Dans un article d’opinion
publié vendredi, le chroniqueur au New York Times David Brooks
a révélé la pensée véritable de l’aristocratie financière américaine
quant aux dépenses publiques consacrées à la santé. Dans des termes
à vous glacer le sang il donne libre cours à son amertume sur le « gaspillage »
des ressources pour le prolongement de la vie chez les vilains et sur
sa détermination à y mettre fin.
La rubrique est ap parue en
pleine discussion entre la Maison Blanche et les Démocrates et Républicains
du Congrès au sujet d’un plan consensuel pour retirer des milliers
de milliards de dollars aux programmes de santé et de retraite des
personnes âgées et des pauvres dont les programmes Medicare, Medicaid
et la Sécurité sociale. Le gouvernement Obama a pris la tête de cette
attaque sans précédent contre des réformes sociales fondamentales
qui remontent aux années 1930, insistant pour dire que toute décision
de relever le plafond de la dette doit être liée à de massives coupes
sociales.
L e message essentiel de la
rubrique de Brooks est résumé dans le titre, « La mort et le budget. »
Il affirme que, dans le but de résoudre le déficit budgétaire, les
gens auront à mourir plus tôt.
« Cette crise fiscale
concerne beaucoup de choses, » écrit-il, « mais l’une d’entre elles
est notre incapacité à affronter la mort – notre volonté à dépenser
pour prolonger la vie de quelques mois de maladie de plus au point de
pousser notre pays dans la banqueroute. » C’est le souhait égoïste
et ignorant du peuple américain à vivre plus longtemps, et non la
cupidité stupide et la richesse extravagante de l’élite dirigeante
ou les milliers de milliards dépensés en guerre et dans des plans
de sauvetage des banques, qui acculent le pays à la faillite, affirme-t-il.
A la manière typique d’un
sophiste, Brooks présente le cas d’un patient souffrant d’une
maladie terriblement débilitante et incurable pour plaider contre des
traitements « inutiles » concernant des millions d’autres. Brooks
cite Dudley Clendinen, un ancien éditorialiste du Times qui
souffre de la sclérose latérale amyotropique (ALS), ou bien la maladie
de Lou Gehrig, qui a choisi de renoncer à tout traitement supplémentaire.
P arlant de l’état de santé
de ceux chez qui l’ALS a été diagnostiqué, Brooks déclare, « La
vie ne consiste pas seulement à respirer et à végéter dans une enveloppe
de peau. » Là, le ton venimeux est tout aussi évocateur que les mots.
Combien de personnes aujourd’hui malades et âgées Brooks et ses
pairs relègueraient-ils dans la catégorie de ceux qui « végètent
dans une enveloppe de peau ? »
Il y a plus que des relents
de fascisme dans ceci. Brooks ne propose pas la solution des nazis
pour résoudre le « problème » des personnes physiquement ou mentalement
handicapées – l’extermination de masse – mais l’on peut facilement
s’imaginer les architectes de telles horreurs recourir à un langage
identique pour décrire leurs victimes.
Le genre d ’« analyse coûts-bénéfices »
appliquée à la vie humaine que préconise Brooks a été poussée
à sa conclusion logique sur une affiche de propagande nazie des années
1930 en faveur de l’euthanasie qui dit que des individus « atteints
de maladies héréditaires coûtent 60.000 reichsmark à la collectivité…
Camarade du peuple allemand, c’est aussi votre argent. »
Brooks suggère que toute
personne chez qui on a diagnostiqué l’ALS devrait accepter de mettre
fin prématurément à sa vie. Il méprise les sentiments humains et
ignore la contribution que même des personnes gravement malades peuvent
faire à la société. Le cas du scientifique Stephen Hawking nous vient
immédiatement à l’esprit, un brillant intellectuel qui, grâce aux
progrès faits dans le domaine de la médecine moderne pour prolonger
la durée de vie, a apporté certaines de ses plus importantes contributions
tout en étant gravement handicapé par l’ALS.
Le cas de Clendinen est cyniquement
cit é par Brooks afin de plaider en faveur du rationnement des soins
de santé. « Nous nourrissons l’illusion qu’en dépensant beaucoup
en frais de santé nous améliorons drastiquement la qualité de nos
vies, » a-t-il déclaré. Il n’a pas précisé pourquoi ceci est une
« illusion ». C’est toutefois un fait que depuis l’introduction
en 1965 de Medicare – le programme de sécurité médicale du gouvernement
pour les personnes âgées – la pauvreté parmi les personnes âgées
en Amérique a nettement diminué et l’espérance de vie a grimpé.
Ce à quoi Brooks veut vraiment
en venir – il traduit là le consensus existant au sein de l’élite
fortunée aux Etats-Unis – c’est que ces tendances sont malfaisantes
et doivent être renversées.
Il é met un jugement hâtif
selon quoi nous « sommes loin d’un traitement » pour le cancer et
qu’« il n’y a pas de traitement à l’horizon pour les maladies
cardiaques. » Ce faisant, il rejette purement et simplement la signification
des progrès spectaculaires faits dans le traitement à la fois d’une
grande variété de cancers – entre autres du poumon, du sein et de
la prostate – et des maladies cardiaques.
