Dès le début, la Commission du 11 septembre,
composée à la fois de personnalités dirigeantes du Parti démocrate et du Parti
républicain, était censée être une opération de blanchiment. Son but était de
camoufler des questions fondamentales, dont le rôle joué par les gouvernements
précédents, démocrate et républicain, et par la CIA dans le financement et la
promotion d’Oussama ben Laden ainsi que d’autres islamistes
radicaux qui ont mis en place Al Quaïda et de camoufler aussi toute une série
d’anomalies qui indiquent une éventuelle duplicité de la part de sections
de l’appareil d’Etat dans les attentats du 11 septembre même. Le
fait qu’il a été refusé à la Commission d’accéder à des preuves essentielles
de l’interrogatoire d’un soi disant haut responsable d’Al
Quaïda, Abou Zoubaydah, est une indication de plus de son vrai rôle.
Selon le rapport de Zelikow, la demande initiale
adressée par la Commission à l’agence de renseignement américaine pour
l’obtention d’informations relatives aux interrogatoires avait été
faite le 6 juin 2003. La Commission avait spécifiquement cité 40 personnes, y
compris Zoubaydah et Abd al-Rahim al-Nashiri, les deux personnes dont la CIA a
reconnu avoir détruit les vidéos des interrogatoires. La requête avait été
adressée à la CIA, au ministère de la Défense et au FBI.
Zelikow rapporte que les requêtes pour
informations « précisait également que si un document demandé était caché
à la Commission, même temporairement, l’agence devait immédiatement identifier
le document ou catégorie de documents caché ‘et ce avec suffisamment de
spécificité pour permettre d’attaquer de façon significative une telle
dissimulation.’ »
Un porte-parole de la CIA a affirmé au cours
du week-end que les cassettes n’avaient pas été détruites avant 2005
« parce que l’on avait pensé que la Commission pourrait réclamer à
un moment donné les enregistrements. » Ceci est à la fois une duperie et
un aveu accablant. La déclaration reconnaît implicitement que des responsables
de haut niveau de la CIA étaient au courant de l’existence des cassettes
à ce moment précis.
En réponse à ces demandes comme aux demandes
ultérieures, la Commission n’a reçu que des rapports sur les interrogatoires
préparés par la CIA. Elle n’a même pas reçu de transcription.
« Après avoir vérifié et analysé ce matériel, les membres de la Commission
ont conclu que cette information n’était pas aussi détaillée qu’ils
l’avaient escompté, » écrit Zelikow. D’autres requêtes ont
donc été faites pour de plus amples informations.
Cette explication contredit
l’affirmation du directeur de la CIA, Michael Hayden, selon laquelle les
enregistrements avaient seulement été détruits une fois que toutes les données pertinentes
avaient été assimilées dans les rapports d’information. La Commission du
11 septembre avait fait comprendre qu’elle considérait ces rapports comme
inadéquats, et la CIA en avait été informée.
Zelikow rapporte que des demandes ultérieures avaient
été faites au conseiller général de la CIA, Scott Muller, les 14 et 16 octobre
2003. Les demandes mentionnaient spécifiquement Zoubaydah entre autres.
Une requête contenait des questions sur
« le processus de traduction lors des interrogatoires, » « la
manière dont les interrogateurs avaient traité les incohérences apparues dans
les récits des détenus, » « le contexte dans lequel des questions
particulières avaient été posées afin de tirer au clair l’information
donnée, » « et plus d’information afin d’évaluer la
crédibilité et l’attitude des détenus lors des déclarations. »
Cette Commission du 11 septembre était
évidemment préoccupée par le fait que les informations fournies par les
prisonniers n’étaient pas crédibles. En effet, certains rapports, y
compris celui fait par Ron Suskind dans son livre publié en 2006, The One
Percent Doctrine (La doctrine du un pour cent), ont suggéré que Zoubaydah était
un malade mental et que le rôle qu’il a joué dans Al Quaïda pourrait bien
avoir été moins important que ne l’avait indiqué la CIA. Le fait que
l’information donnée par Zoubaydah ait été extraite sous la torture entacherait
aussi la crédibilité de ce qu’il a dit.
Selon Zelikow, la réaction de la CIA « a
été de produire d’autres rapports disséminés et de fournir des réponses
générales et signalétiques écrites aux questions relatives au contexte et au
caractère des interrogatoires… La CIA n’a pas révélé que des
interrogatoires n’ont jamais été enregistrés ou qu’elle ait
conservé des informations détaillées sous une forme ou une autre concernant les
questions que lui a posées la Commission. »
S’ensuivirent d’autres requêtes
relatives à des informations impliquant de plus en plus fréquemment des
responsables gouvernementaux de niveau hiérarchique de plus en plus élevé.
Zelikow rapporte que lors d’une réunion avec le directeur de la CIA de
l’époque, George Tenet, le vice-président de la commission Lee Hamilton
avait demandé « que la CIA fournisse des documents adéquats même si la Commission
ne les a pas expressément réclamés. » Tenet n’avait fait aucune
mention de cassettes vidéo.
