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EuropeLes autorités suisses décident de ne pas extrader
Roman Polanski
Par David Walsh
23 juillet 2010
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Des responsables du gouvernement suisse ont annoncé lundi 12 juillet que
le cinéaste Roman Polanski ne serait pas extradé aux Etats-Unis. Polanski
avait été arrêté le 26 septembre 2009 à son arrivée à Zurich où il était
venu pour assister à un festival de cinéma. Il était assigné à résidence
dans son chalet de Gstaad depuis le 4 décembre 2009 et avait dû verser une
caution de 4,5 millions de francs suisses (4,2 millions de dollars). La
décision des autorités suisses représente un coup pour le parquet du
district de Los Angeles et le ministère de la Justice de l'administration
Obama dont la campagne vindicative et politiquement motivée contre Polanski
s'est effondrée.
Les autorités américaines recherchaient l'extradition de Polanski en
liaison avec un 'plaidoyer de marchandage' [en gros, on plaide d'une
certaine façon en échange d'une sentence plus clémente, ndt.] dans une
affaire de rapports sexuels avec une mineure à Los Angeles en 1977, où
Polanski avait plaidé coupable. Le metteur en scène avait passé 42 jours en
détention dans l'unité psychiatrique d'une prison californienne, mais quand
le juge saisi de l'affaire menaça de se dédire quant au 'plaidoyer de
marchandage' et d'infliger une peine maximale au cinéaste, Polanski quitta
les Etats-Unis et s'exila en Europe.
L'arrestation subite en 2009 de Polanski, qui s'était rendu en Suisse
sans problèmes pendant des décennies et y était propriétaire d'un chalet, et
la menace d'extradition étaient liées à de sordides motivations politiques.
L'année dernière, les autorités suisses voulurent absolument se faire
bien voir par le gouvernement américain qui leur demandait des informations
sur plus de 4000 comptes du géant de la banque UBS, soi-disant en rapport
avec l'évasion fiscale. Coïncidence ou pas, le parlement suisse a approuvé
le mois dernier un traité qui réglait le contentieux de la livraison
d'informations bancaires et, comme le notait Bloomberg Businessweek, mettait
fin « à une bataille juridique de deux années menaçant les affaires aux
Etats-Unis de la principale banque suisse ».
La décision de ne pas extrader Polanski fut sans aucun doute prise au
plus haut niveau de l'Etat Suisse. L'annonce fut faite par Eveline
Widmer-Schlumpf, la ministre suisse de la Justice qui est aussi un des sept
membres du Conseil féderal suisse. Widmer-Schlumpf a appartenu au Parti
populaire suisse, un parti droitier antiimmigration.
Les autorités américaines n'avaient pas réellement une position juridique
leur permettant de faire extrader Polanski. Une question centrale était
celle de savoir si Polanski avait déjà accompli sa peine en 1977 pour le
crime d'avoir eu une relation sexuelle avec une mineure. Le traité
d'extradition entre les Etats-Unis et la Suisse stipule qu'un individu ne
peut être extradé que s'il doit faire au moins six mois de prison ferme.
Widmer-Schlumpf expliqua que les autorités suisses avaient demandé la
transcription du témoignage fait en janvier 2010 par Roger Gunson, l'avocat
général chargé de l'affaire Polanski en 1977. On a rapporté qu'il y avait
déclaré qu'en septembre de cette année, le juge Laurence Rittenband avait
assuré l'accusation et la défense dans cette affaire que les 42 jours que
Polanski avait passé en détention « représentaient l'ensemble de la
détention à laquelle il avait été condamné » (communiqué de presse du
Conseil fédéral suisse).
Le département de la Justice avait refusé la requête du gouvernement
suisse insistant pour que la déposition de Gunson restât secrète. « Dans ces
conditions » explique le communiqué de presse du gouvernement suisse, « on
ne saurait exclure avec toute la certitude voulue que Roman Polanski ait
déjà exécuté la peine prononcée autrefois à son encontre et que la demande
d'extradition souffre d'un vice grave ». Et le communiqué de conclure
qu'étant donné les doutes persistants à l'égard de la présentation des
faits, la demande [d'extradition] devait être rejetée.
Widmer-Schlumpf mentionna également le fait évident que Polanski était
venu en Suisse pendant des années et que durant tout ce temps les Etats-Unis
n'avaient fait aucun effort pour obtenir son extradition, suggérant que
l'action américaine de 2009 fut prise en violation du « principe de bonne
foi ». La ministre de la Justice n'a pas fait mention de l'information
largement répandue que ce sont les autorités suisses elles-mêmes qui avaient
informé les responsables américains de ce que Polanski se trouverait à
Zurich à la fin du mois de septembre 2009. Elle parla aussi du souhait de la
victime dans cette affaire, Samantha Geimer, que le procès contre Polanski
soit clos.
Le gouvernement Suisse ne pouvait guère ne pas être au courant des
accusations fournies et bien documentées d'enfreinte aux règles juridiques
existant contre Rittenband, bien que sa déclaration n'en fasse pas mention.
Les avocats de Polanski ont récemment tenté sans succès d'obtenir que leur
client soit condamné in abstentia à Los Angeles et ont rassemblé des preuves
robustes du comportement indigne de Rittenband en 1977 dont certaines
apparurent pour la première fois dans le documentaire de 2008 Roman Polanski
: wanted and desired, réalisé par Marina Zenowich.
Ne pouvant se passer des feux de la rampe et déterminé à montrer combien
il pouvait être coriace Rittenband, conseillé par un avocat général qui
n'avait rien à voir avec l'affaire, envoya Polanski à la prison de Chino
pour un examen psychiatrique. C'était là la seule voie à sa disposition pour
incarcérer Polanski sans que celui-ci n'ait la possibilité de faire appel
d'une telle décision. Tant l'avocat général Gunson que l'avocat de la
défense Douglas Dalton arguèrent qu'il était illégal de se servir d'une
détention à des fins d'examen médical comme d'une punition pour un délit.
