Cent vingt ans après sa création en 1891,
le Parti travailliste australien (Australian Labor Party, ALP), premier parti
politique national du pays, compte si peu d’adhérents qu’il est au bord de
l’effondrement organisationnel. Telle est la conclusion d’un rapport national
d’enquête spécial de 2010, partiellement publié la semaine passée, et rédigé
par l’ancien sénateur travailliste John Faulkner et les anciens premiers
ministres Bob Carr et Steve Bracks, membres du bureau national.
L’étude a été initiée après les élections
législatives de l’année dernière, afin d’enquêter sur la baisse rapide du
nombre d’adhérents de l’organisation, en grande partie des inscrits sur le
papier, sur le recul historique du nombre de voix recueillies dans les
résultats préliminaires des élections législatives de l’année dernière ainsi
que sur les raisons de la perte de la majorité parlementaire du gouvernement
travailliste de la première ministre Julia Gillard, le premier gouvernement à
avoir enduré, durant son premier mandat, une telle perte depuis 1931.
Bien qu'en septembre 2010, Gillard ait
finalement rabiboché une minorité gouvernementale avec le soutien des Verts
et de trois indépendants, le rapport révèle que le parti n’est qu’une
carcasse pourrie ne disposant d’aucune base authentique et incapable de
collecter des fonds auprès de la classe ouvrière. L’exode de masse des
adhérents qui quittent l’organisation a été tellement rapide – un quart
d’entre eux, soit plus de 13.000 ont quitté l’organisation depuis 2007 – que
Faulkner, Carr et Bracks reconnaissent que le parti est au bord de
l’extinction.
La crise est si importante que le parti ne
publiera pas l’ensemble des trois parties de l’enquête. Les deux premières
parties qui traitent du gouvernement de l’ancien premier ministre Kevin Rudd,
de la fin de 2007 à 2008, et de la campagne électorale désastreuse de
Gillard, ne peuvent être consultées que par les 25 membres du bureau national
du parti. Elles ne seront pas distribuées aux membres ordinaires du parti.
La troisième partie de l’étude, qui est
disponible au public, donne une certaine idée de l’ampleur de la décrépitude
du parti et de la profonde hostilité du restant de ses membres à l’égard des
carriéristes et des fonctionnaires politiques qui dirigent son appareil
profondément antidémocratique. C’est ce que révèle en partie une poignée de
commentaires faits par des membres et publiés dans l’étude.
Un membre de la Nouvelle-Galles du Sud a
déclaré : « Si les résolutions des fédérations sont ignorées, si
les statuts du parti sont ignorés, si les sélections préliminaires [des
candidats aux sièges parlementaires] sont déterminées par la direction, et
pas par les comités électoraux… pourquoi les gens adhéreraient-ils à une
fédération, pourquoi les gens rejoindraient-ils notre parti, pourquoi les
gens voteraient-ils pour nous ? »
Ces questions, auxquelles le Parti
travailliste est incapable de répondre de manière pertinente, ont déjà reçu
une réponse de la part de centaines de milliers de travailleurs à travers le
pays et qui refusent à présent de soutenir l’organisation de quelque manière
que ce soit – et encore moins d’y adhérer – en préférant mettre un bulletin
blanc ou un bulletin nul dans l’urne ou soutenir les Verts ou d’autres partis
tiers ou autres candidats. L’hostilité de la population à l’égard du parti,
qui est à juste titre considéré comme un appareil servant le patronat et les
riches, est largement répandue et palpable.
Selon le rapport, numériquement le nombre
des membres du Labor ne représente actuellement que 0,002 pour cent de la
population australienne, et les membres du parti des Verts et des soi-disant
partis tiers représentent ensemble « dix fois la taille du Parti travailliste. »
Le nombre official des adhérents du Labor
est naturellement gonflé par le « branch-stacking » [le recrutement
des membre pour arriver à influencer les résultats internes] et autres
techniques bureaucratiques mais, même ces chiffres douteux, ne peuvent cacher
le fait que le parti est une coquille vide. Le chiffre actuel des membres
s’élève à seulement 37.000 – soit son plus bas niveau historique. Lors de
récentes élections, l’organisation n’a pas été capable de trouver
suffisamment d’adhérents pour former des équipes d’observateurs afin de
surveiller le décompte des bulletins de vote, et 100 fédérations, soit 10
pour cent de l’ensemble du parti, ont disparu au cours de ces trois dernières
années.
Le niveau des adhérents syndiqués a aussi
chuté de plus de 100.000 au cours de même période – passant de plus de 1,2
millions à moins de 1,1 million. Mais, ces chiffres ont bien peu à voir avec
la réalité parce que seul un infime pourcentage des travailleurs, dont les
syndicats sont affiliés au ALP, appartiennent au parti. En 2009, par exemple,
seuls 2.400 militants syndicalistes de Nouvelle-Galles du Sud étaient des
adhérents de la fédération de cet Etat sur un total de 384.000 syndicalistes
affiliés à l’AFP. Et, comme le reconnaît le rapport, il est « improbable
que d’autres syndicats rejoignent le parti à l’avenir. »
Maurie O’Neil, membre de la fédération
Southern Highlands a dit cette semaine à la radio ABC que l’ALP « allait
vers l’extinction ». L’organisation, a-t-il déclaré, était
« dominée par les familles, les parents par alliances, les beaux-parents
et les collaborateurs » des bureaucrates haut placés « qui sont
incapables d’éprouver de l’empathie pour les gens de la vraie société… Nous nous orientons vers une rencontre avec les dinosaures. »
Des réflexions similaires ont été faites
dans la plupart des commentaires cités dans le rapport. « Les gens dans
le parti sont profondément en colère et fâchés de voir l’état dans lequel se
trouve le parti. Ce serait juste de dire que le moral est au plus bas, »
a précisé un membre.
