Une grève générale a paralysé l’économie
sud-africaine mercredi 6 août. Le Congrès des syndicats d’Afrique du Sud
(COSATU) a appelé ses deux millions d’adhérents à un débrayage de 24
heures pour protester contre la hausse des prix des denrées alimentaires et du
pétrole. L’appel à la grève avait été précédé par une annonce de la
hausse des tarifs d’électricité de 27,5 pour cent.
Les témoins ont décrit une marée de grévistes déferlant
dans les rues de Pretoria en direction du siège du président Thabo Mbeki. D’autres
rassemblements ont eu lieu à Durban, Cape Town, Ladysmith, Klerksdorp, Polokwane
et Witbank.
Les mines d’or étaient fermées, le
transport en commun paralysé et les usines automobiles à l’arrêt. Anglogold
Ashanti, le troisième producteur mondial d’or, a dit que toutes ses mines
étaient fermées pour la journée. « Nos activités minières ont été
touchées, » a dit Alan Fine, « et aucun puits ne fonctionne
aujourd’hui. ». La compagnie n’a pas voulu révéler le montant
de ses pertes de production. Harmony, le cinquième plus important producteur
d’or du monde, a dit que ses mines avaient toutes été affectées par la
grève.
Lesiba Seshoka, porte-parole du Syndicat
national des mineurs a déclaré aux journalistes, « Dans les Etats libres
en province toutes nos branches participent à l’action du COSATU et
presque toutes les opérations d’Harmony sont bloquées. »
Les mines d’Harmony avaient également
été touchées par une grève la semaine passée, les travailleurs de la société
ayant observé une journée de deuil pour un collègue qui avait été tué. Les deux
journées de grève sont supposées avoir coûté entre 60-70 kg d’or à
l’entreprise.
Anglo Platinum, le leader mondial du platine a
dit que 71 pour cent de ses salariés étaient en grève. Impala Platinim, le
second producteur mondial de ce métal, a rapporté que 40 pour cent de son
effectif étaient en grève.
Anglo American, la plus grosse entreprise
minière du monde, a dit que 55 pour cent de ses ouvriers ne s’étaient pas
rendus au travail. Mais l’entreprise a affirmé que l’ensemble de
ses neuf mines de charbon sud-africaines étaient restées ouvertes.
Daimler a dû fermer son usine située dans
l’Est de Londres. Ford a dû arrêter pour la journée ses activités à
Port-Elisabeth et à Silverton. Volkswagen a été obligé de fermer ses usines à Uithage
où 450 voitures par jour quittent normalement la chaîne de montage.
Les services de Metrorail dans la province de
Gauteng étaient paralysés par la grève en affectant le centre financier de
l’économie sud-africaine de Johannesbourg. La grève a eu pour conséquence
de paralyser le trafic des autobus à Johannesbourg. A Port-Elisabeth aucun bus
ne roulait. Dans de nombreuses régions les taxis ne circulaient pas.
Sur les chantiers de construction le travail
avait cessé pour la journée. La construction des installations pour la Coupe du
monde de 2012 a été interrompue.
Les travailleurs de l’habillement et du textile ont
suivi l’appel à la grève en grand nombre. On a rapporté que plus de 100 entreprises
de l’habillement étaient fermées. Le Syndicat sud-africain des
travailleurs de l’habillement et du textile a dit que 93 pour cent de ses
adhérents avaient suivi le mot d’ordre de grève.
Les enseignants ayant débrayé, les écoles étaient restées fermées
dans de nombreuses régions.
Les magasins étaient fermés dans nombre de grandes villes et
les routes étaient bloquées en raison de nombreux défilés de manifestants. ShopRite,
l’un des hypermarchés, était resté ouvert à Durban avec un personnel très
réduit.
La grève nationale a fait suite à trois grèves provinciales
qui avaient eu lieu ces dernières semaines contre la hausse des prix.
La réponse massive des travailleurs à l’appel à la grève
reflète la colère énorme ressentie par la classe ouvrière face à la hausse des
prix et un gouvernement qui est indifférent aux besoins de la population. Les
prix des aliments ont augmenté de 17 pour cent, les taux d’intérêt de 20
pour cent et les prix du carburant de plus de 35 pour cent au cours de
l’année dernière. Mais les salaires n’ont augmenté que de 12 pour
cent sur la même période.
Si ceux qui travaillent sont durement touchés par ces hausses
des prix, ceux des 48 millions de Sud-Africains qui sont au chômage (on évalue
le taux de chômage à 40 pour cent) sont forcés dans une pauvreté encore plus
grande.
En début d’année, des mines avaient été obligées de
fermer en raison de coupures de courant. Les travailleurs du secteur minier
redoutent que les coupures de courant n’entraînent des pertes d’emplois.
Au cours des cinq dernières années la croissance économique
avait été de 5 pour cent par an en moyenne, mais elle a chuté à moins de 3 pour
cent l’année dernière. Le ralentissement de la croissance entraînera
forcément une augmentation du chômage.
