Après des années de débats et l’élaboration
de diverses propositions alternatives et de documents de travail, le cabinet
ministériel du gouvernement allemand de grande coalition unissant
démocrates-chrétiens de la CDU-CSU et sociaux-Démocrates du SPD a accepté le 30
avril la privatisation partielle du système national des chemins de fer allemands.
Huit jours plus tard, Norbert Hansen démissionnait de son poste de président du
syndicat de cheminots Transnet pour occuper le poste de directeur des
ressources humaines et affaires sociales à la Deutsche Bahn (DB, chemins de fer
allemands).
Il n’y a aucun hasard dans le timing de
ces deux événements. En tant que président de la plus grande centrale syndicale
de cheminots allemands comptant 270 000 membres, Hansen, qui est âgé de 55
ans, avait été pendant un certain nombre d’années le principal acteur de
la privatisation. A présent, il a été récompensé ouvertement et impunément pour
la campagne qu’il a menée en faveur de la privatisation par un siège au directoire
de la nouvelle entreprise et une augmentation de salaire correspondante.
Les articles parus dans les médias allemands
et concernant son changement de camp, passant du siège syndical à celui de
l’entreprise, expriment la compassion pour les moments de doute et d’hésitation
qu’il a eu avant d’accepter le nouveau poste. Finalement, nous dit
l’histoire, après concertation avec ses collègues politiques, y compris
ses anciens amis des « Jeunes Socialistes » (Jusos, Hansen est
membre du Parti social-démocrate SPD), il a accepté le nouveau poste.
En fait, il faut vraiment se méfier de tels
articles de presse et les considérer avec un esprit critique. Ce qui est bien
plus probable, c’est que l’on avait promis à Hansen un poste (et
des stock-options correspondants) avec la privatisation de la DB à un stade
bien antérieur à ce processus.
Hansen et la privatisation
Lors de la conférence annuelle de Transnet en
2000, Hansen s’était en réalité opposé aux projets de privatisation
avancés par le président du directoire de la DB, Hartmut Mehdorn, mais en
l’espace de quelques années le permanent syndical devait se transformer
en un des plus fervents défenseurs de la liquidation du groupe d’Etat à
des investisseurs privés.
Lors d’un congrès extraordinaire de son
syndicat en juillet 2007, Hansen avait fait pression sur les délégués pour
qu’ils appuient la ligne de « coopération constructive » avec
le gouvernement et la direction de la DB afin de provoquer une décision
parlementaire en faveur de l’ouverture le plus tôt possible du capital
par introduction en bourse de la DB.
L’argumentation de Hansen avait été
qu’en prévoyant la vente de 49 pour cent des parts de la DB il serait
possible de sauvegarder l’unité de la DB et d’éviter l’éclatement
de l’entreprise comme ce fut le cas pour British Rail en Grande-Bretagne.
Son argumentation fut appuyée par le ministre des Transports, Wolfgang Tiefensee
(SPD), qui avait dit aux délégués que tout irait bien après
l’introduction en bourse et que la DB avait besoin de « nouveaux
apports en capital » pour devenir l’« acteur mondial numéro
un » du secteur logistique.
En octobre 2007, Transnet proposa ses services
au gouvernement. Le syndicat rédigea à titre de coauteur un document déclarant :
« Transnet offre des services-conseils au gouvernement en matière de
définition et de contenu de la loi de privatisation. »
Tout en professant son allégeance au principe
de rentabilité des entreprises dénationalisées, que le syndicat déclare être
tout aussi important que la sécurité des droits des salariés, le papier
poursuit : « La stabilité économique de la DB et sa compétitivité en
Allemagne, en Europe et de par le monde sont tout aussi déterminantes pour la
protection de l’emploi que la sauvegarde du droit de contrats
existant. » Ceci fait peu de cas de l’expérience désastreuse qui a
été faite ces dernières années en matière de privatisation sur un plan mondial.
Alors que les spéculateurs et leurs partisans ont fait fortune, les
travailleurs ont été perdants chaque fois.
En ce qui concerne la privatisation, Norbert
Hansen se situe à droite par rapport à la Confédération allemande des syndicats
(DGB). Lors d’une réunion de la direction du DGB en 2007, Hansen avait
été le seul bureaucrate à voter contre une résolution opposant la privatisation
des chemins de fer.
Finalement, en avril de cette année, le
gouvernement fédéral a accepté les propositions d’introduction en bourse
de la DB. Suite à une certaine opposition au sein du SPD, le ministre des
Transports, Wolfgang Tiefensee fut forcé d’accepter un compromis par
rapport à son projet initial de vente de 49 pour cent des actions de la DB. Au
lieu de cela, 24,9 pour cent des actions seront cédés à des investisseurs
privés mais il est largement reconnu que cette première introduction en bourse
n’est probablement que la première étape d’une privatisation totale
des chemins de fer.
Non content de soutenir activement la
privatisation, Hansen a aussi joué un rôle crucial en soutenant la
« rationalisation » de Mehdorn des chemins de fer en soumettant aux
investisseurs privés potentiels le meilleur paquet possible (comprenez : le
plus rentable).
En tant que dirigeant syndical Hansen a
participé activement à toutes les attaques perpétrées par la direction de la DB
à l’encontre des cheminots.
