A la mi-janvier, le Parti de la Gauche.PDS (Parti du
socialisme démocratique) et l’Alternative électorale Travail et Justice (WASG)
ont organisé un « Congrès des universités » à Francfort-sur-le-Main
auquel ils donnèrent la devise de « Get up, stand up » (levez-vous et
résistez).
Après cette manifestation qui fut précédée de préparatifs
intensifs de plusieurs semaines et fut soutenue par de considérables moyens
financiers, les organisateurs se dirent déçus du nombre de personnes ayant fait
le déplacement à Francfort. Près de 400 personnes, issues presque exclusivement
de la périphérie du PDS et de l’Alternative électorale, y ont participé.
Ce « congrès » prit la forme de plusieurs sessions plénières et
d’une vingtaine d’« ateliers » et de « forums de
discussion ».
Il est nécessaire, malgré la taille modeste de
l’événement, de regarder de plus près ce qui fut une tentative
d’établir une « fédération universitaire de gauche ». On a vu
ces dernières années un déclin permanent de l’activité politique dans les
universités allemandes. Un des derniers groupes y ayant bénéficié de quelque
intérêt fut le mouvement antimondialisation Attac. Mais le fait que ce groupe
soit étroitement lié, sur le plan organisationnel et politique au SPD (Parti
social-démocrate) et aux Verts a conduit avec sa politique antisociale
droitière durant la période de la coalition gouvernementale SPD-Verts
(1998-2005) à ce que les étudiants déçus s’en détournent rapidement.
Le déclin de l’influence des partis officiels dans les
universités est proportionnel à la montée des problèmes sociaux qui ont un
impact de plus en plus concret et direct sur la vie des étudiants. Ceux-ci font
face à de nombreux problèmes : la détérioration des équipements et des ressources,
l’introduction de frais d’inscription, la subordination des cursus
universitaires aux intérêts immédiats du grand patronat. D’une façon plus
générale, de nombreux étudiants sont, du fait de la baisse du niveau de vie de
la classe ouvrière, forcés de financer leurs études en faisant des petits
boulots mal payés.
Les étudiants ont aussi à affronter, en plus de ces problèmes
sociaux, la menace croissante d’une guerre qui se précise de plus en plus
avec les préparatifs d’une attaque américaine de l’Iran. Tout cela
montre que ces problèmes ne peuvent être résolus dans le cadre de la société
existante et conduit à ce que les étudiants se détournent de plus en plus des
partis officiels.
C’est en réaction à cette situation que le Parti de la Gauche.PDS
et l’Alternative électorale ont pris l’initiative de ce
rassemblement. Ces organisations voient les manifestations d’étudiants
qui ont eu lieu l’été dernier contre l’introduction de frais d’inscription
en Hesse et en Rhénanie-Westphalie comme le début d’une radicalisation du
milieu étudiant. Leur but est de créer une fédération étudiante qui ait un
discours « de gauche » et essaie de prendre la tête d’une telle
radicalisation, tout en défendant un programme qui reste entièrement dans le
cadre du système capitaliste existant. Une telle perspective transformerait la
résistance croissante des étudiants en une contestation inoffensive et
empêcherait l’adoption d’une perspective socialiste.
De ce point de vue, le Parti de la Gauche.PDS ne fait que
répéter, au niveau des universités, le rôle qu’il a joué en 1990 et
qu’il continue depuis de jouer dans l’Est de l’Allemagne. Le
président d’honneur du PDS, Hans Modrow, a souvent souligné dans le passé
que le rôle le plus important joué par le PDS (l’organisation qui a
succédé au parti dirigeant stalinien de l’ex-Allemagne de l’Est)
dans les mois cruciaux de la réunification de l’Allemagne, avait été de
« garantir la paix et l’ordre ».
Les grèves et autres formes d’actions ouvrières
destinées à défendre les emplois dans les industries de l’Allemagne de
l’Est contre la politique de rationalisation des sociétés
ouest-allemandes, furent systématiquement sabotées par Modrow. La ministre PDS
de l’Economie, Christa Luft, joua dans cette politique anti-ouvrière un
rôle déterminant à travers la fondation de la « Treuhand »,
l’organisme qui devait superviser par la suite la fermeture de nombreuses
usines d’Allemagne de l’Est.
Le PDS a depuis été au pouvoir dans de nombreuses villes
d’Allemagne de l’Est où il a rivalisé avec les partis officiels
ouest-allemands tels que le SPD et la CDU (Union chrétienne démocrate) pour ce
qui est de réaliser des programmes d’austérité et de restrictions
sociales aux dépens de la population ouvrière. Dans sa propagande publique, le
Parti de la Gauche.PDS met en garde contre les effets de la privatisation des
services publics, mais dans les Länder et les municipalités où il partage le
pouvoir, il a réalisé les mesures de privatisation les plus draconiennes et les
plus considérables.
