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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Grève à l’usine Ford en Russie, le signe d’une reprise de la lutte des travailleurs russes

Par Vladimir Volkov
28 novembre 2007

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Les travailleurs de l’usine Ford de Vsevolojsk dans la région de Saint-Pétersbourg ont mené le 6 novembre, la veille du 90e anniversaire de la Révolution d’Octobre de 1917, une grève d’avertissement d’une journée. Cette action est symptomatique de la reprise d’une lutte combative de la classe ouvrière russe.

La grande majorité des ouvriers de l’usine, quelque 1700 sur 2300, ont participé au blocage de la chaîne de montage.

Les revendications des travailleurs incluent une augmentation de salaire et un aménagement plus humain de l’horaire de travail notamment une réduction d’une heure pour le travail de nuit.

Le représentant syndical, Aleksei Etmanov, a dit que si la direction n’acceptait pas les revendications des ouvriers, le syndicat relancerait le 20 novembre une autre grève, éventuellement une grève indéfinie.

Actuellement les ouvriers de l’usine Vsevolozhsok gagnent entre 16 000 et 25 000 roubles (600-1000 dollars) par mois. Ils réclament que le salaire moyen passe à 28 000 roubles (1100 dollars) par mois.

Cette grève n’est pas la première de l’année à cette usine. Une précédente grève ayant eu lieu le 14 février avait été en partie une réussite. La direction avait accepté d’augmenter les salaires de 14 pour cent bien que les travailleurs aient revendiqué une augmentation de 30 pour cent. Un nouveau contrat avait été accepté qui expire le 28 février 2008. Toutefois, les travailleurs ont décidé d’exiger une hausse de salaire avant l’expiration du présent accord.

Il semble que la grève déclenchée dernièrement par les travailleurs de General Motors aux Etats-Unis ait joué un rôle dans la décision des travailleurs russes de démarrer une nouvelle grève. La grève aux Etats-Unis a été trahie par l’UAW, le syndicat des travailleurs de l’automobile, en aboutissant à un contrat qui prévoit une réduction massive des salaires et des prestations sociales.

Les travailleurs russes de Ford ont décidé d’agir de façon préventive. Ils ont également été influencés par une grève d’une journée menée en août dernier par les travailleurs de l’automobile de Togliatti contre AvtoVAZ, le plus grand constructeur automobile russe. Cette entreprise avait été la figure de proue de la production automobile soviétique. Elle fut sévèrement touchée dans les années 1990 par le processus de privatisation quasi criminel qui avait suivi l’effondrement de l’Union soviétique.

Il y a deux ans, son contrôle fut transféré à l’entreprise d’Etat Rosoboroneksport. Cette entreprise est la principale entreprise exportatrice d’armes de Russie sur le marché mondial et est dirigée par un ami personnel du président russe Vladimir Poutine, Sergei Chemezov.

Des peines sévères furent infligées aux grévistes d’AvtoVAZ, un certain nombre d’entre eux qui avaient dirigé la grève fut licencié et la direction ignora la totalité des revendications émises par les travailleurs. L’ancien directeur de l’usine devint le maire de Togliatti, renforçant ainsi l’influence de la direction de l’usine au niveau régional.

Une pression identique est à présent exercée sur les ouvriers de Ford à Vsevolozhsok. L’entreprise a demandé au tribunal de Saint-Pétersbourg de déclarer la grève comme illégale au motif que la direction de l’usine n’avait pas été officiellement informée du projet de grève.

L’entreprise a également mentionné de prétendus dangers émanant d’équipement de production dans le but d’exiger l’ajournement de toute grève durant un mois. Néanmoins, les travailleurs de Ford envisagent d’étendre leur action de grève.

