Le plan de l’armée américaine consistant à
isoler une banlieue entière de Bagdad à l’aide d’un mur en béton de trois
mètres de haut a provoqué une opposition générale de la part des Irakiens quelque
soit leur religion ou leur origine ethnique. Plusieurs milliers d’habitants d’Adhamiyah,
une banlieue à majorité sunnite, ont manifesté lundi contre l’érection d’un tel
mur. Sur leurs banderoles on pouvait lire : « Ni chiite, ni sunnite, unité
des musulmans » et « Non au mur sectaire ». Les dirigeants
chiites des banlieues avoisinantes ont eux aussi condamné la construction de ce
mur.
Aux yeux des Irakiens ce mur symbolise la
haine d’une occupation américaine qui ne leur a rien rapporté si ce n’est une
vie quotidienne faite d’humiliations, de misère et de violence. Une des banderoles
de la manifestation déclarait : « un mur de séparation est une grande
prison pour les citoyens d’Adhamiyah ». Les habitants de cette banlieue considèrent
ce mur comme le moyen de les contrôler et non pas de les protéger. Selon un
sondage réalisé par le conseil municipal de cette banlieue dimanche passé, 90
pour cent des personnes interrogées étaient fortement opposées à la
construction de ce mur.
Le général américain David Petraeus qui
commande les troupes d’occupation a ordonné qu’au moins dix des secteurs de
Bagdad les plus difficiles à contrôler soient entièrement fermés par une
enceinte, comme partie du plan de sécurité de Bagdad. Cinq brigades américaines
supplémentaires et des unités militaires irakiennes sont actuellement en train
de se déployer dans la capitale irakienne pour faire ce travail. Une fois un
secteur bouclé de la sorte, la tactique de Petraeus veut que les forces
gouvernementales irakiennes et américaines y maintiennent des bases militaires
et y patrouillent de façon agressive dans le but de les « nettoyer »
en tuant ou en capturant les insurgés.
Bhazaliyah, un quartier de l’ouest de
Bagdad, est déjà ce que les officiers américains ont baptisé une gated community
[aux États-Unis, on désigne ainsi un quartier à l’accès contrôlé, réservé aux
classes supérieures et surveillé par des gardiens]. Le terme de ghetto toutefois,
comme ceux qu’avaient établis les nazis en Europe de l’Est pour les juifs pendant
la Deuxième Guerre mondiale, est bien plus proche de la vérité. Les 15 000
habitants de ce quartier sont soumis à un couvre-feu, n’ont qu’un seul point de
contrôle pour entrer et sortir du quartier, où on contrôle leur identité et on
les fouille de façon répétée. Selon le Washington Post, l’armée
américaine a l’intention de commencer à utiliser des scanners pour enregistrer
les empreintes digitales et effectuer la reconnaissance de l’oeil de tous ceux
qui devront passer par ces points de contrôle.
Adhamiyah, un quartier dont la population se
monte à plusieurs centaines de milliers, est le prochain secteur destiné à être
bouclé par une enceinte. Situé près du centre de la ville, sur la rive
orientale du Tigre, ce district était un lieu d’habitation prisé des Arabes
sunnites à faible revenu. C’est le seul district de l’est de la capitale
irakienne à population majoritairement sunnite. Depuis l’invasion américaine c’est
un des bastions de la guérilla anti-occupation et une base opérationnelle contre
les forces américaines et celles du gouvernement irakien.
Il est possible qu’Adhamiyah soit aussi au coeur de la
guerre civile sectaire qui oppose extrémistes sunnites et chiites à Bagdad. Les
zones voisines de ce quartier sont à grande majorité chiite et sont sous le
contrôle politique du mouvement fondamentaliste de l’imam Moqtada al-Sadr, dont
le quartier général se trouve dans le district ouvrier densément peuplé de Sadr
City, à l’est d’Adhamiyah.
Des commandos de la police irakienne et de la milice
sadriste de l’Armée du Mahdi auraient tué des habitants d’Adhamiyah pour se
venger des attentats systématiques menés par des fanatiques sunnites contre des
civils chiites. Des résidents d’Adhamiyah ont établi leur propre milice pour se
défendre contre les incursions de la police et de l’Armée du Mahdi. Ce secteur
est périodiquement attaqué par des roquettes et des tirs de mortier venant de
Sadr City.
Les troupes américaines ont commencé la construction du mur
et l’isolement de la population d’Adhamiyah le 10 avril, soutenant que cela la
protégerait des attaques de la milice. De longs pans du mur en béton ainsi que des
sections en fil de fer barbelé sont déjà en place. Comme à Ghazaliyah, le but
est de ne laisser que quelques points d’entrée ou de sortie et de contrôler
rigoureusement les allées et venues. De jeunes sunnites risquent d’être suspectés
d’avoir été impliqués dans l’insurrection et détenus à des fins
d’interrogatoire. L’intensification des opérations américaines de ces derniers
mois a déjà entraîné la détention de cinq mille Irakiens de plus. On dit que
Petraeus s’attend à la détention de dizaines de milliers d’autres Irakiens dans
les prochains mois.