C’est dans la capitale allemande que cette politique est
la plus évidente. Le Parti de la Gauche.PDS y joue, depuis plus de cinq ans
maintenant, un rôle de premier plan. Il impose, en collaboration avec le SPD au
parlement du Land de Berlin, des attaques sociales allant bien au-delà de
celles effectuées dans bien des régions gouvernées par le CDU.
Le Parti de la Gauche essaie à présent de mettre sur pied une
« force d’ordre de gauche » en vue de maintenir la stabilité
dans les universités.
A Francfort-sur-le-Main, cela prit à l’occasion des
formes grotesques. Le principal orateur du meeting d’ouverture était
l’ancien ministre de l’Economie du SPD, Oskar Lafontaine. Se
servant d’une terminologie ultra radicale, il se plaignit de
l’exclusion et de l’appauvrissement de larges couches de la société
allemande et lança une attaque contre ce qu’il appela l’« hégémonie
néo-libérale ». Il approuva des grèves politiques et demanda une grève
générale contre la décision récente du gouvernement allemand d’augmenter
l’âge de la retraite.
Les organisateurs avaient, de toute évidence, compté sur le
fait que la carrière de ce « détracteur du système » était inconnue de
l’audience, en grande partie composée de jeunes gens. En fait, Lafontaine
a occupé durant les quarante dernières années de hautes fonctions dans la
politique allemande.
En tant que jeune maire de Sarrebruck(capitale du Land de
Sarre), Lafontaine introduisit un soi-disant « travail social », une
mesure de travail obligatoire pour ceux qui dépendent de l’aide sociale.
Puis, en tant que ministre président de ce Land il joua, en collaboration avec
les syndicats, un rôle important dans le démantèlement de l’industrie
sidérurgique et charbonnière de la région qui entraîna la perte de 40 000
emplois.
A la fin des années 1990, Lafontaine joua en tant que
président du SPD un rôle de premier plan dans la transformation de ce parti en
une organisation de défense intransigeante des intérêts du grand patronat. Il
fut un des architectes de la coalition gouvernementale SPD-Verts constituée en
1998. Il démissionna de son poste de ministre de l’Economie et des
Finances en 1999 à la suite de critiques de la part des lobbys patronaux,
laissant au chancelier Gerhard Schröder la charge du parti et du gouvernement,
même si aujourd’hui il appelle à la grève générale.
Lafontaine est tout à fait conscient du fait que la
destruction de l’Etat social mène à une opposition populaire et il
cherche, en alliance avec le PDS, à créer un mécanisme destiné à capter cette
opposition et à empêcher que se développe un mouvement politique indépendant
qui ait une véritable orientation socialiste.
C’est dans sa remarque disant que les syndicats étaient l’« allié
le plus important » de l’opposition sociale que le rôle de
Lafontaine et de sa politique se trouvait le mieux illustré à la réunion de
Francfort.
Si Lafontaine s’était donné la peine, durant une des
pauses par exemple, de parler au personnel du restaurant universitaire, il
aurait pu apprendre quelque chose sur le rôle véritable des syndicats. Durant
les deux dernières années, le syndicat des services publics, Ver.di, a négocié
un nouveau contrat contenant des réductions draconiennes de salaires, des
augmentations des heures de travail et des attaques contre les conditions de
travail.
Le plus grand syndicat industriel allemand, IG Metall, est en
train d’introduire pour ses membres un contrat similaire, malgré une
vaste opposition de la base. Dans le groupe automobile Volkswagen, les délégués
syndicaux ont approuvé l’an dernier une augmentation des heures de travail
sans augmentation de salaire en échange d’une promesse de la direction
que la production d’un des principaux modèles serait transférée de
Belgique vers les usines de Volkswagen en Allemagne. Au moins 3 200 emplois
sont de ce fait supprimés à l’usine Volkswagen de Bruxelles. Le rôle des
syndicats et des conseils d’entreprise fut de saboter la récente grève
avec occupation menée à Bruxelles par les ouvriers de Volkswagen et qui dura 7
semaines, ce qui a été crucial pour la direction.
Au lieu d’être obligés de s’aligner sur la
politique corporatiste des syndicats allemands les étudiants doivent entrer
directement en contact avec les salariés des usines et des bureaux dans le but
de constituer un mouvement politique qui soit entièrement indépendant des
appareils bureaucratiques des syndicats, du SPD et du Parti de la Gauche PDS.
A la conférence de Francfort, Lafontaine prit une attitude
défensive lorsqu’une sympathisante du World Socialist Web Site
mentionna ces faits. Elle fit remarquer que partout où le Parti de la Gauche.PDS
avait des fonctions il avait fait une politique qui ne se distinguait
pratiquement pas de celle réalisée par les autres partis bourgeois.