Le 9 novembre, Nezavisimaia Gazeta a remarqué qu’« un mouvement de grève prend de l’ampleur dans le pays. » En décrivant la situation générale, le journal a écrit : « Depuis quatre jour, les dockers sont en grève au port pétrolier de Tupas [sur la Mer Noire]. Pour le moment, les ouvriers de Ford observent une grève d’avertissement. La semaine prochaine, les ouvriers dockers du port de Saint-Pétersbourg menacent de débrayer. Une action de protestation de la part de milliers d’employés d’une entreprise appartenant au groupe chimique Bor n’a pu être évitée qu’après que de longues et difficiles négociations aient eu lieu entre les syndicats et la direction de l’entreprise. »

L’article paru dans la Nezavisimaia Gazeta reflète l’inquiétude qui est en train de monter au sein de l’élite dirigeante russe face à l’activité grandissante de la classe ouvrière, notamment durant la période qui précède les élections législatives et présidentielles. Le journal reproche « aux dirigeants et aux propriétaires d’entreprises » de faire preuve dans leurs agissements « d’une dureté tout à fait inutile, » et aussi d’être intransigeants.

Nezavisimaia Gazeta recommande aux propriétaires de « mener un dialogue de manière civilisée ». Ceci est très improbable dans des conditions où les travailleurs sont privés de tout droit et où les conditions de vie se dégradent en raison de l’inflation et de la démolition de l’Etat social qui date de l’époque soviétique.

La croissance des inégalités sociales

Les succès macro-économiques continuellement rapportés par le gouvernement n’ont pratiquement aucun impact sur la masse des travailleurs. Les milliards de pétro-dollars qui arrivent en Russie remplissent les poches des oligarques et des représentants de la bureaucratie d’Etat pléthorique.

Selon les statistiques officielles, les salaires ont augmenté ces derniers temps. Cette année, les dirigeants du Kremlin ont rapporté que le salaire moyen en Russie était passé à 500 dollars par mois. En réalité, la hausse des salaires ne concerne qu’un nombre relativement petit de personnes qui dépendent de leur salaire et cette hausse est éclipsée par les conséquences de la destruction du système de prestations sociales qui avait existé sous le système soviétique.

La monétisation de tous les aspects de la vie en Russie qui a progressé avec une rapidité particulièrement grande sous le régime de Poutine a obligatoirement conduit à une certaine augmentation de la compensation financière au sein d’une grande partie de la population. Néanmoins, les données sociologiques montrent clairement que cette augmentation ne compense en rien le déclin des conditions de vie qu’endure une partie importante de la population.

Une étude réalisée par le Centre national d’étude de l’opinion publique russe (VTsIOM) montre que 41 pour cent des Russes dépensent entre 50 et 74 pour cent de leur revenu en nourriture. De nos jours, seuls 5 pour cent des Russes dépensent moins d’un quart de leur revenu en nourriture. Seize pour cent des personnes interrogées ont rapporté qu’elles dépensaient presque tout leur revenu, soit 75 pour cent ou plus en nourriture.

Une famille russe sur deux qui a un enfant vit dans la pauvreté ou au niveau du seuil de pauvreté. Parmi les familles qui ont deux enfants, le nombre grimpe à 65 pour cent pour atteindre 85 pour cent pour celles qui ont trois enfants. De plus, le chiffre réel est bien plus élevé parce que le seuil de pauvreté officiel n’est pas établi à un niveau qui permet aux gens de manger décemment, et encore moins de satisfaire les autres besoins.

Le fossé qui existe en Russie entre le revenu des 10 pour cent au sommet de l’échelle et les dix pour cent de la population au bas de l’échelle n’a cessé de croître durant la période post-soviétique. A la fin de l’époque soviétique, le rapport était de 4,5. En 1994, il se situait entre 8 et 9. En 2005, il atteignait 15, l’un des plus élevés au monde. Mais ceci est cependant l’évaluation la plus modérée de la situation. Selon une autre évaluation, le rapport entre les plus riches et les plus pauvres se situe quelque part entre 30 et 50.

En dépit de la propagande gouvernementale, la période du gouvernement Poutine ne fait pas exception à cette tendance générale. Elle constitue plutôt un nouveau stade dans la croissance des inégalités sociales.

Dans un discours prononcé à Moscou en octobre de cette année lors d’un forum international sur le problème de l’Etat providence, un représentant de la Cour constitutionnelle russe, Valerii Zor’kin, a remarqué qu’il y avait en Russie quatre millions de personnes sans domicile fixe, trois millions de personnes sans ressources, cinq millions d’enfants abandonnés et quatre millions et demi de prostituées. Selon un rapport établi le 15 octobre par le journal gouvernemental Rossiiskaia Gazeta, les catégories précitées totalisent 16,5 millions de personnes soit 11,3 pour cent de la population du pays.

