Le président français Nicolas Sarkozy s’est
rendu les 3 et 4 septembre à Damas, la capitale syrienne, pour une visite de
deux jours dans le but de poursuivre les pourparlers de paix entre la Syrie et
Israël, sous médiation de la France, du Qatar et de la Turquie. Le but direct
des négociations est d’inciter la Syrie et Israël à négocier directement
et à signer un accord de paix qui mettrait fin à un état de guerre existant
entre les deux pays depuis l’établissement de l’Etat d’Israël
en 1948.
De façon plus générale, Sarkozy qui est aussi
l’actuel président en exercice de l’Union européenne tente
d’intégrer le régime syrien de Bachar Al-Assad dans la sphère
d’influence économique de l’Europe en l’isolant de son allié,
l’Iran.
Assad, qui préside actuellement la Ligue
arabe, essaie de normaliser les relations avec l’impérialisme occidental afin
d’obtenir la restitution du plateau du Golan conquis par Israël en 1967
suite à la guerre des Six Jours. La Syrie occidentale est militairement
indéfendable sans le plateau du Golan, faisant de sa restitution une condition préalable
à tout accord de paix sérieux entre Israël et la Syrie.
L’ambassadeur de Syrie aux Etats-Unis,
Imad Mustafa, a insisté dans un commentaire fait le mois dernier à Washington
sur le souhait de la Syrie de faire partie du tableau occidental : « Nous
voulons la paix pour nous reconnaître mutuellement et en finir avec la guerre. Faisons
la paix. »
Tout accord comporte pour Assad un obstacle, à
savoir le fait que les Etats-Unis et Israël ont fait figurer la Syrie sur la
liste noire des Etats qui soutiennent le terrorisme, aux côtés du Hamas
palestinien de la bande de Gaza, du Hezbollah au Liban et en Iran. La volatilité
des relations américaines et israéliennes avec la Syrie fut soulignée par le
bombardement israélien non provoqué du 5 septembre 2007 des installations de
Deïr az Zor en Syrie. Les Israéliens se sont refusés à tout commentaire sur cet
incident.
Le régime syrien espère que s’il accepte
un accord de paix avec Israël négocié sous les auspices de la France, Sarkozy pourrait
œuvrer en faveur d’un accord entre la Syrie et les Etats-Unis.
Sarkozy a accueilli la Syrie parmi les 43 pays membres de l’Union pour la
Méditerranée, un groupe de pays que la France encourage dans le but
d’étendre son influence économique au sud de l’Union européenne, tout
en intensifiant la coopération à « la lutte contre le terrorisme » et
le contrôle de l’immigration. Cela représente un changement de la
politique extérieure française par rapport à celle appliquée par le président d’alors,
Jacques Chirac, qui avait rompu les relations avec Damas en la tenant
responsable de l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais,
Rafic Hariri.
Assad a dit que la France, la Turquie et le
Qatar, « qui ont des relations normales » avec Israël, « encouragent
les Américains à participer à ce processus en raison de leur statut de grande
puissance et de leurs relations avec Israël. »
Le premier ministre israélien, Ehoud Olmert, a
fait comprendre que le prix d’une telle paix implique que la Syrie coupe
le soutien financier et militaire iranien du Hezbollah au Liban. Etant donné
que le Hezbollah est la seule force politique au Liban capable de résister
efficacement aux attaques militaires israéliennes, ceci donnerait les mains
libres à Israël le long de sa frontière nord et augmenterait sa marge de
manœuvre pour des agressions militaires contre l’Iran. Le Sunday
Times a écrit le 3 août, « Il [Olmert] veut la fermeture des bureaux
du Hamas à Damas et d’autres organisations militantes et la promesse que
la Syrie n’appliquera pas son pacte de défense avec l’Iran au cas
où Israël ou les Etats-Unis lanceraient une attaque contre les installations
nucléaires de l’Iran. »
Le Times cite une source du ministère
de la Défense israélien disant que « Le but principal d’Israël est
de créer une barrière entre la Syrie et l’Iran et, ceci une fois fait, la
restitution du plateau du Golan à la Syrie en vaudrait la peine. »
Depuis son arrivée au pouvoir en mai dernier,
Sarkozy a aligné la politique étrangère française sur celle des Etats-Unis dans
la soi-disant lutte contre le « terrorisme » et l’intégrisme
islamique. La France a pleinement réintégré la structure de commandement de
l’OTAN, à titre de partenaire associé de l’impérialisme américain
dans l’occupation du Proche-Orient. Suite à une forte pression
américaine, le gouvernement français avait demandé l’année dernière aux
entreprises françaises de ne pas investir en Iran. Il avait voté à l’ONU pour
la poursuite de l’occupation américaine de l’Irak et avait déployé
ses troupes au Liban et en Afghanistan pour « le maintien de la
paix » et « le soutien de la démocratie ».