Lafontaine chercha à minimiser le bilan désastreux du
gouvernement du SPD et du Parti de la Gauche.PDS dans le Land de Berlin,
parlant de « décisions incorrectes prises à Berlin », tout en
ajoutant que de telles mesures étaient, après tout, nécessaires pour préserver l’« unité ».
Lafontaine et les autres orateurs de cette réunion ont avancé
une perspective politique qui n’a rien à voir avec le socialisme, qui
consiste au contraire à faire des propositions pour réformer le capitalisme. De
ce point de vue, les interventions du professeur émérite berlinois, Elmar
Altvater, étaient caractéristiques. Il appela à une participation de la gauche
aux institutions où sont prises les décisions du sommet du G-8.
Altvater qu’on décrit souvent comme un expert en
mondialisation est un ancien adhérent des Verts et un sympathisant du mouvement
Attac. Dans un document consacré à des questions telles la domination exercée
par les sociétés financières privées, les fonds d’investissement
internationaux et la lutte pour les réserves énergétiques, il pose cette
question: « De tels développements peuvent-ils encore être résolus dans le
cadre du G-8? N’a-t-on pas besoin d’un comité beaucoup plus
grand? »
Répondant à sa propre question, il souligna que « la
gauche ne pouvait pas simplement dire non au G-8 », mais devait participer
directement à un processus à travers lequel le G-8 irait vers une sorte de gouvernement
capitaliste mondial.
Altvater considère que la tâche de la « gauche » est
de conseiller les hommes politiques bourgeois sur la manière de réformer le
capitalisme mondial. Il exclut catégoriquement une alternative socialiste et
déclara : « Le socialisme du 20e siècle a échoué en 1989. »
Il fut mis au défi par quelqu’un qui déclara que la
dissolution de l’Union soviétique confirmait pleinement l’analyse
du mouvement trotskyste, qui avait clairement montré que c’était le
stalinisme et non pas le socialisme qui avait échoué. Du matériel jusque-là
inaccessible et provenant d’archives démontrait l’ampleur de
l’opposition de la gauche marxiste au stalinisme. Altvater réagit de
manière agressive et attaqua cette personne verbalement et de façon tout à fait
vulgaire.
Ce genre d’attaque contre Trotski et une perspective
socialiste révolutionnaire rappelle la période d’il y a quarante ans où
les staliniens commencèrent à monter leur propre fédération étudiante, qui
avait pour but explicite de dénoncer et de réprimer les trotskystes et le
trotskysme.
La radicalisation des étudiants allemands au début et durant
la moitié des années 1960 avait conduit à ce que le SDS (Fédération des
étudiants socialistes) soit expulsé du SPD. Le SDS devint alors un lieu de
regroupement pour une kyrielle d’organisations de gauche.
L’Allemagne était à l’époque gouvernée par une
grande coalition. Les activités extra parlementaires augmentaient en opposition
aux mesures en faveur du réarmement, aux lois sur l’Etat d’urgence
et à un système d’éducation allemand sélectif où nombre de professeurs universitaires
avaient encore eu des liens avec les nazis.
En 1968 fut fondé le Parti communiste allemand, stalinien,
(DKP) ainsi que son organisation étudiante, la Fédération des étudiants
marxistes (MSB) qui était alignée sur l’appareil d’Etat de
l’Allemagne de l’Est et avait systématiquement recours à des
méthodes staliniennes de censure et de brutalité en vue de supprimer tout débat
sérieux sur une perspective socialiste.
Aujourd’hui, les staliniens ne disposent plus d’un
appareil d’Etat puissant et les vieux mensonges cherchant à faire croire
que le stalinisme était du socialisme sont discrédités.
Il y eut durant ce rassemblement beaucoup d’intérêt pour
le stand de livres tenu par les adhérents du Parti de l’Egalité
socialiste (PSG) et le WSWS. Des discussions animées y eurent lieu
durant les pauses en réponse au tract diffusé par le PSG. Sous le titre:
« La guerre, les coupures dans les dépenses sociales et le rôle du Parti
de la Gauche PDS » le tract déclarait :
« Nous rejetons de façon résolue cette adaptation lâche
au Parti de la Gauche. Une des conditions préalables les plus importantes au
succès dans la lutte contre la guerre et les coupures dans les dépenses
sociales est de voir la réalité en face et d’appeler les choses par leur
nom. Par rapport au Parti de la Gauche, cela signifie une campagne infatigable
pour démasquer sa politique antisociale et réactionnaire… Le Parti de
l’Egalité socialiste (PSG) prend fait et cause pour la construction
d’un mouvement qui soit entièrement indépendant du SPD, du Parti de la Gauche.PDS
et des syndicats et qui lutte pour une réorganisation de la société sur une
base socialiste. »