Cet automne, l’augmentation des prix a montré une fois de plus que la stabilité dont fait état la propagande du Kremlin n’est qu’une facette de l’histoire. En septembre, compte tenu d’un taux officiel d’inflation se situant à 8 pour cent, des catégories toutes particulières de denrées ont enregistré une inflation frôlant les 25 pour cent. Le coût moyen du panier de la ménagère a augmenté de 18 pour cent depuis le début de 2007, alors que les coûts de transport ont augmenté entre 14 et 18 pour cent.

Comme le journal influent du monde des affaires, Vedomosti, avait été forcé de le reconnaître le 8 novembre, l’augmentation actuelle des prix touche tout particulièrement les couches les plus pauvres de la population. Citant l’évaluation de l’Institut des Recherches sociales complexes (IKSI), le journal a rapporté qu’entre janvier et octobre, les prix avaient progressé de 9,3 pour cent. Pour les Russes les plus pauvres, toutefois, l’inflation était de 11,5 pour cent. Pour les couches les plus riches, elle était de 9 pour cent.

Se basant sur une évaluation du niveau de revenu de la population, l’IKSI est arrivé à la conclusion que « pour la moitié de la population de Russie, l’inflation est supérieure de 1,5 à 2,2 pour cent de ce qu’indiquent les statistiques officielles ». Il est, de plus, bien connu que l’inflation réelle est nettement supérieure au taux officiel indiqué, ce qui signifie que l’inflation réelle est encore plus élevée pour les pauvres.

Accroissement du climat d’opposition

Ces tendances objectives du domaine socio-économique ont des conséquences politiques, à savoir en particulier l’accroissement du mécontentement des masses à l’égard de toutes les structures gouvernementales au niveau fédéral, régional et local, le mécontentement grandissant face aux conséquences du processus de privatisation qui a eu lieu durant les années 1990, la croissance d’une activité allant à l’encontre des divers aspects de la réalité russe et une revendication de plus en plus grande pour l’amélioration des conditions de vie.

L’expansion des grèves et de l’activité syndicale n’est qu’un élément de ce processus général. Au cours des ces derniers mois, il y a eu des protestations de la part de personnes qui s’étaient fait escroquer lors d’achat de parts immobilières. Dans les environs de Moscou, à Butov, les habitants refusent d’échanger leurs domiciles contre des appartements évalués à un prix inférieur à celui pratiqué sur le marché dans le seul but d’être délogés pour faire place à des projets de constructions neuves. Il y a une sympathie grandissante parmi les citoyens pour le sort des victimes d’actes terroristes à Dubrovka, Beslam et ailleurs.

Selon une étude réalisée par le Centre Levada, 60 pour cent des personnes interrogées sont d’avis que la privatisation n’était pas nécessaire et 24 pour cent souhaiteraient retourner à une économie planifiée. Rapportant ces statistiques, le journal libéral Novaya Gazeta, qui est un opposant « mou » de l’actuel président, a précisé le 1er novembre avec une certaine inquiétude que l’on pourrait décrire le climat social actuel de la manière suivante, « plus de socialisme. »

Selon l’analyste influent du VTsIOM, Mikhail Bokov, « La justice sociale est, parmi l’électorat, l’idée populaire la plus répandue. La mentalité de gauche a étendu une emprise indiscriminée sur tout le monde. Même au sein des partis de type démocratie libérale, la situation n’est pas dominée par ceux qui se trouvent du côté de "la priorité du marché et de la démocratie". »

Bokov a remarqué que les gens veulent « l’égalité des droits, un bien-être matériel et un soutien pour les couches de la population sans défense ». Il a dit, « Dans la conscience des masses, la justice sociale signifie le respect de l’honnêteté et de la valeur de chaque individu, ainsi que l’absence de mensonges, de duperie et de violence dans la vie sociale. »

Une telle réorientation de la conscience de masse se produit dans des conditions où les effets idéologiques, politiques, et on pourrait ajouter de psychologie morale, du stalinisme n’ont toujours pas été surmontés. Aucun des partis officiels de l’establishment, y compris le Parti communiste, n’exprime les intérêts des travailleurs, mais fonctionne bien plutôt comme un instrument entre les mains des cliques de l’oligarchie bureaucratique de la nouvelle élite dirigeante.

