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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Les trotskystes européens commémorent le 70e anniversaire de la Deuxième Guerre mondiale

Des familles entières furent obligées de s’exiler à cause de leur antinazisme

Par Françoise Thull
9 novembre 2009

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Le 11 octobre, les sections européennes du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) ont tenu une réunion conjointe à Londres sur les enseignements à tirer de la Deuxième Guerre mondiale. Nous publions ci-dessous les réflexions de Françoise Thull, membre du Parti de l’Egalité sociale en Allemagne (Partei für Soziale Gleichheit, PSG), qui a parlé des expériences de sa famille durant cette période en France.

Françoise Thull
Françoise Thull s’adresse à l’auditoire

J’aimerais témoigner de l’expérience faite par la classe ouvrière française durant la Deuxième guerre mondiale sous l’occupation nazie et la collaboration de la dictature du maréchal Philippe Pétain.

Les terribles expériences que les travailleurs avaient vécues à peine une quinzaine d’années plus tôt, durant la Première guerre mondiale, les avaient imprégnés d’un fort sentiment antimilitariste. Ils étaient profondément hostiles à la nouvelle poussée belliqueuse de l’impérialisme français des années 1930. Toutefois, en raison des trahisons des staliniens du Parti communiste et du Parti socialiste, la classe ouvrière fut finalement contrainte de faire la guerre et d’en subir les conséquences.

La détermination de la bourgeoisie française de faire payer la Grande dépression aux travailleurs les poussa vers une confrontation révolutionnaire avec la classe dirigeante en 1936 lors de la grève générale et ses occupations d’usines. La bureaucratie syndicale social-démocrate et stalinienne trahit la grève et son potentiel révolutionnaire. Elle aida le gouvernement de Front populaire à sauver le capitalisme français durant la crise économique.

Le Front populaire, qui fut élu en 1936, lia les intérêts de la classe ouvrière à ceux de la bourgeoisie impérialiste sur la base d’une plateforme « républicaine » nationale et démocratique bourgeoise. Il étouffa l’offensive de la grève de la classe ouvrière en accordant un certain nombre de concessions qui furent très rapidement grignotées par la suite. Finalement, la bourgeoisie recourut à la dictature sous la forme du gouvernement Pétain qui, allié au régime nazi, organisa une exploitation brutale de la classe ouvrière. Il lia l’économie à l’effort de guerre nazi en pratiquant l’extermination systématique des Juifs et d’autres sections de la population française.

En France, sous la direction de Trotsky, la Quatrième Internationale lutta contre ces trahisons en avançant un programme socialiste international dans le but d’un renversement révolutionnaire de l’impérialisme français et allemand comme partie intégrante de la lutte pour le socialisme mondial.

Ma famille vécut ces expériences et, comme l’ensemble de la population laborieuse, dut payer pour le fait qu'il n'y eût pas une révolution socialiste victorieuse. Ceci fut aggravé par le fait qu’ils habitaient en Sarre, une région frontalière entre la France, l’Allemagne et le Luxembourg.

En 1935, mon grand-père qui était mineur, habitait avec sa famille en Sarre.

La région de la Sarre, tout comme la Lorraine et l’Alsace, avait déjà eu à subir durant plusieurs décennies les conséquences de l'esprit de revanche des Etats impérialistes français et allemand, tandis qu'ils luttaient sur la scène mondiale pour régler cette question, chacune cherchant à s'emparer des territoires de l'autre et à imposer à tour de rôle à la population son programme nationaliste et belliqueux. La Sarre fait partie d’un bassin houiller et industriel qui s’étend sur quatre Etats, la France, l’Allemagne, le Luxembourg et la Belgique. Elle représente une région clé pour son industrie et ses ressources minières, minerai de fer et charbon.

