Nicolas Sarkozy, candidat à l’élection présidentielle de
l’UMP (Union pour un mouvement populaire) gaulliste au pouvoir a fait une
attaque directe au programme de sa rivale du Parti socialiste Ségolène Royal.
Le Parti socialiste espérait que quelques concessions sociales
superficielles dans son programme, présenté par Royal lors d’un meeting à
Villepinte le 11 février, raviveraient le soutien de l’électorat à sa
candidature. Cela n’a pas été le cas. Après le meeting, les sondages
donnaient 33,5 pour cent à Sarkozy au premier tour contre 26 pour cent à Royal.
Au deuxième tour, Sarkozy obtiendrait 54 pour cent des voix et Royal 46 pour
cent, soit une perte de 2 pour cent pour Royal et un gain similaire pour
Sarkozy par rapport aux sondages effectués avant le meeting de Villepinte.
Trois jours plus tard, Sarkozy donnait sa réponse au programme
de Royal dans un entretien publié dans les deux principaux journaux financiers,
le Financial Times et les Echos. Marquant clairement sa
différence d’avec la candidate du Parti socialiste (PS), comme Margaret
Thatcher avait l’habitude de le dire, il a déclaré : « Les valeurs
que madame Royal met en avant sont celles de l’assistanat, de
l’égalitarisme et du nivellement. »
L’affirmation impétueuse de Sarkozy concernant le droit des
riches à s’enrichir davantage et son rejet même des palliatifs les plus
minimes conçus pour améliorer l’appauvrissement que la politique libérale
a imposé aux personnes issues de la classe ouvrière, est une déclaration
d’intention à ses amis du MEDEF (Mouvement des entreprises de France.)
Sarkozy proclamait par là qu’il n’y aurait pas de compromis sur leur
exigence de réforme économique et sociale de la France dans l’intérêt du
patronat français et européen
Il cherche aussi à se rallier une base parmi les couches plus
fortunées de la population. Il a dit avec insistance, « Mes priorités en
matière d’impôts c’est l’exonération d’impôts pour les
heures supplémentaires, l’exonération des droits de succession pour
presque tous les foyers et l’allègement fiscal pour le paiement des
intérêts d’un emprunt-logement. Le but en est simple : nous devons
redonner à la classe moyenne la possibilité de devenir propriétaire. »
La prétention d’universalisme de Sarkozy est
transparente. L’impôt sur les droits de succession est le cauchemar des
riches et l’allègement de l’emprunt-logement profiterait aussi de
façon disproportionnée aux plus riches. On retrouve ici des échos de Thatcher
promettant de créer « une démocratie d’actionnaires et de
propriétaires », comme leitmotiv de son programme de « capitalisme
populaire. » Une fois de plus l’objectif est de créer une base
sociale de soutien en vue d’une offensive contre la classe ouvrière et la
destruction de l’Etat-providence.
Les énormes coupes budgétaires que les mesures de Sarkozy
impliquent nécessiteront des pertes d’emplois massives. Se lamentant de
ce que le service public avait créé un million de nouveaux emplois, il a promis
de ne remplacer que la moitié des fonctionnaires partant à la retraite.
« Je ferai de la réforme de l’Etat un projet clé de la
présidentielle, » dit-il. Il observe aussi de près la politique allemande
consistant à augmenter de trois pour cent la TVA [taxe sur la valeur ajoutée],
faisant peser un peu plus sur les pauvres le poids de l’impôt.
