et
à deux blindés Humvee au début des combats.
Plusieurs morts et blessés ont été
rapportés. La presse irakienne a cité le docteur Hamid Ja’ati, le directeur
général des services de santé dans Diwaniya, qui accusait les forces
américaines d’empêcher les ambulances de transporter les blessés vers les
hôpitaux locaux. Il a aussi lancé un appel pour que de l’aide médicale soit
acheminée de toute urgence vers la ville.
La Maison-Blanche et les porte-parole de
l’armée américaine ont tenté de façon ridicule de présenter la manifestation de
masse anti-américaine à Najaf comme une mesure du succès de l’invasion et de
l’occupation.
Le porte-parole de l’armée américaine, le colonel Steven Boylan,
faisant référence à la manifestation de masse anti-américaine, a déclaré que
les Irakiens « n’auraient pas pu faire cela quatre ans plus tôt ».
« Voilà l’expression du droit de rassemblement, du droit de liberté
d’expression... C’est un progrès, on ne peut le nier. » Le fait que les
manifestants soutenaient un mouvement qui est engagé dans un conflit armé avec
l’occupation américaine semble avoir échappé au colonel.
De la même façon, un porte-parole de la Maison-Blanche,
Gordon Johndroe, a affirmé : « Quatre ans après le début de la
guerre, l’Irak est maintenant un endroit où les gens peuvent se réunir
librement et exprimer leurs opinions... voilà un pays qui a beaucoup changé
depuis la tyrannie de Saddam Hussein. »
Probablement la plus absurde de toutes les tentatives de
présenter sous un jour favorable les événements en Irak est venue du sénateur
Joseph Lieberman du Connecticut, qui avait été défait l’an dernier aux
primaires démocrates à cause de son soutien servile à la guerre en Irak, mais qui
avait par la suite réussi à défendre son poste en tant qu’indépendant. Il a
semblé insinuer que l’appel nationaliste de Sadr démontrait le succès de
« l’intensification » de l’administration Bush, car le déploiement
accru de l’armée américaine aurait réussi à unir toutes les factions contre
l’occupation.
« Il n’appelle pas à une reprise du conflit
sectaire », a déclaré Lieberman à CNN. « Il fait appel aux sentiments
nationalistes... Il reconnaît que l’intensification fonctionne. »
Cependant, ceux qui participaient à la manifestation
avaient une toute autre conception du « progrès » réalisé durant les
quatre ans qui ont suivi la chute de Bagdad.
« La chute de Saddam ne signifiera rien pour nous
tant que l’alternative sera l’occupation américaine », a déclaré au New
York Times Haider Abdul Mustafa, un employé de 23 ans du ministère de
l’Intérieur.
« Quelle liberté ? Quelle libération ? »
« En quatre ans d’occupation, nos fils ont été tués
et nos femmes faites veuves », a déclaré à une agence de presse Ahmed al-Mayahie,
un chiite de 39 ans de Basra. « L’occupant a lancé des slogans affirmant
que l’Irak était libre, que l’Irak était libéré. Quelle liberté? Quelle libération ? Il n’y a que destruction.
Nous ne voulons pas de leur libération et de leur présence. Nous leur disons de
quitter notre pays. »
Une déclaration d’al-Sadr, qui se cache présentement — les
officiels américains soutiennent qu’il est en Iran alors que ses partisans
insistent qu’il est toujours en Irak — a été lue à la manifestation en réaction
à la répression américaine à Bagdad.
Il a décrit l’occupation américaine comme « 48 mois
d’inquiétude, d’oppression et de tyrannie d’occupation » qui n’avaient
apporté au peuple irakien que « plus de morts, de destruction et
d’humiliation ». Il a ensuite ajouté : « Chaque jour, des
dizaines de personnes sont martyrisées, des dizaines de personnes sont
mutilées, et chaque jour nous voyons et entendons l’ingérence des Etats-Unis
dans chaque aspect de nos vies, ce qui veut dire que nous ne sommes pas souverains,
pas indépendants et, par conséquent, pas libres. Voilà ce qu’a récolté l’Irak
de l’invasion américaine. »
L’appel d’al-Sadr à une manifestation
massive a été perçu par beaucoup comme une tentative de calmer la colère
grandissante de ses supporters et du peuple irakien en entier contre
l’occupation qui dure depuis quatre ans et l’intensification de 30 000
soldats ordonnée par Bush plus tôt cette année. Parmi la population chiite, en
particulier, il y a des inquiétudes croissantes quant à la décision apparente
d’al-Sadr de ne pas s’opposer à la pénétration de l’armée américaine dans les
bidonvilles de Sadr City et aux attaques et arrestations menées contre la
milice chiite.
