La crise politique qui se développe en Iran
soulève des questions fondamentales pour la classe ouvrière. L'issue de
l'élection présidentielle de vendredi dernier a révélé une fissure nette au
sein du régime clérical du pays entre les sympathisants du président Mahmoud
Ahmadinejad et ceux de son principal rival Mirhossein Moussavi.
Personne ne doit se laisser abuser par la
« révolution colorée » soigneusement orchestrée par le camp Moussavi
afin de renverser le résultat des élections et exiger un nouveau scrutin. Bien
qu'il existe des différences tactiques entre Ahmadinejad et Moussavi, tous
deux sont des défenseurs expérimentés du régime existant et des intérêts de la
bourgeoisie iranienne.
Moussavi était soutenu par ces couches de l'establishment
politique et religieux parmi lesquelles on compte les anciens présidents Ali
Akbar Hashemi Rafsanjani et Mohammad Khatami qui se montrent très critiques
envers la posture anti-américaine d' Ahmadinejad, qui n'a fait qu'apporter
davantage de sanctions économiques, et de ses aumônes « dépensières»
aux pauvres. Les importantes manifestations d'opposition dans les rues de
Téhéran et d'autres villes sont dominées par les couches les plus aisées des
classes moyennes urbaines auxquelles s'adressait la campagne électorale de
Moussavi.
Dans la mesure où les étudiants, les jeunes
et tous les travailleurs opposés au régime ont été entraînés dans ce mouvement
d'opposition, ils sont exploités tels des pions dans ce qu'on ne peut
qu'appeler une tentative de révolution de palais. Tandis qu'il a bien pu y
avoir des fraudes électorales, des commentateurs plus sobres font remarquer
qu'Ahmadinejad a gardé un soutien important parmi les pauvres des campagnes et
des villes, soit l'écrasante majorité du pays. La marge d' Ahmadinejad de 63
pour cent sur ses trois concurrents est quasiment identique à celle de
l'élection de 2005, où il avait obtenu une victoire inattendueen
exploitant l'importante hostilité à l'égard de son rival Rafsanjani. Ce dernier
est l'une des personnes les plus riches du pays et notoire pour sa corruption.
Ceux qui présentent Moussavi sous un jour
brillant démocratique se complaisent à ignorer son bilan de défenseur pur et
dur du régime théocratique. Comme premier ministre entre 1981 et 1989, il avait
joué un rôle crucial dans la répression de l'opposition politique, allant
jusqu'à l'emprisonnement et l'assassinat de milliers de gens de gauche. En
pleine guerre Iran-Irak, Moussavi avait aussi joué un rôle central en
conduisant au bain de sang des jeunes gens issus, dans leur écrasante majorité,
des couches les plus pauvres de la société et en imposant des mesures
d'austérité brutales à la classe ouvrière.
Moussavi a été requalifié de démocrate
libéral par une alliance de conservateurs tels Rafsanjani et de
« réformistes » comme Khatami pour promouvoir un programme visant à
faire retomber les tensions avec les Etats-unis et à imposer un programme de
libre marché qui touchera lourdement les travailleurs. N'ayant pas réussi à
obtenir une victoire au premier tour ou à imposer un deuxième tour de scrutin,
Moussavi et ses alliés cherchent à s'appuyer sur les frustrations de leurs
sympathisants, issus en grande partie des classes moyennes, pour obtenir le
partage, à défaut du contrôle total, du pouvoir d'Etat.
Ces efforts sont soutenus par une campagne
ouvertement partisane dans les médias américains et internationaux, tacitement
appuyés par le gouvernement Obama et ses alliés européens. Personne ne devrait
se laisser berner à croire que cet effort a pour objectif l'abolition du régime
religieux ou la défense des droits démocratiques des masses en Iran.
Tout comme par le passé, l'impérialisme
américain cherche à exploiter l'agitation politique en Iran pour amener une
modification du régime qui soit plus favorable à ses intérêts stratégiques et
économiques, en premier lieu pour garantir un soutien iranien plus grand à son
occupation néo-coloniale d'Afghanistan et d'Irak.
Si Moussavi réussissait sa « révolution
colorée » les premiers à en subir les conséquences seraient la classe
ouvrière et les pauvres avec le nouveau régime cherchant à limiter les dépenses
publiques, à privatiser les entreprises publiques et à garantir les profits des
entreprises locales et des investisseurs étrangers. L'hostilité de classe à
peine dissimulée de Moussavi et de ses sympathisants nantis envers les
travailleurs se résume dans leur mépris ouvert envers les maigres aumônes
faites par Ahmadinejad aux pauvres.