Sarkozy a critiqué Royal de manière significative pour
n’avoir pas adopté la politique d’austérité sociale et en faveur
des grandes entreprises du gouvernement « New Labour » de Tony Blair
et de l’ancien premier ministre social-démocrate allemand Gerhard Schröder
lorsqu’il a posé la question, « où sont les nouvelles
initiatives ? Où est l’évolution du socialisme français vers le
socialisme européen ? »
S’attaquant à la promesse de Royal d’augmenter de
cinq pour cent les retraites les plus basses et d’élever le salaire
minimum à 1 500 euros par mois (promesse pour laquelle elle a refusé de
donner une date) il a dit, « d’un côté il y a
l’investissement, de l’autre l’assistanat. » Se faisant
l’écho de la rhétorique de Blair en Grande-Bretagne, il a critiqué Royal
disant qu’elle cherchait « à créer de nouveaux droits sans y attacher
de responsabilités. »
Ces « responsabilités » équivalent à une forme
d’obligation pour les chômeurs d’accepter n’importe quel emploi
proposé, quel que soit le salaire sous peine de perdre leurs allocations :
« Quand je parle de droits et de devoirs, je suis précis : aucune
allocation sans travail en retour. »
Il n’y aura pas non plus de répit dans la chasse aux
immigrés avec « pas de papiers de séjour en France si on ne sait pas
écrire, si on ne sait pas lire et si on ne sait pas parler français. »
Toute augmentation des retraites sera financée par des
augmentations des contributions des travailleurs et l’allongement de la
vie active, avec « aucune augmentation des retraites de base sans
consolidation du système de retraite. »
Sarkozy expose clairement son projet visant à imposer ses
mesures socialement destructrices s’il est élu président. Dans la ligne
du processus de Lisbonne de l’Union européenne, il négocierait avec les
syndicats comme il l’avait fait avec succès pour désamorcer la
« crise du CPE » (le mouvement de masse des jeunes et des travailleurs
contre le Contrat première embauche au printemps 2006) en invitant les
principales confédérations syndicales à des discussions sur les relations au
travail.
« Ma première priorité serait la modernisation de la
démocratie sociale », dit-il. Ce qui signifie avant tout utiliser les
syndicats pour étouffer les grèves. Tout d'abord, il y aurait une période
systématique de « six à huit mois » de consultation entre « partenaires
sociaux » [jargon de la bureaucratie de l’Union européenne pour
désigner les patrons et les syndicats] pour trouver « des réponses
aux questions concernant les droits des travailleurs ».
Au cas où il y aurait une grève, il veut que les syndicats,
pour la plupart affiliés soit au Parti socialiste soit au Parti communiste,
prennent « des engagements pour [fournir] un service minimum dans les
transports en commun et les autres services publics ».
Il y aurait ensuite une obligation supplémentaire « d’un
vote à bulletins secrets dans les entreprises, les universités et la fonction
publique après huit jours de grève ». S’il y avait un vote
majoritaire parmi les travailleurs pour reprendre le travail, aucun syndicat
n’aurait « le droit de monter des piquets de grève ».
La réponse agressive de Sarkozy à Royal est au diapason des
sentiments des cercles patronaux français, peu impressionnés par les promesses
de campagne de Royal. Ce qui est tout particulièrement considéré comme une abomination,
c’est sa promesse de réformes sociales. Elle les jugeait essentielles
pour essayer de gagner un certain soutien populaire à son programme globalement
de droite, mais les principales grandes entreprises veulent voir mettre un
terme décisif à l’impasse crée par la résistance de la classe ouvrière
aux réformes structurelles tentées à maintes reprises par les gaullistes sous
la présidence de Jacques Chirac.
Le porte-parole économique du Parti socialiste Luc Besson a même
dû démissionner de la campagne présidentielle après avoir été réprimandé par
Royal pour avoir, face à une critique soutenue de la part des médias, évalué le
coût de sa politique sociale. Royal avait l’intention de garder un
certain flou sur la question, mais Besson a déclaré que son programme social
s’élèverait à 35 milliards d’euros.
Ceci ne diminue en rien le caractère globalement droitier du
programme de Royal. En effet sur tous les autres fronts elle a dû calculer
qu’elle avait donné à la bourgeoisie française ce que celle-ci exigeait
d’elle.
En accord avec Sarkozy, elle a l’intention de réunir
employeurs et syndicats pour imposer les diminutions des droits et du niveau de
vie nécessaires pour faire de l’économie de l’Europe « la plus
compétitive du monde ». Telle est l’essence de son « Pacte
républicain » (terme utilisé aussi par Sarkozy.)
Royal exprime aussi son accord implicite avec le projet
économique néolibéral de Sarkozy lorsqu’elle déclare, « l’Europe
doit se battre aussi pour une politique industrielle à l’instar de ce que
font les Etats-Unis et les grands pays émergents ».