Selon le Centre pour le contr
ôle et la prévention des maladies, le nombre de personnes qui sont
actuellement décrites comme des « survivants du cancer » est passé
de 3 millions en 1971 à 11,7 millions en 2007 – un bond de 290 pour
cent. Un dépistage précoce et un traitement offensif ont été à
l’origine d’une amélioration considérable.
De la m ême manière, selon
des études relatées dans la revue Archives of Internal Medicine,
le taux de mortalité à l’hôpital après un infarctus a extrêmement
diminué en partie en raison de nouveaux médicaments et de traitements
chirurgicaux. Entre 1994 et 2006, le taux de ce genre de décès a chuté
de 53.9 pour cent chez les femmes de moins de 55 ans et de 33,3 pour
cent chez les hommes du même groupe d’âge.
L a partie la plus sinistre
probablement de la rubrique de Brooks concerne le traitement de la maladie
d’Alzheimer et ses malades. Brooks déplore le fait qu’une « grande
part de nos dépenses de santé est consacrée aux patients malades
dans la dernière phase de leur vie. Cette sorte de dépense croît
rapidement. »
Pour les annal es, Brooks
a aussi ajouté, « Bien sûr, nous ne traiterons jamais les malades
d’Alzheimer comme des exclus en les laissant à flanc de coteau. Nous
ne laisserons jamais tomber les vieux et les souffrants de façon contraignante. »
Ces affirmations du contraire sont étonnamment vagues – et ce, on
l’imagine, de façon voulue.
Qu e veut-il dire par « de
façon contraignante? » Si, comme beaucoup le proposent dans le camp
de Brooks, les sociétés d’assurance, Medicare et Medicaid ne prennent
plus en charge les médicaments, les types de traitement et les examens
les plus chers, et que des millions de gens découvrent subitement qu’ils
ne peuvent plus se payer les médicaments et les traitements dont ils
dépendent, cela est-il « contraignant? » Après tout, ils peuvent
bien décider de ne plus payer leur loyer ou de manger moins et, s’ils
sont riches, ils peuvent continuer à recevoir le meilleur traitement
médical possible pour de l’argent.
« Il est difficile de
s’imaginer que nous puissions réduire sérieusement l’inflation
des soins de santé sans que les gens et leurs familles suivent l’exemple
de Clendinen – affronter la mort en honorant leurs obligations vis-à-vis
des vivants, » conclut Brooks.
Dans sa rubrique, Brook s
se réfère, en l’approuvant, à un récent article paru dans le journal
de sensibilité démocrate, le New Republic. Les auteurs, Daniel Callahan
et Sherwin Nuland, sont encore plus explicites. Ils citent une étude
qui affirme que « les coûts additionnels d’une année supplémentaire
de vie » ont atteint 145.000 dollars. « Si cette tendance se poursuit
chez les personnes âgées, le rapport coût-rentabilité des soins
médicaux continuera de baisser avec la vieillesse, » concluent les
auteurs.
Dans l’heureuse éventualité
où cette tendance serait inversée, ils écrivent, « Certaines personnes
mourront plus tôt que ce n’est le cas maintenant, mais ils auront
une meilleure mort. » Ils poursuivent en affirmant que « l’opinion
publique doit être persuadée de modérer ses attentes » quant aux
soins de santé en partie en « ramenant les paiements directs des frais
de soins et les frais déductibles à un niveau suffisamment douloureux
pour décourager les gens » de demander des soins médicaux visant à
prolonger la vie.
Toutes les sections de l’establishment
politique exigent des réductions drastiques des programmes de santé.
On doit cependant et en particulier faire remarquer le rôle de premier
plan joué dans cette attaque par l’establishment libéral
et le Parti démocrate.
Le New York Times a
joué un rôle de premier plan dans la campagne de réforme du système
de santé du gouvernement Obama. Interminable est la liste des articles
et des tribunes parus dans ce journal et qui ont vivement critiqué
des dépenses trop élevées pour le dépistage du cancer, les stimulateurs
cardiaques, des thérapies aux statines et beaucoup d’autres traitements
vitaux importants. En se demandant dans sa rubrique s’il y a une valeur
intrinsèque à prolonger la vie des Américains ordinaires, Brooks
ne fait qu’exposer explicitement les prémisses qui sont implicites
aux arguments visant à rationner le système de santé.
Lorsque la réforme du système
de sant é d’Obama avait été débattue en 2009, au milieu d’un
concert d’affirmations qu’elle était motivée par le désir de
fournir une couverture maladie « universelle », le World Socialist
Web Site avait insisté pour dire qu’il ne s’agissait pas d’une
réforme progressiste mais bien plutôt d’une « attaque sans précédent
contre les soins de santé des travailleurs… un effort pour détruire
les acquis sociaux liés à l’introduction de Medicare en 1965. »
(Voir : « Obama’s
health care counterrevolution. »)
Au cours de ces deux dernières
années, c ette évaluation a été pleinement confirmée. Et le fait
même qu’une rubrique telle que celle de Brooks puisse être publiée
dans un grand quotidien témoigne de la brutalité de l’assaut qui
est en train d’être lancé par l’élite patronale et financière
américaine.