Rittenband a soi-disant ignoré leurs arguments.
Parce que Dalton recherchait à repousser la détention d'un an afin de
permettre à Polanski de terminer un film, le juge proposa une parodie à
l'accusation et à la défense. Il se dit d'accord pour ordonner une suite de
reports de détention de 90 jours mais insista pour qu'au procès lui, la
défense et l'accusation prétendent qu'aucune décision de la sorte n'avait
été prise à huis clos, de manière à ce qu'il puisse prétendre parvenir à une
décision qu'il avait déjà prise. Cela lui permettait de sauver la face
devant les médias.
Rittenband exigea aussi que le cinéaste abandonne son droit à toute
audience future concernant une déportation et au cours de laquelle Polanski
pourrait s'opposer à une tentative de l'expulser des Etats-Unis. Comme le
notait le WSWS dans un compte-rendu de Wanted and Desired, « Rittenband
n'était aucunement habilité juridiquement en matière de déportation, et sa
tentative de priver Polanski de son droit à une audience sur une déportation
n'était qu'un autre exemple d'enfreinte aux règles. »
Le comportement de Rittenband aurait du à lui seul suffire pour que
l'affaire Polanski soit classée depuis longtemps. Ce n'est pas là une
question de « formalités juridiques » mais de la violation de droits
civiques élémentaires étroitement liés à la nature de l'affaire elle-même.
L'affaire Polanski n'a jamais été une question de "viol d'enfant", de
pédophilie ou d'autres questions que des hystériques ont décidé de soulever
dans les médias. Il ne s'est pas agi non plus, au cours des dix derniers
mois, de "rendre la justice" ou de punir une riche célébrité qui pense
qu'elle est au-dessus des lois.
La campagne contre Polanski est devenue un point de ralliement pratique
pour une coalition de commentateurs et de rédacteurs en chef libéraux, de
féministes et de gens d'extrême droite. Cette alliance peu recommandable qui
inclut le New York Times, Salon, The Nation… et Rush Limbaugh, Glenn Peck et
Pat Buchanan, se sert d'arguments provocateurs faussement populaires comme
d'un moyen pour agiter les couches les plus arriérées de la population
américaine avec des appels à la "protection des enfants contre les
prédateurs". Les cibles de cette populace prête au lynchage sont "les gars
du genre Hollywood", les artistes, les intellectuels et les non-conformistes
de tous genres. La campagne anti-Polanski a des relents de xénophobie et
d'antisémitisme, accompagnés de puritanisme américain à l'ancienne.
Pour les féministes et les libéraux, qui sont aveugles face aux questions
sociales et de classe, l'usage de toute la force de l'Etat américain alors
qu'il poursuivait Polanski était de peu d'importance face à la possibilité
de se venger de lui pour ses actions de 1977. Que cet épisode ait eu lieu il
y a 33 ans, que la femme qui y avait été impliquée ne veuille plus rien
avoir à faire avec une autre procès, que l'individu condamné ait 76 ans et
ait subi des traumatismes graves durant sa vie – rien de cela n'intéressait
cette nouvelle cohorte de l'ordre moral.
Leur ordre du jour allait parfaitement bien avec la réclame privée et
réactionnaire que se faisait le procureur général de Los Angeles, Steve
Cooley, alors qu'il était candidat républicain au poste de ministre de la
Justice de l'Etat de Californie cette année et avec les efforts du ministère
de la Justice d'Obama, résolu à se montrer aussi indifférent aux droits
civiques que son prédécesseur.
En tout état de cause, c'est le sens pratique des Suisses qui a prévalu
(ils avaient réglé leur différend avec les Etats-Unis à propos d'UBS).
Celui-ci leur disait que les avantages à gagner d'une extradition de
Polanski vers les Etats-Unis étaient largement compensés par le fait qu'on
évitait une levée de bouclier en Europe et par la possibilité que l'affaire
puisse se terminer par une débâcle à Los Angeles, les montrant sous un
mauvais jour. Il est bien possible aussi que cette décision soit l'indice
d'un nouvel affaiblissement de la position des Etats-Unis et, depuis
septembre dernier, de celle de l'administration Obama.
Dans ses commentaires Widmer-Schlumpf suggéra sans ambages que « les
Etats-Unis n'[avaient] aucune raison de modifier leurs relations avec nous.
Quelles qu'aient été nos obligations, nous les avons remplies. »
Au début du mois de mai, Polanski fit sa première déclaration publique
depuis son arrestation à Zurich, insistant à plusieurs reprises pour dire
qu'il ne « pouvait plus rester silencieux ». Le cinéaste franco-polonais
expliqua : « J'ai eu, comme tous, ma part de drames et de joies et je ne
vais pas vous demander d'avoir pitié de mon sort. Tout ce que je demande
c'est d'être traité justement, comme tout un chacun. »
Il poursuivit disant : « Je ne peux plus garder le silence parce que les
Etats-Unis continuent de demander mon extradition plus pour me servir sur un
plateau aux médias du monde entier que pour prononcer un jugement au sujet
duquel un accord a été conclu il y a 33 ans. »
Polanski exprima l'espoir « que la Suisse reconnaîtra le fait qu'il n'y a
aucune raison pour une extradition et que je pourrai trouver la paix, être
réuni avec ma famille et vivre en liberté dans mon pays natal. » On vient
apparemment de lui accorder au moins cela.
(Article original publié le 13 juillet 2010)
Voir aussi:
Le New York Times jette Roman Polanski en pâture ( 8 octobre 2009)