Au titre des réparations des dommages de la Première guerre mondiale, le capitalisme français s’était emparé des richesses houillères de la Sarre. Le territoire avait été placé sous la « protection » de la Société des Nations conformément au Traité de Versailles de 1919 qui attribuait à la France l’exploitation des mines de charbon pour une durée de quinze ans. Dans le même temps, le traité restituait l’Alsace et la Lorraine à la France, que celle-ci avait dû céder à l’Allemagne en 1871 après la défaite dans la guerre franco-prussienne.

En Allemagne, Hitler vint au pouvoir en 1933 suite à la trahison des staliniens et des sociaux-démocrates. En 1935, un plébiscite eut lieu en Sarre pour déterminer à quel Etat, de la France ou de l'Allemagne, elle serait rattachée. La population avait connu l’impérialisme français. N’ayant aucune confiance dans les partis communiste ou socialiste, elle finit par voter à une écrasante majorité pour le retour de la Sarre à l’Allemagne.

A ce sujet Trotsky écrit dans Où va la France ?:

« Le plébiscite de la Sarre fut, pour ainsi dire, monté pour montrer quels restes de confiance le prolétariat allemand gardait dans la Deuxième et la Troisième Internationale. Les résultats sont là: mises devant la nécessité de choisir entre la violence triomphante de Hitler et l’impuissance pourrie des partis ouvriers banqueroutiers, les masses donnèrent à Hitler 90 pour cent des voix et au front commun de la Deuxième et de la Troisième Internationale …probablement pas plus de 7 pour cent. Tel est le bilan commun du réformisme et du stalinisme. Malheur à celui qui n’a pas compris cette leçon !

« Les masses travailleuses ont voté pour Hitler parce qu’elles ne voyaient pas d’autre voie. Les partis qui pendant des dizaines d’années les avaient éveillées et rassemblées au nom du socialisme les ont trompées et trahies. Voilà la conclusion commune qu’ont faite les travailleurs. Si en France le drapeau de la révolution socialiste s’était élevé plus haut, le prolétariat de la Sarre aurait tourné ses regards vers l’Ouest et aurait placé la solidarité de classe au-dessus de la solidarité nationale…. C’est pourquoi le plébiscite sarrois est non seulement la preuve des résultats de la catastrophe allemande, mais aussi un avertissement redoutable pour le prolétariat français. Malheur aux partis qui glissent à la surface des événements, se bercent de paroles, espèrent en des miracles et permettent à l’ennemi mortel de s’organiser impunément, de s’armer, d’occuper des positions avantageuses et de choisir le moment le plus favorable pour porter le coup décisif! Voilà ce que nous dit la leçon sarroise. »

Le rattachement de la Sarre à l’Allemagne signifia la persécution des opposants au nazisme. Mes grands-parents subirent immédiatement les conséquences du vote du 13 janvier. Le 16 janvier, donc à peine trois jours plus tard, ils furent obligés de rejoindre avec leur fils aîné un convoi d’antifascistes de la commune de Dudweiler où ils habitaient pour être expulsés vers la France. La commune avait été un bastion communiste où les travailleurs avaient combattu la montée de Hitler dans des bagarres de rue avec les nazis.

Selon les listes officielles de la police, environ 200 autres personnes auraient également été obligées de s’exiler sous peine de poursuites ou d’atteinte à leur vie en raison de leurs convictions politiques et de leur hostilité à la montée du nazisme. Mais ce chiffre est bien en-dessous de la réalité car des familles entières quittèrent la Sarre.

Pour fuir le chômage massif engendré par la crise économique qui avait débuté aux Etats-Unis et qui s’était étendue à l’Allemagne et à la France, mon père s’était engagé volontairement dans l’armée française en 1935, à l’âge de vingt ans.

En 1938, Hitler envahissait la Tchécoslovaquie qui représentait, pour la France et la Grande-Bretagne, un élément important du système d’alliances sur le continent. La guerre semblait imminente. Le gouvernement français décréta une première mobilisation qui ne fut que partielle. Mon père fut mobilisé pour aussitôt être démobilisé après la signature des accords de Munich. Demandant un jour à ma mère pourquoi le gouvernement français avait démobilisé l’armée, elle me répondit laconiquement : « parce que les Allemands n’étaient pas prêts à la guerre. » Elle ne pensait pas si bien dire.