La propagande officielle essaie de canaliser le mécontentement croissant des masses en direction du nationalisme et du chauvinisme russes ; on fait passer l’ensemble des problèmes du pays comme étant les conséquences d’une « catastrophe géopolitique » et de « l’humiliation nationale » de la Russie dans les années 1990 ainsi que du manque de volonté de la part des puissances occidentales de reconnaître la place de la Russie lui revenant de droit sur le marché mondial.

Le fait que le président Vladimir Poutine soit placé relativement haut dans les sondages est une expression du mécontentement de la population à l’égard de toutes les structures et institutions restantes de la « nouvelle Russie ». C’est pourquoi la stabilité du régime commence à dépendre entièrement de la poursuite de la croyance de la population dans le « bon Tsar ».

Cette situation dangereuse est pratiquement ouvertement reconnue au sein des cercles dirigeants. Tous les débats concernant la nécessité que Poutine reste au pouvoir durant un troisième mandat ou maintienne son influence sur les décisions politiques au Kremlin après avoir formellement démissionné sont une expression du fait que tout pourrait être perdu sans Poutine.

Ceci signifie-t-il que la stabilité du régime ne dépend que d’une seule personne ?

Il serait naïf de défendre un tel point de vue. Dans la mesure où la classe ouvrière est incapable d’avancer sa propre perspective politique indépendante, qui ne peut être qu’une perspective révolutionnaire et socialiste internationaliste, et de construire sur cette base son propre parti politique indépendant, l’élite dirigeante trouvera mille et un moyens par lesquels disperser toute opposition et rappeler « à l’ordre » la classe ouvrière.

Les autorités ne cessent de se préparer dans ce sens. Par exemple, le pouvoir se concentre entre les mains des patrons grâce à une législation du travail appliquée début 2002 et qui rend quasiment impossible l’organisation de grèves légales en Russie.

Un autre exemple est la décision, prise par de nombreuses entreprises, de créer des armées privées ; les compagnies pétrolières russes ont obtenu le droit de mettre sur pied de telles armées sur la base d’une loi mise en vigueur par Poutine en août dernier.

A présent les services de sécurité de géants tels Gazprom et Rosnetf peuvent acquérir et recourir aux armes. Sous cette loi, les forces de sécurité privées bénéficient des mêmes droits que les services de sécurité affiliés aux structures gouvernementales, y compris le droit de garder en détention des personnes et de procéder à des perquisitions. En d’autres termes, les sociétés privées de sécurité ont acquis des fonctions de répression d’Etat qui peuvent être employées contre leurs travailleurs.

Dernièrement, dans le domaine public, les citoyens russes ont été privés du droit de participer à des référendums et du droit d’émettre un vote « contre tous » aux élections.

Conformément à la nouvelle loi anti-terroriste, toute personne peut être qualifiée d’« extrémiste » par n’importe quel représentant d’une autorité gouvernementale.

Si l’on croit la propagande gouvernementale selon laquelle la majorité des citoyens russes soutient son président et ses mesures socio-politiques, comment alors expliquer toutes ses mesures répressives ?

Il est évident que l’élite dirigeante perçoit dans son ensemble que les travailleurs ont un sentiment tout à fait différent à leur égard. Et donc, elle s’est préparée en vue d’une répression de masse.

Comme le publiait récemment le VTsIOM, jusqu’à un tiers des habitants de la province sont prêts à participer à des protestations de masse alors qu’entre 21 et 24 pour cent de la population des grandes villes et 31 pour cent de la population rurale sont également prêts à prendre part à de telles activités. A Moscou et à Saint-Pétersbourg, le chiffre est plus faible. Mais ceci ne change toutefois en rien le tableau général qui montre que l’état d’esprit de la société est en train de se radicaliser.

La Russie entre dans une ère de nouvelles tensions sociales et de luttes de classe.

(Article original paru le 20 novembre 2007)

Lire aussi :

Russie: la signification politique de la grève à l’usine automobile de Togliatti [6 septembre 2007]


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