Les dirigeants politiques des principaux
partis de Grande-Bretagne se sont associés pour mettre en garde contre une
« apocalypse économique » en cas d'effondrement de la zone euro.
Le secrétaire d'Etat britannique au Commerce
et député libéral démocrate, Vince Cable, a fait cette prédiction sinistre lors
d'une interview ce week-end alors que des gouvernements « de
technocrates » étaient mis en place en Grèce et en Italie, sans que la
population puisse donner son avis, dans le but d'imposer des mesures d'austérité
encore plus sévères.
Le chancelier conservateur, George Osborne,
avait précédemment décrit la situation comme « dangereuse » alors que
l'ancien premier ministre Tony Blair avait dit que l'effondrement de la zone
euro serait « une catastrophe ».
Leurs avertissements ont devancé les
chiffres devant être publiés ce jour et montrant une augmentation du chômage au
Royaume-Uni et le chômage des jeunes passant, pour la première fois dans les
annales, la marque d'un million. Un rapport de l'Union européenne (UE) a
constaté que le RU était sérieusement exposé à une récession à double creux,
tandis que la Banque d'Angleterre devrait réduire de moitié ses prévisions de
croissance pour 2012 de 2,1 pour cent pour 2012.
Avec 40 pour cent des exportations britanniques
allant dans la zone euro, le premier ministre David Cameron a dit que le Trésor
était en train d'élaborer des plans d'urgence de façon à couvrir « tous
les cas de figures. »
Leurs déclarations n'expriment nullement une
préoccupation concernant les difficultés grandissantes auxquelles est
confrontée la population laborieuse. En Grande-Bretagne, le gouvernement de
coalition entre les conservateurs et les libéraux-démocrates a imposé l'un des
plans d'austérité les plus sévères d'Europe, entraînant la perte de dizaines de
milliers d'emplois partout dans le secteur public et privé. Le gouvernement
utilise en premier lieu la crise de la zone euro pour justifier ses coupes dans
les dépenses. Osborne a dit que la crise en Europe était « une raison de
plus pour que nous, en Grande-Bretagne, traversions cette tempête en prenant
les décisions difficiles que nous prenons, en décidant nous-mêmes - au lieu d'y
être contraints par les marchés. »
Mais surtout, la raison des avertissements
lancés par tous les partis est de faire pression sur l'Allemagne pour qu'elle
renonce à son opposition à ce que la Banque centrale européenne (BCE) agisse en
tant que « bailleur de fonds de dernier ressort. » Cable a dit,
« la question politique clé c'est l'Allemagne et la volonté de l'Allemagne
de faire ce qu'elle doit faire pour faire fonctionner la zone euro. »
La chancelière Angela Merkel et la Banque
centrale allemande, la Bundesbank, se sont toujours opposés aux
exigences de Washington et de Londres pour que l'Allemagne engage des fonds
additionnels au plan d'aide EFSF afin de renflouer les économies européennes.
Le patron de la Bundesbank, Jens Weidmann, a insisté en disant que ceci
constituait une violation des traités européens qui interdisent « le
financement monétaire. »
Le président français, Nicolas Sarkozy, est
également connu pour préconiser un rôle plus grand de la BCE. A la veille du
sommet d'octobre des 17 membres de la zone euro, toutefois - et confronté à la
perspective d'une défaillance de la Grèce de satisfaire les termes de ses
emprunts auprès de l'Union européenne, du Fonds monétaire international (FMI)
et de la Banque centrale - il avait été obligé de céder à l'Allemagne. Au lieu
de cela, le sommet de la zone euro a annoncé de vagues plans pour
« renforcer » l'EFSF de 440 milliards à 1 millier de milliards de
fonds additionnels du FMI, de la Chine et de la Russie, et que les détenteurs
d'obligations grecques acceptent une décote « volontaire » allant
jusqu'à 50 pour cent.
