Quelques mois après la démission de quatre
députés importants du Parti québécois (PQ), un parti bourgeois qui prône
l'indépendance du Québec, la crise dans ce parti se poursuit. En surface, cela
prend la forme de critiques sévères à l'endroit de Pauline Marois, la chef du
PQ, qui l'ont forcé à réaffirmer son intention de demeurer à la tête du parti.
Cette crise prend place dans le contexte où
la bourgeoisie exige un virage radical vers la droite en termes de politiques
économiques et sociales, mais où ses principaux représentants politiques sont
complètement discrédités aux yeux des travailleurs. Certaines sections de la
bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie cherchent quant à elles à pousser le PQ
à adopter plus clairement un programme pour réaliser la souveraineté. Loin
d'offrir une opposition de principe au PQ, ces sections acceptent entièrement
le système d'États-nations au sein duquel le capitalisme s'est historiquement
développé. Elles cherchent seulement à convaincre la grande entreprise qu'un
assaut frontal sur les acquis des travailleurs aurait plus de chances de
réussir s'il était enrobé de belles paroles concernant le caractère supposément
progressiste d'un éventuel Québec indépendant.
Deux des quatre députés démissionnaires du
PQ ont laissé entendre qu'ils pourraient se présenter à la chefferie de ce
parti si une course à la direction pour remplacer Marois avait lieu. De plus,
Gilles Duceppe, ex-chef du Bloc Québécois (BQ), le parti frère du PQ au niveau
fédéral, aurait, selon le quotidien La Presse, eu des discussions avec
d'ex-premier ministre du Québec, afin de discuter de la possibilité de
remplacer Pauline Marois. Duceppe a été pendant 14 ans le chef du BQ avant de
démissionner, après la défaite historique que ce parti a subie lors des
élections fédérales de 2011.
Deux députés
du PQ, Bernard Drainville et Sylvain Pagé, ont fait des propositions qui vont à
l'encontre du programme prôné par la direction du Parti québécois. D'autres
critiques envers le PQ ont émané du Nouveau mouvement pour le Québec (NMQ), un
mouvement qui bénéficie d'un appui important dans le milieu souverainiste. Le
NMQ est composé de plusieurs ex-péquistes qui critiquent le PQ exclusivement
sur son attitude vis-à-vis la souveraineté, et non sur les politiques de droite
anti-ouvrières que ce parti met de l'avant.
Hormis de
nombreuses organisations indépendantistes, des représentants du milieu syndical
et quelques députés démissionnaires du PQ, le parti qui représente la gauche
officielle au Québec, Québec Solidaire (QS), était présent lors de la première
assemblée publique du NMQ, qui s'est tenue le 21 août dernier.
Même si le
NMQ est un mouvement de droite lié au PQ, Françoise David, la coporte-parole de
Québec Solidaire, s'est enthousiasmée devant cette nouvelle initiative et a
parlé de « collaborations possibles ».
Pauline Marois a
réagi aux critiques visant son parti. Elle a annoncé quelques mesures dont la
plus importante est la tenue d'états généraux sur la souveraineté du Québec,
une mesure qui avait été réclamée par plusieurs intervenants lors de la
première assemblée du NMQ et qui vise à discuter de l'avenir du mouvement
souverainiste et de la souveraineté du Québec.
Toutefois, selon
Gérald Larose, ancien président de la Confédération des syndicats nationaux
(CSN)et maintenant président du Conseil de la
souveraineté du Québec (CSQ), qui a été mandaté par le PQ pour définir les
paramètres des états généraux, la tenue de ces états généraux demeure
incertaine étant donné les désaccords régnant au sein du mouvement
souverainiste.
QS, qui fait
partie du CSQ, a donné son appui aux états généraux, en précisant qu'ils
devraient être « porté[s] par un regroupement de forces souverainistes et
populaires » et qu'ils doivent « nous permettent de tracer les
contours du Québec dans lequel nous voulons vivre. »
Les forces
souverainistes, Québec Solidaire en tête, réagissent à la crise du Parti
québécois en cherchant à redonner un vernis plus « démocratique » au
mouvement souverainiste. Or, cela sert à masquer un fait fondamental :
l'immense crise du système capitaliste vient discréditer tous les partis traditionnels
de la classe dirigeante. Québec Solidaire, accompagné par les autres forces
souverainistes et les bureaucrates syndicaux, intervient pour redonner du
crédit à cette classe dirigeante.
QS et tout le
mouvement souverainiste évacuent les questions de classe. Ils entretiennent
l'illusion qu'il est possible de défendre les intérêts de « tous les
Québécois » à l'intérieur du système de profit et du système
d'États-nations qui se font compétition. Tout ce qu'il faut, selon eux, c'est
de faire quelques réformes démocratiques.