Les Chemins de fer allemands avaient été à
l’origine une entreprise d’Etat et furent transformés en 1994 en
une société anonyme (en restant provisoirement la propriété de l’Etat). Les
conséquences furent terribles pour les cheminots. L’entreprise fut
divisée en près de 200 filiales, une mesure qui a entraîné un déclin permanent
des salaires et des conditions de travail. La productivité a augmenté de 180
pour cent tandis que les coûts de main-d’œuvre ont baissé de 28 pour
cent.
La DB a supprimé près de la moitié de son effectif
depuis 1994, environ 150 000 travailleurs. Dans le même temps, les
travailleurs restants sont obligés d’accroître le nombre d’heures
supplémentaires qui était de 14 millions d’heures pour la seule année
2002. Tout ceci s’est fait avec la collaboration de Transnet et des
autres syndicats de cheminots tels le syndicat des cheminots-fonctionnaires
GDBA et le GDL, le syndicat des conducteurs de train.
En 2003, Transnet et le GDBA ont signé un
accord gelant pendant plus de 24 mois les salaires des cheminots. Le GDBA et la
DB ont accepté un soi-disant « Programme futur d’économie et
d’emploi ». La DB a fièrement annoncé que le nouveau programme
signifierait une réduction du coût de la main-d’œuvre de 5,5 pour
cent basé sur une augmentation du temps de travail non rémunérée, une
flexibilité accrue des horaires de travail et un nouveau contrat prévoyant des
paiements uniques pour une durée de deux ans. Ce n’est qu’à la fin
de cette période que les salaires seront augmentés de 1,9 pour cent, soit moins
que le taux d’inflation et correspondant donc à une réduction du salaire.
Une fois de plus en juillet 2007, Hansen a
annoncé une « percée » dans les négociations tarifaires avec Mehdorn
en acceptant une augmentation de salaire de 4,5 pour cent pour ses membres à
compter du début de 2008. La rapide signature de l’accord avec Transnet
visait à laisser les mains libres à la direction de la DB pour venir à bout du
syndicat des conducteurs de train qui, sous la pression de ses membres, avait
réclamé une augmentation de salaire de 30 pour cent.
Hansen a ensuite saisi toutes les occasions
pour attiser la colère contre la grève des conducteurs de train. Lors
d’une réunion extraordinaire du conseil de surveillance de la Deutsche Bahn,
dont il est un membre, Hansen a appuyé une résolution aux côtés d’autres
« délégués du personnel » appelant le patron de la DB à rester
intransigeant « même si le GDL poursuit la grève ». Le principal
reproche que Hansen a fait au GDL était que le syndicat violait la
« solidarité » avec les autres syndicats de cheminots. Pour Hansen,
la « solidarité » a toujours signifié la collaboration directe avec
la direction de la DB.
Après que des grèves sporadiques aient eu lieu
pendant presque un an, la direction du GDL a accepté un compromis pourri avec
la direction de la DB.
Le rôle de briseur de grève joué par Hansen
lors de la grève des conducteurs de train et sa servilité face à la direction
lui a valu le surnom de « caniche » de Mehdorn, le PDG de la DB. Des
allégations ont été diffusées par la presse allemande selon lesquelles la
direction de la DB finance secrètement Transnet qui était largement considéré
comme un « syndicat-maison ».
A présent Hansen est amplement récompensé pour
ses services. Il sera en charge dorénavant d’un bon nombre de
responsabilités qui étaient du ressort de la directrice du personnel de la DB, Margret
Suckale qui avait conduit la campagne menée contre la dernière grève en date
des conducteurs de train. La direction de la DB pourra compter sur l’expertise
de Hansen et sur ses nombreux liens avec les syndicats et la social-démocratie
allemande pour étouffer dans l’œuf la moindre résistance à la
privatisation des chemins de fer, créant de ce fait les meilleures conditions
possibles pour propager la Deutsche Bahn au rang d’« acteur mondial
numéro un » du secteur logistique.
Le salaire que Hansen percevra dans sa
nouvelle fonction n’a pas été rendu public, mais si la rémunération de Suckale
peut servir de critère alors Hansen peut s’attendre à un traitement
annuel tournant autour de deux millions d’euros par an.
Des cris d’orfraie et de protestation contre
le rapide changement de position de Hansen, de dirigeant syndical à celui de
directeur des ressources humaines ont été poussés par des permanents de haut
rang des autres syndicats, tel Verdi, le syndicat des services et le GDL, le
syndicat des conducteurs de train. Toutefois, aucune crédibilité ne peut être
accordée à leurs protestations. Le GDL n’a aucune opposition de principe
à la privatisation des chemins de fer, il a seulement émis des mises en garde
contre les conséquences défavorables qu’aurait leur privatisation, comme
cela fut le cas il y a quelques années en Grande-Bretagne.
Quant à Verdi, son président Frank Bsirske,
fut également un adversaire acharné de la grève des conducteurs de train en
prenant partie pour Transnet et en condamnant le DGL. Dans le même temps, Verdi
a joué un rôle majeur en sabordant une série de grèves récentes des salariés du
service public. Dans le courant de ces divers conflits, a été révélée l’existence
de liens étroits entre la bureaucratie de Verdi, la direction et le
gouvernement régional.
Le passage du quartier général d’un
syndicat au conseil d’administration d’une entreprise est un
événement fréquent et qui découle de la logique due à la forme spécifique de la
« codétermination sociale » en Allemagne, c’est-à-dire de la
collaboration entre les syndicats et le patronat. Hansen a provoqué un
froncement de sourcils dans les milieux syndicaux simplement en raison de la
manière hâtive, ouverte et provocatrice avec laquelle il s’est jeté dans
les bras de la direction de la DB.