Ceci n'a pas réussi à écarter la menace
d'une défaillance grecque. Wolfgang Münchau a écrit dans le Financial Times
que c'est la décision de « renégocier la participation du secteur privé
des détenteurs de titres de la dette souveraine grecque » qui a tout
particulièrement irrité les marchés. « Les investisseurs l'ont interprété
- et fort justement à mon avis - comme un précédent. Ils se sont ensuite
débarrassés de leurs obligations souveraines portugaises, espagnoles,
italiennes et même françaises. »
Alors que la crise s'aggravait, Londres et
Washington ont refusé de faire, au sommet du G20 à Cannes, tout engagement
spécifique d'argent du FMI pour venir en aide à la zone euro. Après que la
Chine eut aussi refusé de jouer le jeu, Cameron a dit que le monde avait
« envoyé un message clair à la zone euro. Faites un effort, après quoi
nous vous aiderons. Et pas l'inverse. »
Les appels à une intervention de la BCE
visent à faire parvenir aux banques davantage de sommes massives de fonds
publics notamment aux banques de Washington et de Londres qui sont impliquées
dans l'assurance des dettes des soi-disant pays « PIGS » - le
Portugal, l'Italie, l'Irlande, la Grèce et l'Espagne - et qui sont lourdement
investies dans d'autres pays européens.
L'agence de notation Fitch a fait remarquer
qu'en mai 2011, les marchés financiers américains avaient une exposition
d'environ 1,2 millier de milliards de dollars au système bancaire européen -
soit près de la moitié de l'ensemble de leurs actifs. La Banque des règlements
internationaux a déclaré que les banques américaines ont une exposition directe
de 500 milliards de dollars aux pays de la périphérie de l'UE par l'entremise
de contrats de dérivés et d'une exposition de plus de 1,2 millier de milliards
de dollars aux banques allemandes et françaises.
Dans son interview, Cable a dit que la BCE
doit être dotée « d'un pouvoir d'intervention illimité. » « En
2008, nous avons remarqué dans notre propre pays que nous avons besoin d'une
banque centrale forte qui soit capable de faire ceci. »
C'était là une référence au plan
d'« assouplissement quantitatif » à hauteur de plusieurs milliards de
livres sterling accordé par le gouvernement travailliste aux banques
britanniques. Le mois dernier, la Banque d'Angleterre a imprimé 75 milliards de
livres sterling supplémentaires en les injectant dans le système bancaire. Ces
fonds sont récupérés sur les emplois, les salaires et les services vitaux des
travailleurs. Le même programme capitaliste, même encore plus draconien, est
appliqué en Grèce et ailleurs.
En dépit des signaux d'alarme émis sur le
sort de la zone euro, des tensions nationales sont en train de se développer
entre les principales puissances européennes. Le président de la Commission
européenne, Jose Manual Barroso, a carrément déclaré le 6 novembre dans l'Observer :
« J'espère que lorsque les historiens étudieront cette époque inédite, ils
comprendront que nous avons évité l'éclatement. »
« L'espace euro ne doit pas être traité
comme une clause de 'non participation' à l'Union européenne. Le défi est de
savoir comment approfondir davantage l'espace euro sans provoquer des divisions
avec les Etats-membres qui n'en font pas encore partie. »
Ceci a été considéré comme un reproche à
l'encontre de l'Allemagne et de la France qui élaboreraient des projets pour
créer une zone euro plus intégrée et plus petite, sans la Grèce et d'autres
économies plus faibles. Et ceci s'adressait également à l'importante aile
eurosceptique du Parti conservateur britannique qui exige un retrait total ou
partiel de l'UE. Le mois dernier, on a assisté à la plus grande rébellion des
députés conservateurs contre le refus du gouvernement de tenir un référendum
sur l'adhésion de la Grande-Bretagne à l'Union européenne.