En faisant
cela, Québec solidaire empêche la classe ouvrière de rompre avec les partis
bourgeois traditionnels et de développer sa propre alternative.
Le principal
chemin par lequel s'exprime la collaboration de QS avec la classe dirigeante
est la participation active de ce parti dans le mouvement souverainiste, un
mouvement qui vise la création d'un nouvel État capitaliste indépendant et qui
a toujours été dirigé par le Parti québécois.
Le
nationalisme québécois, tout comme le nationalisme canadien, représentent un
obstacle fondamental à toute solution progressiste à la crise du système
capitaliste, qui est mondiale. La crise de l'emploi, la spéculation endémique,
l'assaut sur les salaires, la santé et l'éducation sont des problèmes que
vivent les travailleurs à travers le monde. Soutenir qu'un Québec
« libre » serait plus socialement juste est un mensonge éhonté qui
sert à camoufler les divisions de classe.
La crise au
parti québécois doit être
comprise dans son contexte historique et en tenant compte des profondes
contradictions de classe qui traversent la société.
Ce n'est pas seulement le PQ qui est en
crise, mais aussi le parti libéral du Québec (PLQ), qui dirige la province
depuis 2003. Ces deux partis, qui s'alternent au pouvoir depuis les années
1970, sont depuis longtemps critiqués de la droite par la bourgeoisie et les
grands médias pour ne pas aller suffisamment loin et vite pour implanter les
politiques de droite pro-entreprises.
Mais de l'autre côté, l'appui populaire
envers ces partis traditionnels s'érode continuellement en raison d'années
d'attaques sur les conditions de vie de la classe ouvrière, par des
compressions budgétaires et la mise en place d'une politique fiscale qui
profite aux plus riches. Par exemple, le PQ a perdu 500 000 voix (environ 25
pour cent de son soutien électoral) lors des élections de 2003 et le soutien
populaire pour ce parti a été à la baisse depuis ce temps. Cette cuisante
défaite était survenue après 10 ans de gouvernement péquiste, où celui-ci avait
fermé des hôpitaux, congédié des milliers d'infirmières et sabré massivement
dans les dépenses, tout en baissant les impôts pour les plus riches.
Mais, les mesures de droite implantées par
le PQ, qui ont ensuite été accentuées par le PLQ, n'ont pas été suffisantes
pour la bourgeoisie du Québec. En effet, celle-ci a constamment cherché des
moyens pour pousser toute la politique encore plus à droite et cela a eu un
effet déstabilisateur sur le PQ. Celui-ci a réagi en cherchant à s'adapter à
ces pressions de la bourgeoisie, notamment en mettant l'éloge de la
« richesse » au cour de son plus récent programme, tout en s'aliénant
encore plus la population. (Voir, Québec : La crise au Parti québécois sfintensifie après
la démission de trois députés vedettes )
La Coalition pour l'avenir du Québec (CAQ)
de François Legault, un ancien ministre péquiste, est l'un des moyens mis en
avant par la bourgeoisie pour imposer des mesures impopulaires que ni le PLQ,
ni le PQ, n'ont réussi à mettre en place tellement ils sont discrédités
aux yeux de la population. La venue au pouvoir des libéraux de Jean Charest
avait été accueillie par une immense vague d'opposition chez les travailleurs
et les étudiants qui n'avait pu être contenue que grâce à la trahison des
syndicats.
Tout comme les signataires du manifeste Pour
un Québec lucide, qui affirmaient que le Québec « ne peut se permettre d'être la république du statu quo », la CAQ
défend l'idée que la question constitutionnelle doit être reléguée au second
plan afin que l'élite dirigeante, autant son aile souverainiste que
fédéraliste, puisse se consacrer à imposer vigoureusement un programme
d'austérité sociale.
Le PQ a répondu à cette évaluation de la
bourgeoisie québécoise en mettant moins l'accent sur son projet de
souveraineté. C'est cela qui est à la base de la création du Nouveau mouvement
pour le Québec. Celui-ci est composé de couches plus aisées de la classe
moyenne, des sections de la bureaucratie syndicale et du mouvement
communautaire qui jugent qu'un « projet de pays » leur servirait de
couverture politique et de passerelle pour améliorer leur propre position
sociale.
Que dit le manifeste du Nouveau mouvement pour
le Québec ?