Mais, en 1939, la Pologne fut attaquée et le gouvernement français décréta à nouveau une mobilisation, mon père fut mobilisé une deuxième fois. Durant huit mois il n’y eut pas de combats. Les troupes françaises ne furent pas attaquées par l’armée allemande. Elles étaient retranchées derrière la Ligne Maginot. C’est ce qu’on appelle communément la Drôle de Guerre. La bourgeoisie française se préoccupait davantage de projets de conquête de l’Union soviétique que de se préparer de façon efficace à une invasion. Elle ignora tous les avertissements signalant que Hitler allait entreprendre l’invasion en passant par la Belgique et la Hollande, contournant ainsi la Ligne Maginot, réputée « infranchissable ».

L’historien américain, William Shirer, cite William Bullitt, l’ambassadeur américain en France en 1940, disant : « La position française est que la France ne rompra pas les relations diplomatiques avec l’Union soviétique, ni ne déclarera la guerre… mais détruira si possible l’Union soviétique – en faisant usage du canon en cas de nécessité. »

Le Parti communiste français (PCF) soutenait le pacte de Staline avec Hitler quand, le 10 mai 1940, l’Allemagne lança une offensive qui dura six semaines pour aboutir à la désagrégation de l’armée française. Avec la prise de Paris, le régime bourgeois qui avait gouverné la France pendant plus de sept décennies s’écroula.

Le Bataillon de Chasseurs Alpins, dont mon père faisait partie, participa à la bataille de l’Aisne en Champagne-Ardenne. Après un bombardement de l’aviation allemande ce fut le repli le 11 juin suivi de la retraite dans une débâcle indescriptible. En une seule journée, le bataillon avait perdu les trois quarts de ses 400 hommes. Le reste fut fait prisonnier, y compris mon père.

Mais il parvint à s’évader et réussit à rentrer en Lorraine. En l’espace de six semaines l’offensive allemande coûta la vie à 100.000 soldats français et près de deux millions furent capturés et envoyés dans des camps de prisonniers.

Alors que la débandade avait commencé fin mai, début juin la panique était générale. Le 14 juin, l’armée française déclara Paris « ville ouverte » autrement dit qu’elle ne serait pas défendue. Le gouvernement s’était enfui à Bordeaux. Au moment où la Wehrmacht, l’armée allemande, entrait dans Paris, quelque neuf millions de Français, auxquels s’ajoutèrent des réfugiés belges en plus des troupes françaises, entamèrent une fuite désordonnée vers le Sud. Les routes étaient encombrées de gens sans ressources et que l’aviation allemande prenait comme cible. Ma mère, tout comme les habitants proches de la Ligne Maginot, avait déjà été évacuée dans le Sud Ouest en septembre 1939.

Le maréchal Pétain complotait avec les politiciens de l’extrême-droite pour remplacer le régime républicain moribond par un soi-disant gouvernement de « révolution nationale », une dictature militaire. Le 16 juin 1940, il succéda à Paul Reynaud comme premier ministre et entama des négociations avec Hitler pour réclamer un armistice qui fut signé le 22 juin 1940. Après avoir politiquement « neutralisé » la France, l’accord permit aux nazis d’étendre leurs opérations de guerre. Le 10 juillet, l’Assemblée nationale vota à une écrasante majorité (par 569 voix contre 80) les pleins pouvoirs à Pétain.

L’établissement de la dictature en France ne fut pas seulement le résultat d’une défaite militaire mais d'une décision politique prise par la bourgeoisie pour venir à bout de la classe ouvrière.