Le sommet de la zone euro avait arrêté des
mesures de rigueur punitives pour la Grèce et l'Italie qui sont soumises à la
discipline fiscale du « Groupe de Francfort ». Le rédacteur en chef
de la rubrique économique du Guardian, Larry Elliot, a décrit ceci comme
« une cabale non élue composée de huit personnes », dont Christine
Lagarde du FMI, Merkel, Sarkozy, le président de la BCE, Mario Draghi, et
Barroso. Ceci s'est terminé par l'imposition de gouvernements non élus dirigés
par des « technocrates » et qui doivent rendre des comptes
directement à la « cabale » de Francfort. Blair a défendu ce processus
en disant : « La raison pour laquelle les gens ont recours à ce genre
de dirigeants est qu'ils veulent simplement résoudre le problème. »
Pour la bourgeoisie britannique, la crise
réside en ce que sa demande d'une intervention de la BCE et d'un soutien à des
mesures d'austérité encore plus importantes en Europe, renforce la décision en
faveur d'une consolidation politique et fiscale de plus en plus grande dans la
zone euro. Avec la France se trouvant à présent dans le collimateur des
marchés, alors qu'il n'y a toujours pas d'accord quant à la manière dont l'EFSF
peut lever des fonds, l'Allemagne dicte les termes de tout
« sauvetage » de l'euro. Ce développement risque de totalement isoler
le Royaume-Uni.
Lundi, Merkel a dit lors d'une conférence de
son parti, l'Union démocrate-chrétienne (CDU) que la tâche était « de
parachever l'union économique et monétaire et de construire l'union politique
de l'Europe. »
Les traités de l'UE doivent être modifiés
afin de permettre l'intégration, et il faut qu'il y ait la possibilité de
soumettre les pays endettés à des sanctions sévères s'ils n'appliquent pas la
discipline monétaire. Elle aurait apparemment averti Cameron, un peu plus tôt,
que le RU devait soutenir ces modifications faute de quoi, l'Allemagne et la France
oeuvreraient pour une Europe à « deux vitesses. »
Dans son discours prononcé lors du banquet
du Lord Mayor à Londres ce soir-là, Cameron a riposté. « Nous, les
sceptiques, avons de bonnes raisons, » a-t-il dit en attaquant l'UE pour
son « ingérence, ses règlementations et ses régulations. » La crise
de la zone euro était une « occasion pour commencer à refaçonner l'UE afin
qu'elle serve mieux les intérêts de cette nation, » a-t-il dit.
Tout en déclarant qu'une sortie de l'UE
serait dommageable à la Grande-Bretagne, Cameron a dit à son auditoire composé
d'influents financiers que tout référendum sur des modifications du traité de
l'UE devait « rapatrier » des pouvoirs de Bruxelles vers les
Etats-nations.
Cameron ne critiquait pas par là la
politique de changement de régime appliquée en Grèce et en Italie. Il veut
disposer du pouvoir de mettre hors d'usage les régulations communautaires
relatives à la durée et aux conditions de travail, ainsi qu'une vaste extension
de la privatisation des services publics en Europe au profit du capital privé.
Il s'est aussi opposé aux propositions allemandes pour une taxe sur les
transactions financières à l'échelle européenne. Le chancelier George Osborne a
décrit ceci comme une « balle tirée en plein cour de la cité de Londres. »
Cette politique conservatrice est soutenue
par le parti travailliste. Le chancelier de l'Echiquier du cabinet fantôme, Ed
Balls, a plaidé pour que la Grande-Bretagne continue de retenir le versement de
fonds au FMI jusqu'à ce que l'Allemagne garantisse de protéger la zone euro. Le
porte-parole travailliste chargé des Affaires internationales, Douglas
Alexander, a dit que le gouvernement devrait « se faire à l'évidence que
l'Allemagne cherche à modifier le traité qui impose une plus grande discipline
au sein de la zone euro et profiter de l'occasion pour sauvegarder les droits
des non membres de l'euro. »
Le journal Independent a dit,
« L'équipe dirigeante des deux partis et peut-être même de tous les trois,
est presque d'accord sur une question qui déchire la politique britannique
depuis quatre décennies. »
Cette unité se fonde sur une politique
visant à accélérer la désintégration de l'Europe selon des frontières
nationales, ce qui ne peut avoir que les conséquences les plus désastreuses
pour la classe ouvrière.