Il est possible, pour ne pas dire probable,
qu’au moins quelques membres de la commission étaient au courant de
l’existence de ces cassettes mais qu’ils ne les avaient pas
officiellement réclamées pour les visionner parce que leur existence était un
secret si soigneusement gardé. Dans tous les cas, Zelikow allègue que la Commission
était à tel point excédée par le blocage de la CIA qu’elle avait menacé de
rendre le conflit public.
« La Commission plénière avait considéré
cette question lors d’une réunion le 5 janvier 2004 et avait décidé que
les réponses données par la CIA étaient insuffisantes, » écrit Zelikow. « Elle
avait chargé le personnel de préparer une lettre aux responsables
gouvernementaux, lettre qui rendrait le conflit public. Il y eut alors des
discussions entre Hamilton et le conseiller de la Maison Blanche, Alberto
Gonzales, et plusieurs réunions entre les avocats de la CIA et les membres de
la Commission. »
Manifestement, ces discussions avec Gonzales ont
résulté en une sorte d’accord afin de contenir le conflit. Toutefois,
elles n’ont entraîné aucune amélioration sensible dans
l’information fournie à la Commission.
Zelikow cite une note datée du 15 janvier 2004
et adressée à Gonzales, au conseiller général de la CIA, Scott Muller, et au
sous-secrétaire à la Défense, Steve Cambone, disant que la Commission était
« prête à travailler de manière créative avec vous sur tous les sujets qui
nous permettent d’aider la communauté du renseignement lors des
contre-interrogatoires des conspirateurs sur de nombreux détails critiques, en
clarifiant pour nous ce que les conspirateurs disent vraiment et en nous
permettant d’évaluer la crédibilité de ces réponses. »
Une autre réunion s’était tenue avec
Hamilton et Gonzales, Tenet, le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld et le
sous procureur général adjoint, service criminel, Christ Wray.
« Durant toutes les réunions tenues en
2004, aucun des responsables gouvernementaux n’avait fait allusion à
l’existence d’enregistrements des interrogatoires ou à des
informations supplémentaires que le gouvernement posséderait et qui répondraient
aux demandes formulées par la Commission, » rapporte Zelikow.
Dans le texte même de son rapport, la Commission
avait dû reconnaître qu’au moins deux chapitres du rapport se basent
fortement sur des informations recueillies dans des rapports d’interrogatoires
de la CIA et bien que la Commission n’ait jamais eu accès aux
transcriptions ni aux enregistrements vidéo.
Alors que les enregistrements ont probablement
été cachés et détruits plus tard dans le but de camoufler la torture de
Zoubaydah et d’al-Rahim al-Nashiri, un autre mobile a bien pu être celui
de détruire les preuves de ce que ces prisonniers et notamment Zoubaydah ont vraiment
dit. Zoubaydah aurait cité comme contacts plusieurs membres haut placés de la
monarchie saoudienne et une personnalité influente du renseignement
pakistanais.
Zelikow fait allusion à ce fait en écrivant,
« Plus tard dans son enquête et réagissant à des allégations faites par la
presse qu’Abou Zoubaydah avait fait allusion à un prince saoudien lors de
son interrogatoire, la Commission a demandé ‘quelles étaient les
informations dont disposait la CIA’ si de telles affirmations avaient été
faites lors des interrogatoires de Zoubaydah… Nous ne pouvons trouver trace
d’une réponse donnée par la CIA. »
Cette non-réponse est extrêmement
significative vu qu’à la fois la monarchie saoudienne et les services de
renseignement pakistanais entretiennent des liens étroits avec l’appareil
d’Etat américain, y compris la CIA et le gouvernement Bush. Le fait
qu’une personnalité de haut rang d’Al Quaïda ait cité ces individus
est un indice supplémentaire que les attentats du 11 septembre aient pu se
produire alors que des sections du gouvernement américain en avaient
connaissance voire peut-être même y ont prêté assistance.
D’autres rapports, y compris celui fait
par Gerald Posner dans son livre Why America Slept et James Risen dans
son livre State of War, affirment que Zoubaydah a communiqué des numéros
de téléphone personnels de princes saoudiens et qu’il possédait des
cartes de crédit de comptes bancaires saoudiens que seul l’Etat saoudien
a pu avoir autorisés. Posner note que les quatre responsables nommés par
Zoubaydah sont tous morts peu de temps après l’interrogatoire. Les relevés
des cartes de crédit ont disparu.
Finalement, selon Zelikow, le directeur
adjoint du service de renseignement a déclaré le 29 juin 2004 à la Commission
que la CIA « a entrepris et achevé toutes les démarches convenables
nécessaires pour trouver les documents dans sa possession, sous sa garde ou répondant »
aux demandes formelles de la Commission et « a fourni ou a rendu
disponible pour examen » tous ces documents. Ceci
n’est pourtant pas exact.
Zelikow conclut son mémo en faisant remarquer
que le fait de cacher des enregistrements pourrait être une violation des lois
fédérales, ainsi que d’une loi qui fait un délit du camouflage d’un
« fait matériel » ou de « toute déclaration matériellement fausse »
dans une « enquête ou révision » menée sous l’autorité du
Congrès ou de la branche exécutive du gouvernement.