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EuropeLe voyage de Merkel en Chine
Par Stefan Steinberg et Alex Lantier
28 juillet 2010
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Par son voyage en Chine la semaine passée la chancelière Angela Merkel a
reconnu le rôle grandissant de l’Asie dans les affaires mondiales ainsi que
les difficultés croissantes qui compliquent les relations de Berlin avec ses
alliés traditionnels, les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest.
Merkel était accompagnée d’une délégation comprenant des industriels
allemands et des personnalités issues du monde politique allemand ; d’autres
arrêts étaient la Russie et le Kazakhstan. Faisaient également partie de la
délégation le président de la Confédération des syndicats allemands (DGB),
Michael Sommer et André Brie, le dirigeant du Parti La Gauche (Die Linke) et
membre du Comité de liaison allemand du groupe Dialogue de Saint
Petersbourg. Ce groupe avait été créé en 2001 par l’ancien chancelier
Gerhard Schröder et le président russe de l’époque, Vladimir Poutine, pour
promouvoir les relations germano-russes.
Le voyage de Merkel a eu lieu en plein milieu d’un virement de la classe
dirigeante internationale en faveur de mesures d’austérité drastiques –
acceptées le mois dernier lors du sommet du G20 et qui sont probablement le
mieux représentées par les coupes sociales massives appliquées par le
premier ministre britannique David Cameron. Bien que Merkel ait exigé une
telle politique celle-ci pose cependant des défis majeurs à la politique
étrangère allemande qui sous-tendent la nouvelle détermination de
l’impérialisme allemand sur la scène mondiale.
La politique de rigueur signifie la destruction du niveau de vie de la
classe ouvrière en Europe et aux Etats-Unis et la dégradation des marchés
d’exportation traditionnels de l’Allemagne. Si la classe dirigeante
allemande n’a pas de scrupules à appauvrir les travailleurs, elle doit
lutter pour la défense de ses marchés d’exportation ; près de la moitié du
produit intérieur brut (PIB) allemand est exporté. Un développement des
relations avec les régions d’Asie en plein essor et riches en devises est à
l’ordre du jour pour le capitalisme allemand.
Dans le même temps, les alliances traditionnelles de Berlin sont de plus
en plus mises à rude épreuve, notamment celle avec Washington. Les relations
germano-américaines avaient déjà souffert du fait de la guerre des
Etats-Unis contre l’Irak, du soutien américain pour l’attaque géorgienne
contre la Russie en 2008 ainsi que de la débâcle continue de l’occupation de
l’OTAN en Afghanistan dirigée par les Etats-Unis. Mais, d’autres divergences
sévères avec Washington s’y sont ajoutées concernant le moment opportun pour
l’application des mesures d’austérité durant la crise de la dette grecque et
les critiques publiques formulées par le président américain Barack Obama à
l’égard de l’Allemagne pour ne pas importer davantage de produits en
provenance de l’étranger.
Durant sa visite en Chine, la délégation allemande a signé de nouveaux
contrats totalisant plusieurs milliards d’euros pour les principaux groupes
allemands : Daimler Benz, Siemens, BASF et Volkswagen.
Merkel a instamment demandé à la Chine d’ouvrir plus largement son
économie aux exportations allemandes : « Les entreprises chinoises, comme
celles de beaucoup d’autres pays, jouissent d’un très bon accès au marché
allemand. Nous espérons que les entreprises allemandes pourront bénéficier
d’un même accès au marché chinois, » a-t-elle dit. Elle a ajouté que le
marché chinois n’était pas suffisamment ouvert aux exportations allemandes
pour être considéré comme une économie de marché.
En plus de ses liens commerciaux grandissants, la Chine joue un rôle de
plus en plus important sur les marchés financiers européens en assistant
financièrement les gouvernements européens devenus la cible des marchés
financiers. La Chine a acquis de vastes parts dans l’infrastructure
portuaire et publique de la Grèce en envisageant d’en acheter d’autres. De
plus, après la réunion de juin des ministres des Finances du G20 à Busan,
Corée du Sud, la Chine a acheté une grande quantité d’obligations émises par
l’Espagne.