Moussavi serait tout aussi impitoyable
qu'Ahmadinejad à piétiner les droits démocratiques et à réprimer toute
opposition à son programme. Tous ceux dans les médias internationaux et les
capitales occidentales qui se lamentent à présent sur le manque de démocratie
en Iran soutiendraient des mesures répressives à l'encontre de la classe
ouvrière.
S'opposer à la campagne cynique de Moussavi
ne signifie en aucune façon que l'on soutient politiquement le démagogue de
droite Ahmadinejad qui a le soutien des factions dominantes de l'establishment
politique iranien, dont le dirigeant suprême l'ayatollah Ali Khamenei.
La posture d'anti-américanisme d'Ahmadinejad
n'a rien à voir avec une authentique lutte anti-impérialiste mais a pour but de
faire pression sur Washington pour unarrangement plus avantageux aux
intérêts de la bourgeoisie iranienne. Sa dénonciation de la corruption et sa
position prétentieuse d' « homme du peuple » ayant à coeur les
pauvres ne peut effacer le fait que la fracture sociale n'a fait que s'aggraver
sous son gouvernement.
Le chômage, l'inflation, le manque de
logement et l'ensemble du niveau de vie de la majorité de la population n'ont
fait qu'empirer. Ahmadinejad n'est en mesure de se présenter comme défenseur
des pauvres que du fait de l'absence de toute alternative socialiste
authentique dans la classe ouvrière.
Dans la crise actuelle, une fois de plus un
rôle politiquement criminel est joué par le Parti stalinien Tudeh ainsi que les
divers groupes étudiants qui s'opposent à toute mobilisation indépendante de la
classe ouvrière et cherchent à canaliser l'hostilité au régime derrière
Moussavi. Tout à fait conscients du bilan anti-classe ouvrière de Moussavi, ils
défendent la position du « tout sauf Ahmadinejad. » Comme l'histoire
l'a démontré à maintes reprises en Iran et dans le monde, c'est une voie qui
conduit à la catastrophe.
Quiconque se laisse convaincre par de tels
arguments devrait se souvenir des conséquences de la révolution de 1979. La
force motrice sociale de cet immense mouvement qui avait finalement eu raison
du Shah Mohammad Reza Pahlavi était la classe ouvrière.
Des grèves déterminées des travailleurs de
l'industrie pétrolière en particulier avaient paralysé l'économie et forcé ce
régime appuyé par les Etats-Unis à capituler. Le Parti Tudeh avait joué un rôle
crucial en enchaînant la haine largement ressentie pour le shah à une faction
dissidente de l'establishment religieux en promouvant l'illusion que
l'ayatollah Khomeini représentait une alternative progressiste.
La classe ouvrière iranienne a une longue
histoire de lutte révolutionnaire. Mais les leçons amères de cette histoire
confirment un principe fondamental de la Théorie de la révolution permanente de
Léon Trotsky: l'incapacité organique de toute section de la bourgeoise dans les
pays au développement capitaliste retardé de répondre aux aspirations des
travailleurs pour les droits démocratiques fondamentaux et un niveau de vie
décent.
Comme l'a expliqué Trotsky, seule la classe
ouvrière, par une lutte pour la prise du pouvoir à la tête des masses opprimées
est capable de mener à bien une lutte conséquente pour les droits
démocratiques. Un gouvernement de travailleurs et de paysans briserait l'étau
des religieux et des intérêts bourgeois qu'ils défendent et commencerait une
transformation socialiste de la société dans l'intérêt de la majorité, et non
des profits de la minorité riche.
L'actuelle agitation politique en Iran a
ouvert des fissures profondes dans l'establishment politique. Il ne fait
pas de doute qu'il y a des jeunes, des étudiants et des travailleurs qui
débattent avec sérieux de la manière de mettre fin au régime oppressif. Mais
tant qu'ils resteront piégés derrière l'une ou l'autre faction de l'élite
dirigeante il n'en résultera inévitablement que la consolidation du régime bourgeois
et une série de plus de répression politique. L'unique voie pour sortir de ce
piège politique est de se tourner vers une mobilisation politique,
indépendante, des travailleurs et des masses opprimées dans la lutte pour
prendre le pouvoir et établir un Iran socialiste.
Une telle perspective n'est concevable que
comme faisant partie d'une lutte plus large de la classe ouvrière pour des
Etats unis socialistes du Moyen-Orient et internationalement. La tâche urgente
à laquelle sont confrontés les travailleurs et les jeunes est la construction
de sections du Comité international de la Quatrième Internationale en Iran et
dans toute cette région. Ceci requiert l'étude minutieuse de toutes les
expériences stratégiques du mouvement trotskyste durant tout le vingtième
siècle. Les leçons de ces luttes sont le guide indispensable à l'action
politique.