Elle n’a ni fait allusion ni promis d’abroger une
série de mesures, dont bon nombre ont été parrainées par Sarkozy, attaquant les
droits et libertés démocratiques, dont les pouvoirs accrus de la police :
deux lois antiterroristes qui accroissent considérablement la surveillance par
l’Etat de la population, la Loi pour l’égalité des chances, la Loi
de prévention de la délinquance, la suppression de la protection du travail, la
loi sur l’Etat d’urgence. Elle a clairement l’intention de
les conserver dans le code.
Elle a réitéré son intention d’impliquer les militaires
dans les établissements pour jeunes délinquants. Elle est aussi d’accord
avec Sarkozy sur la mise en place d’un service civique obligatoire de six
mois pour tous les jeunes et a aussi suggéré que celui-ci pourrait se faire
dans l’armée. La proposition 54 de son programme en 100 points est de « créer
une nouvelle police de quartier ». Comme Sarkozy sur la question du
paiement des allocations, elle dit que chaque nouveau droit va de pair avec des
devoirs.
Son discours était une déclaration de soutien à une politique
étrangère impérialiste et militariste. Elle a proposé un « pacte
d’honneur… pour que la France se relève ».
« La France c’est plus que la France...Et la
France, en tout cas, ne craindra pas, je vous l’annonce, de tenir le rang
qu’elle doit à son histoire », a-t-elle dit au public.
Royal a exprimé sa foi en un « monde multipolaire »
où la France trouverait son intérêt dans une Europe impérialiste : « C’est
pourquoi tous les efforts visant à faire redémarrer l’Europe et à en
faire une puissance également politique seront poursuivis avec une ardeur
particulière. »
Elle a terminé ses remarques par la déclaration, « Vive la
République...Vive la France. »
Royal n’a fait aucune référence à
l’intensification de la guerre en Irak et n’a exprimé aucune inquiétude
sur la misère qui s’abat sur le peuple irakien du fait de
l’impérialisme américain, qu’elle avait félicité, lors d’un
débat pendant la campagne d’investiture du PS, pour avoir apporté la
démocratie en Irak. Elle n’a pas non plus reconnu la menace imminente
d’une attaque militaire américaine contre l’Iran.
Tout en soutenant l’opposition de Chirac à la décision
unilatérale des Etats-Unis de partir en guerre contre l’Irak en 2003, une
position motivée en grande partie par le désir de protéger d’importants
investissements français dans l’Irak de Saddam Hussein et l’Iran
d’aujourd’hui, elle a dit des relations de l’impérialisme
français avec les Etats-Unis, « Partout où nous agirons, les Etats-Unis,
bien sûr, ne seront pas loin. Ils seront là, puissants, amicaux, généreux et
aussi, comme l’histoire récente l’a montré, emportés parfois
jusqu’à l’erreur par le poids même de leur puissance. Nous vivrons
avec eux, en partenaire solide, fiable… »
« Je me suis prononcée, vous le savez, pour la plus
grande fermeté vis-à-vis du régime iranien en place et de ses provocations
répétées, s’est-elle vanté. Veiller à la sécurité de tous, c’est
aussi donner l’exemple. Et c’est pourquoi nous continuerons à
déployer des forces au service du droit, s’il le faut, en Afrique comme
au Proche-Orient. »
La proposition 93 de la liste des 100 propositions
qu’elle a faites au meeting était la promesse de « Doter notre
défense nationale de moyens à la hauteur des risques nouveaux…Notre
capacité de dissuasion nucléaire doit être préservée. »
Si Royal, contrairement à ce qu’indiquent
aujourd’hui les sondages, venait à gagner les élections présidentielles,
elle serait à la tête d’un gouvernement férocement opposé à la classe
ouvrière. Le fait que la gauche officielle, comprenant le Parti communiste, les
Verts, la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et Lutte ouvrière (LO),
persiste à dépeindre le Parti socialiste et Ségolène Royal comme une sorte d’alternative
aux gaullistes, les rend complices d’une trahison politique.
(article original paru en anglais le 19 février)
(Les propos de Nicolas Sarkozy dans son entretien au
Financial Times du 14 février ont été retraduits de l’anglais.)