Dimanche, lors d’une conférence de presse au Caire, le
premier ministre irakien Nouri al-Maliki a appelé, tardivement, à la cessation
du projet, déclarant : « Je m’oppose à l’érection du mur et sa
construction cessera. » Faisant clairement référence à la barrière de
sécurité érigée par le gouvernement israélien pour emprisonner le peuple palestinien
en Cisjordanie, Maliki a déclaré : « Ce mur nous rappelle d’autres
murs auxquels nous sommes opposés. »
L’opposition de Maliki à l’érection du mur, qui s’est
manifestée plus d’une semaine après le début de sa construction, était une
réaction à un barrage de condamnations venant d’une multitude d’organisations
en Irak. Des dirigeants de la municipalité de Bagdad ont insisté pour dire que
l’Armée américaine avait débuté la construction du mur sans leur consentement.
Un résident d’Adhamiyah, Ahmed al-Dulaimi, a déclaré au Guardian :
« Cela transformera tout le district en prison. C’est une punition
collective contre les résidents d’Adhamiyah. Ils vont tous nous punir à cause
de quelques terroristes. »
Un autre résident, Khadija Kubaissy, a déclaré à l’agence
de presse IRIN : « Entourer notre quartier de murs de béton va
clairement faire savoir que nous serons en danger à l’extérieur de la zone. On
nous force à vivre dans un seul endroit. Nos vies devront se limiter à quelques
kilomètres carrés de maisons et de commerces. Au lieu de nous isoler, ils
devraient trouver une solution logique à la violence et non pas causer
davantage de souffrances et d’hostilité. »
Le Parti islamique irakien sunnite, qui forme une partie du
gouvernement et qui collabore avec l'occupation, a vertement critiqué la
construction du mur : « L’isolement de sections de Bagdad avec du fil
barbelé et des murs de béton entraînera des dommages sociaux et économiques et
intensifiera les tensions sectaires. Cette mesure fera du tort aux résidents et
aura des conséquences négatives plutôt que de régler quoi que ce soit. »
Les sadristes chiites, dont les six ministres dans le
conseil des ministres de Maliki ont démissionné il y a une semaine, ont aussi
dénoncé le projet. Un représentant du mouvement sadriste à Najaf a
déclaré : « Le mouvement sadriste croit que la construction d’un mur
autour d’Adhamiyah constitue un moyen d’assiéger le peuple irakien et de le
diviser en cantons [sectaires]. C’est comme le mur de Berlin qui divisait
l’Allemagne. Cette mesure est la première étape d’une division de la ville en
cantons et de l’établissement d’un blocus contre la population. Aujourd’hui
c’est Adhamiyah, demain ce sera Sadr City. »
Confrontant une opposition populaire
grandissante, la position du gouvernement Maliki devient de plus en plus
intenable. Qasim Dawood, un membre de la coalition chiite de Maliki, a dit à USA
Today : « Le gouvernement actuel n’est pas compétent. Il est
plus ou moins paralysé et inactif. Je doute beaucoup que ce soit un gouvernement
qui puisse se maintenir au pouvoir encore longtemps. » Le parlementaire
kurde influent Mahmoud Othman, qui soutenait le gouvernement jusqu’à tout
récemment, a critiqué Maliki pour être « un premier
ministre faible » et a ajouté : « Ce gouvernement n’a
pas livré la marchandise et n’est pas capable de faire le travail. Il devrait
démissionner. »
Il est loin d’être clair, toutefois, que
l’armée américaine va accorder la moindre attention aux ordres du premier
ministre irakien d’arrêter la construction du mur d’Adhamiyah, une composante
essentielle de la stratégie sécuritaire de Bagdad. « Évidemment, nous
allons respecter les désirs du gouvernement et du premier ministre », a
déclaré lundi l’ambassadeur américain, Ryan Crocker. Mais lorsqu’on a demandé
précisément au lieutenant-colonel Christopher Garver, porte-parole de l’armée
américaine, si les ordres de Maliki seraient suivis, celui-ci a refusé de
répondre.
Le brigadier-général Qassim al-Moussawi, le
commandant de l’armée irakienne travaillant avec les forces américaines dans ce
secteur, a carrément dit lundi : « Nous continuerons à construire les
murs de sécurité dans le quartier d’Adhamiyah. » Moussawi a prétendu que
les dalles de béton qui ceinture le quartier n’étaient pas un mur, mais des
« barrières amovibles pouvant être enlevées ». Il rejeta l’opposition
qu’il a qualifiée de « réaction de quelques faibles d’esprit ». Les
habitants d’Adhamiyah ont dit l’agence de presse IRIN que la construction se
poursuivait.
Si la construction du mur continuait, ce serait alors,
considérant les déclarations publiques de Maliki, un autre clou dans le
cercueil politique de son gouvernement.