En 2004, la milice armée d’al-Sadr, l’Armée du Mahdi, avait
obligé les forces d’occupation américaines à effectuer une retraite tactique en
résistant à leur tentative de prendre le contrôle de Najaf, de Karbala et de
Sadr City. Le soulèvement chiite a coïncidé avec une résistance féroce à la
tentative américaine de dominer la ville de Fallouja, majoritairement sunnite,
qui n’a pu être conquise qu’après un siège meurtrier lancé plus tard cette même
année, suite à une trêve convenue avec les forces chiites.
Maintenant, al-Sadr fait de nouveau la promotion de l’unité
entre chiites et sunnites contre l’occupation américaine. C’est ce qui
sous-tendait le déploiement massif des drapeaux irakiens, non seulement lors de
la manifestation à Najaf, mais à Sadr City le jour de l’anniversaire de la
chute de Bagdad. Au sein de la population sunnite, cependant, des éléments de
l’Armée du Mahdi, incluant des unités ayant joint les forces de sécurité
irakiennes, sont pointés du doigt pour les assassinats sectaires perpétrés par
des escadrons de la mort ayant entraîné la perte de milliers de vies.
Dans la mesure où les Etats-Unis iront de l’avant dans leur
offensive contre l’Armée du Mahdi et qu’ils forceront al-Sadr à répliquer afin
de garder son emprise sur sa base populaire, l’avenir du gouvernement irakien
du premier ministre Nouri al-Maliki deviendra de plus en plus précaire. Avec
32 membres au Parlement et six ministres, le mouvement d’al-Sadr est la
principale composante de ce gouvernement et, sans son appui, il est peu
probable qu’il puisse survivre.
Le principal porte-parole des forces américaines en Irak,
l’amiral Mark Fox, a donné une évaluation plus franche de la crise que
confronte l’occupation, modérant les revendications
« d’accomplissements » en admettant que « les quatre dernières
années ont été décevantes, frustrantes et de plus en plus dangereuses dans
plusieurs régions de l’Irak ».
Au moment même où l’amiral prenait la parole, le nombre de
morts au sein du personnel militaire américain en Irak atteignait 3 282,
10 soldats ayant perdu la vie la semaine dernière et un autre, est-il rapporté,
étant mort dans des combats à Diwaniya lundi. Le nombre de blessés a grimpé à
plus de 26 000.
Seulement depuis le début de ce mois, 36 soldats américains
sont morts, faisant possiblement du mois d’avril, le mois le plus meurtrier
depuis l’invasion, il y plus de quatre ans. Déjà, janvier, février et mars ont
été le premier trimestre le plus meurtrier depuis l’invasion, avec 244 morts
dans les rangs militaires américains, comparativement à 148 pour la même
période en 2006.
Il est de plus en plus évident que « l’intensification »
de l’administration Bush est la cause de l’augmentation du nombre des victimes.
En plus du fait qu’il y a davantage de troupes en situation de combat, la
charge supplémentaire qu’exige un déploiement accru signifie que plus de
soldats sont envoyés dans des conditions dangereuses sans avoir eu le temps de
récupérer de leur précédente mission, et sans entraînement et équipement
adéquats.
Lundi, le Pentagone a révélé le nom des quatre nouvelles
brigades de la Garde nationale, un total de 13 000 soldats, qui seront
envoyées en Irak. Les unités sont basées en Arkansas, en Indiana, en Ohio et en
Oklahoma. Des sources indiquent également que près de 18 000 soldats
américains déjà en Irak verront peut-être la durée de leur assignation
prolongée.
Pour les civils irakiens, le carnage se
poursuit sans relâche. « L’intensification » américaine n’a servi
qu’à déplacer la violence endémique de Bagdad — qui était totalement paralysé
lundi par une interdiction de circuler s’appliquant à tout véhicule — vers les
régions périphériques. Les rapports continuent de chiffrer le nombre de morts à
un taux d’approximativement cent personnes par jour au pays.