« Il y a un fosse énorme, un gouffre
massif entre la base et la direction qui leur témoigne très peu de
respect, » a dit un autre membre. Et un autre encore a remarqué :
« Les membres ont baissé les bras. Ils ont le sentiment que le seul rôle
qu'ils ont à jouer est de se pointer aux élections et de passer une journée
au soleil à distribuer des tracts expliquant comment voter. » Un membre
de Sydney s’est plaint de ce que la déconnexion de longue date entre les
fédérations locales et la direction s’était « transformée en
méfiance. »
L’une des plaintes les plus fréquentes a
été l’ingérence de la direction nationale dans les décisions portant sur la
présélection de candidats où un collège de 25 personnes met continuellement
en minorité les fédérations. Selon un récent article de presse, les décisions
locales relatives à la présélection ont été rejetées par la direction
nationale plus de 70 fois ces dernières années, et ce surtout depuis 2007.
« Pour le moment, les fédérations du
parti disparaissent parce que les travailleurs n’ont pas voix au chapitre
dans le parti, » a expliqué un membre de la Nouvelle-Galles du Sud.
« Les membres et les fédérations n’ont plus le droit de donner leur avis
sur les présélections ou sur la politique. Si on ne renverse pas cette
tendance, nous deviendrons un parti dont l'unique objet sera d'ouvrir la voie
pour l'entrée au parlement à d’anciens dirigeants syndicaux et d’anciens
collaborateurs de politiciens. »
Le rapport
national a « pris note » de ces plaintes, a admis que des
interventions continues avaient « provoqué un malaise au niveau
local » et a déclaré solennellement qu’à l’avenir les membres
disposeraient d’un plus grand pouvoir de contrôle. Mais, il a omis de
mentionner que la direction nationale avait rejeté cinq décisions locales de
présélection de candidats juste avant les élections locales en
Nouvelle-Galles du Sud et, que le mois dernier, elle avait mis en minorité la
fédération de Broadmeadows à Melbourne pour imposer Frank McGuire, riche
promoteur immobilier, qui n’est même pas membre du parti, pour qu'il figure
sur la liste électorale pour les récentes élections partielles.
Confronté à un effondrement
organisationnel, les auteurs du rapport national ont fait diverses
propositions pour augmenter le nombre des adhérents et développer « un
engagement pour la communauté », dont une amnistie pour les membres dont
l’adhésion est périmée ou qui ont quitté le parti, et
« réinscrire » les sympathisants non membres pour leur donner le droit
de voter lors de présélections de candidats pour les élections
parlementaires, comme ce qui se fait pour les primaires américaines.
A l’image des nombreux post mortem faits
par le parti au cours de ces dernières décennies, ces propositions ne sont
que le râle d’agonie d’une organisation moribonde. Rien ne changera au sein
de ce parti prééminent du capitalisme australien, pareil à ses homologues
internationaux sociaux-démocrates qui ont depuis longtemps largué leur
rhétorique social réformiste afin d’opérer comme une agence directe du
capital financier, en défendant le « libre marché », l’austérité
budgétaire et les attaques continuelles contre la classe ouvrière.
L’une des omissions les plus frappantes de
l’enquête de Faulkner, Carr et Bracks est toute référence au coup d’Etat qui
a évincé le 23 juin de l’année dernière Rudd en tant que premier ministre ou
à ceux qui ont été impliqués dans ce processus antidémocratique.
Alors que des millions d’Australiens
ordinaires étaient profondément hostiles au coup et qu’un grand nombre ont
refusé, précisément pour cette raison, de soutenir le Labor lors des
élections fédérales ultérieures, l’enquête observe là-dessus un silence
assourdissant. Un silence absolu est gardé sur les comploteurs factionnels du
coup, Mark Arbib, Bill Shorten, Paul Howes, le dirigeant du syndicat
Australian Workers Union, ou sur leurs liens aux « trois grands »
groupes miniers australiens et à l’ambassade américaine à Canberra, aux
intérêts desquels le coup a servi. (Voir :
« Australia:
WikiLeaks cables reveal secret ties between Rudd coup plotters and US embassy »)
Le sénateur John Faulkner s’était démené
la semaine passée pour démentir des articles de presse selon lesquels les
parties un et deux du rapport contenaient des commentaires critiquant la
direction de Rudd et la promotion de Gillard par la suite.
« Notre rapport », a insisté
Faulkner, « n’a pas tenu compte ou porté de jugement sur la décision du
groupe parlementaire du Parti travailliste de changer la direction en juin
2010. » En d’autres termes, en ce qui concerne la direction du Labor, la
sale manœuvre de coulisses est une affaire classée.
L’enquête a poliment fait remarquer que la
directive de 2007 de Rudd selon laquelle le premier ministre, plutôt que le
groupe parlementaire, dispose seul du droit de nommer les ministres, était
une violation des statuts du parti et a recommandé que cela soit revu lors de
la conférence nationale du Labor qui se tiendra à la fin de l’année.
Mais, Gillard, a immédiatement écarté ceci
en faisant clairement comprendre au groupe parlementaire qu’il n’y aurait pas
de changement des compétences de ses fonctions, y compris son
« droit » de choisir les ministres. Elle choisira le gouvernement, lequel
« déterminera la politique », a-t-elle souligné. En d’autres
termes, même le « rapport national d’enquête spécial »
officiellement commandé par le parti sera unilatéralement rejeté – sans
qu’une seule voix dissidente se fasse entendre.