Le plus jeune frère de mon père était rentré de l’exode en octobre 1940. En 1941, au même titre que de nombreux autres jeunes Alsaciens et Lorrains, il fut enrôlé de force par les nazis à l’âge de 17 ans dans le Reicharbeitsdienst (Service de Travail) qui servait à maintenir l’industrie allemande et à contribuer à l’effort de guerre. Puis, lorsqu’en 1942, le service militaire obligatoire fut promulgué pour les jeunes gens de la classe 1924 issus de ces régions, il fut obligé d’endosser l’uniforme allemand pour être incorporé de force dans la Wehrmacht. Entre 80 et 90 pour cent de ces jeunes furent dirigés sur le front russe afin d'empêcher les tentatives d’évasion et les désertions. Il ne devait pas revenir.

A ma naissance, en 1942, mon père et mère travaillaient pour la Reichsbahn (chemins de fer du Reich). Ma mère assurant le remplacement du garde-barrière titulaire. Suite à l’annexion en 1940 de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, le réseau ferroviaire dépendant de la SNCF fut rattaché à la Reichsbahn. Cette ligne de chemin de fer servait à l’acheminement des convois de déportés vers les camps de concentration.

Dans le reste de la France, la SNCF utilisait ses wagons à bestiaux ou de marchandises, toutes ouvertures bouchées, sans nourriture, ni eau, ni accès à des toilettes, pour déporter vers les camps de concentration les Juifs, les Tziganes, les homosexuels et les prisonniers politiques. Pour chaque personne déportée, la SNCF facturait et empochait le prix d’un billet de troisième classe.

C’est la classe ouvrière dans les villes, les paysans pauvres à la campagne dans la Résistance et leurs frères de classe dans les différentes armées alliées qui portèrent le principal fardeau de la lutte pour chasser la Wehrmacht hors de France. Une fois de plus, leurs aspirations socialistes furent trahies par les staliniens qui subordonnèrent leur lutte à l’aile de la bourgeoisie française qui s’était alliée à l’impérialisme américain et britannique et que dirigeait le général Charles de Gaulle.

Dans une situation où la grande majorité de la bourgeoisie française était profondément discréditée par le rôle qu’elle avait joué avant et pendant la guerre, les staliniens réprimèrent tout mouvement indépendant de la classe ouvrière. Ce qui signifia la répression brutale des forces trotskystes très actives en France. Le Parti communiste lutta pour la restauration de l’Etat bourgeois, c’est-à-dire le maintien de l’économie de profit aux dépens de la classe ouvrière.

Après la guerre, en 1945, tout restait à reconstruire. Le rationnement était à l’ordre du jour, les salaires étaient bas, les conditions de travail déplorables et la pénurie de matières premières engendra même le chômage.

Mon père était jeune et avait deux enfants à charge. Il avait vu son père travailler à la mine, et pour cela il n’envisageait nullement de descendre dans la mine, mais il n’eut pas d’autre choix que de devenir mineur en Lorraine. Après un accident du travail au fond de la mine qui faillit lui coûter le pouce, il décida en 1946 de reprendre le chemin de la Sarre où il trouvera un emploi jusqu’à la retraite. Lors de sa demande de retraite, il dut constater que les années de service militaire n’étaient pas comptabilisées dans ses droits à la retraite.

Aujourd’hui, la bourgeoisie impérialiste est une fois de plus confrontée à une crise mondiale. Une fois de plus, elle recourt, tout comme durant les années 1930, au protectionnisme et au nationalisme en empoisonnant le climat politique par des campagnes racistes. La bourgeoisie française se prépare à davantage de guerres au Moyen Orient et en Asie centrale dans le but de défendre ses intérêts géopolitiques. Alors que les médias français, de concert avec leurs homologues britanniques et américains, sont en train de vouer aux gémonies l’Iran du fait que ce pays dispose d'installations nucléaires, on ne les a absolument pas entendus lorsque récemment deux présidents français successifs ont menacé l’Iran d’anéantissement nucléaire.

La classe ouvrière doit tirer les leçons de l’histoire et lutter pour son propre programme socialiste indépendant contre le militarisme et la guerre.

(Article original paru le 4 novembre 2009)

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