Confronté à la colère montante de ses membres, le COSATU n’avait
pas d’autre choix que d’intensifier les grèves et d’étendre le
mouvement au plan national. Les syndicats cherchent à détourner la colère
légitime de leurs membres vers une campagne de soutien à Jacob Zuma, le nouveau
président du Congrès national africain (ANC). Les manifestants à Cape Town ont
chanté « Umshini Wami », « Passe-moi ma mitraillette », le
chant associé à Zuma.
Le COSATU colporte l’illusion qu’un gouvernement
ANC mené par Zuma serait différent d’un gouvernement ANC mené par Mbeki. La
réalité est cependant que de 1999 à 2005 Zuma avait été le vice-président de Mbeki.
Zuma faisait partie du gouvernement au moment où celui-ci projetait de
privatiser Eskom, la société sud-africaine de production et de distribution
d’électricité. Il n’avait pu réaliser ce projet parce que le
secteur corporatif s’était rendu compte que son infrastructure délabrée
ne lui permettrait pas de faire des bénéfices.
Le gouvernement dont Zuma avait été un membre continue
d’appliquer les directives du Fond monétaire international en supprimant
les subventions au secteur public. En conséquence, l’infrastructure déjà ancienne
d’Eskom n’ayant pas été renouvelée cela a occasionné une rupture de
l’approvisionnement. La hausse de 27 pour cent des tarifs est une conséquence
directe de cet état de choses. Cette hausse est censée financer les réparations
que le gouvernement refuse de subventionner.
Zuma est empêtré jusqu’au cou dans les mesures de libre
marché qui ont conduit à l’actuelle flambée des prix de
l’électricité. Depuis qu’il a démarré sa campagne pour renverser Mbeki,
il n’a pas, tout en recourant sur le plan national à une rhétorique
populiste, manqué une occasion de dire clairement aux investisseurs internationaux
qu’il poursuivra cette même politique.
Depuis que ce gouvernement est au pouvoir, le COSATU a travaillé
étroitement avec lui. La bureaucratie syndicale porte une part de
responsabilité pour le fardeau que portent les gens ordinaires en Afrique du
Sud, confrontés à une grave attaque de leur niveau de vie. Chaque fois que la
colère populaire s’est exprimée les syndicats l’ont détourné vers
des protestations et des actions de grève de 24 heures. Ils n’ont rien à
offrir au grand nombre de travailleurs sans emploi et aux paysans pauvres.
Le Parti communiste sud-africain (SACP) a donné son soutien tant
à Zuma qu’aux manifestations contre la hausse des prix. Mais il a, lui
aussi, soutenu dès le début le gouvernement ANC. Il est coresponsable de l’impact
des mesures libérales mises en vigueur par le gouvernement. Le COSATU, le SACP
et l’ANC ont agi de concert contre les intérêts de la population
sud-africaine.
Le conflit qui a surgi au sein de la coalition dirigeante
reflète les rivalités féroces entre des sections de la classe moyenne noire et de
la bourgeoisie qui veulent s’enrichir. Le COSATU, le SACP et Zuma sont
disposés à recourir à la colère populaire pour évincer la faction Mbeki et pour
se placer dans une position de pouvoir. Mais leur politique n’est en
aucune manière différente de celle appliquée par Mbeki.
Zwelinzima Vavi, le secrétaire général du COSATU a prononcé
des paroles sévères lorsqu’il s’est adressé aux grévistes à Cape Town.
« Si un seul travailleur devait perdre son emploi alors
les ministres devront s’en aller. » Vavi a dit, « Ils nous font
payer pour des erreurs commises par d’autres. »
Et Vavi s’est vanté dans le journal The Sowetan
que le COSATU avait réussi à réduire la hausse du prix de l’électricité.
« Sans notre engagement avec l’ANC, »
a affirmé Vavi, « le pays paierait maintenant une hausse exorbitante de 60
pour cent pour l’électricité. Le COSATU a mené la lutte contre cette
augmentation et maintenant nous paierons 27 pour cent. Ça, c’est le progrès. »
Le COSATU a rencontré les ministres en mai pour
une alliance au sommet concernant la crise de l’électricité. Vavi a
affirmé que les ministres avaient accepté une série de mesures sociales
comprenant des réductions de la taxe sur la vente, une augmentation des
allocations sociales et des coupons de nourriture pour les pauvres.
« Tout d’un coup, vous avez le président et le
ministre des Finances qui annoncent publiquement que tout cela n’aura pas
lieu. »
L’augmentation de 27 pour cent des tarifs énergétiques a
été, comme l’a reconnu Vavi, le résultat de cette réunion au sommet. En
échange, le COSATU avait remporté quelques concessions mineures qui furent
aussitôt retirées. Vavi présente maintenant l’alliance du COSATU avec le
gouvernement comme ayant une influence positive et la part qu’il a prise
dans l’imposition d’une hausse de prix exorbitante comme une
victoire.
La colère des travailleurs contre la hausse des prix a été
exprimée très clairement dans la grève générale mais ils ne réussiront pas à se
défendre tant qu’ils seront liés à des dirigeants tels Vavi et au
mouvement syndical.