Le dernier jour des pourparlers à Damas,
Sarkozy a confirmé cette attitude impérialiste en défendant une fois de plus
l’agression israélienne, en intimidant la Syrie par un commentaire
« officieux » à se distancer de l’Iran. Selon Libération
(du 5 septembre 2008) : « A la suite d’une erreur technique,
les journalistes ont pu entendre une partie de l’intervention de Nicolas
Sarkozy face aux trois autres chefs d’Etat et de gouvernement (Syrie,
Qatar et Turquie), lors de ses discussions à huis clos. "L’Iran
prend un risque majeur à continuer le processus d’obtention du nucléaire
militaire [capacité], ce qui est notre certitude. Parce qu’un jour, quel
que soit le gouvernement israélien, on va se retrouver un matin avec Israël qui
a frappé. Il ne s’agit pas de savoir si c’est légitime ou si
c’est intelligent ou pas. Qu’est-ce qu’on fera à ce moment-là ?
Ce sera la catastrophe !" »
La visite de Sarkozy avait été préparée la
semaine précédente par la venue du ministre des Affaires étrangères Bernard
Kouchner qui avait posé des conditions supplémentaires visant à intimider les
Syriens. Le Monde a cité les déclarations de Kouchner à Beyrouth avant
son arrivée à Damas, disant que la France « veut croire dans la parole et
la bonne volonté de la Syrie, mais demeure extrêmement vigilante et
prudente ». Le Monde a ajouté, « A cet égard, il a qualifié de
"peu rassurants" de récents propos du président syrien Al-Assad,
établissant un parallèle entre l’attitude de Moscou envers la Géorgie et
celle de la Syrie à l’égard du Liban. »
Cependant, Assad dans le but de défendre ses
propres intérêts en est venu à faire un numéro d’équilibriste entre les
intérêts de l’impérialisme américain et le nationalisme russe. En août,
il a signé à Moscou des accords militaires stipulant « Nous sommes prêts à
coopérer avec la Russie dans tout projet visant à renforcer sa sécurité. »
En août, peu de temps après l’attaque
géorgienne en Ossétie du Sud et la réaction russe, le dirigeant syrien
s’était rendu à Moscou afin de s’assurer d’accords militaires
en annonçant qu’il discuterait d’un éventuel déploiement de
missiles russes sur le territoire syrien. Assad a déclaré : « J’estime
que la Russie doit penser à sa réponse lorsqu’elle sera encerclée. »
S’alliant à la Russie contre l’encerclement par
l’impérialisme occidental, Assad a hérissé les plumes de l’ancienne
puissance coloniale française qui a dominé la Syrie dans les années 1920 et
1930 et dont les intérêts consistent à maintenir le Proche-Orient dans son
orbite et celui des Etats-Unis et des autres.
Alors que Sarkozy était en apparence soucieux
de mettre au pas la Syrie pour qu’elle réponde aux exigences des
Etats-Unis et de l’OTAN de rompre avec l’Iran, le président
français était également en train de promouvoir les intérêts de
l’impérialisme français.
Total, le groupe pétrolier français qui est
présent depuis dix ans en Syrie et la CMA-CGM, le 3e groupe de transport
maritime mondial, ont accompagné Sarkozy au cours de sa visite d’Etat à
Damas. Le président de Total, Christophe de Margerie, a renouvelé la licence
d’exploitation des réserves de Deïr az-Zor et obtenu de nouveaux permis
d’extraction de gaz jusqu’en 2021. Total, en partenariat avec la
Syrian Petroleum Company a extrait 29 000 barils par jour en 2007. Les
nouveaux contrats portent sur « un partenariat stratégique avec les
compagnies nationales [gaz et pétrole] ». De Margerie a exprimé sa
satisfaction avec les accords qui « ouvrent la voie à une coopération
renforcée entre Total et la Syrie et au développement des activités du groupe
en partenariat avec les sociétés pétrolières nationales de ce pays. »
Jusque-là, l’émir du Qatar avait joué un
rôle clé dans le réchauffement des relations entre la France et la Syrie. Il
est en bons termes à la fois avec les Etats-Unis, Israël, la Syrie et
l’Iran. L’émir fut le premier dirigeant arabe à avoir été invité en
France par Sarkozy depuis sa prise de fonction l’année dernière. Le
Qatar, numéro 1 mondial du gaz naturel liquéfié, a signé un contrat sur
l’électricité et le nucléaire à l’occasion de la visite de Sarkozy
en janvier dernier. Sarkozy a également signé des accords sur le nucléaire avec
les Emirats arabes unis.