Le NMQ critique principalement le PQ parce
qu'il « banalise » le projet d'indépendance du Québec :
« Pour résumer, en misant sur le rapatriement des pouvoirs et non sur la
main-mise de l'ensemble des pouvoirs, le PQ banalise en quelque sorte l'idée
d'indépendance et d'émancipation collective. Il la réduit à une formalisation
de questions administratives. »
Voilà la principale faute du PQ selon le
NMQ : banaliser le projet d'indépendance du Québec, le mettre de côté, le
remettre à plus tard, etc.
Le caractère de classe du NMQ est clairement
démontré par le fait qu'il ne dit rien sur les politiques de droite que le PQ a
menées lors de ses années au pouvoir, des politiques qui ont eu et qui
continuent d'avoir des conséquences sociales désastreuses, notamment dans le
domaine des soins de santé. Pas une fois dans le manifeste n'apparaissent les
mots « pauvreté », « inégalité » ou
« privatisation », des mots qui décrivent le quotidien de millions de
travailleurs, au Québec ou internationalement.
Alors que le NMQ critique le fait que le
mouvement souverainiste soit maintenant un « parti
institutionnalisé » [i.e. le Parti québécois], il affiche clairement ses
ambitions de participer à des institutions qui sont des piliers des puissances impérialistes :
« Plus que jamais, c'est à nous d'être nous-mêmes face au reste du monde.
De participer nous aussi à la conduite des affaires mondiales et d'être
responsables devant l'ONU, l'OCDE, l'OTAN, l'OMC, le FMI, la Banque mondiale ou
l'ALÉNA. »
Apparemment, l'un des principaux souhaits du
NMQ est justement de faire partie de ces organisations qui servent à imposer
les diktats des grandes banques et institutions financières (OMC, FMI, Banque
mondiale), à fournir une justification pseudo légale aux agressions
impérialistes (ONU) ou même à mener ces guerres impérialistes (OTAN).
Le fait que Québec solidaire s'associe à ce
mouvement de droite révèle une fois de plus son orientation de classe. Selon
QS, le NMQ et l'ensemble du mouvement souverainiste, le problème fondamental de
la société québécoise est sa subordination à l'État fédéral.
Dans son site web, paysdeprojets.org,
QS affirme que les « rêves de justice, d'égalité, de démocratie et
d'écologie » sont « pour le moment entravés par le statut provincial
du Québec ». On a beau chercher dans tout le site, il ne s'y trouve aucune
critique des politiques sociales du PQ, un parti qui, avec les libéraux, a
favorisé pleinement l'enrichissement d'une minuscule couche sociale aux dépens de
l'écrasante majorité de la population. À la section « QS/PQ », QS ne
fait que critiquer la stratégie du PQ pour l'atteinte de la souveraineté tout
en proposant « de remettre entre les mains de la
population le soin de définir son avenir politique et son projet de
société. »
QS fait constamment référence au
« peuple », à la « population » ou aux
« citoyens » du Québec, mais très rarement aux travailleurs et encore
moins à la classe ouvrière. Pour ce parti de la petite-bourgeoisie, les
travailleurs et l'élite dirigeante du Québec devraient tous s'allier sous la
bannière de l'indépendance.
Le fait que le NMQ soit un mouvement de droite
à peine différent du PQ, qu'il ne remet pas en question le système capitaliste
et qu'il désire participer à des institutions servant à défendre ce système
est, au mieux, secondaire pour QS. Après tout, les « assemblées
constituantes », que QS et le NMQ proposent,
permettront aux « valeurs québécoises » de venir rendre plus humain
un système et des institutions qui sont en train, et avec raison, de soulever
la colère de millions de personnes !
En présentant la question nationale comme la
question fondamentale, tous les groupes et partis regroupés dans le NMQ
étouffent toute discussion sur le caractère de classe de la société, que ce
soit celle du Québec, du Canada, ou de tout autre pays. Québec solidaire, le
représentant « de gauche » le plus en vue dans cette coalition, tente
de redonner vie au programme qui a si bien servi le PQ et la bourgeoisie
québécoise durant des décennies.
Le projet d'indépendance du Québec a
historiquement servi à diviser les travailleurs du Québec de ceux du reste du
Canada pour mieux servir les intérêts du patronat au Québec et au Canada et
empêcher qu'un puissant mouvement ouvrier vienne menacer l'ordre établi.
Dans la lutte nécessaire qu'ils doivent mener
pour bâtir un parti qui représentera véritablement leurs intérêts, les
travailleurs devront inévitablement s'opposer au programme réactionnaire de la
souveraineté et lutter contre tous ceux qui en font la promotion. La classe
ouvrière québécoise doit se tourner au contraire vers ses véritables
alliés : les travailleurs du Canada anglais, des États-Unis et du reste du
monde.