Le premier ministre chinois Wen Jiabao a souligné que la Chine
continuerait de soutenir financièrement l’euro.
Le Financial Times de Londres a déclaré, « Durant la plus grande partie
de ces vingt dernières années, les Européens avaient considéré que les
Etats-Unis étaient la puissance principale de la finance mondiale. L’épisode
de Busan a toutefois montré qu’un changement était en train de s’opérer qui
va au-delà de la zone euro. »
Les déclarations publiques faites par les deux chefs d’Etat prirent de
plus en plus la forme d’un rejet des critiques américaines à l’égard de la
Chine et de l’Allemagne. En parlant du poids de l’industrie d’exportation
des deux pays, Wen a dit que « la Chine et l’Allemagne devraient être louées
et non critiquées » pour leur politique économique. Merkel a ajouté,
« L’Allemagne est fière de sa compétitivité. »
Les deux dirigeants ont insisté pour dire qu’ils appliqueraient une
politique budgétaire dont le but est de maintenir le taux d’endettement à
son niveau actuel – c’est-à-dire à limiter les dépenses publiques.
Le quotidien économique influent Handelsblatt, a écrit, « Les critiques
de Washington à l’adresse à la fois de la Chine et de l’Allemagne sont une
bonne raison de serrer les rangs. » Le journal ajoute que les critiques
américaines étaient la raison pour laquelle Merkel avait bénéficié d’un
accueil aussi chaleureux à Beijing.
Ces tensions croissantes sont un avertissement clair à la classe
ouvrière. La lutte des impérialistes pour les marchés et l’influence
stratégique est fondée sur l’appauvrissement des travailleurs et avait
conduit au 20ème siècle à la guerre mondiale – dans laquelle la politique
criminelle de la classe dirigeante allemande et sa poussée expansionniste
vers l’Est avait joué un rôle majeur. Alors que les occupations
impérialistes de l’Irak et de l’Afghanistan se poursuivent et que des
menaces mutuelles entre les principales puissances se multiplient, la lutte
politique contre la guerre devient une tâche décisive pour la population
laborieuse.
Parallèlement, les conditions sont créées pour une explosion des conflits
de classe en Chine et en Europe. C’est un fait bien connu que la puissance
économique de la Chine repose sur l’exploitation la plus impitoyable de la
classe ouvrière. La classe dirigeante européenne cherche également à
accroître considérablement l’exploitation de sa propre classe ouvrière par
le biais d’une politique de rigueur dont le but est la destruction de l’Etat
social.
C’est à cet égard que le rôle du dirigeant du DBG, Michael Sommer, est
tout particulièrement significatif. Il a participé aux entretiens avec les
syndicats d’Etat chinois et, selon le journal Tasgesschau, a conclu qu’ils
se trouvaient « sur la bonne voie ». Ce n’est pas l’avis de la masse des
travailleurs chinois qui sont en grève contre les bas salaires dans les
usines automobiles et d’électronique en revendiquant une représentation
indépendante – ou celui des ouvriers en grève contre les licenciements, les
réductions de salaire et l’austérité sociale en Europe.
La classe ouvrière chinoise, européenne et américaine, confrontée au
danger de conflits grandissants et d’une nouvelle offensive des banques et
de la bourgeoisie internationale destinée à la pousser davantage encore dans
la pauvreté, requiert sa propre stratégie socialiste indépendante et basée
sur la construction d’un nouveau parti international.
(Article original paru le 23 juillet 2010)
Voir aussi :
La classe ouvrière chinoise émerge (12 juin 2010)
Chine : Des débats sur internet sur l’exploitation des travailleurs
(15 juin 2010)